Urs Leimgruber : Air Vol. 1 & 2
« Ça va pas dans le monde, pas bien, c’est horrible ! » Le constat est de Joëlle Léandre, qui improvise sept fois avec Urs Leimgruber sur le second volume d’Air, collections de duos enregistrés entre 2022 et 2023 à Lucerne. Le saxophone approche la contrebasse avec une prudence qui ne s’interdit pas l’expression franche – sur la sixième pièce, les aigus ne fondent-ils pas sur l’archet comme pour s’en emparer ? « Ça va pas dans le monde, pas bien… » Alors jouons.
Sur les deux autres disques d’Air Vol.2, Leimgruber rencontre Maya Mayas et Dorothea Schürch. Avec la pianiste, il dépose des souffles sur le frétillement de cordes pincées ou des nappes qu’une guitare électrique – saturation aidant – aurait pu tisser aussi. Du rapprochement de cordes étouffées et d’aigus en perte de vitesse peut alors naître une berceuse qui fera le lien avec le duo Leimgruber / Schürch. La voix perce sur un remuage de clefs, la scie musicale aide à l’extension de notes longues que perturberont bientôt des inventions plus fiévreuses. Les unes comme les autres respectant sans faillir un seul et même équilibre.
Un peu plus tôt, dans le vestiaire des garçons, Urs Leimgruber avait envisagé avec d’autres camarades les enregistrements d’Air Vol. 1 : quatre disques pour autant de camarades. Derrière la batterie, Gerry Hemingway fait d’abord œuvre de discrétions avant de rompre avec le saxophoniste, de le battre et de le faire voler. Refuge alors auprès du piano de Hans Peter Pfammatter, qui va et vient entre deux notes pour installer une formidable rumeur sur laquelle le soprano tourne à loisir ; retrouvailles avec Jacques Demierre ensuite, qui pince, frappe, gratte… pour mettre au jour toutes les couleurs que dissimulait son grand piano.
De la jeune association LDL – Leimgruber / Demierre / Lehn (disque In the Endless Wind) – reste Thomas Lehn, qui démontre sur six improvisations en compagnie du sopraniste qu’eau et électricité peuvent faire bon ménage. Par temps clair, le duo élabore des constructions flottantes dont le chant révélerait la structure glacée. Le contraste est saisissant avec le constat de Léandre : « Ça va pas dans le monde… » C’est peut-être qu’Urs Leimgruber et ses partenaires, quand ils jouent ensemble, n’y sont pas tout à fait.
Guillaume Belhomme © le son du grisli zombie 2024