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Le son du grisli

8 octobre 2018

Festival Musica 2018 : Strasbourg, du 19 septembre au 6 octobre

 Musica Pierre Durr son du grisli

A l'occasion de la parution aux éditions Lenka lente du troisième et dernier volume d'Agitation Fritele son du grisli publiera, deux semaines durant, des chroniques de disques signés de musiciens français interrogés ou évoqués par Philippe Robert dans son anthologie de l'underground français. Aujourd'hui, compte-rendu de la dernière édition du festival Musica par Pierre Durr (Intra Musiques), lui-même interviewé dans le troisième tome d'Agitation Frite

Musica a clôturé le samedi soir du 6 octobre sa 36e édition avec les Bootleg Beatles, un des concerts répondant à la thématique du cinquantenaire de 1968, un des axes de l’édition ce cette année. La vidéo, due à André Barreau faite de zapping d’images des sixties (politiques, sociétales, musicales) était intéressante. Mais on se pose la question du choix d’une formation qui s’affiche comme des clones des Beatles, jusqu’à reproduire l’attitude, les tics, l’allure des Fab Four à travers la décennie. La musique cherchait à reproduire, à la note, près celle des pièces originales (qui, au départ, devaient surtout évoquer le double album blanc, dont seuls huit titres auront été retenus) piochant dans leur répertoire de 1963 à 1969). L’interprétation de pièces que les Beatles eux-mêmes n’avaient jamais jouées en public a été rendue possible par l’accompagnement de l’orchestre de l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg-HEAR, sous la direction de Corinna Niemeyer. Si l’on peut louer le travail de ces étudiants, quoique parfois sonorisé trop discrètement, les Bootleg Beatles me laissèrent malgré tout une impression de malaise. Se prenaient-ils vraiment pour les Beatles ? Au final, j’aurais préféré une prestation qui s’approprie et retravaille le répertoire du groupe, à la manière de la pianiste Aki Takahashi, qui, au tournant des années 1980 / 1990 en avait proposé des relectures, réarrangées par John Cage, Alvin Curran, Alvin Lucier, Toru Takemitsu, Carl Stone, Frederic RzewskiJames Tenney, Kaija Saariaho… ou B for Bang, cette formation, plus récente, initiée par David Chalmin, au sein de laquelle officient entre autres Katia Labèque et Massimo Pupillo !)…

Zappa2

Cette thématique « soixantehuitarde » était bien sûr illustrée au début du festival par l’œuvre de Zappa, à travers un film, Eat That Question, la reprise de Dupree’s Paradise (quoique datant du début des années 1980) par les étudiants de l’ensemble de musique contemporaine de l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg-HEAR, et surtout par le spectacle initié par Antoine Gindt reprenant le propos de 200 Motels: The Suites et mettant en scène l’Orchestre philharmonique de StrasbourgLes Percussions de Strasbourg, l’ensemble vocal Les Métaboles et le groupe rock HeadShakers. Spectacle délirant, haut en couleurs, iconoclaste, souvent osé, en tout cas hilarant et vivfiant !

Cosmos 1969, initié par Thierry Balasse (auquel on doit déjà La face cachée de la lune et Messe pour le temps présent), participait de la célébration de ces années, à travers la mission Apollo 11 et le premier homme sur la Lune. Interprétation d’œuvres de Pink Floyd (Astronomy Domine, Set the Control for the Heart of the Sun, Echoes), de David Bowie (Space Oddity), de King Crimson (Epitaph), des Beatles (Because) et de Henry Purcell (O Solitude) avec des intermèdes de Thierry Balasse, l'ensemble était sympathique, parfois prenant. Un moment certes agréable, plutôt nostalgique pour qui a eu l’occasion de voir sur scène ces formations à l’aube des années 1970. On saluera surtout la prestation de Fanny Austry, funambule en apesanteur. Le second spectacle proposé par Thierry Balasse, Le voyage supersonique, m’apparaissait par contre très léger, en-deçà des attentes. Il est vrai qu’il était avant tout conçu comme spectacle pour les (très jeunes) scolaires. 

BalasseVoyageSupersonique

Certaines soirées, plus concertantes, au sens commun du terme, incluaient dans la programmation des œuvres jouées par les orchestres, des compositions se revendiquant aussi de cette thématique : Sinfonia de Berio, interprétée par l’Orchestre National des Pays de la Loire et les Neue Vocalsolisten Stuttgart, voire La Fabricca Illuminata de Nono, incluse dans le spectacle Homo Instrumentalis mis en scène par Romain Bischoff (spectacle incluant Ode to man,  en deux volets, de Yannis Kyriadides et Machinations de Georges Aperghis). Musica, c’est toutefois aussi un aspect de la création la plus contemporaine, parfois associée à des pièces du répertoire contemporain déjà reconnues, tout au long des trente-quatre représentations proposées par le festival.

Dans les pièces pour orchestre, j’ai particulièrement été séduit par Fiori di Fiori une composition de Francesco Filidei, proposant un travail intéressant sur le son, cherchant entre autre à reproduire les sonorités d’un orgue d’église, les effets de souffle des archets dans l’air, qui faisaient penser à des vols de papillon (tel Papilio Noblei du Rank Ensemble, paru chez Leo Records en 2014, voire Lépidoptères d’Adkins/Hron sur Empreintes Digitales). De même, associé à l’interprétation du Sacre du Printemps de Stravinski et San Francisco Polyphony de LigetiFollow Me, concerto pour violon et orchestre (en création française) du compositeur tchèque Ondrej Adámek, fut un des sommets de cette édition de Musica : les notes distillées par la soliste, Isabelle Faust, progressivement reprises par les cordes puis par l’ensemble de l’orchestre, lequel prend peu à peu les rênes pour couvrir voire effacer peu à peu le violon soliste... Sublime !

DecoderEns1

Certaines propositions pour petits ensembles, qui usent souvent d’électronique, participèrent de ces créations intéressantes. Cela fut le cas de The Lips Cycles de Daniel D’Adamo présenté le vendredi 28 septembre. Un travail sur l’appréhension de la sonorité des lèvres, effets de bouche, souffle décliné, en cinq mouvements, avec la flûte, la voix bien sûr, mais aussi la harpe et l’alto, toujours assisté par l’ordinateur qui assurait aussi les transitions entre les parties. De même, la prestation, le 4 octobre, du Decoder Ensemble, formation d’Alexander Schubert, fut un moment intéressant, même si la première pièce, Acceptance (vidéo présentant une sorte de chemin de croix de la narratrice dans un paysage calédonien sur un environnement sonore), en création, laissa dubitatif certains spectateurs. Les autres pièces, plus « musicales » séduisirent davantage avec leur mélange de techno, de free, d’électronique, en particulier f1 avec son « Bunny », lapin déjanté, à la fois présent dans la vidéo puis sur scène.

TaleaEns

On retiendra aussi la prestation, le 25 septembre, du Talea Ensemble (dont certains membres apparaissent régulièrement sur certains enregistrements de John Zorn ou plus généralement du label Tzadik, tel le pianiste Stephen Gosling). Leur « Sideshow » conçu par Steven Kazuo Takasugi fut décoiffant par leur attitude, leur mimique, leur jeu de pantin pour une musique faite, d’effets, de gazouillis, de vociférations, inspirée par les attractions foraines grotesques de Coney Island au début du XXe siècle. Quoique plus ancien, un autre moment fort de l’édition 2018 de Musica fut la prestation des Métaboles, avec leur appropriation d'Io, frammento da Prometeo (1981) de Luigi Nono. Le chant des choristes, ponctué discrètement par une flûte et une clarinette, et assisté par l’électronique en temps réel, fut hypnotique, saisissant, usant pleinement de l’acoustique de l’église St Paul. Enfin, proposé par l’ensemble Le Balcon, sous la direction de Maxime Pascal, en cette même église St Paul (et son parvis), le spectacle totalement hallucinant de Luzifers Abschied, scène finale de Samstag aus Licht de Stockhausen : des choristes / moines déambulant en sabot, avec d’autres moines / trombonistes, pratiquant une sorte de cérémonie initiatique ou de messe noire, un corbeau en cage qui, à la fin, sur le parvis, prendra son envol, alors que chaque moine jettera tour à tour une noix de coco, pour en distribuer les brisures aux spectateurs / initiés !

LuziferStockhausen

Il y eut certes d’autres moments intéressants, en particulier dans les diverses propositions des élèves en composition au sein de la HEAR ou du Conservatoire National de Strasbourg, mais, à mon avis, pas particulièrement marquants. Le travail réalisé, le 6 octobre, avec le soutien d’une cinquantaine de collégiens, par Les Percussions de Strasbourg, sur une proposition de Franck Tortiller (et sa formation), Isokrony 2, témoigne aussi de cette volonté des acteurs du festival d’inclure la future relève par un travail pédagogique soutenu. Je pourrais aussi citer la création de Wolfgang Mitterer, Rolling Clusters à l’orgue, dynamique, époustouflante, bouillonnante... voire, les musiques composées pour deux films : Au bonheur des dames par l’Accroche-Note, The Unknown de Tod Browning par François Narboni. Quoique ne relevant pas vraiment de mon univers sonore actuel, la prestation de Marquis de Sade, le 23 septembre, fut intéressante. J’avais eu l’occasion de les entendre en 1981 au festival des Musiques de Traverses de Reims, tout juste avant la prestation de Massacre, autrement plus détonnant…

Pierre Durr © Le son du grisli

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