Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Baden Powell
A l’occasion de la parution, au printemps prochain, du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
Baden Powell, lorsque je suis encore enfant, on peut le voir à la télé parfois, puis je vais le voir en soli au palais des glaces, j'ai 10 ans, peu de temps après au Discophage, la célèbre boîte brésilienne à Paris (Bernard Lavilliers y est souvent à l'époque, Jacques Higelin aussi), je l'entends à quelques mètres, je suis transi, emporté, retourné, c'est si fort, ça semble si facile aussi.
A cette époque je fais mes études au conservatoire de quartier, donc guitare classique (cordes nylon), j'étudie la méthode classique Carulli, un peu la Pujol aussi (des sortes de Bescherelle de l'instrument), l'entendre jouer ainsi sur le même instrument me terrasse. Je vais trouver tous ses disques Festival avec Guy Pedersen, Grappelli en invité, en solo (son Choro Para Metronome, une étude d'une intelligence folle, à jouer avec un métronome, que l'on dépasse, renverse ou accompagne, bref dont on se joue, me hante littéralement, j'ai trouvé une partition dans Guitariste Magazine, entre les pages musiques de Georges Locatelli, celles de Pierre Fanen, John Renbourn ou Frédéric Sylvestre et Larry Coryell).
C'est aussi le signe d'une improvisation pleine, aboutie, mais plus du tout jazz pour moi (c'est donc possible, je le découvre). Aujourd'hui toujours, si je devais jouer au jeu un peu futile des disques pour île déserte, Baden Powell en ferait partie. Noël Akchoté
Ça ne me parle pas ou je ne sais pas entendre, trop de notes, de virtuosité, de vitesse. J’aimerais qu’il s’arrête, laisse des silences se lover entre ses notes, qu’il laisse mourir les notes, que l’espace prenne place autour de moi. La vitesse est comme augmentée par les percussions, un train à prendre, angoisse du vide, je ne sais pas.
Peut-être que la samba et ses rythmes ne s’enlacent pas à mes dérives intérieures, mes fantasmes exotiques, c’est une musique que je ne connais pas. La musique brésilienne je ne l’ai aimée que chez Arto Lindsay, sa guitare percussive déchiquetant sambas, chonos, capoeiras. Le Brésil pour moi c’est lui, sa musique no-samba, vous dire à quel point je ne sais rien du Brésil, inculte de cette forêt musicale foisonnante.
Bernard Lavilliers peut-être aussi : « Pour aimer la samba / il faut tendre sa peau / s’en servir de bongo / sur le rythme vital » in Paroles. Sans doute faut-il pouvoir partir de soi, de ce que l’on sait, de ce qui rassure. Mais je continue à buter sur ce trop technique, ce joueur de foire ou de concours, ralentis Baden, arrête la machine, creuse dans le son, le ton, le silence. Joue contre le temps qui s’accélère, joue une élégie à la lenteur, j’aimerais entendre ça chez toi, sûr que ça serait bouleversant, oublie tes doigts, leur mémoire insistante. Juste joue contre ce que tu sais. Michel Henritzi