Mamiffer, Daniel Menche : Crater (Sige, 2015)
J’ai comme l’impression de n’entendre Daniel Menche qu’en « périodes » de fêtes (voire : de Noël !). Cette fois, c’est avec le Mamiffer d’Aaron Turner et Faith Coloccia. Daniel dans l’antre du Mamiffer, voilà qui promettait, mais le premier piano qui crash rebute, déployant facile une intro qui n’en est qu’une (d’intro). Mais mais (or or) c’est par la suite que ça se précise : Menche et Mamiffer versent dans une ambient noise qui vous retourne l’estomac.
Oui, rien que ça. Field recordings (encore des f.r., mais quand même pas les mêmes que ceux des autres), crescendos telluriques, drones qui épaississent comme des crapauds qui fument, lourds instruments métalliques qui cherchent à retourner la terre aride et voix de sirènes qui vous serrent le… Mamiffer. On excusera juste le piano (de l’intro et de la conclusion) : à part ça, du grand Menche et du grand Mamiffer. Que dire d’autre sinon d’y courir ? = Tous au Crater !
Mamiffer, Daniel Menche : Crater (Sige Records)
Edition : 2015.
CD / Cassette : 01/ Calyx 02/ Husk 03/ Alluvial 04/ Breccia 05/ Exuviae 06/ Maar
Pierre Cécile © Le son du grisli
Interview de William Fowler Collins
Ambient inquiète, électroacoustique, noise, metal, improvisation libre… l’art de William Fowler Collins (1974) ignore tout des frontières s’il est sûr de se voir réserver une place à l’ombre. Pour s’être récemment montré redoutable (Tenebroso, The Resurrections Unseen), l’ancien étudiant de Fred Frith et Pauline Oliveros, passe à la question introductive…
... Mes premiers souvenirs de musique viennent de l’autoradio de la voiture et de la collection de disques de mes parents. C’était le milieu des années 1970. A six ans, j’ai acheté mon premier disque : Let There Be Rock d’AC/DC. C’est là que tout a commencé. Depuis, la musique est devenue une obsession.
Comment es-tu venu à la pratique de la musique, et avec quel instrument ? Ca a été un processus naturel : à force d’écouter de la musique sans arrêt, j’ai ressenti l’envie d’en faire moi-même. La guitare est mon premier instrument... J’avais environ quatorze ans quand j’ai commencé à en jouer. C’était à la fin des années 1980. Mes influences étaient alors assez variées. Au début, j’ai pris des leçons orientées blues, j'apprenais les accords de jazz et les progressions. En plus de ça, mon jeu a pas mal été influencé par le rock que je pouvais entendre, celui de Jimi Hendrix ou de Pink Floyd par exemple. Aussi, à la même époque, j’ai découvert The Velvet Underground, The Sex pistols, Public Image Limited, et des groupes américains de punk hardcore, genre Black Flag ou Dead Kennedys… Les tout premiers groupes de rock indépendant émergeaient alors, et je me suis intéressé aux débuts de Sonic Youth, Dinosaur Jr., etc.
Quelles ont été tes premières expériences en tant que guitariste ? Es-tu passé par un groupe ? Oui, j’ai immédiatement monté un groupe avec des amis. Nous étions alors tous débutants et n’avions aucune idée de ce que nous étions en train de faire, ce qui ne nous a pas empêché de commencer à jouer et même à écrire notre propre musique.
Tu as étudié au Mills College : qu’as-tu appris là-bas qui serve encore aujourd’hui à ta musique ? Je dirais que beaucoup des choses que j’ai apprises au Mills College sont cruciales pour ce que je fais aujourd’hui. J’y ai par exemple étudié des logiciels audio, l’enregistrement et le mixage (analogique ou digital), la composition, la performance, et aussi l’histoire de la musique. Toutes ces choses continuent de nourrir mon discours de musicien et de compositeur. Les deux années que j’ai passées dans cette université ont développé mon savoir, mes possibilités techniques et ma façon de définir ma propre musique. Je n’ai jamais suivi de cours de façon très stricte et je ne me suis jamais vraiment entraîné de façon classique non plus, alors, « désapprendre » ce que je savais de la musique pour m’ouvrir à des nouvelles idées ne m'a pas été très difficile. D’ailleurs, je n’aurais sans doute pas été accepté par un conservatoire… Les établissements qui dispensent des cours de musique sont en général très conservateurs, faire évoluer la musique en tant que médium est loin d’être leur préoccupation principale, ce qui me paraît complètement bizarre. Mills fait figure d’exception.
Comment es-tu arrivé à la musique, disons, sombre ? J’aime toutes sortes de musiques et de sons mais j’ai toujours été intéressé par les plus pesantes, le côté obscur de la musique. Mon intérêt pour les nouvelles formes de musique ne cesse de grandir, par le bouche à oreille ou via mes recherches personnelles. J’ai aussi découvert beaucoup de musiques par le biais des bandes originales de film et des partitions. Ces dernières années, j’ai cultivé un goût pour l’heavy metal extrême, disons obscur. Travailler avec Aaron Turner (Isis, Jodis, Mamiffer, Old Man Gloom…) m’en a pas mal appris sur le monde du métal : c'est un collectionneur qui garde constamment un doigt sur le pouls du metal contemporain. Certains des compositeurs que j’apprécie, comme Scelsi ou Penderecki, ont pu écrire, Wselon moi, des pièces tout aussi intenses et sombres (si ce n’est plus) que la plupart des disques de metal que j’ai pu écouter. Pour moi, le noise a toujours été une question d’abstraction et de texture. Expérimenter sur la forme musicale et le son m’est assez naturel, c’est pourquoi la musique qui investit des territoires changeant, si ce n’est nouveaux, m'intéresse tellement.
Si tu avais à conseiller l’écoute de musiciens ou de disques de ce genre, quels seraient-ils ? Il y en a tellement… Je citerai d’abord quelques musiques de films, comme celle que Wendy Carlos a écrite pour The Shining (aussi difficile à trouver que stupéfiant) ou celles qu’Eduard Artemyev a signées pour Tarkovsky, la musique et les sons créés par Tobe Hooper et Wayne Bell pour le premier Massacre à la tronçonneuse sont supers aussi, celle de John Carpenter pour le premier Halloween, la partition de Lalo Schifrin pour Amityville, la musique de Brian Hodgson et Delia Derbyshire pour La maison des damnés, les pièces que Morricone a écrites pour les films estampillés Giallo ou encore la musique écrite par Nick Cave et Warren Ellis pour The Proposition… Maintenant, je suis sûr que j’oublie quelques films importants…
... Pour ce qui est des disques « sombres », j’ai récemment écouté Ligfaerd de Nortt, Flowers of Romance de Public Image Limited, Subliminal Genocide de Xasthur, Salvation de Funeral Mist, MoRT de Blut Aud Nord, Quattro Pezzi for Orchestra de Giacinto Scelsi (j’ai écouté quasiment toute sa production dernièrement), Arvo Pärt, Piano and String Quartet de Morton Feldman… Ce sont quelques disques parmi tant d’autres, évidemment. La liste pourrait être allongée sans fin.
La plupart de ces BO ont utilisé des synthétiseurs… Quel rôle joue aujourd’hui l'électronique dans ta musique ? D’un point de vue technique, je ne me sers pas de synthétiseurs analogiques. J’utilise une ancienne version du logiciel SuperColldier, qui continue à faire partie de méthodes que j’emploie pour ma musique. J’expérimente encore comme je peux avec ce logiciel, qui a un interface graphique plus que primitif… Lorsque je l’applique à un guitare ou à des field recordings, leur son d’origine est transformé et cela peut donner naissance aux bases d’un nouveau morceau ou avoir une influence sur la direction à donner à une pièce sur laquelle je travaille…
La plupart du temps, tu enregistre seul... C'est un choix arrêté ? Quand je me suis installé à San Francisco pour intégrer une école d’art, ça faisait pas mal de temps que je ne jouais plus avec personne, alors j’ai commencé à enregistrer seul. C'était en 1992, ou aux environs. J’expérimentais un peu en utilisant un vieil enregistreur cassette Panasonic, je scotchais la tête des cassettes afin d’empiler des sons les uns sur les autres. J’utilisais aussi un enregistreur quatre pistes à cassette. Je l’utilise d’ailleurs encore, de temps à autre. Il y avait aussi un enregistreur dans un petit studio d’enregistrement du San Francisco Art Institute dont je pouvais me servir. Il appartenait au département cinéma, dans lequel je n’étais pas inscrit, mais qui m’avait permis d’enregistrer avec son matériel. Si je préfère travailler seul, j’ai quand même quelques collaborations en cours en ce moment : un projet avec Aaron Turner, un autre avec James Jackson Toth (Wooden Wand) ; je travaille aussi Raven Chacon sur un nouvel album de Mesa Ritual et termine une collaboration avec Horseback (Jenks Miller). J’aime profondément ces projets, d’autant qu’ils me permettent d’essayer de nouvelles idées que je n’aurais pu seulement aborder en solo. Mais ça ne m'a pas empêché de commencer l'enregistrement d'un nouvel album solo...
Selon toi, tes derniers disques disent-ils assez bien ce que tu souhaites exprimer en musique ? Oui, je crois qu’ils correspondent à ce que je voulais dire au moment de leur enregistrement.
T’arrive-t-il de les réécouter ? Pour beaucoup les écouter pendant leur confection, non, je n’y reviens pas trop une fois qu’ils sont terminés.
William Fowler Collins, propos recueillis en mars 2013.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
House of Low Culture : Poisoned Soil (Sub Rosa, 2012)
Les radars révèlent la présence d’intrus : les antennes radio crépitent mais il y a aussi l’orage percé d’aigus électriques et le crachin du champ magnétique. Les radars disaient vrai, on entend maintenant des voix. Une assemblée secrète réunie sur l’ordre express d’Aaron Turner ?
Les voix se taisent, le silence est menaçant. Turner leur fait sans doute signe, une batterie claque, la cadence lente, une guitare abyssale suit, un peu d’électronique déclenche une chorale qui entame un chat martial venu du froid. Pour se réchauffer, un cocktail de Mari Boine, Erkki-Sven Tüür, Wolf Eyes, Earth, Urban Sax… Tout ça à la sauce Turner, donc détonnant. L’expérience de paranoïa intense que nous fait vivre Poisoned Soil n’est peut-être pas qu’une expérience, mais le début de la fin ?
House of Low Culture : Poisoned Soil (Sub Rosa)
Edition : 2012.
CD : 01/ Spoiled Fruits Of The Kingdom 02/ The Ladder That Leads To Nowhere 03/ Inappropriate Body 21'11
Pierre Cécile © Le son du grisli
Lotus Eaters : Wurmwulv (Taiga, 2011)
Alors que Taiga sort sur vinyle et Sub Rosa sur CD le nouvel album d’House of Low Culture, projet solo d’Aaron Turner, on peut retrouve le monsieur dans Lotus Eaters (c'est-à-dire en trio avec Stephen O’Malley et James Plotkin) avec la réédition de Wurmwulv, produit à l’origine par Troubleman Unlimited en 2007, accompagnée de celle de Lotus Eaters (le EP), sorti par Drone Records en 2002.
Enregistré au début des années 2000, ce qui n’a l’air d’être, au tout début, qu’un disque d’abstract dark drone metal ambient etc. de plus renverse rapidement toutes nos échelles de valeurs (pour peu qu’on en ait). Car le trio nous abreuve de sons divers et variés, de guitares sibyllines et de freinages « expressionnants », en ménageant les surprises. Bien obligé de suivre quand même ces montagnes russes aux boucles torturées, ces couloirs de labyrinthes mouvants et ces autoroutes où freiner pour le seul plaisir de faire du bruit.
Un fois sorti de tout ça, on réalise que le moindre événement de notre voyage sonore était planifié. Oui, planifié. Car cette réédition n’est pas une réédition comme les autres : elle a été réarrangée par Plotkin, qui s’est servi pour ce-faire des chutes de l’enregistrement. On ne peut que saluer l’actualisation de Wurmwulv selon de magnifiques plans-séquences.
Lotus Eaters : Wurmwulv (Taiga Records)
Enregistrement : 2000-2003. Edition : 2011.
2 LP : A/B/C Wurmwulv D/ Silence (et un dessin d’Aaron Turner)
Pierre Cécile © Le son du grisli