Christian Marclay (Centre Pompidou, 2022)
Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir.
L’épatante exposition Christian Marclay – à voir au Centre Pompidou jusqu’à la fin du mois de février – méritait bien son catalogue. Celui-ci, reproduisant les 200 œuvres assemblées, prendra ensuite des airs de belle exposition lascivement couchée sur papier.
Faut-il présenter encore Marclay, Suisse né en Californie qui hésita entre longtemps entre sculpture et musique pour, à la fin des années 1970 à New York, commencer à se faire entendre auprès de John Zorn et Elliott Sharp ? Faut-il rouvrir Beauty Lies in the Eye de Catherine Ceresole, qui le figea au côté notamment de Butch Morris ? Faut-il évoquer aussi un lot de révélations : Euréka de Jean Tinguely, Revolution 9 des Beatles, les concepts de John Cage ou les performances de DNA, Mars, Joseph Beuys...
Dans les années 1980, platine en bandoulière – pour expliquer rapidement de quoi retourne sa phono-guitare –, Marclay monte sur scène avant ou après Sonic Youth, Swans, Beastie Boys… Quelques années plus tard, il travaille son idée de l’appropriation et fait paraître More Encores : Louis Armstrong, Jimi Hendrix ou la Callas détournés ; et puis, dans les pas de Moholy-Nagy, il conçoit une création phonographique partie d’une pensée plastique.
Des bandes de cassettes sur lesquelles il a enregistré les disques des Beatles, Marclay fait alors (avec l’aide d’une amie au tricotage) un oreiller ; au son d’une Fender qui râle pour être traînée par un pick-up (Guitar Drag), il rend un vibrant hommage à James Byrd, victime d’un racisme ordinaire ; derrière les vinyles cassés et la Broken Music de Milan Knizak, il abîme des disques dont on cherchera désormais à connaître les nouvelles sonorités qu’ils renferment, conçoit des pochettes de disques qui n’existent pas ou assemble des pochettes de disques qui existent avec irrévérence et humour ; ailleurs, il déformera quelques instruments ou enduira coloriera en bleu d’autres bandes sur Cyanotypes.
L’œuvre plastique, écrivait Clément Chéroux dans Snap!, qu’élabore patiemment Christian Marclay depuis une trentaine d’années procède de cette riche histoire des relations entre l’image et le son ; elle en marque, en même temps, une nouvelle étape. Par ses performances, ses installations, ses vidéos, ses collages, ses objets appropriés ou transformés, cet artiste américano-suisse, vivant et travaillant à New York, poursuit en effet, depuis la toute fin des années 1970, un travail sur la visibilité du son.
« On peut voir regarder, peut-on entendre écouter ? », interrogeait Duchamp. Le visiteur retrouve quelques morceaux de cette Griffiti Composition qu’ont interprétée Elliott Sharp ou Lee Ranaldo, marche le long de Manga Scroll et cherche à se souvenir de la musique qu’en ont tiré Joan La Barbara ou Phil Minton… Curieux, il se demandera de quelle manière Jacques Demierre interprétera Ephemera ou ce quelle suite donneront ce soir à To Be Continued Noël Akchoté, Julien Eil, John Butcher, Luc Müller et l’ensemBle baBel (ce qui sera l’occasion de réécouter Screen Play).
Faite dans un silence assourdissant, la lecture de ce beau catalogue – recouverte d’une jaquette perforée, l’édition anglaise l’est davantage encore que la française – promet des heures d’un toujours surprenant jeu de réappropriation et d’invention.
Christian Marclay
16 novembre 2022 – 27 février 2023
Catalogue d’exposition sous la direction de Jean-Pierre Criqui
Editions Centre Pompidou
Guillaume Belhomme [texte & photos] © Le son du grisli