Le son du grisli

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Archives des interviews du son du grisli

Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint (Cam Jazz, 2014)

jimmy lyons complete recordings on black saint & soul jazz

Les cinq références Black Saint de ce coffret de rééditions – enregistrements datant de 1979 à 1985 – reviennent avant tout sur l’entente de Jimmy Lyons et de deux de ses plus fidèles partenaires : Karen Borca et Andrew Cyrille.

Ainsi retrouve-t-on l’altiste et le batteur sur trois disques dont deux furent déjà réédités l’année passée en Andrew Cyrille The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note  –  il faudra donc aller y voir pour se souvenir de Nuba (enregistré avec Jeanne Lee) et Something In Return (composé en duo). Aux doubles, on aura pris soin d’ajouter Burnt Offering, duo enregistré en concert en 1982 – publié une dizaine d’années plus tard et « oublié » dans le coffret Cyrille. De taille, le disque enferme trois pièces démontrant l’intensité du jeu de l’altiste et la stimulante invention du batteur : Popp-A, Exotique et Burnt Offering, qui toutes contraignent le swing à la fronde d’une imagination vertigineuse, double qui plus est. 

Lyons aux-côtés de Karen Borca, l’association rappellera une autre boîte. Aux enregistrements de concerts jadis publiés par Ayler Records, font donc écho Wee Sneezawee et Give It Up. Avec le soutien de William Parker et Paul Murphy sur le premier disque, de Jay Oliver et du même Murphy sur le second, le saxophoniste et la bassoniste mêlent leurs voix à deux trompettistes différents : Raphé Malik (autre partenaire fidèle de Lyons) et Enrico Rava. L’épreuve est à chaque fois d’un free altier mais pas toujours de même hauteur : avec Malik, ce sont des courses instrumentales individuelles qui n’interdisent pas d’impeccables relais ; avec Rava, des cavalcades plus empruntées – exception faite de Ballada, merveilleuse conclusion au disque. Voilà donc pour Lyons chez Black Saint. Bientôt, peut-être, une autre réapparition en boîte ?

Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CamJazz)
Enregistrement : 1979-1985. Réédition : 2014.
5 CD : Wee Sneezawee / Give It Up / Burnt Offering / Nuba / Something In Return
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Trio 3, Vijay Iyer : Wiring (Intakt, 2014)

trio 3 vijay iyer wiring

Vieilles recettes pour élan neuf ? Assurément mais avant cela, l’invité Vijay Iyer vampirise le temps d’une de ses compositions (The Prowl) le raffiné Trio 3 (Oliver Lake, Reggie Workman, Andrew Cyrille). Drumming sautillant et risqué, équilibre périlleux, contrebasse visqueuse : le tour de force vire au désastre.

Vieilles recettes pour élan neuf ? Assurément quand le quartet s’offre la liberté de creuser profond et droit : chaudes coulées de piano, convulsion naturelle de l’altiste, précision millimétrée du contrebassiste. Wiring bouscule le free des origines ; Rosmarie suspend et conditionne les espaces ; Chiara fait grincer la valse et nous rappelle au souvenir du tendre Curtis Clark.

Vieilles recettes pour élan neuf ? Précisément quand Andrew Cyrille – en solitaire – active ses toms royaux et réveille un What About (Byg Records, 1969) de grande mémoire.

écoute le son du grisliTrio 3, Vijay Iyer
Wiring (extraits)

Trio 3, Vijay Iyer : Wiring (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ The Prowl 02/ Synapse II 03/ Willow Song 04/ Shave 05/ Rosmarie / Suite for Trayvon (and Thousand More) 06/ I. Slimm 07/ II. Fallacies 08/ III. Adagio 09/ Wiring 10/ Chiara 11/ Tribute to Bu
Luc Bouquet © Le son du grisli


Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz, 2013)

andrew cyrille the complete remastered recordings on black saint and soul note

C’est sur Metamusicians’ Stomp (dont on pourra lire ici une évocation publiée en Free Fight) que l’on tombe en ouvrant The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, coffret enfermant sept enregistrements d’Andrew Cyrille jadis publiés par les deux labels italiens annoncés.

Si Metamusicians’ Stomp célèbre l’association du batteur, de David S. Ware et de Ted Daniel, c’est auprès d’un autre souffleur qu’on le retrouve sur Nuba et Something In Return : Jimmy Lyons. Vibrionnant, au fluet magistral, le saxophoniste alto tisse en compagnie de Cyrille, sur peaux souvent lâches, le cadre dans lequel s’épanouira la poésie écrite et chantée de Jeanne Lee (Nuba, enregistré en 1979). Sans elle, c’est à un exercice plus conventionnel mais néanmoins bouleversant que s’adonnent Cyrille et Lyons : en duo, ils découpent Take the ‘’A’’ Train, y aménageant plusieurs aires de solos avant de s’opposer sur des compositions personnelles (Lorry, J.L., Nuba) qui recèlent d’interventions courtes et d’intentions diverses (Something In Return, 1981). Indispensable, cette réédition nous fait regretter l’absence (l’oubli ?) dans le coffret de Burnt Offering, autre duo que Cyrille et Lyons enregistrèrent pour Black Saint en 1982.

Datant de 1980, Special People est la première des quatre références Soul Note ici rééditées. Cyrille y retrouve Maono (Daniel, Ware et le contrebassiste Nick DiGeronimo) le temps de l’interprétation de trois titres de sa composition et de deux autres signés Ornette Coleman (A Girl Named Rainbow) et John Stubblefield (Baby Man). Ne parvenant déjà pas à remettre la main sur l’harmonie qui fit de Metamusicians’ Stomp ce si bel ouvrage, le batteur se plie en plus aux codes naissant d’une ingénierie sonore adepte de lissage, glaçage et vernis – dont The Navigator (1982) pâtira encore davantage (impossible son – et même jeu – de piano de Sonelius Smith).

La décennie suivante, Andrew Cyrille accompagnera sur références Soul Note le pianiste Borah Bergman ou le violoniste Billy Bang. Dans la boîte, on le retrouve en meneur d’un quartette (X Man, 1993) et d’un trio (Good to Go, 1995) dont le souffleur est flûtiste : James Newton. Clinquant, encore, et un répertoire fait pour beaucoup de morceaux signés de ses partenaires (Newton, Anthony Cox, Alix Pascal, Lisle Atkinson) qui nous incite à retourner aux disques que Cyrille enregistra à la même époque en d’autres formations – avec Oliver Lake et Reggie Workman en Trio 3, notamment : Live in Willisau, par exemple.

C’est dire la puissance des notes emmêlées d’Andrew Cyrille et de Jimmy Lyons : dès les premières, voici relativisées la qualité toute relative des références Soul Note et les quelques impasses de l’anthologie – David Murray voyant paraître ces jours-ci un second volume de ses Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, peut-être est-il réservé à Cyrille le même et enviable sort.  

Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz)
Réédition : 2013.
7 CD : CD1 : Metamusicians’ Stomp CD2 : Nuba CD3 : Something In Return CD4 : Special People CD5 : The Navigator CD6 : X Man CD7 : Good to Go, with A Tribute to Bu
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


The Group : Live (NoBusiness, 2012)

the group live

Les années 1980 virent la disparition des lofts qui, à New York, permettaient aux musiciens de free jazz d’exprimer leurs idées musicales. L’accession au pouvoir de Ronald Reagan coïncida avec la suprématie de Wynton Marsalis : ainsi la décennie serait marquée du double sceau de l’individualisme et de la réaction.

Aussi certains musiciens américains, héritiers de générations de jazzmen qui n’eurent de cesse de bousculer les formes établies, surent incarner une autre vision du jazz, et peut-être, de l’Amérique. Les années 1980 virent donc s’épanouir de nouvelles fleurs sauvages, en la qualité de groupes coopératifs qui comptaient bien abolir la notion de leader et s’inscrire dans le grand continuum de la musique africaine américaine (se souvenir pour mieux s’affranchir). Ainsi naquirent Old and New Dreams (Dewey Redman, Don Cherry, Charlie Haden et Ed Blackwell), Song X (Ornette Coleman et Pat Metheny), The Leaders (Lester Bowie, Chico Freeman, Arthur Blythe, Kirk Lightsey, Cecil McBee et Don Moye) ou encore The World Saxophone Quartet (David Murray, Oliver Lake, Julius Hemphill et Hamiet Bluiett). Ainsi naquit The Group.

Derrière ce patronyme humble, débusquer cependant cinq pointures, en d’autres circonstances à la tête de leurs propres formations., et rappeler leurs  parcours légendaires : Andrew Cyrille avait battu pour Coleman Hawkins et Cecil Taylor ; Marion Brown soufflé auprès de John Coltrane et Archie Shepp ; on entendit le violon de Billy Bang et la trompette d'Ahmed Abdullah au sein de l’orchestre de Sun Ra ; la contrebasse de Sirone avait accompagné Pharoah Sanders et Charles Gayle. The Group tourna pendant deux années dans la région de New York, en 1986 et 1987, et c’est leur cinquième concert qui est ici documenté. Cette unique trace discographique du quintet est exceptionnelle. Tout d’abord parce que ce soir-là, le 13 septembre 1986 au Jazz Center of New York, le groupe était augmenté d’un second contrebassiste, Fred Hopkins. Ensuite, pour le répertoire interprété. En plus de leur propre matériau (on peut entendre ici une composition de Bang et une de Brown), The Group commença d’embrasser plus large et proposa trois relectures passionnantes de thèmes de Charles Mingus, Butch Morris et Miriam Makeba.

Aux côtés de la rythmique, les trois instruments sont donc le saxophone alto, la trompette et le violon., soit : tles rois instruments pratiqués par Ornette Coleman. Et s’il fallait chercher une influence, ou plus exactement une parenté, dans la musique jouée par The Group, c’est vers celui-ci qu’il faudrait se tourner. Comme chez le musicien texan, on entend sur ce disque l’amour des mélodies autour desquelles tourner agilement et gaiement, de soudains accès de mélancolie bientôt balayés, l’importance de la pulsation et le dynamitage tranquille des formes. Cette musique incroyablement vivante, la joie communicative de six musiciens au sommet de leur art et les notes de pochettes éclairantes d'Ahmed Abdullah, suscitent une très forte émotion.

EN ECOUTE >>> Joann's Green Satin Dress >>> Goodbye Pork Pie Hat

The Group : Live (NoBusiness)
Enregistrement : 13 septembre 1986. Edition : 2012.
LP : A1/ Joann’s Green Satin Dress A2/ Goodbye Pork Pie Hat – B1/ Amanpondo
Pierre Lemarchand © Le son du grisli

the group

Au même disque de The Group, Pierre Lemarchand a aussi consacré une émission de radio : son écoute peut être faite en streaming sur le site de Jazz à part

 

 


Andrew Cyrille : Metamusicians' Stomp (Black Saint, 1978)

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Ce texte est extrait du premier volume de Free Fight, This Is Our (New) Thing. Retrouvez les quatre premiers tomes de Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Au gré de nombreuses métamorphoses, le free jazz s’est réinventé. Les meneurs n’étant pas toujours souffleurs, quelques percussionnistes portèrent des coups implacables à la stagnation du genre – malgré tout, d’autres s’y seront enfermés et de plus jeunes s’y enferment encore. Réguliers ou non, tous ces coups furent ad hoc. Ceux d’Andrew Cyrille seraient-ils plus ad hoc encore que les autres, si la chose était seulement envisageable ?

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Chaque référence, ou presque, de la discographie de meneur d’Andrew Cyrille répète « les recherches progressent ». Après un Dialogue of the Drums entamé avec Milford Graves, ce sera une poignée de disques enregistrés avec Maono (formation qui ne peut se passer de David S. Ware au saxophone ténor et de Ted Daniel au bugle) : Celebration (présence de Jeanne Lee dont Cyrille célèbrera la poésie l’année suivante sur Nuba en compagnie de Jimmy Lyons), Junction et Metamusicians’ Stomp auxquels on peut ajouter Special People (et même The Navigator, si un original affirmait un jour qu’en fait Maono peut bien se passer de Ware).

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Plusieurs fois affichée, l’exceptionnelle nature des forces en présences garantit l’ouvrage signé Maono. Sur Metamusicians’ Stomp, ce sont quatre (le bassiste Nick DiGeronimo est le quatrième) musiciens doués de métalangage sinon ces quatre « métamusiciens » promis, dont le nec plus ultra est cet art qu’ils ont de transmettre avec une facilité déroutante. Sur des compositions de Cyrille dont l’exotisme est un ailleurs où trouver l’inspiration et non pas cette simple promesse de dépaysement musical ; sur une autre de Kurt Weill : slow de salon au cours duquel les danseurs s’emmêleront immanquablement en peaux et pavillons. 

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A coup de gestes vifs, Cyrille attise donc en acharné quand Ware, à gauche, y va de sa nonchalance écorchée et que Daniel, à droite, découpe de rares fantaisies. Le free annoncé est bien du domaine des souffles, mais ceux-là ne sauraient être sans l’impulsion qui commande partout ici, entretenue par les motifs que DiGeronimo est en charge de faire tourner. Ainsi « Metamusicians’ Stomp » est un jeu de courts schémas imbriqués dont l’accès est libre mais la sortie aléatoire, voire interdite. Sur une face entière, la seconde, « Spiegelgasse » compose en trois temps (Reflections + Restaurants / The Park / Flight) dans les reflets de miroirs disposés près des musiciens : le dit est redit et renvoyé plus loin ; le fait est réverbéré au point que Maono tente en guise de conclusion le rapprochement de deux jazz que tout semblait opposer : cool et free, donc. Etait-il possible que, jusqu’alors, ces deux-là aillent l’un sans l’autre ? « Les recherches progressent », clamait Metamusicians’ Stomp. Et le clame aujourd’hui encore.



Profound Sound Trio : Opus de Life (Porter, 2009)

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Combien de concerts intenses et grandioses perdus à jamais à cause de l’absence d’enregistrement ? Combien d’enregistrements pirates gardés jalousement par quelques aficionados avisés et que nous ne découvrirons jamais ? Par chance, les micros traînaient en ce soir du 14 juin 2008 sur la petite scène new-yorkaise du Clemente Soto Velez Cultural Center. Et c’était une sacrée bonne idée que ces micros soient là !

Sur scène : Andrew Cyrille, Paul Dunmall, Henry Grimes. Inutile de faire les présentations. D’emblée, ils jouent comme si c’était la dernière fois de leur vie. Les voici dans le vif du sujet, bataillant une musique (appelez-là free jazz si ça vous chante) saisissante et torrentielle. Ce soir, ils jouent comme s’ils avaient été réduits au silence des années durant (pour Grimes, la chose n’est pas tout à fait fausse). Ce soir, ils jouent avec grandeur et insolence. Alors, à quoi bon décrire tout cela ? Voici le Britannique comme un poisson dans l’eau face aux deux vétérans de la new thing. Les voici rajeunis, mitraillant et jouant sans discontinuer. Parfois se combinent et s’enchâssent les timbres (violon et cornemuse) et c’est magnifique. Car oui, Henry Grimes est un violoniste sidérant et nous ne le savions pas.

Il n’y aura donc pas de temps mort, pas de round d’observation mais une transe irréelle et continue. S’agissait-il de leur premier concert ? On voudrait le croire tant cette musique dit le bonheur et l’euphorie des premières fois. Retrouveront-ils un tel état de grâce ? La suite au prochain numéro. 


Profound Sound Trio, This Way Please. Courtesy of Porter Records.

Profound Sound Trio : Opus de Life (Porter Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009
CD : 01/ This Way, Please 02/ Call Paul 03/ Whirligigging 04/ Beyonder 05/ Futurity
Luc Bouquet © Le son du grisli

Archives Paul Dunmall
Archives Henry Grimes
Archives Andrew Cyrille


Trio 3, Irène Schweizer: Berne Concert (Intakt - 2009)

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Au Taktlos Festival de Berne en 2007, Oliver Lake, Reggie Workman et Andrew Cyrille accueillaient sur scène la pianiste Irène Schweizer. Enregistré, le concert dévoile les qualités attendues de la rencontre.

Sur le Flow de Lake, Schweizer doit alors se faire une place : discrète, d’abord, trouve l’inspiration dans la paraphrase avant d’imposer sa méthode singulière du découpage mélodique. Faux-airs de valse – abandonnée rapidement pour une poursuite –, ensuite, sur laquelle la pianiste dialogue avec l’autre amateur de répétitions qu’est Workman, et l’échange avec l’entier trio sur Aubade, thème de Cyrille au swing martial et morceau d’angoisse qui profite d’un art de la délicatesse qu’ont en commun les intervenants.

Impétuosités et passages d’une contemplation impatiente de céder à l’emportement font l’essentiel d’une improvisation du duo Schweizer / Lake (Phrases), qui précède une autre du duo Schweizer / Cyrille : retrouvailles (rencontre, vingt ans auparavant, au Festival Willisau, dont Portrait donne une preuve) au lyrisme amusé pendant lesquelles le batteur ponctue avec sagacité les effets frénétiques de l’insatiable imagination de la pianiste. Ensemble, Schweizer, Lake, Workman et Cyrille, gravent leurs initiales sur une improvisation déboîtée (WSLC), et mettent un terme dans une allégresse sauvage à leur association unique.   

CD: 01/ Flow 02/ R.I. Exchange 03/ Aubade 04/ Phrases 05/ Ballad of the Silf 06/ Timbral Interplay 07/ WSLC >>> Trio 3, Irène Schweizer - Berne Concert - 2009 - Intakt Records. Distribution Orkhêstra International.

Trio 3 déjà sur grisli
Time Being (Intakt - 2006)

Irène Schweizer déjà sur grisli
First Choice (Intakt - 2006)
Portrait (Intakt - 2005)
Live at Taktlos (Intakt - 2005)


David Murray: Sacred Ground (Justin Time - 2007)

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Premier des deux enregistrements studio de David Murray à sortir en 2007, Sacred Ground voit le saxophoniste prendre la tête d'un Black Saint Quartet dans l'idée de revenir à quelques principes anciens et souvent galvaudés: liberté du geste et revendication.

Auprès de Lafayette Gilchrist (piano), Ray Drummond (contrebasse) et Andrew Cyrille (batterie), Murray défend ses compositions récentes, inspirées par un documentaire pour lequel il a écrit la musique, qui raconte l'histoire des violences subies par la population noire dans le sud des Etats-Unis. Porté par l'enjeu autant que par une section rythmique impeccable, le saxophoniste s'en trouve régénéré, déploye un lyrisme dense à la clarinette basse comme au ténor, et invite par deux fois Cassandra Wilson à lire les poèmes lourds de sens d'Ishmael Reed (Sacred Ground, The Prophet of Doom).

A la hauteur du discours - comme quoi, tout est parfois affaire de répertoire -, Wilson permet à Sacred Ground de prendre la parole avec justesse, complétant ainsi le subtil mélange de blues, de mode latin tempéré et de dissonances distillé jusque là. Histoire, pour Murray, d'être sûr d'avoir tout (et bien) fait pour transmettre son message.

CD: 01/ Sacred Ground 02/ Transitions 03/ Pierce City 04/ Banished 05/ Believe in Love 06/ Family Reunion 07/ The Prophet of Doom.

David Murray Black Saint Quartet - Sacred Ground - 2007 - Justin Time (Just 204-2). Distribution Harmonia Mundi.


David Murray Trio: 3D Family (HatOLOGY - 2006)

murray3dsliEnregistré en 1978 au Festival de Willisau (Suisse), 3D Family donne à entendre David Murray aux côtés d’une section rythmique idéale, puisque composée du contrebassiste Johnny Dyani et du batteur Andrew Cyrille.

Sur le gimmick efficace de contrebasse de 3D Family et les ponctuations de Cyrille - avouant sa préférence pour les cymbales -, Murray perche haut les notes sorties de son ténor, instille un peu de funk dans une valse hasardeuse faite pour finir en pandémonium virulent – archet en renfort avant que le morceau ne change d’allure, au son d’un solo de batterie ironique autant que flamboyant.

Après être passé par la sophistication de Patricia - liaison réinventée entre les fantômes d’Albert Ayler et les interrogations concrètes des loft sessions new yorkaises -, le trio sert un free jazz exubérant (In Memory of Yomo Kenyatta) avant d’imbriquer quelques répétitions sur l’opposition forcée d’un archet aigu tranchant la contrebasse et des rauques récurrents du ténor.

Peu avant de conclure, sur Shout Song, Dyani déploie un solo introspectif, presque las, avant que Cyrille ne se plie une nouvelle fois à l’exercice, réfléchi et percutant. Murray revenant pour conclure, aura à chaque fois réservé une place de choix, voire majeure, à des partenaires de taille, qu'il aura su conduire en rivalisant d’astuces tout en leur concédant un vaste territoire d’interventions réservées.

CD: 01/ 3D Family 02/ Patricia 03/ In Memory of Yomo Kenyatta 04/ Shout Song

David Murray - 3D Family - 2006 (réédition) - HatOLOGY. Distribution Harmonia Mundi.


Trio 3: Time Being (Intakt - 2006)

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La spécificité majeure du Trio 3 vient du fait que chacun de ses membres représente à lui seul un pan entier de l’histoire du jazz exigeant. Sidemen de Monk, Coltrane, Cecil Taylor ou Roland Kirk, et musiciens au premier plan du Loft Movement new-yorkais, Oliver Lake, Reggie Workman et Andrew Cyrille poursuivent leurs expériences, avec le même panache qu’hier.

Après une plage déstructurée sur laquelle s’harmonisent déjà les interventions indépendantes (A Chase), le trio prend des libertés sur quelques figures établies : swing dissonant transformé en marche sur les conseils de la contrebasse de Workman (Medea), post bop débonnaire (Given), ou free déclaré sur Special People, dont le thème rendu à l’unisson mais voué bientôt au lynchage rappelle Albert Ayler
.

A chaque fois, les partenaires rivalisent d’habileté : facilité du grand solo de Workman sur Playing For Keeps ; ardeur sublime ou roulements élaborés de la batterie de Cyrille sur Time Being et Tight Rope ; aisance quiète de Lake à dérouler aux saxophones des phrases instables et pourtant décisives (Lope, Time Was). Rassemblés, les voilà excellant sur un Equilateral improvisé, ou sur l’impression trouble et intense qu’est Tight Rope.

En 10 morceaux, Time Being assure ainsi de l’inaltérable qualité de musiciens déjà accomplis il y a une quarantaine d’années. Renouvelle l’engagement, en quelque sorte. Sans refuser, de temps à autre, d’aller creuser encore plus profond.

CD: 01/ A Chase 02/ Medea 03/ Tight Rope 04/ Equilateral 05/ Lope 06/ Time Was 07/ Playing For Keeps 08/ Given 09/ Time Being 10/ Special People

Trio 3 - Time Being - 2006 - Intakt. Distribution Orkhêstra International.



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