Bill Nace, Aaron Dilloway : Band EP (Open Mouth, 2016)
C’est une cassette récemment publiée par Matt Krefting sur Silver Lining que le label Open Mouth vient de changer en vinyle. Sur celui-ci, Bill Nace est (toujours) à la guitare électrique et Aaron Dilloway (encore) au magnétocassette – Band EP est leur première sortie commune.
A la vitesse de quarante-cinq tours par minute, les instruments passent d’abord de sifflements en boucles étranglées, de bruits de moteurs déclenchés les uns après les autres et de reverses qui donnent l’air de chanter. Ce que l’on attribuera ici à la guitare, c’est un tapage élaboré au plus près des micros et quelques feedbacks.
Au gré de la conversation, c’est pourtant un langage unique qui perce, se fait entendre – sorti d’approches expérimentales conjointes, il multiplie les signaux et fait un piédestal des rumeurs qui l’entourent juste avant d’adopter un maigre rythme – puis comprendre : la répétition donnant un sens au bruit musical, celui-ci fait de ses multiples artifices un feu de joie dans lequel il se consumera avec panache – après quoi : disbanded, Nace et Dilloway.
Bill Nace, Aaron Dilloway : Band EP
Open Mouth
Enregistrement : septembre 2013. Réédition : 2016.
LP : 1-B/ Band EP
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
CABLE#8 : Emptyset, Yann Leguay, Greg Pope, John Hegre, Aaron Dilloway : Nantes, du 19 au 22 février 2015
J’aimerais être capable de rendre au moins partiellement le plaisir renouvelé chaque année d’assister (un peu) au festival Cable#, de l’enchantement de sa diversité (de programmation et de lieux), de son exigence générale, de toutes ces forces et finesses concentrées sur quelques journées. Extraits...
Emptyset (Vendredi, Espace Cosmopolis)
Des résonances qui s’intègrent physiquement, ré-agencent et ré-organisent le corps. Un instant, suivre un battement technoïde. Se raccrocher à une trame comme un retour de virus électronique qui, en son temps, avait peut-être su justement affranchir des corps encombrants, les engrenant dans une dynamique libératoire. Et permettre la perte de soi par répétition. Que le genre soit plus convenu n’importe pas réellement, bientôt il sera noyé dans la qualité d’un son âpre, d’une extrême rigueur, qui, s’il s’empare du corps, laisse l’esprit s’aiguiser à en découvrir les multiples dimensions. Le même soir aura vu la très délicate prestation d'Anne Guthrie ainsi qu’une lecture foisonnante d’Olivier Cadiot.
Yann Leguay (Samedi, Blockhaus DY.10)
Etonnamment, dans le cadre aride du blockhaus (ruin porn forever), l’impression prédominante a été celle d’une véritable sensualité. Ici, ce n’est pas tant d’une sensualité machinique dont il serait question mais plutôt de l’expression de quelque chose qui aurait très bien pu emprunter un biais plus classique et qui, malgré l’apparent paradoxe de devoir s’interpréter par les voies/x de disques durs malmenés, s’épanouit, matière souple et dense, tout en cohérence avec le lieu. S’ajoute à cela, la mise en abyme du disque dur, objet physique et donc sonore mais aussi lecteur de données tout autant audibles. Vertiges délicieux.
Greg Pope (Vendredi, Espace Cosmopolis / Samedi, Ateliers de Bitche)
Les deux performances de Greg Pope — Cipher Screen avec John Hegre le vendredi à l’espace Cosmopolis, Light Trap avec Aaron Dilloway et trois autres projectionnistes (Aurélie Percevault, Carole Thibaud et Mariane Moula), le samedi, aux ateliers de Bitche — vont certainement rester longtemps dans les mémoires des spectateurs. Pour la première, deux projecteurs 16 mm (horizontal / vertical), diffusent l’image de boucles de film qu’il détériore au fur et à mesure, poinçons, scratch, etc., de l’imperceptible à l’embrasement. Pour la seconde, quatre projecteurs installés en carré autour du public rayonnent vers le centre, leurs faisceaux créent un territoire de lumière qui se peuple suivant les mêmes procédés de sculpture directe de la bande. Difficile de faire la part du son produit par ailleurs, tant il semble être de prime abord une traduction directe du visuel puis, progressivement, s’installe dans une même intensité de frénésie créative ; on ne sait plus qui de l’image ou du son nous porte le plus, jusqu’à procurer une expérience totale, immersive et intense.
CABLE#8 : 19-22 février 2015, à Nantes.
C. Baryon © Le son du grisli
Photos : Emptyset / Yann Leguay / Performance de Greg Pope & Aaron Dilloway par Jean-Daniel Pauget.
Fragment Factory Expéditives : Alice Kemp, Schimpfluch-Gruppe, Aaron Dilloway, Tom Smith, Philip Marshall
Alice Kemp : Decay and Persistence (CDR, 2013)
Réinterprétation par son auteure d’une bande-son créée pour deux performances de Weeks & Whitford, Decay and Persistence est maintenant un voyage à faire sur CD et, même, dans l’oreille d’Alice Kemp (Germseed) : trouver-là, rendus avec une précision remarquable, coups de tonnerre, tic-tac, souffles, bois qui craquent, et peut-être aussi le battement d’un cœur. Au bout du voyage, applaudir à un théâtre concret aux effets ravissants.
EN ECOUTE >>> Live-Aktion 28.04.2012, Tokyo
Schimpfluch-Gruppe : Nigredo (K7, 2013)
Un autre bois (on l’imagine), et sur cassette, crépite sur Nigredo. C’est que Rudolf Eb.Er et Dave Phillips y ont marché, en route pour Tokyo où ils donnèrent un concert « préparé » sous le nom de Schimpfluch-Gruppe. Devant l’assistance, un souffle fut transformé en râle, ce râle en ombre épaisse et inquiétante, cette ombre en chimère prisonnière d’une cellule de béton gris. Dans un bruit assourdissant de métal (des chaînes, peut-être), ce sera la libération. En face B, un canal chacun, Eb.Er et Phillips exposent le matériau qu’ils composèrent indépendamment pour leur rencontre : ni chimère, ni béton, ni métal, mais des ombres encore.
EN ECOUTE >>> Decay and Persistance
Aaron Dilloway, Tom Smith : Allein Zu Zweit (K7, 2013)
C’est un autre concert passé sur cassette : celui, donné par Aaron Dilloway (Wolf Eyes, The Nevari Butchers) et Tom Smith (To Live and Shave in L.A., Ohne) à Hambourg le 22 juin 2012 – quelques jours plus tôt, le duo s’était produit à Hanovre, ce dont témoigne Impeccable Transparencies, un disque double produit par Smith sur son Karl Schmidt Verlag. Seul, Alloway lance une course le long de laquelle il butera souvent : voilà la cause des barrissements, plaintes et déferlantes, dont il fait son miel. Avec Smith, le voici occupé à confectionner une boucle sur laquelle déposer un noise qui pourra quelquefois pêcher par emportement lyrique.
EN ECOUTE >>> Allein / Zu Zweit
Philip Marshall : Passive Aggressive (K7, 2013)
Deux ans après avoir publié Casse-tête sur Tapeworm, label à cassettes qu’il dirige, Philip Marshall voit paraître Passive Agressive sur Fragment Factory. C’est une autre bande à dérouler dans laquelle sont contenus des aigus tenaces que gonflent les parasites qu’ils portent en eux et même arborent, un grave aux obsessions multiples et qui danse sous leurs effets, un doigt de saturations, enfin, pour finir de changer la cassette dont on parle en étonnante malle à contrastes.
EN ECOUTE >>> Passive
30/4 (Fragment Factory, 2013)
La « fabrique » de compilation est chose difficile – comme l’attestent la plupart des compilations éditées – mais Fragment Factory s’y adonne généralement avec soin, et même art – comme l’atteste cette compilation-là, trentième sortie du label, sur laquelle on trouve, subtilement agencées, des pièces diverses mais bruitistes toutes, singulières mais supportant le voisinage.
A l’origine, retourner à Hugo Ball, dont Joachim Montessuis interprète le Karawane d’une voix qui crache – l’aura-t-elle fait sur les costumes du public de la Fondation Cartier où il a été enregistré en 2012 ? – et mitraille. Alors défilent quelques agitateurs notoires, beaucoup d’entre eux déjà présents au catalogue FF : AMK sur collages gonflés de field recordings, Michael Esposito (et son jeune fils) sur proto-indus tournant sous l’action d’EVP, Michael Barthel sur chants brillant ou pauvre mais l’un et l’autre travaillés, Aaron Dilloway sur parcours balisé de drones…
Déjà convaincante, la compilation gagne à en rajouter, sous l’effet de Michael Muennich, hôte qui vérifie si sa fantaisie noire est soluble dans l’eau. Au contact d’autres éléments, Krube entamera trop près du feu une courte symphonie pour instruments de bois quand Philip Marshall jouera de courants d’airs (en vérité, de vieilles cassettes trouvées) qui feront tourner des manèges à fantômes. Au contact d’autres spectres, Leif Elggren dictera à un alien qu’il retient le message qui rassurera ses proches. En conclusion – c’est-à-dire, au beau milieu de 30/4 –, GX Juppiter-Larsen brouillera tous les messages délivrés pour en exposer la substantifique moelle : noise créatif et intense fait de mille étrangetés.
COLLECTIF : 30/4 (Fragment Factory)
Edition : 2013.
CD : 01/ Joachim Montessuis: Karawane 02/ AMK : The Oxbow of Christ Night 03/ Aaron Dilloway : Final Date with Uss Urgo 04/ Philip Marshall : Mixtape 05/ KRUBE : Wenn ich die augen schliebe, sehe ich nichts mehr 06/ Michael Barthel : Unbekänntes (Klage 1) 07/ GX Jupitter-Larsen : Radio Abrasion 08/ Michael Muennich : Sekvenser (För Joel) 09/ Giuseppe Ielasi : Untitled. May 2013 10/ Michael Barthel : Die Diener 11/ Leif Elggren :Twenty One Twenty Two 12/ Michael & Basil Esposito : Witches in the Wheat
Guillaume Belhomme © Le son du grisli