Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Marc Ribot
A l’occasion de la parution du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
Ce disque en particulier symbolise plusieurs moments, en un, dans mon histoire. D'abord le jeu de Ribot prend de la maturité je trouve dans ce solo, seul en scène, mais dans une scène qui serait sa propre vie. Il l'était déjà dix ans avant : rutilant, orgiaque, démoniaque chez Tom Waits, mais avec encore un peu de théâtre (tout à fait de mise dans le contexte), là c'est un miroir, celui des petits matins moins radieux, aussi.
Quelque chose d'essentiel arrive du fond, de la cave, du ventre, une sorte de mise au point de la quarantaine aussi, un premier bilan. Il y a une évidence dans son jeu, le choix de la guitare (de ces guitares à caisse bas de gamme, un peu locale, qu'on trouve ici ou là dans le fond d'une brocante, à peine dépoussiérée), qui s'accorde bien sûr au répertoire (Ayler, Haden, Billie Holliday, Fats Waller). Lorsque j'ai entendu ce disque, j'étais encore en plein jazz français, très mal à l'aise, me sentant absolument pas à ma place, pas par mépris ni rien, mais il me manquait beaucoup de choses (à réaliser, mais aussi comme restreint, empêché dans mes mouvements encore).
En rencontrant Ribot, puis en cherchant à enregistrer avec lui j'ai à la fois ouvert ma propre histoire (celle sur laquelle je suis encore), et commencé le début des problèmes avec ces milieux (de l'histoire ancienne maintenant). Je me souviens qu'en étant très enthousiaste de ce solo, j'ai fais face à des mines nettement moins emballées par un tel jeu, qui devait leur paraître maladroit, rugueux, fautif, voire honteux. Quand j'entend ce disque je repense à tout cela, et le disque n'a pas bougé je trouve, toujours aussi entier, majestueux, vrai. Noël Akchoté
J'ai acheté ma guitare Framus modèle Television parce que Ribot jouait sur une Framus similaire et que le son qu'il avait me plaisait foutrement. Ce son jazz, rugueux qui était le sien, déjà entendu chez Bashung et Tom Waits avant bien sûr.
Ses versions sont bouleversantes, elles évoquent cet inconscient de la culture américaine, ses refoulés, ses traverses, ses marges : Kerouac, Miller, Ellroy, Faulkner... son cinéma : Cassavetes, Jarmush, Frank, Ray... la musique des fifties/sixties sans doute aussi mais que je connais mal. « Don't Blame Me » aurait pu être la b.o de ce cinéma new yorkais.
Je me rappelle avoir écouté « Lust Corner » sur lequel tu jouais avec Chadbourne et Ribot. Je préfère d'ailleurs les duos avec Ribot, le jeu y est plus lent, plus à l'écoute de l'autre, à l'exception d' « Extension » comme un lâché prise, foutoir saturé. Mais les reprises de Coleman rentrent dans les tripes, foutent un sacré blues. Quand Ribot est invité à poser sa guitare sur un album, on le reconnaît direct, c'est signé, ses mélodies bancales, légèrement fausses, on y entend vraiment l'humain derrière et pas seulement un technicien habile. Michel Henritzi