Vlady Bystrov, Helen Bledsoe, Alexey Lapin : Triologue / Kruglov, Lapin, Sooäär, Yudanov : Military Space (Leo, 2013)
Ces miettes font pain. Ce que tentent les clarinettes, les flûtes et le piano de Vlady Bystrov, Helen Bledsoe et Alexey Lapin passent par le délestement des formes. Ces tessons épars voyagent en direction des terres dévastées. Un seul but : reconstruire l’Eden. Ce qui fut mais n’est plus. Ce qui ne demande qu’à revenir. Les années passent, le germe sommeille : il suffit de ce petit rien qui fait tout.
Ce germe, Jimmy Giuffre l’avait déjà semé. Ce trio avait bouleversé. Il bouleverse encore. Tout comme il est à espérer que ce Triologue bouleversera. Combattent-ils l’éphémère à travers leurs feuillages inquiets, leurs entrechats virtuoses ? Ici, ils n’errent pas, ils construisent. Pas par hasard mais parce qu’ils savent transmettre l’intensité de leurs âmes vibrantes. Ici, le souffle est léger, il parcourt les plaines et les plateaux. Parfois, parce que l’instant le demande, ils feulent, ils fêlent, ils craquèlent. Mais jamais ne se perdent dans les colères inutiles. Ils dansent légers et heureux. Nous aussi.
Vlady Bystrov, Helen Bledsoe, Alexey Lapin
Triologue
Vlady Bystrov, Helen Bledsoe, Alexey Lapin : Triologue (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Credo 02/ The Thoughts 03/ The Inner Spaces 04/ Triologue 05/ Monologues 06/ North Crystal 07/ Die versuchung 08/ Allegro con brio 09/ Mélusine 10/ Countless Refractions
Luc Bouquet © Le son du grisli
Le 17 novembre 2011, Alexey Lapin proposait à ses amis (Alexey Kruglov, Jaak Sooäär, Oleg Yudanov) de ne pas s’en tenir au free volcanique qui venait, le temps d’une première improvisation, d’enflammer le Jazz Centre de Yaroslavi. Le temps d’harponner quelques steppes psychédéliques, voici le quartet mijotant quelque aire bruitiste, quelque vallon contemplatif, quelque virage brutal. Toujours premier de cordée, le pianiste guidait et orientait alors un quartet apparemment ravi de l’aubaine.
Alexey Kruglov, Alexey Lapin, Jaak Sooäär, Oleg Yudanov : Military Space (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Assault 02/ Energy 03/ Rear Services 04/ Secret Briefing 05/ Plan for the Future 06/ Battlefield 07/ Second Breath 08/ Triumph
Luc Bouquet © Le son du grisli
Alexey Kruglov : Identification (Leo, 2011)
Les trois précédents CD d’Alexey Kruglov publiés chez Leo Records pouvaient laisser planer quelques doutes : l’appétit était là, le potentiel aussi mais le tout restait bien trop superficiel ou éphémère pour convaincre totalement.
Identification, longue suite de soixante-quatre minutes, rassure. En trio avec le contrebassiste Dmitry Denisov et le batteur Vladimir Borisov, Alexey Kruglov multiplie les angles d’attaque, utilise ses propres monogrammes pour aérer une improvisation qu’il veut d’abord explosive avant de laisser batterie puis contrebasse déposer quelques solaires solos (mais quel horrible sonorité de contrebasse tout de même !).
Souvent le leader embouche plusieurs saxophones et, simultanément, se crispe sur un piano rugueux et conquérant (Charles Gayle n’est alors plus très loin), d’où cette étrange impression d’entendre un quartet plutôt qu’un trio. En fin de disque, une mélodie aux sages contours viendra révéler une autre facette du multi-instrumentiste : possible remède aux frondes déclenchées précédemment, la douceur d’Alexey Kruglov finalise un disque souvent envoûtant, toujours passionnant.
Alexey Kruglov : Identification (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Identification
Luc Bouquet © Le son du grisli
Alexey Kruglov : Seal of Time (Leo, 2010)
On ne nomme pas son disque, lorsque l’on a 30 ans à peine, Seal of Time (soit « le sceau du temps ») par hasard. Alexey Kruglov, saxophoniste russe, s’inscrit en effet dans la grande histoire du jazz et s’offre une pause dans ses plus belles pages free. Ici, les références sont assumées, et ne nuisent en rien à la pertinence du propos.
C’est d’abord à Ayler que l’on pense, tant la musique de Kruglov semble chasser l’esprit du grand Albert et vouloir comme ce dernier dire en un même souffle la beauté et la violence du monde. Puisant dans un passé un peu plus proche, on peut évoquer sans peur de trahir Kruglov la personnalité de David S.Ware, pour le lyrisme et l’exaspération qui se mêlent dans le discours du jeune musicien russe. L’introduction de Poet, notamment, nous y invite : sur les accords obsédants d’un piano mantra et la pulsation de toms en transe, Alexey Kruglov élève lentement sa voix, comme Ware avait pu le faire sur un Ganesh Sound de forte mémoire (sur son disque Renunciation). Enfin, s’il fallait citer une troisième figure tutélaire de ce disque, nous en appellerions sans doute à Jan Garbarek, pour le son cristallin de Kruglov, et la production du disque qui lorgne vers la prise de son du label ECM : réverbération, halo, semblent entourer chaque instrument et en particulier les soufflants.
Souvent, Alexey joue en tandem avec le batteur Oleg Udanov et nous les retrouvons ainsi côte à côte sur ce disque qui rassemble deux enregistrements en trio. Le premier témoigne d’un concert donné par les deux hommes avec le pianiste Dmitry Bartukhin dans un club de Saint Petersburg en septembre 2009, et le second est le fruit d’une session plus ancienne, invitant le contrebassiste Igor Ivanushkin, et qui s’était déroulée en novembre 2007 dans un studio de Moscou. Ici et alors, Alexey Kruglov, saxophoniste alto, fait preuve d’une indéniable aisance en d’autres tonalités et tessitures ; sur la longue et changeante suite The Battle, par exemple, on l’entend également au saxophone soprano, au saxophone baryton, à la flûte, au piano ainsi qu’au très rare cor de basset.
On pourra certes reprocher à Alexey Kruglov de trop vouloir en dire (la juxtaposition alors superficielle d’univers qui peinent à se lier nous éloigne du musicien), mais l’originalité et la sincérité du propos, ainsi que les enthousiasmantes deux pièces maîtresses que sont Poet et Love, augurent de beaux lendemains.
Alexey Kruglov : Seal of Time (Leo Records / Orkhêstra International)
Edition : 2010.
CD : 01/ Poet 02/ The Battle 03/ Seal of Time 04/ Love 05/ The Ascent
Pierre Lemarchand © Le son du grisli