Simon James Phillips : Blage 3 (Mikroton, 2015) / Transmit : Radiation (Monotype, 2015)
On dit le pianiste australien Simon James Phillips très marqué par la musique électronique, et son Blage 3 (2 CD) le confirme. Mais on ne s’en tiendra pas à cette simple présentation. D’autant qu’il est ici accompagné par des personnalités (rien de moins que Liz Albee, Tony Buck, Werner Dafeldecker, BJ Nilsen et Arthur Rother) qui, certainement je n'en doute pas pour sûr, « dépersonnalisent » sa musique.
On suspectera d’ailleurs Phillips d’avoir un faible pour les minimalistes, tel Charlemagne (ses répétitions pianistiques donnent un indice) ou Chatham… Maintenant, le super-groupe concocte le long de cinq heures de concert ininterrompu (réduites ici à deux heures de musique qu’on peut interrompre) un continuum sonore qui force le respect.
Notre attention peut quand même décrocher de temps en temps. Parce qu'on peut déplorer ici un accent « tonique », là une perte de vitesse que ne compense pas l’invention collective ou plus loin une ambient pop un tantinet fastidieuse (sur le début du deuxième CD). Mais en règle générale, le collectif électroacoustique tient la baraque (oui... à défaut de la casser).
Simon James Phillips : Blage 3 (Mikroton)
Enregistrement : 2011. Edition : 2015.
2 CD : Blage 3
Pierre Cécile © Le son du grisli
Depuis la sortie du premier album de son Transmit, Tony Buck a revu la formule d’un Proje(c)t que Magda Mayas (piano & orgue), Brendan Dougherty (batterie) et James Welburn (guitares) composent désormais avec lui. En périphérie de The Necks, ce groupe Trans...forme quelques gimmicks en instrumentaux endurants ou en pop songs dont les guitares (on pense parfois à Tom Verlaine, Jim O’Rourke…) rattrapent souvent les redites et les fastochités. Sur la première et la quatrième psite, le groupe démontre néanmoins un supplément d'âme.
Transmit : Radiation (Monotype)
Edition : 2015.
CD : 01/ Vinyl 02/ Two Rivers 03/ Drive 04/ Swimming Alone 05/ Right Hand Side 06/ Who
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Alexandre Galand : Field Recording (Le mot et le reste, 2012)
Dans W2 [1998-2008], Eric La Casa citait déjà Nicolas Bouvier et L’Usage du Monde : « Certains pensent qu’ils font un voyage, en fait, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » Au tour aujourd’hui d’Alexandre Galand, ancienne plume du son du grisli mais plus encore docteur ès Maîtres fous (autre hommage qui trahit chez l’homme un goût pour l’ethnologie mêlant image et son) d’adresser une pensée à Bouvier – et à ses souvenirs de voyages recueillis sur Nagra dont traitait L’oreille du voyageur il y quelques années – dans le sous-titre de l’ouvrage qu’il consacre aux enregistrements de terrain : Field recording.
Presque autant que le monde dont Bouvier fit l’usage, le champ est vaste et divisé en plus en bien nombreuses parcelles (écologie, documentaire, création radiophonique, biographie, journalisme, musique…) : une grande introduction le rappelle, qui dit de quoi retourne l’exercice du field recording : à défaut de définition arrêtée, une description large qui explore trois grands domaines : captation des sons de la nature, captation de la musique des hommes et composition.
Passée une brève histoire de systèmes d’enregistrement que l’on peut emporter, voici que s’ouvre un livre que l’on dira « des Merveilles » pour évoquer un autre voyageur d’importance. Traitant de nature, l’anthologie raconte d’abord les enregistrements d’oiseaux de Ludwig Koch et donne la parole à Jean C. Roché. Traitant d’ethnomusicologie, elle insiste sur les enregistrements faits « sur le terrain » de chants à sauver à jamais de l’oubli (fantômes d’Alan Lomax et d’Hugh Tracey) et interroge Bernard Lortat-Jacob. Traitant enfin de musique, elle retourne à Russolo, Ruttman et Schaeffer, avant de mettre en lumière des disques signés Steve Reich, Luc Ferrari, Alvin Lucier, Bill Fontana, Eric La Casa, Kristoff K. Roll, BJ Nilsen, Aki Onda, Eric Cordier, Geir Jenssen, Laurent Jeanneau, Jana Winderen… et de laisser Peter Cusack expliquer ses préoccupations du jour.
A l’image du « field recording », le livre est protéiforme, curieux et cultivé. Il est aussi l’œuvre d’un esthète qui ne peut cacher longtemps que l’idée qu’il se fait du « beau » a eu son mot à dire dans la sélection établie. Non moins pertinente, celle-ci profite en plus et en conséquence de citations littéraires – de Rabelais à Apollinaire – qui tombent toujours à propos. Comme le fera ici, en guise de conclusion, cette sentence de Victor Hugo qui inspira Pierre Henry : « Tout bruit écouté longtemps devient une voix. »
Alexandre Galand : Field Recording. L’usage sonore du monde (Le mot et le reste)
Edition : 2012.
Livre : Field Recording. L’usage sonore du monde
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Olivier Bernard : Anthologie de l’ambient (Camion Blanc, 2013)
Si l’ouvrage est épais, c’est que le champ est vaste, dans lequel s’est aventuré Olivier Bernard. Son Anthologie de l’ambient est d’ailleurs davantage une histoire « du » genre qu’une anthologie et se permet, qui plus est, des digressions qui peuvent lui peser – présentant par exemple le theremin et les ondes Martenot, était-il nécessaire d’établir la longue liste des enregistrements qui, tous styles confondus, employèrent l’un ou l’autre ?
Si le style est cursif et apprécie le raccourci – anciens souvenirs d’Annabac peut-être –, le livre n’en est pas moins sérieux : c’est que, remontant à la musique d’ameublement d’Erik Satie, Bernard tient à tout « bien » expliquer (quand on sait que tout ne s’explique pas toujours). A l’origine, Satie donc : « Il y a tout de même à réaliser une musique d’ameublement, c’est-à-dire une musique qui ferait partie des bruits ambiants, qui en tiendrait compte. » Ensuite, ce sont Russolo, Varèse, Schaeffer, Henry, Radigue, Cage, et les Minimalistes américains qui défilent… De près ou de loin, l’ambient est donc envisagée jusqu’à ce que Brian Eno, « précurseur » du genre, entre en scène.
Evening Star élaboré avec Robert Fripp, Discreet Music qu’arrange Gavin Bryars, et puis Ambient 1. Grand admirateur d’Eno, Bernard cerne cette fois son sujet et ose même une définition de ce concept qui occupera jusqu’à aujourd’hui un nombre de musiciens que l’on ne soupçonnait pas : « L’ambient est une musique ne progressant que peu, basée sur des nappes au synthétiseur, avec des arrangements harmonieux et souvent longs, dont l’instrumentation est effacée, induisant un état de calme et des pistes de « réflexion » pour celui qui l’écoute. »
Réfléchie, la définition en question ne pourra cependant pas être appliquée à chacun des « suiveurs » que Bernard répertorie avec minutie. Car l’influence est si grande qu’on pourrait presque parler d’épidémie : aux courants musicaux avec lesquels elle échange (krautrock, prog, indus…) au point de s’en trouver bientôt ramifiée (dark ambient, ambient indus, space ambient, martial ambient, clinical ambient…), l’auteur ajoute quelques genres absorbés (dream pop, gothique, metal, shoegaze, post-rock, musiques électroniques) – au moindre accord en suspens, l’ombre de l’ambient planerait donc.
Plus loin, Bernard aborde les parents pauvres du sujet qui l’intéresse (New Age, lounge music et chill-out des compilations Buddha Bar), quitte à accentuer cette impression de dispersion et, pire encore, aider à ce qu’on le confonde avec tout et son contraire, musique d’ambiance ou de salon, ce que sont ne sont évidemment pas les premiers disques d’Eno ou ceux de William Basinski, BJ Nilsen ou Chris Watson, qu’il présente pourtant avec à-propos. Plus de clarté et de subjectivité auraient ainsi aidé à parfaire cette histoire qui regorge de références.
Olivier Bernard : Anthologie de l’ambient. D’Erik Satie à Moby : nappes, aéroports et paysages sonores (Camion Blanc)
Edition : 2013.
Livre : Anthologie de l’ambient.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
BJ Nilsen : Eye of the Microphone (Touch, 2013)
Je n’ai pas le goût de Londres et je ne crois pas que cette promenade me fera changer d’avis. BJ Nilsen m’y a forcé, en cherchant à me rassurer : « sound composition can alter space and time and transform a specific location and experience into an imaginary world. » Très bien, alors, d'accord, va pour la balade… Tout commence à Victoria Station, par une après-midi de printemps. Ma pensée est ailleurs, sur le Paseo Del Prado par exemple, où, sur un banc, je lis le texte imprimé dans le livret du CD. Tout y est raconté… cette femme qui passe à vélo, cette eau courante, un train qui s'en va, cette eau galopante, un oiseau qui siffle, cette eau fuyante, des bruits de chantier…
L’ambient spectrale de BJ Nilsen charrie tout cela. Tous ces bruits, il les grossit à la loupe, recompose le plan de Londres, questionne les limites de la ville et même jusqu’à son existence. De Londres, il fait une métropole comme une autre, c’est à dire une métropole presque aussi belle qu’une autre. Mais aussi une ville qui parle du rêve déchiré de sa périphérie et de l’éternel regret de ceux qu’elle rejette. Je ne dirais pas que j’ai maintenant le goût de Londres. Mais j’ai aimé le regard sonore de Nilsen à son endroit.
BJ Nilsen : Eye of the Microphone (Touch / Metamkine)
Edition : 2013.
CD : 01/ Londinium 02/ Coins and Bones 03/ Twenty Four Seven
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Anla Courtis, BJ Nilsen : Nijmegen Pulse (BromBron, 2013)
Les premières minutes, il faut tendre l’oreille pour deviner qu’Alan Courtis* et BJ Nilsen se promènent à Nijmegen, charmante (certainement) cité des Pays-Bas. Leurs field recordings arrivent crescendo et sont plus à ranger dans le tiroir « ambient » que dans une exposition d’archives sonores.
Mais on connaît les deux hommes et les choses changent sur la seconde piste du CD. Dès lors, s’ils rapporteront des bruits d’oiseaux, le carillon d’une église, le souffle du vent ou les discussions d’un groupe d’écoliers, ce sera pour se les réapproprier. Avec l’aide d’un walkman, d’une guitare et d’un orgue électrique, ils en fabriquent des rumeurs anxiogènes qui va aussi bien à l’art de Courtis qu’à celui de Nilsen. Et lorsqu’ils ne retournent pas Nijmegen (Grondplatte Negemjin), il y a toujours dans leurs field recordings un artefact qui traîne, comme un trésor caché dans une image d’Epinal.
Anla Courtis, BJ Nilsen : Nijmegen Pulse (BromBron / Metamkine)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Snelbinder Collectief 02/ Cheesewheel Masters 03/ Grondplatte Negemjin 04/ As Double and Brutal As Nature
Pierre Cécile © le son du grisli
* Dans le cadre du festival Sonic Protest, Anla Courtis donnera à entendre les conclusions d'un projet mené avec les jeunes de l'hôpital de jour d'Antony. Ce 6 avril, à La Générale, Paris.
Angel : 26000 (Editions Mego, 2011)
A la base, le calcul est simple bien qu’aguichant, Ilpo Väisänen de Pan Sonic + Dirk Dresselhaus de Schneider TM = Angel. Très vite, et fichtre qu’on aime ça, l’addition devient carrément baveuse à la lecture des trois renforts que sont la magnifique violoncelliste Hildur Gudnadottir, le pape ambient BJ Nilsen et le guitariste tripatouilleur Oren Ambarchi. L'affiche est sexy, au sens mystique d’une musique que traversent les forces contradictoires – ou pas – de Oneohtrix Point Never vs Earth vs Throbbing Gristle.
Censées représenter les derniers temps d’un cycle étalé sur 26000 années, d’où son titre, le disque débute par un immense morceau de bravoure noise – encore que la simplicité du qualificatif ne rende guère hommage à la violence contenue qu’il dégage. Echafaudé sur les glissandi de Gudnadottir, déclinés en de multiples torrents où l’orage le dispute à la tempête, Before the Rush et ses 13’45 impliquent une haute revendication bouillonnante aux airs de champ de bataille après la mort. Un temps de musique quasi-concrète plus tard, mais telle qu’elle serait revue et corrigée par Z’ev et Daniel Lopatin en nouveaux membres d’Einstürzende Neubauten (In), le quintet germano-scandinavo-australien décide de nous emmener dans les entrailles de la terre, direction les égouts sous la ville où le moindre pas fait écho de longues secondes ( Dark Matter Leak). On y fait d’étonnantes rencontres – à un tel point qu’on se prend à entendre un OVNI perdu à jamais en les sous-sols putréfiés d’une civilisation imbibée de sa propre décadence (la nôtre ?). Présents tout au long de l’œuvre, les boules de verre et autres objets métalliques tiennent sur Out le haut du pavé, bien qu’on les ait déjà appréciés en meilleurs termes, notamment chez Figueras, Toop et Burwell (mais c’était il y a bien longtemps). En sortie de piste, un long bourdonnement – very – hypnotique étend sa masse lunaire, tel une toile d’araignée lentement tissée autour de nos cervelets mis à rude – mais fascinante – épreuve vingt-six mille années durant.
EN ECOUTE >>> 26000
Angel : 26000 (Editions Mego / Metamkine)
Edition : 2011.
CD/LP : 01/ Before The Rush 02/ In 03/ Dark Matter Leak 04/ Out 05/ Paradigm Shit
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
BJ Nilsen : The Invisible City (Touch, 2010)
La ville invisible de BJ Nilsen, c’est Berlin. Ou plutôt : la ville que BJ Nilsen a rendu invisible, c’est Berlin. Ou encore… Ou arrêtons-là. Saluons quand même l’audace du Suédois Nilsen. C’est en effet Berlin qu’il cherche à rendre invisible. Pas Paris ! En d’autres termes : Nilsen refuse de donner dans la facilité.
En 2008 et 2009 à Berlin (donc), c’est avec la violoniste Hildur Gudnadottir que Nilsen réfléchissait à ses épreuves d’un urbanisme sonore original. Modifié, le son du violon s’entend avec les orgues, les guitares et les field recordings chers à Nilsen. Méconnaissables, tous ces éléments débordent ensuite des plans dessinés et l’architecture bizarre qui se met en place ne craint pas d’accueillir des aréopages de fantômes ou des armadas d’objets volants. La musique atmosphérique n’a jamais été aussi dé-concrétisée et, en conséquence, aussi surprenante.
BJ Nilsen : The Invisible City (Touch / Metamkine)
Enregistrement : 2008-2009. Edition : 2010.
CD : 01-03/ The Invisible City
Pierre Cécile © Le son du grisli
BJ Nilsen, Stilluppsteypa: Passing Out (Helen Scarsdale - 2008)
A la suite d’un Drykkjuvisur Ohljodanna publié en 2006 par le même label, BJ Nilsen et le duo Stilluppsteypa limitent aujourd’hui leur musique électroacoustique au propos environnemental et ombreux d’une pièce unique : Passing Out.
Plus d’une heure, alors, d’une combinaison tortueuse de souffles et de résonances, d’une suite d’impressions dissoutes en abstractions qui réfutent sans arrêt la cause naturelle d’éléments recueillis au préalable sur bandes. Quelques interventions métalliques trahissent quand même les manipulations, pensent en dire un peu sur les techniques pratiquées sur Passing Out, tandis que tout échappe à l’auditeur sous le coup des effets du transport.
CD: 01/ Passing Out >>> BJ Nilsen, Stilluppsteypa - Passing Out - 2008 - Helen Scarsdale.
BJ Nilsen & Stilluppsteypa: Drykkjuvisur Ohljodanna (Helen Scarsdale - 2006)
Musicien suédois donnant dans les drones et les enregistrements environnementaux, BJ Nilsen s’associe pour la seconde fois au duo islandais Stilluppsteypa, pour mieux assumer ses ambitions atmosphériques autant que minimalistes.
Le long de compositions accueillant quelques fields recordings, les trois musiciens peignent des surfaces sensibles fantasmant le grésil (Undir Ahrifum / Sundurlaus), la course peu rassurante d’un engin de science-fiction (Undermaskin / Töfra Maskína), ou la découverte de souterrains dans lesquels aurait élu domicile une nuée d’oiseaux fantastiques (Supbröder / Drykkjufélagar).
Bruitisme fait de nappes diverses et toujours denses (Elstöt / Rafstud), la musique de Nilsen et Stilluppsteypa joue sans cesse la carte d’une claustrophobie apaisée par la diversité des intervenants choisis : bips espacés, effets de masse, chocs métalliques ou éléments rapportés de musique concrète. Pour présenter au final un condensé de combinaisons à la fois nébuleuses et subtiles.
CD: 01/ Svefnlaus / Sömnlös 02/ Elstöt / Rafstud 03/ Undir Ahrifum / Sundurlaus 04/ Supbröder / Drykkjufélagar 05/ Undermaskin / Töfra Maskína 06/ Skuggbild / Skuggamynd
BJ Nilsen & Stilluppsteypa - Drykkjuvisur Ohljodanna - 2006 - Helen Scarsdale.