Jean-Philippe Gross, Jérôme Noetinger : Nos cadavres (Eich, 2021)
A l'occasion (et jusqu'à) la parution, à la fin du mois d'avril 2022, de l'anthologie du Son du grisli aux éditions Lenka lente, nous vous offrons une dernière salve de chroniques récentes (et évidemment inédites). Après quoi, ce sera la fermeture.
Les premières secondes du disque font craindre un énième (et stérile) échange par correspondance. Le jeu du cadavre exquis, auquel se sont adonnés pendant un récent confinement Jean-Philippe Gross et Jérôme Noetinger, partenaires de longue date, leur avait déjà fourni deux pièces, publiées par Takuroku. Sur son propre label, Gross en propose quatre autres, réalisées – pour pimenter un peu l’exercice – dans l’urgence.
Pour instrumentarium : Serge, Revox, field recordings, cassettes, radio… De Rives à Metz, Gross et Noetinger s’adressent des séquences d’une dizaine de secondes que le destinataire a une demi-heure pour compléter et renvoyer. L’échange est souvent tendu, et (pour le redire) l’ouverture inquiète : les premières salves sont celles de snippers en mal d’impression. Mais les secondes passent et les gestes parviennent à s’accorder : c’est que l’idée est maintenant la même et que derrière elle se cache l’objet disque.
Si la question se pose de faire une œuvre d’un jeu, sans possible retouche, il faut reconnaître que certaines parties de ces « cadavres » font de l’effet, notamment lorsque le duo construit dans la lenteur, laisse la vibration courir ou la parole aux fantômes. Un peu d’humeur, aussi, peut égayer ce grand vaisseau souvent lourd de gestes : chant de basse-cour ou capture d’NTM, soudain parasite ou discours emprunté, pourront alléger le goût que partagent Gross et Noetinger pour le retournement par le son d’un morne quotidien. Fruit d’une occasion – échanger à distance, faute de mieux –, Nos Cadavres est ainsi un disque en demi-teinte, mais que voulez-vous, c’est l’époque.