Akchoté / Henritzi : Pour et Contre > Nina Garcia
A l’occasion de la parution du livre Guitare Conversation de Noël Akchoté et Philippe Robert, le son du grisli ressuscite le temps d’une autre conversation : celle à laquelle se sont livrés Michel Henritzi et le même Akchoté, qui compose au fil des impressions une discographie de la guitare jazz faite d’une vingtaine de références. Dix ont été choisies par Henritzi, dix autres par Akchoté, auxquelles réagissent ensuite l’un et l’autre. En introduction de ce long échange – que vous retrouverez compilé à cette adresse au son du grisli –, Noël Akchoté explique...
Ça j'adore, c'est vraiment tout ce qui me donne envie de continuer, je l'ai découverte il y a quelques mois, j'y revient régulièrement. Je trouve tellement admirable et d'une telle maturité, distance, sur l'instrument, franchement à cet âge j'étais incapable de savoir jouer cette musique ainsi, et surtout bien plus flou sur quoi jouer.
C'est un solo qui me fait un peu penser, dans sa forme, au Classic Guide to Strategy de John Zorn (1983), où il a l'aplomb et l'affront, de venir se poser là, toute la panoplie en main, avec une maîtrise au delà de l'imaginable, et plante en un disque le catalogue complet du saxophone (lui), différent d'Evan Parker à Braxton, en passant par tous, t'en veux, y'en a, voilà, paf.
J'ai entendu ici où là quelques réserves à mon embrasement total sur ce solo de Nina Garcia, je me demande si ça ne confinerait pas à de la jalousie, tout bêtement (c'est ballot). Franchement, la gamine (pardon, rires), mieux tu peux pas faire, et ça me fait retraverser tout un pan (presque un demi siècle de guitare de travers), de cet instrument comme jamais j'y aurai même pensé.
C'est ce solo que j'ai entendu en premier, puis j'ai été voir (entendre), d'autres choses, et à chaque fois c'est magistral, je trouve (le duo avec Sophie Agnel est magnifique, des soli, d'autres collaborations, jamais entendu rien en dessous de l'ensemble). Elle fait aussi partie (je n'en sais rien, mais pour moi), d'une nouvelle génération de musiciennes et musiciens que je commence à croiser ici et là, qui ont souvent des parcours très solides (musique classique contemporaine s'intéressant à autre chose plutôt que l'inverse), et qui me semblent à écrire enfin la suite (ça commençait à tarder, le mou). Six étoiles sur Cinq. Noël Akchoté
Ca fait plaisir ton enthousiasme vis à vis de Nina. Qui me semble aussi plus que mérité, elle s'approprie la guitare en aveugle mais pas en mal entendante, oreilles ouvertes sur l'intime de son instrument, en aveugle parce qu'elle se lance frontale sans regarder ce qui se joue autour d'elle,
sans se laisser impressionner par l'Histoire, des guitares de noise on ne les compte plus.
Je trouve son geste lié à ceux de la sculpture, elle sculpte littéralement le son qui sort de son ampli (toujours frontal), son burin c'est son médiator ou une vis fileté avec lesquels elle attaque sa matière, à chaque fois une idée ou une intuition, pas sure qu'elle soit une improvisatrice, mais oui ou non c'est sans importance, ça sonne comme personne, elle fait avancer le jeu avec une économie de la pauvreté (elle n'a pas 15 pédales au sol).
Jaloux, on peut l'être, mais c'est con, là où il faudrait plutôt s'en inspirer, s'en réjouir, oui Nina bouscule les vieilles scènes de l'impro, un truc neuf c'est rare et bouleversant. Elle a crée sa scène dans la scène, la piste de danse ou de tauromachie, ce face à face avec l'ampli, jeux de miroirs qui se répondent inversés, et le visuel est une part de sa musique, on entend différemment à travers le regard, le geste est déjà musical, Fluxus nous l'apprit avec ses Danger Music. Je suis curieux de ce qu'elle fera après ce premier album, je l'imagine mal refaire la même chose, elle me semble plus exigeante que beaucoup, je suis sure qu'elle va encore nous surprendre. Michel Henritzi