Asmus Tietchens : Ornamente (LINE, 2015)
Sur ce nouveau CD d’Asmus Tietchens, on cite Cioran (ce n’est pas que ce soit original, mais bon…). Il ne faut pas s’étonner que la musique soit joyeuse en conséquence et que ses Ornament (il y en a cinq en tout) ne « respirent » pas la joie de vivre.
Mais, il n’empêche, ils respirent quand même, et c’est d’ailleurs en ayant l’air de jouer les réanimateurs sonores que Tietchens parvient à capter notre attention. Auditeurs-badauds que nous sommes, tendons l’oreille à cette respiration ou ce pouls maintenus de tamagochi – même artificiellement, par des machines (les bips ne trompent pas). On en est à compter les gouttelettes dans un écho clinique quand, soudain, elles prennent formes chantantes et dansantes. La salle d’attente changée en salle des fêtes ? Diantre, est-ce un mirage ? Niantre, c’est la méthode Tietchens ! Opération réussie, et tant pis pour la gaudriole.
Asmus Tietchens : Ornamente (LINE)
Edition : 2015.
CD : 01-05/ Ornament 1 - Ornament 5
Pierre Cécile © Le son du grisli
Strotter Inst. : Miszellen (Hallow Ground, 2017)
Depuis la fin des années 1990, Christoph Hess fait tourner ses platines sous pseudo Strotter Inst. La particularité est qu’il ne prend même plus la peine de déposer de vinyles sur ses machines tournantes et donc qu’il compose dans le vide. C’est d’ailleurs là que réside le mystère de sa techno minimaliste ou de sa rotobik envoûtante.
Maintenant, la particularité de Miszellen est de prouver que Strotter Inst. ne respecte rien, même par la particularité dont je viens de parler. Sur ce double LP, il puise en effet dans ses influences musicales pour s’en servir de matériau brut (de défrocage). C’est ce qui explique que ce nouveau Strotter Inst., eh bien, ne sonne pas tellement Strotter Inst. Il n’en est pas moins recommandable, car Hess y ouvre des boîtes qui cachent des boîtes qui cachent des boîtes…
Et c’est à force d’ouvrir tout ça qu’il habille ses structures élastiques, jonglant avec des samples qui donnent à ses atmosphères de nouvelles couleurs. Si ce n’est pas toujours convaincant (je pense au violoncelle qui a du mal à faire bon ménage avec l’électronique sur la plage Asmus Tietchens ou à la relecture de Darsombra) on trouve quelques perles sur ce disque, que ce soit dans le genre d’une strange ambient inspirée par Nurse With Wound ou Ultra ou quand il joue à la roulette sous les encouragements de RLW. L’autre grand intérêt de Miszellen est qu’il permet de dénicher des morceaux d’indus sur lesquels on ne serait peut-être jamais tombé sans les conseils avisés de Strotter Inst.
Strotter Inst. : Miszellen
Hallow Ground
Edition : 2017.
2 LP : A1. AAADSTY : Spassreiz beim Polen (a miscellany about TASADAY) A2. ABDMORRS : Yaeh-Namp (a miscellany about DARSOMBRA) A3. ACEEH IMNSSSTTU : Artigst nach Gutem changiert (a miscellany about ASMUS TIETCHENS) – B1. BEEEENQU : Snijdende Tests (a miscellany about BEEQUEEN) B2. DEHIN NOR STUUWW : 105 Humorous Print Diseases (a miscellany about NURSE WITH WOUND) B3. GIILLMSS U : Juli enteist Jute (a miscellany about SIGILLUM S) – C1. 146DP : typisch CH-Hofpresse (a miscellany about P16D4) C2. AHMNOT : Ahnenreihe O.T. (a miscellany about MATHON) C3. EFOSTU : Acid Hang (a miscellany about FOETUS) - D1. LRW : Keilhirnrinde... (a miscellany about RLW) D2. ÄDEKL : Seismic Sofa Gang 44 (a miscellany about DÄLEK) D3. ALRTU : Mysterious Flowershirts (a miscellany about ULTRA)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Interview de Richard Chartier
Minimaliste, microtoniste, réductionniste… ? Depuis 1998 et la sortie de son premier CD (Direct, Incidental, Consequential), pas facile de décrire le travail sonore de Richard Chartier. Alors on classe dans le rayon Ambient des enregistrements dont les tons diffèrent, selon l’heure ou les partenaires de Chartier (William Basinski, Taylor Deupree, Asmus Tietchens…). Alors que sort Subsequent Materials, dressons donc un bilan de compétences ! [ENGLISH VERSION]
Quand, comment et pourquoi es-tu venu à la musique ? J’ai toujours été intéressé par le (ou les) son(s), même enfant. J’aimais le son du réfrigérateur, du climatiseur. On pouvait me trouver les oreilles collées aux machines. J’étais peut-être un enfant bizarre. Le développement logique de cet intérêt a été de m’intéresser à la musique électronique puis à la musique expérimentale au lycée.
Quel a été ton premier instrument ? Mon premier instrument personnel a dû être un Yamaha DX100, avec ses touches minuscules. J’ai appris à jouer à l’oreille, en écoutant des tubes de Synth Pop des années 1980. Un des titres de Foley Foley Folio de Pinkcourtesyphone, Here Is Something… That Is Nothing, utilise un petit solo enregistré avec ce clavier. Un hommage rendu à un synthé maladroit.
Quand situerais-tu l’époque à laquelle tu as commencé à faire la musique que tu joues encore aujourd’hui ? Et quelles ont été tes premières influences ? Je ne me considère pas vraiment comme un musicien. J’ai commencé à travailler avec le son de manière abstraite aux alentours de 1990. On peut entendre le travail de cette époque sur Untitled Tapes:1991-1993. A l’époque, mes grandes influences étaient des artistes telles que Zoviet France, The Hafler Trio, Phauss, John Duncan, Throbbing Gristle, pour n’en citer que quelques-unes. C’est quand j’ai commencé à écouter ces travaux plus abstraits et expérimentaux que j’ai réalisé que je n’avais pas forcément à créer des « chansons » ou des « travaux structurés comme des chansons ». Ça a été une libération.
Tu ne te considères pas comme un musicien mais te considères-tu comme un compositeur ? Ou comme un artiste sonore ? Quelle différence ferais-tu entre ces dénominations ? Par le passé, on a pu rapporter que je considérais être un « compositeur » alors que ce que je disais en fait était que j’étais un « compositeur d’éléments »… Ou mieux encore un « compositeur de sons »… Composition au sens large du terme, je fabrique et arrange des sons (ce qui pour certains définit la « musique »). Je n’ai pas appris la musique, mon travail est sans doute non académique. Je crois que pour moi un musicien est un artiste qui pense en termes de notes. Tout ça n’est pas très clair. Tous les artistes envisagent leur travail de façon très personnelle.
Je ne pourrais trop l’expliquer mais je sens un je-ne-sais-quoi d’européen dans ta musique : le réductionnisme pourrait-il expliquer ce sentiment ? T’intéresses-tu à ce courant, qu’il soit électronique ou acoustique ? Je ne suis pas sûr que ce soit particulièrement européen. Je pense que c’est « étudié ». Il y a assurément une grande tradition minimaliste aux Etats-Unis, que ce soit dans la composition ou les arts visuels. J’ai été influencé par beaucoup de sortes de réductionnisme à travers l’histoire et les domaines artistiques. J’étais l’enfant qui se servait du crayon blanc.
Connais-tu le collectif Wandelweiser ou les improvisateurs réductionnistes allemands, anglais ou français ? Si oui, t’inspirent-ils ? Il y a trop de choses à suivre. Je ne connaissais par Wandelweiser, non. Je connais par contre et apprécie le travail d’artistes comme AMM et Polwechsel (Trapist et Radian sont deux de mes groupes préférés).
Quand et pourquoi as-tu créé LINE ? Archiver ton œuvre semble très important pour toi (tu réalises par exemple des compilations de tes travaux)… J'ai lancé LINE en 2000. En 1999, j’avais envoyé mon dernier projet, Series, à Raster-Noton et Mille Plateaux. Tous les deux m’ont répondu que c’était trop « minimal », ce que j’ai trouvé à la fois amusant et frustrant. Un peu plus tard, Olaf Bender m’a réécrit pour me dire qu’il comprenait mieux cet enregistrement avec le temps et qu’il voulait sortir Series… Mais LINE était déjà sur les rails. LINE a été créé sur le conseil de Taylor Deupree : « Si personne ne veut sortir ce projet, tu n’as qu’à le sortir toi-même… Lance un label qui défendra ce genre de musique. » Nous l’avons inauguré en tant que sous-label de 12k. Taylor s’occupait du business et je m’occupais du design, de choisir les artistes, etc. A la fin de 2010, Taylor et moi avons décidé de séparer les deux labels. Depuis 2011, je m’occupe de tout, formant une troupe à moi tout seul.
Quel regard portes-tu sur tes premiers enregistrements sur LINE ? Of Surfaces (LINE 008) et Two Locations (LINE 013) me sont très chers. Series (LINE 001) m’est devenu très abstrait et je ne me souviens plus de l’époque de sa création ; son écoute n’est pas facile.
On dirait que tu cherches parfois à archiver, comme un archéologue pourrait le faire, tes anciens enregistrements (en publiant des compilations de tes travaux, par exemple) et d’autre fois tu utilises d’anciens enregistrements pour en enrichir de nouveaux… Other Materials (3PARTICLES02), Further Materials (LINE_035) et Subsequent Materials (LINE_066) compilent à la fois d’anciens morceaux et des morceaux inédits. Retrieval (ERS) et Recurrence (LINE_059) sont les deux seuls projets à vraiment reformuler et recomposer d’anciens travaux qui n’ont pas grand-chose à voir avec les versions originales. On pourrait qualifier ces deux-là d’enquêtes. Dans le rock, on peut utiliser la même guitare de chanson en chanson… Alors, pourquoi ne pas réutiliser, moi aussi, ou modifier, un son que j’ai créé. Archival 1991 (CROUTON) et Untitled Tapes: 1991-1993 (3PARTICLES12) sont deux références qui archivent mes premiers travaux. Je crois qu’il est important de savoir regarder en arrière et de se faire une idée de ce que tu as fait, de la manière dont cela colore ce que tu fais aujourd’hui, et d’apprendre de tout ça. Je ne suis plus la même personne qu’à vingt ans.
Tu sonnes parfois « abstrait » et d’autres fois non. Est-ce un choix délibéré ? Quelle est par exemple la différence entre la musique de Richard Chartier et celle de Pinkcourtesyphone ? Je déteste avoir à décrire mon travail, mais il y a une énorme différence avec le projet Pinkcourtesyphone. Le travail que je publie sous mon nom est très formaliste, minimal, et calme. Il s’intéresse à l’écoute et à la spatialité… aux sensations plus qu’à l’émotion. Pinkcourtesyphone est un projet qui investit des territoires plus musicaux et denses, avec des beats, des voix, des émotions fertiles et une vague nostalgie. Il se préoccupe d’un sujet, d’une narration, d’un contenu émotionnel, de sexualité et de beaucoup de langage codé dans ses titres, références et samples. Je suis bien plus libéré au moment de créer les morceaux de Pinkcourtesyphone. Ça peut rapidement devenir bruyant. L’album à venir, Description of Problem (LINE_SEG03) parle d’obsession et de revanche et fait appel aux voix de mes amis William Basinski, AGF, Cosey Fanni Tutti, Kid Congo Powers et Evelina Domnitch.
Est-il aisé de t’exprimer en tant que musicien (ou compositeur de sons) avec des sons que nous dirons discrets ? La musique peut-elle, comme le dessin par exemple, est un art du disparaître ? J’ai commencé à travailler le son au moment où je peignais encore activement. J’allais d’une peinture au son et d’un son à une peinture sans arrêt. J’ai vu ces deux activités inspirer ma palette et ma façon de composer. Et puis, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas vraiment créer ce que je cherchais : un espace viable en second plan. La peinture est alors devenue un medium qui n’était plus fait pour moi. J’aime les effacements créatifs.
Grâce à quelques-unes de tes collaborations, j’ai entendu pour la première fois le travail de certains musiciens (comme Curgenven, par exemple). Comment décides-tu d’entamer une collaboration avec tel ou tel musicien ? Dans la grande majorité des cas, j’ai besoin de connaître la personne qu’est l’autre artiste avant de travailler avec lui. Les seules exceptions sont Nosei Sakata (que je n’ai jamais rencontré… même si les deux CD de 0/r continuent de me surprendre) et Justin K Broadrick (Goldflesh, Final, Jesu) qui a collaboré avec Pinkcourtesyphone. La meilleure des collaborations est quand tu en arrives à ne pas savoir qui, des deux, fait ceci ou cela. Il m’arrive de prendre des chemins différents quand je travaille aux côtés d’un autre artiste. En définitive, j’apprends toujours plus de ces interactions et de ces autres perspectives.
Et en ce qui concerne les musiciens que tu produis (Roden, Lopez, Novak, Whetham, Cluett…) : leur musique doit-elle avoir un point commun avec la tienne pour espérer être éditée sur LINE ? Ces musiciens travaillent dans des champs assez différents (noise, field recordings…). Je pense que les sorties de LINE sont toutes très différentes et que chaque artiste a sa propre voix et une manière à lui de faire de la musique. Vu comme ça, il y a une large éventail de travaux. Mark Fell ou Frank Bretschneider donnent dans le rythme, AGF dans la voix, Doublends Vert dans l’acoustique pure, Scott Cortez et Lovesliescrushing dans le tout guitare. Chessmachine est malsain et bruyant. Leurs travaux ne peuvent évoquer les miens, mais il y a une attention particulière à leur apporter, ils doivent être à part et parvenir à m’absorber (comme il en est des auditeurs, j’espère).
Pour revenir aux field recordings. De nos jours, on dirait que tout musicien donnant dans l’ambient doit nécessairement faire avec… J’aime l’usage des field recordings quand ils améliorent la texture et l’envergure des morceaux auxquels ils ont été incorporés. Maintenant, je reconnais qu’on peut en abuser. Les field recordings purs, sans autres pistes, sans montage, peuvent être très ennuyeux. Les travaux de France Jobin ont toujours fait appel à des field recordings, et ce qu’elle fait est très beau et abstrait. Robert Curgenven a poussé les field recordings dans leurs derniers retranchements en se servant de dubplates et des résonances. Quand j’entends des plages de field recordings, je ne m’attends pas seulement à être transporté, mais à me sentir perdu. J’ai mes codes personnels à propos des field recordings… pas de vent qui carillonne, pas de chants de baleine, pas de basiques chants d’oiseaux (il m’est bien sûr arrivé de contrevenir à cette règle)… Il y en a un autre, mais je crois que je l’ai oublié… haha !
Yann Novak est lui aussi à la tête de son label, Dragon’s Eye. Quels sont les labels que tu suis de près ? Quels sont les derniers disques que tu as aimés ? J’adore ce que font Opal Tapes et PAN. Tous les deux ont des vues très singulières, même si leurs références transcendent les styles. J’aime les choses difficiles à classifier. J’ai toujours apprécié ce qu’ont fait Touch et MEGO, historiquement. J’aime aussi tout de Silk. Voici quelques-uns de mes disques préférés du moment : Andøya d’Eric Holm, Psychic 9-5 Club de HTRK, Sirene de Robert Curgenven, Warehouses de Kane Ikin, Ett de Klara Lewis, Tulpa de Perfume Advert, LA Spark de Wrangler, Ill Fares The Land de Koenraad Ecker. Et quand vient le moment de dîner, Mi Senti de Roisin Murphy.
Pour terminer, peux-tu me présenter Subsequent Materials ? Quelle est l’idée de cette nouvelle référence ? Subsequent Materials est en gros une collection de pièces sorties sur des compilations, des bonus tracks et des versions inédites de travaux qui datent de 2006 à 2012. Cela représente trois heures de travaux sonores, qu’on n’est pas obligé d’écouter d’une traite !
Richard Chartier, propos recueillis en juin 2014.
Pierre Cécile © Le son du grisli
Asmus Tietchens, Kouhei Matsunaga : Split (Important, 2011)
C’est le second LP que se partagent Asmus Tietchens et Kouhei Matsunaga (NHK) sur le label Important. Le premier avait pour nom Split – Linocut, celui-ci s’appelle plus simplement encore : Split.
Sur la première face, on trouve deux morceaux d’Asmus Tietchens. Le premier est plein d’aigus qui fuient de percussions frappées et que l’Allemand tranforme en profitant de leur malléabilité. Comme par opposition, il pousse après ça une basse vibrante : un drone est né. Il tiendra jusqu’au dernier sillon, à peine perturbé par les gouttelettes d’aigus (extraits d’un enregistrement du guitariste Dirk Serries) qui ne cessent de lui tomber dessus.
On retourne le disque, et voici Kouhei Matsunaga. Il plane d’abord à la manière de Mika Vainio avec qui il a aussi collaboré. Il plane mais en sous-marin, sur deux notes, et son voyage a ce quelque chose d’hypnotique qui fait qu’on ne peut utiliser, pour le décrire, qu’un terme un peu bâtard et faible, du genre : « hypnotique ». Après quoi il ouvre les vannes à une cascade de données numériques moins originale, c’est sûr, mais qui rappelle le contraste plus tôt défendu par Tietchens.
Je ne saurais dire si la réunion de ces quatre morceaux « fait sens », pour sacrifier à cette pédante expression à la mode. En tout cas elle m’a semblé « couler de source ». Et sa somme est belle à écouter.
Asmus Tietchens, Kouhei Matsunaga : Split (Important / Metamkine)
Edition : 2011.
LP : A/ Asmus Tiechens : 01/ Die Kopflosen Frauen von Unger 02/ Gitter – B/ Kouhei Matsunaga : 01/ Margin Sequence #1 02/ Chasin The Night
Pierre Cécile © Le son du grisli
Asmus Tietchens : Soirée (LINE, 2011)
Disons que je suis en ce moment même, en prenant des notes, en train d’écouter le nouveau disque d’Asmus Tietchens. Richard Chartier l’a publié sur LINE. Avouerais-je que c’est la première fois que je l’écoute ? Ferais-je croire que c’est la énième ? Au fait, est-il déjà sorti ?
Sur la première plage de Soirée (on se souvient du classique de Tietchens, Notturno) nous voilà transporté. Plus avant, on reçoit des claques concrètes : notre transport est sans cesse dérangé par des bruits bizarres, agaçants. Est-ce le résultat de la méthode de recyclage que Tietchens applique ici ? Ces bruits qui claquent marquent peut-être chaque nouvelle mue de la partition musicale. Cette méthode, Tietchens y a recours parce que, dit-il, il se demande s’il est nécessaire de créer aujourd'hui de nouvelles compositions électroniques alors qu’une archive peut tout aussi bien accoucher d’un univers.
Malgré tout, les morceaux qui suivent se rapprochent de l’ambient « habituelle » de Tietchens : une ambient expérimentale (même si ses expérimentations se font devant un arrière-plan solide). Au premier plan, l’Allemand manie beaucoup de bruits étouffés et modifie le timbre de voix enregistrées. Il établit des contrastes qui n’obéissent à aucune règle de temps. Parce qu'une fois encore, et malgré la méthode qu'il emploie, Tietchens va voir au-delà du futur et au-delà du souvenir. Le méridien sur lequel son horloge est réglée n’existe pas. Cette Soirée est merveilleuse parce qu'elle n'appartient qu'à lui.
EN ECOUTE >>> Soirée (extrait) >>> Soirée (autre extrait)
Asmus Tietchens : Soirée (LINE)
Edition : 2011.
CD : Soirée
Pierre Cécile © Le son du grisli
Asmus Tietchens : Abraum (1000füssler, 2010)
Jonas ou, plus près de nous, Pinocchio, auraient-déjà fait l’expérience de l’antre de la bête et de s’y promener en attendant d’être recraché… Et c’est une belle expérience, nous dit Asmus Tietchens, quelle que soit la bête. La sienne est un tunnel en construction à Hambourg où il a enregistré des sons.
Un liquide qui semble tomber sur une bâche en plastique par exemple. Comme Tietchens mérite notre confiance nous le suivons dans des tubes où de l’eau draine des grains de sable, où des coups sont donnés sur le matériau, où les bruits des résidus sont captés par des micros que la sensibilité transforme en exclamations : crics et cracs de temps en temps sont en cadence et c’est comme ça que l’on suit la progression du chantier. Les bruits sont de plus en plus nombreux et ilsd prouvent que le tunnel est bientôt prêt. Asmus Tietchens a raconté sa construction en moins d’une heure, le temps d’écrire une symphonie plus qu'originale.
Asmus Tietchens : Abraum (1000füssler)
Edition : 2010.
CD : 01/ Abraum 3 02/ Abraum 2 03/ Abraum 1 04/ Abraum 4
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Markus Eichenberger : Atemketten 20.8/Atemkreis (Unit, 1986)
I am Kommissar Hjuler from Flensburg, Germany, and I have a huge collection of experimental music, also my own music can be regarded as really absurd and weird, Thurston Moore stated that my music and the music of my wife Mama Baer belong to the most experimental music he knows.
One of my favourite LPs is Markus Eichenberger Atemketten 20.8/Atemkreis on Unit Records, a recording for bass-clarinet and tape / bass-saxophone and tape. The record is from 1986, the German Markus Eichenberger has made two records and several tapes, the second record is even more jazz-oriented clarinet, but my favourite one is not compareable to music one knows. In 1991, Bob Ostertag presented his LP Sooner or Later, that is a bid in the vein of the Eichenberger LP, but not that poignant. The Eichenberger is to me art brut with simple arrangement and highest musical output. I am sure that only few people love this LP. I first listened to it at Uli Rehberg's UNTERM DURCHSCHNITT / Walter Ulbrich Schallfolien AG in Hamburg in 1986, Asmus Tietchens and Uli Rehberg (Ditterich von Euler-Donnersperg) played the record at the store and were amused about it, just laughing about the music, whereas I was astonished about such crazy music never heard before.
For Atemketten 20.8, the tapes consists loops with clarinet, that reminds of male voice, alike cut-ups, in repetition, and the tapes where used as background for some clarinet play in the vein of Jim Sauter, but one mostly focusses on this weird and pregnant background. For Atemkreis, he used smooth tape like floating background with few saxophone play, droning music. Atemketten 20.8 is the music, that made me buy the record. Each cover of the LP is unique. If you try to find some information on Markus Eichenberger you will find a clarinet player named Markus Eichenberger at world wide web, but if you write to him, it is possible, he returns a letter, that he is often mixed up with another Markus Eichenberger, he does not know. Possibly he wants no contacts, possibly there is someone else, who made this phantastic LP.
Markus Eichenberger : Atemketten 20.8/Atemkreis (Unit Records)
Enregistrement : 1986.
Kommissar Hjuler © Le son du grisli
Kommissar Hjuler est artiste et musicien. Il a récemment vu le label Intransitive publier Asylum Lunaticum, compilation des travaux de musique expérimentale qu'il mène en compagnie de sa compagne Mama Bär.
Asmus Tietchens : Flächen mit Figuren (NonVisualObjects, 2009)
La musique délivrée par Asmus Tietchens sur Flächen mit Figuren est une autre abstraction. De souffles et de silences, de parasites en voie de disparition et de respirations que l’on rêverait régulières. Halos sonores de sphères insondables parce que trop éloignées et murmures de qui les peuple, tellement différents.
Quelques clics rappellent quand même que les recherches persistent, gêneurs de symphonies minuscules sur lesquelles seule une nuée d’insectes créés en laboratoire se fait entendre au point qu’on puisse attester là de l’existence d’une forme minuscule de vie. Enfin, traînées de poudre persistante, et retour à la terre sur le mouvement d’oscillations constructivistes concrètes mais fatiguées. Plus de surfaces interrogées que de personnages, mais la somme d’univers révélés avec grâce par Tietchens n’a que faire des échelles.
Asmus Tietchens, FmF 1 (extrait). Courtesy of NonVisualObjects.
Asmus Tietchens : Flächen mit Figuren (NonVisualObjects)
Edition : 2009
CD : 01/ FmF 1 02/ FmF 5 03/ FmF 3 04/ FmF 6 05/ FmF 7 06/ FmF 8 07/ FmF 5A 08/ FmF 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Eric Deshayes: Au-délà du rock (Le mot et le reste - 2007)
Du site Internet Néosphères dont il a la charge, Eric Deshayes a tiré sa légitimité pour écrire une histoire du rock allemand des années 1970 (autrement appelé, pour faire vite et schnell, Krautrock): Au-delà du rock, la vague planante, électronique et expérimentale allemande des années 70.
Après avoir succinctement exposé les forces musicales en présence au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale (influences des groupes rock / psychédélique aux côtés des recherches plus sérieuses de l’Ecole de Darmstadt), Deshayes explique une situation politique et sociale favorable à la (contre) culture de jeunes comptant, via la musique ou le théâtre, faire valoir un droit de révolte. L’époque (1966-1968) et les enjeux s’y prêtant, Berlin voit émerger une scène rock instrumental, faite de musiciens venus de tous horizons (rock, pop, classique, jazz) oeuvrant au creux de vapeurs de substances illicites, et dont la cohérence sera révélée en 1968, lors du Festival d’Essen. Ainsi, la fin des années 1960 voit s’imposer quelques groupes de taille : Can, Organisation (qui deviendra, en 1970, Kraftwerk), Neu !, premiers ressortissants convaincants d’une Kosmische Musik en devenirs - de splits en transformations d’intentions hypnotiques en discours pop, new age ou expérimental.
S’ensuit un panorama exhaustif des groupes concernés, ordonné selon l’alphabet – passés au crible, les groupes (Agitation Free, Ash Ra Templ, Tangerine Dream, Can, Faust, Neu ! ...) et les musiciens papillonnant (Conrad Schnitzler, Dieter Moebius, Klaus Schulze, Asmus Tietchens) -, de producteurs ou managers d’importance (Connie Plank), de personnages capables d’influence (Joseph Beuys, Stockhausen) et de quelques labels (Brain Records, Virgin). Pratique, l’ouvrage s’avère complet (et épais, donc), ménageant l’histoire et l’anecdote pour mieux aborder dans le détail un propos pourtant éclaté. Seul point regrettable - mais à relativiser selon les goûts du lecteur -, la rigidité factuelle du style, adéquate, cependant, à toute lecture du livre faite sur le rythme binaire de la musique Motorik.
Eric Deshayes, Au-delà du rock, la vague planante, électronique et expérimentale allemande des années 70, Editions Le mot et le reste, 2007. Distribution Orkhêstra International.
John Watermann: Epitaph for John (Korm Plastics - 2005)
Une collaboration entamée par l’artiste John Watermann et Frans de Waard, du label Korm Plastics, transformée en hommage. Le 2 Avril 2002, jour de la mort de Watermann, les travaux en commun ont investi le champ de l’attente. Le temps pour Waard de réfléchir à la poursuite encore possible du travail, mais pas sans quelques soutiens.
Appelés, Asmus Tietchens, Ralf Wehomsky (RLW), Masami Akita (Merzbow) et Freiband. Le cahier des charges invitant chacun d’eux à traiter les enregistrements de Watermann, matériaux naturels en quête de continuité artificielle. Offerte, si possible, par ceux-là, qui ont tous collaboré un jour avec le personnage à regretter.
Alors, Tietchens fait des dernières bandes de son complice une ode aux souffles divers - qu’ils affichent une exclusivité dérangeante (JWAT 3) ou se trouvent une place au creux d’une ambient industrielle (JWAT 1). Dans la même optique, Ralf Wehowsky invite l’auditeur à s’adapter à des larsens bientôt chassés par les bourdonnements (Seeking Perfection).
Plus loin, la discrétion abstraite de Freiband sur Threnody contraste avec la progression d’Untitled for John Watermann de Merzbau : à force de tintements et d’inserts parasites, une mini rythmique s’installe et rend convaincante cette nouvelle expérience sonique. Plus brut, l’exposé fait par Frans de Waard d’un dernier enregistrement de Watermann rend une zoologie mise en boîte, incarnée ou factice (Toowong Cemetary).
La collaboration achevée enfin pour avoir su accueillir les effets d’artistes non programmés mais tous redevables, d’une façon ou d’une autre, à John Watermann. Qui ont élevé ensemble un monument élégant, et évoqué si bien Watermann sur Epitaph for John que ce disque devra renoncer à ses qualités de compilation pour venir compléter et conclure la discographie personnelle du disparu.
CD: 01/ Asmus Tietchens - JWAT 1 02/ Asmus Tietchens - JWAT 2 03/ Asmus Tietchens - JWAT 3 04/ Asmus Tietchens - JWAT 4 05/ RLW: Seeking Perfection - Somewhere Else 06/ Merzbow - Untitled For John 07/ Freiband - Threnody 08/ John Watermann - Toowong Cemetary
John Watermann - Epitaph for John - 2005 - Korm Plastics. Distribution Metamkine.