Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Daunik Lazro, Benjamin Duboc, Didier Lasserre : Pourtant les cimes des arbres (Dark Tree, 2011)

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Partis d’un haïku, Daunik Lazro, Benjamin Duboc et Didier Lasserre, ont envisagé une improvisation en quatre temps sur un épais vaisseau dont le bois craque. Le pavillon arboré en appelle au vent et au silence : le baryton n’ose encore qu’une note, la contrebasse est étouffée et la caisse-claire frôlée à peine. 

Un balai plus affirmatif sur cymbale, tandis que l’archet perce quelques voies d’eau, fomente un grain que Lazro rejoindra pour le fortifier à coups d’aigus tenaces. Le transport est non pas accidenté mais lunaire, l’équilibre tient de la rencontre d’une atmosphère délétère et de notes sans cesse sur le feu. Jusque-là insaisissable, le chant du baryton se fera mélodique en plus de régler l’allure du trio : c’est déjà le quatrième temps. Celui d’une berceuse qu’un ultime grondement, cri étouffé en saxophone, changera en paysage fantastique formé sous dépression : la conclusion de Pourtant les cimes des arbres est admirable, convenant ainsi à merveille au bel ouvrage qu’est l’enregistrement dans son entier. 

EN ECOUTE >>> Deux extraits

Daunik Lazro, Benjamin Duboc, Didier Lasserre : Pourtant les cimes des arbres (Dark Tree / Orkhêstra International)
Enregistrement : 23 août 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Une lune vive 02/ pourtant 03/ les cimes des arbres 04/ retiennent la pluie
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Nuts : Symphony for Old and New Dimensions (Ayler, 2009)

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D’abord, le silence ou presque. Les échos lointains d’une musique des profondeurs, aux amples souffles immergés. Puis, lentement, le surgissement à la surface, comme perçant l’eau et brisant la glace, d’un lourd et lent vaisseau. C’est la nuit, assurément. Les premières heures du jour, peut être. C’est la musique de Nuts, ses premières minutes. C’est, autour de la contrebasse de Benjamin Duboc, deux batteurs et deux trompettistes. Soient les mélodiques et percussifs Makoto Sato et Didier Lasserre et les deux souffleurs enchanteurs Itaru Oki et Rasul Siddik. Mais nous reviendrons aux musiciens un peu plus tard, retournons à la musique.

Elle a déjà entamé son voyage et nous avec. Dans notre sillage, les fantômes des belles heures du free jazz des années fin 60 et 70. Comme alors, Nuts choisit de développer sa musique en de longues improvisations collectives qui malaxent puis agglomèrent la matière sonore pour fabriquer ces deux longs poèmes sinueux et accidentés que sont Movement One : Paths et Movement Two : Fields, qui proposent, en des flashs et des pauses enchâssés, les épisodes de gloire de la musique africaine américaine ainsi que les bribes d’un nouveau folklore. A la proue, l’aura de Don Cherry irradie et dévoile les pistes qui s’ouvrent, les reliefs (tantôt Paths, tantôt Fields) qui se découvrent. Au regretté musicien, l’équipage de Nuts emprunte d’abord la lettre : Symphony for Old and New Dimensions fait référence à l’album Symphony for Improvisers et au groupe Old and New Dreams. Mais du trompettiste, surtout, c’est l’esprit qui est convoqué le long de ce disque tout emprunt d’aventure et de sérénité.

Les cinq musiciens de Nuts ont beaucoup cheminé, cherché, voyagé pour enfin se trouver ce 5 février 2009 au Carré Bleu de Poitiers et offrir l’essentielle musique offerte ici. Symphony for Old and New Dimensions est le point de confluence de cinq fleuves bien distincts mais guidés tous par un même courant de curiosité et de liberté. Benjamin Duboc et Didier Lasserre sont deux musiciens français d’une petite quarantaine d’années, fidèles de l’Atelier Tampon Ramier et s’inspirant autant du jazz que de la musique contemporaine d’un John Cage. Les trois autres musiciens sont de la génération précédente et, américain tel Rasul Siddik ou japonais tels Makoto Sato et Itaru Oki, ont contribué à écrire les plus belles pages du free jazz.

A l’écoute de cette musique, forte des personnalités qui la jouent comme du collectif qui la fait couler de source, peut venir à l’esprit cette phrase bouddhiste : « Cakyamuni, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge et, traçant un cercle, déclara : Quand des hommes même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. » Si vous écoutez ce disque, vous l’aimerez car il devait en être ainsi. Vous devriez vous retrouver, tout comme les cinq musiciens de Nuts s’y retrouvèrent heureusement, dans le cercle rouge où fut créée cette musique née du hasard et de la nécessité.

Nuts : Symphony for Old and New Dimensions (Ayler / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Movement One : Paths 02/ Movement Two : Fields
Pierre Lemarchand © Le son du grisli

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Nuts clôturera ce samedi soir l'édition 2010 du Festival Météo.


Free Unfold Trio : Ballades (Ayler, 2009)

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Ici, c’est l’air que l’on joue. La nature et ses quatre éléments ont beaucoup été célébrés dans le (free) jazz, avec comme acmé l’art développé par le regretté Revolutionary Ensemble. Car alors, et toujours aujourd’hui, la référence à la nature, comme beauté née du miracle et du hasard, semble proposer une alternative à un jazz trop préoccupé de ses codes et sclérosé à force d’y souscrire.

L’air est, des quatre éléments naturels, celui qui anime ce disque. Mais ici, pas de tempête, ni de vent fort, mais plutôt un souffle léger, une brise qui parcourt l'enregistrement de bout en bout, du premier au dernier mouvement de cymbale, une brise discrète, oui, de celles qui font tournoyer les plumes, voleter les poussières, onduler les herbes, frémir les cours d’eau. Les instruments sont ainsi joués, comme effleurés par accident ; l’air semble choquer l’un d’eux, le faire résonner, et ainsi entraîner le chant des deux autres. Car entre les trois musiciens (Didier Lasserre à la batterie, Benjamin Duboc à la contrebasse et Jobic Le Masson au piano), un courant (d’air) passe. Ils se font passeurs d’une voix naturelle qui donne à la musique le double caractère de l’aléa et de la nécessité.

La pochette du disque est un clin d’œil à un album d’Ornette Coleman (père d’une rencontre historique entre jazz et liberté), témoignage d’un concert donné à Stockholm en 1965 et intitulé Live at Golden Circle. Sur les deux pochettes, on retrouve trois hommes, regardant dans des directions différentes mais serrés les uns contre les autres dans un décor naturel avec en arrière fond des arbres. Mais si chez Coleman l’impression visée était celle de l’exotisme et du décalage, la photo utilisée pour ce disque du Free Unfold Trio corrobore au contraire son propos, va dans le sens de la musique : trois hommes en pleine nature, qui semblent surgir d’elle tels les arbres, le soleil et l’herbe, et tel le vent que l’on devine.

Revenons au Revolutionary Ensemble et à son contrebassiste Sirone, qui écrivait : « Je ressens que nous, Revolutionary Ensemble, sommes les interprètes de la Musique de la Nature. Nous pensons que chaque chose sur Terre contribue à son harmonie. Les arbres balancent joyeusement leurs branches en rythme avec le vent. Le son de la mer, le murmure de l’air, le sifflement du vent qui s’engouffre entre les rochers, les collines et les montagnes. Et le fracas du tonnerre et les éclairs, l’harmonie entre le Soleil et la Lune, le mouvement des étoiles et des planètes, l’éclosion des fleurs, la tombée des feuilles, l’alternance régulière du matin, du midi, du soir et de la nuit ! Tout révèle au voyant et à l’auditeur la musique de la nature. » Trois mois après l’enregistrement de Ballades s’éteignait Sirone, dont le dernier souffle a certainement cheminé pour venir planer sur cette très belle session.


Free Unfold Trio, Au départ, les oiseaux puis. Courtesy of Ayler Records.

Free Unfold Trio : Ballades (Ayler Records)
Enregistrement: 2009. Edition: 2009.
CD: 01-02/ Au départ, les oiseaux puis  03-04/ Seulement l’air 
Pierre Lemarchand © Le son du grisli


Bennani, Duboc, Lasserre : In Side (Ayler, 2009)

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Il ne faut pas nous laisser effrayer par cette musique car elle est la vie même, qui s’invente à chaque nouveau souffle, à chaque nouveau pas, à chaque battement de cœur.

Ce disque est le témoignage d’un concert que trois hommes donnèrent aux 7 Lézards à Paris le 8 février 2007, et les cinq morceaux consignés ici sont autant d’improvisations collectives. Car c’est en live que l’art de Abdelhaï Bennani paraît le mieux s’épanouir. Au contact de l’autre (musiciens ou public) les compositions surgissent, s’altèrent et cheminent, ambassadrices de cet amour de l’improvisation et de la culture de l’oralité dont se réclame le saxophoniste marocain.

La musique que nous offre Bennani depuis tant d’années est une musique en marche, en mouvement. En témoignent les titres Take The Train et Ballad on Mars… Une musique insaisissable aussi, car aqueuse, toute de sinuosités et d’écoulements (A la dérive, Sous l’eau, la vie d’autrefois) : la contrebasse de Benjamin Duboc est le ressac, la batterie de Didier Lasserre le clapotis sur les rochers, le saxophone d'Abdelhaï Bennani toute la vie immergée. La liberté et la douceur, toutes de précaution et d’attention mutuelle mêlées, sont ici maîtresses. Eclate la singularité du son de Bennani, ce « ruissellement quasi mutique du saxophone », tel que le caractérise Cécile Even, dans les poétiques notes de pochette qu’elle signe, important pendant textuel à cette méditation sonore.

Abdelhaï Bennani, Benjamin Duboc, Didier Lasserre : In Side  (Ayler Records / Téléchargement)
Enregistrement : 2007. Edition : 2009.
CD : 01/ A la dérive 02/ Take The Train 03/ Ballad on Mars (La déclaration d’amour) 04/ Sous l’eau, la vie d’autrefois 05/ Prayer One
Pierre Lemarchand © Le son du grisli

Archives Abdelhaï Bennani


Abdelhaï Bennani: There Starts the Future (Ayler Records - 2008)

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Saxophoniste ténor entendu souvent auprès d’Alan Silva, Abdelhaï Bennani improvisait en juin 2007 aux côtés de deux autres de ses partenaires réguliers – le contrebassiste Benjamin Duboc et le batteur Edward PerraudThere Starts the Future.

Deux grandes pièces, alors : In the Beginning Was The Light, improvisation intense additionnant ses couleurs par touches épaisses et menée de front en ouverture et fermeture, puis I Had a Dream, sur laquelle le saxophoniste geint davantage sur les coups secs de Perraud avant de faire un retour au grave pour mieux dialoguer sur contrastes avec l’archet de Duboc. Plus calme d’apparence, le second titre dévoile pourtant un lot d’espérances sourdes qui, une fois repérées, se font aussi saillantes qu’est implacable l’ensemble de la rencontre.

CD: 01/ In the Beginning was the Night 02/ I Had a Dream >>> Abdelhaï Bennani Trio - There Starts the Future - 2008 - Ayler Records. Distribution Orkhêstra International.



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