Paul Hegarty: Noise / Music (Continuum - 2007)
Spécialiste de Georges Bataille et de Jean Baudrillard, mais aussi musicien et patron du label Dot Dot Dot Music, Paul Hegarty s’intéresse, en 200 pages, aux liens qui unissent bruit et musique. Une histoire ramassée, en quelque sorte, qu’introduit le refus d’admettre une définition satisfaisante du bruit : sur les ruines de la pensée nietzschéenne, parler de dissonance, de perceptions de différentes natures selon les cultures, avancer que bruit et bruits ne font pas un seul et même sujet, révéler les relations du bruit à la société, au son, enfin, à la musique, avant de finir par se demander : le bruit, en musique, serait-ce ce qui dérange ?
Lors de ses recherches, Hegarty est forcément tombé sur l’ouvrage de Jacques Attali : Bruits, petit abrégé de musicologie dérangée, et, au final, brouillon lui-même d’étude convaincante, simple fascicule composé pour l’essentiel de banalités et imprimé pour faire croire au monde que l’auteur s’y connaît aussi en musique. Là, donc, le point noir de l’ouvrage : Hegarty revenant souvent à sa lecture, ne pouvant se départir d’une autorité qu’il juge évidente simplement parce qu’elle l’a précédé sur le sujet.
Plus convaincant : l’historique fulgurant d’un parcours musico-bruitiste démarrant avec le vingtième siècle, qui refuse l’étude musicologique pointilleuse au profit d’une présentation efficace des grandes figures du domaine : pensée futuriste de Marinetti et Russolo née de la société industrielle mise en place peu avant eux ; technologies et arts accélérateurs d’expériences – Artaud et Schaeffer à la radio, Dubuffet et son art sonore brut – ; jazz que le bop transformera en art d’avant-garde, bientôt rattrapé par le Free Jazz d’Ornette Coleman, l’Ascension de Coltrane, et puis l’improvisation chère à Derek Bailey ; l’électricité porteuse d’une autre forme de troubles (Hendrix, Cream, Zappa) ; nouvelles possibilités du travail en studio – qu’on aurait quand même bien fait de mettre en parallèle avec l’usage répandu des drogues – et élaboration d’un rock qui progresse aux rythmes de ses expériences (Beatles, King Crimson, Henry Cow) ; bruit et ravage punk, bruit et musique industrielle, bruit et fureur imposante (Laïbach, Ministry, Public Enemy) ; scène japonaise outrepassant tous les droits depuis les années 1970 (de Masayuki Takayanagi à Keiji Haino et Merzbow, maître en la matière auquel l’auteur consacre un chapitre entier) ; art sonore, et puis copiés-collés, expérimentations électroniques et usages étranges des tourne-disques. Le tour a ainsi été fait, rapide, presque complet (Sonic Youth et My Bloody Valentine à la trappe), qui aura mis en vis-à-vis d’un bout à l’autre de l’ouvrage le bruit qui dérange et la preuve donnée par John Cage – 4’33’’, qui redira toujours que le silence n’est jamais tout à fait silence. Restait aux musiciens évoqués dans Noise / Music de faire des conclusions de cette expérience un prétexte à prendre de multiples tangentes. A Hegarty d’en ramasser les expériences, et des les résumer en vulgarisateur compétent.
Paul Hegarty - Noise / Music, A History - 2007 - Continuum Books.