Louis-Michel Marion : 5 strophes (Kadima, 2014)
Louis-Michel Marion a pris des leçons de contrebasse auprès de Jean-François Jenny-Clark avant d’en apprendre encore en compagnie de Vinko Globokar, Joe McPhee, Paul Rogers, Keith Rowe… Seul, c’est en poète forcené qu’il compose 5 strophes.
Sous l’influence revendiquée de Léandre, Phillips et Goldstein (pour ce qui est des archets), mais avec caractère. Ainsi, canalise-t-il aux doigts une imagination débordante (Deserts of Vast Eternity) quand il n’élève pas à l’archet harmoniques et autres chants parallèles pour parer ou étendre les motifs sur lesquels il insiste avec endurance. Si les strophes sont au nombre de cinq, combien y trouvent-on de nobles variations ?
Louis-Michel Marion : 5 Strophes (Kadima / Souffle Continu)
CD : 01/ Askings 02/ First Steps 03/ Who Talks 04/ The Deep Motion 05/ Deserts of Vast Eternity
Rec : octobre 2012. Edition : 2014.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ramuntcho Matta : Météorismes (SometimeStudio, 2014)
Pas celle de n’importe quel Ramuntcho, la carrière de Ramuntcho Matta. Collaborer avec John Cage, Don Cherry, Rhys Chatham… ne l’empêchant nullement de tutoyer Elli Medeiros.
On retrouve d’ailleurs ce je-ne-sais-quoi de Medeiros / Mikado dans les chansons enregistrées au dictaphone de Météorismes. Oui mais pas seulement. Ce vinyle est un fourre-tout baroque et stimulant : une ballade à la Barouh, des collages à la Tazartès, des intonations Areski / Higelin, de la variété italienne à grosse basse, de la musique d’ascenseur en panne… Météorismes, c’est en somme une pop déglinguée qui distribue de grands moments de poésie. Comme les nombreux artistes qui l’inspirent, Matta est « tordu sur les bords, avec beaucoup de bords ».
Ramuntcho Matta : Météorismes (SometimeStudio / Souffle Continu)
Edition : 2014.
LP : A1/ 1+1=3 A2/ Tu es A3/ Elle et lui A4/ La flamme A5/ Inside My A6/ Elastique – B1/ Antonio B2/ Marabout B3/ Eleonore B4/ Sur les bords B5/ Somebody Special
Pierre Cécile © Le son du grisli
Bill Nace, Steve Baczkowski : I Can Repay You (Open Mouth, 2014)
En maîtrisant un feedback, Bill Nace entamait ce 11 juin 2014 un nouvel échange avec Steve Baczkowski : I Can Repay You, soit cinquante exemplaires d’un vinyle vendu exclusivement les soirs de concerts.
De la ligne longue du feedback en question, le duo fait un fil rouge : l’épaississant, Baczkowski facilite l’équilibre de Nace, avant de l’agiter ; frappant sur les micros de son instrument, le guitariste provoque alors une bruyante opposition que l’ampli finira quand même par avaler. En seconde face, les bruits sont plus terribles encore, élevés sur une boucle aux grands airs de sirène : renversé (comme la pochette du disque expose à l’envers aussi bien qu’à l’endroit le beau cliché de Peter Ganushkin), l’ampli crache maintenant quand le saxophone exulte : l’exposé de tremblante est brillant, son harmonie stupéfiante.
Bill Nace, Steve Baczkowski : I Can Repay You (Open Mouth)
Enregistrement : 11 juin 2014. Edition : 2014.
LP : A-B/ I Can Repay You
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Noël Akchoté : Gesualdo. Madrigals for Five Guitars (Blue Chopsticks, 2014)
Noël Akchoté est toujours là où on ne l’attend pas (ou plus). Hier il croisait sa guitare avec celles de Derek Bailey, Fred Frith, Eugene Chadbourne, Marc Ribot, ou la confrontait à l’inspiration de Luc Ferrari, Günter Müller, etc. Aujourd’hui, il la met au service des motets de Guillaume de Machaut ou des madrigaux de Monteverdi. Parce que, une chose : l’univers d’Akchoté est baroque, presque autant que la musique qu’il interprète sur Gesualdo.
Donc fini Sonny Sharrock, c’est le répertoire de Carlo Gesualdo da Venosa (1566-1613) qu’il reprend maintenant à la six cordes, plus précisément son Quinto libro dei madrigali a cinque voci. Par le passé, les voix de l’Hilliard Ensemble s'y sont collées pour ECM ; ici, ce seront cinq guitares, tenues par Akchoté, Adam Levy, Doug Wamble, David Grubbs (seigneur et maître de Blue Chopsticks) & Julien Desprez.
Donc aussi exit les paroles, alors concentrons-nous sur ces pièces « ligne claire » pour sopranos, alto, ténor et basse. Leur douce mélancolie, courtoise et disons même presqu’urbaine, est d’une efficacité inaltérable – c’est aussi pourquoi je prescrirais leur absorption par micropilules (après tout, les téléchargements à l’unité, Akchoté s’en est fait le champion !). Si l'on respecte la posologie, les premiers effets se feront rapidement sentir.
Noël Akchoté : Gesualdo. Madrigals for Five Guitars (Blue Chopsticks)
Edition : 2014.
CD / DL : Gesualdo. Madrigals for Five Guitars
Pierre Cécile © Le son du grisli
Oren Ambarchi, Eli Keszler : Alps (Dancing Wayang, 2014)
Avec le soin qu’on lui connaît, le label Dancing Wayang – dans son catalogue, déjà deux duos recommandables : Okkyung Lee / Phil Minton et John Edwards / Chris Corsano – a enveloppé Alps, vinyle lourd qui retient deux improvisations enregistrées le 26 juin 2013 par Oren Ambarchi et Eli Keszler.
Le premier est à la guitare électrique et aux cymbales, le second à la batterie, aux percussions, aux crotales et aux cymbales aussi. Celles-là tournent forcément : sous l’archet, leurs sifflements de cristal accordent même les musiciens avant qu’ils ne s’expriment plus âprement. Quittant la rumeur (pour y revenir un peu plus tard), c’est alors Keszler qui crible sa batterie de coups secs et rapides, obligeant Ambarchi à intensifier ses plaintes persévérantes.
En seconde face, le guitariste prendra, sinon sa revanche, au moins le dessus : n’est-ce pas lui qui, le long d’un possible hommage à son camarade Keiji Haino, manie la saturation psychédélique qui presse la frappe de Keszler ? Deux fois convaincant, le duo se sera donc montré volontaire après avoir été plus subtilement turbulent.
Oren Ambarchi, Eli Keszler : Alps (Dancing Wayang)
Enregistrement : 26 Juin 2013. Edition : 2014.
LP : A/ Alps I B/ Alps II
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Thomas Ankersmit : Figueroa Terrace (Touch)
On ne sait pas très bien où veulent nous attirer le Serge analogue modular synthesizers customisé et les micro-contacts de Thomas Ankersmit mais, pour connaître le Monsieur, on fait confiance et on écoute. DATA affolé, aigus multiformes (du clic, du larsen...) avant l’arrivée de grosses basses nous disent à chaque instant qu’on devra recommencer (et sans doute recommencer encore) le voyage avant de reconnaître les paysages vus de la Figueroa Terrace.
Mais le voyage surprend d’autant, et sa conclusion nous convainc qu’en effet on le refera… Après une demi-heure de projections sonores, c’est évident : Serge le synthé a de ces voix de sirènes auxquelles il est impossible de résister, allongées qu’elles sont sur un tapis de drones graves. Epatant !
Thomas Ankersmit : Figueroa Terrace (Touch / Metamkine)
Enregistrement : 2011-2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Figueroa Terrace
Pierre Cécile © Le son du grisli
Rank Ensemble : Papilio Noblei (Leo, 2014)
La résonance est amie, fondatrice. Elle s’installe en sous-sol au sein des glaises et des tourbes pour ne jamais s’évader. Dans ce havre de lenteur et de pénombre, la plus petite résonance est événement. La respiration résulte secrète, un râle de voix s’élève. Les mécaniques se dérèglent. Piano et harpe dorlotent de sombres rumeurs.
Sans effraction, Solmund Nystabakk (guitare, voix), Elena Kakaliagou (cor, voix), Saara Rautio (harpe, ukulélé) et James Andean (electronics, piano, flûte, mélodica) parcourent la large route des silences. Chaque particule de son soutient l’édifice. Chaque frôlement est tremblement d’âme. Un cor se présente à nous, des electronics réfléchissent leurs fines ondes, un mélodica module son souffle. Nous voici sous le charme. Et pour longtemps me semble-t-il.
Rank Ensemble
Papilio Noblei
Rank Ensemble : Papilio Noblei (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009-2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Janner 02/ The Promise 03/ Papilio Noblei 04/ My Lucky Star 05/ Huget 06/ Weitersfeld 07/ Revenge
Luc Bouquet © Le son du grisli
Ben Bennett, Jack Wright : Tangle (Public Eyesore, 2014)
Depuis quelques années partenaires réguliers (l’attestent Ohio Grimes and Misted Meanie et Wrest), Jack Wright (ici aux saxophones alto et soprano) et Ben Bennett (à la batterie et aux percussions) développaient récemment leurs recherches communes de sons si possible singuliers.
Pour ce faire, comme en atelier, le duo prend prudemment position avant de s’essayer à diverses combinaisons : les graves de l’alto traînant sur les rebonds étouffés de batterie, et c’est déjà la naissance d’une conversation. D’autant que Wright fait grand cas des propositions de son partenaire : ainsi rogne ou retourne-t-il quelques motifs soufflés en considérant les sinueux tapis de percussions que Bennett tisse sur l’instant. Au final, l’improvisation tient, qui confirme que la fréquentation de la jeunesse – hier déjà avec Bhob Rainey ou Matthew Sperry – profite à l’ouïe de Wright.
Ben Bennett, Jack Wright : Tangle (Public Eyesore)
Enregistrement : 2 juillet 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Embroiled 02/ Bogus Ferret 03/ You Itchy
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Dan Weiss : Fourteen (Pi, 2014)
Le labyrinthe compositionnel proposé par Dan Weiss n’est pas sans atouts. Il n’est pas sans ambition également. Aidé en cela par une quinzaine d’ami(e)s musiciens (Jacob Sacks, Thomas Morgan, David Binney, Judith Berkson, Katie Andrews, Matt Mitchell, Miles Okazaki…), le compositeur organise et imbrique blocs, riffs et cadences en autant de saynètes lissées entre-elles et dans lesquelles s’ébattent des voix féminines toujours envoûtantes.
Pour le batteur-compositeur-arrangeur, les sept parties de Fourteen prennent source autour d’axes rythmiques répétitifs. Cette base posée, Dan Weiss peut maintenant entrelacer les dizaines d’entrées qu’il a préalablement enregistrées. Ainsi vont se projeter et se révéler quelques moments forts et soyeux (le crescendo de la première partie en est un parfait exemple). Donc : ne pas s’étonner d’entendre drumming à épines, arpèges de guitare classique, piano solitaire, zeste de progressif, voix éthérées prendre plaisir à l’amalgame. Que mes vieux copains (humour !) de la M’Base Collective (auxquels les plus sourds n’hésiteront pas à rapprocher les deux entités) en prennent de la graine.
Dan Weiss : Fourteen (PI Recordings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Part One 02/ Part Two 03/ Part Three 04/ Part Four 05/ Part Five 06/ Part Six 07/ Part Seven
Luc Bouquet © Le son du grisli
Birgit Ulher, Gregory Büttner : Araripepipra (Hideous Replica, 2014)
Quatre ans après l’enregistrement de Tehricks, Birgit Ulher (trompette, radio, objets, speakers) et Gregory Büttner (ordinateur, objets, loudspeakers) se retrouvaient. Preuves données : huit courtes pièces électroacoustiques réunies sur Araripepipra.
Inutile de chercher les clefs du langage qu’Ulher et Büttner ont en commun dans les titres donnés aux pièces en question. Reste l’accord, désormais plus évident, sur lequel l’une et l’autre vont désormais : aux lignes électroniques fragiles de son partenaire, Ulher répond par une suite de sons élevés en trompette ou même retenus sur ses lèvres ; constructions, que Büttner remplit de bestioles chantantes ou fait tourner sur machine-outil. Comme hier, l’art est miniaturiste, et l’expression abstraite. Ce qu’Araripepipra signifie peut-être.
Birgit Ulher, Gregory Büttner : Araripepipra (Hideous Replica)
Enregistrement : 4 et 6 avril 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Araripepipra 02/ Chaco-Pekari 03/ Igopogo 04/ Quagga 05/ Kongamato 06/ Aye-Aye 07/ Tzuchinoko 08/ Kouprey
Guillaume Belhomme © Le son du grisli