New Atlantis Octet : Unto the Sun (Not Two, 2013)
L’octette dont il est ici question : une trompette (Roy Cambell), un trombone (Steve Swell), un saxophone alto (Aaron Martin), une guitare électrique (Edward Ricart), deux contrebasses (Jason Ajemian et Vattel Cherry) et deux batteries (Andrew Barker et Sam Lhoman). C’est dire si le rythme a son importance sur ces deux pièces improvisées en 2010 au Seizures Palace, studio de New York.
La guitare aussi (à l’origine de la formation du groupe). Qui multiplie les tissages schématiques (solos ascendants ou motifs hors-sujet) sur un free que l’on aurait voulu « collégial » davantage – et qui, souvent, ne fait que flotter. Restent la véhémence de l’improvisation, les inventions (presque toujours assurées) de Campbell et de Swell. Insuffisant toutefois : l’enregistrement restera un simple document dans l’œuvre des deux musiciens.
New Atlantis Octet : Unto the Sun (Not Two / Products from Poland)
Enregistrement : 1 juin 2010. Edition : 2013.
CD : 01/ Sekhmet 02/ Amaterasu
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Tony Malaby : Somos Agua (Clean Feed, 2014)
Agrippant le cri, l’enrobant d’une substance rauque et enrouée, le ténor de Tony Malaby plonge, comme à son habitude, dans une franche périphérie microtonale. De disque en disque, les convictions s’affichent. De concert en concert, les doutes se taisent. Mais il reste toujours – au ténor surtout – ces passages en roue libre et où se postent des lyrismes balbutiants : circonstances délicates dans lesquelles les accompagnateurs du saxophoniste jouent un rôle crucial de relance et de soutien.
Ici, ce sont William Parker et Nasheet Waits – le premier au jeu espacé, le second au drumming serré – qui se chargent de remettre Malaby dans le cercle. Cercle brûlant où se tordent les convulsions d’un ténor acéré et d’un soprano aux fortes senteurs de hautbois. Ainsi, d’une ligne que l’on imaginait claire et évolutive, l’instable pointe son nez. Et c’est, précisément, ce que l’on aime chez Malaby : sa facilité à enjamber les nombreux nids-de-poule passant à sa portée.
Tony Malaby’s Tamarindo : Somos Agua (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Mule Skinner 02/ Loretto 03/ Matik-Matik 04/ Can’t Find You 05/ Bitter Dream 06/ Little Head 07/ Somos Aqua
Luc Bouquet © Le son du grisli
Nurse With Wound, Aranos : Santoor Lena Bicycle (Tourette, 2013)
Il était temps que ça arrive et c’est arrivé : Santoor Lena Bicycle a été réédité. Ça, c’est la rencontre de Nurse With Wound et d’Aranos, la rencontre que l’on s’attendait plus à entendre, et encore moins à toucher. Alors voilà : haro sur le vinyle !
Sur les vinyles, pour être exact (puisqu’il y en a deux, pour qui pointille). Un brin de classique dans votre cocktail Nurse ? Aranos t’y mets des cordes, dans cette électro-indus bohémienne servie au chant par Screamin’ Jay… De quoi nous refaire, pour NWW, le coup de l’iconoclastie, et ce n’est que le début.
Car les restes (et les beaux restes) shakent un drone zen, un funk basse / guitare / batterie décalé, des loops de voix et des temple blocks vs violon qui puisent au blues pour fizzer noise. Et après ? Eh bien des tables volantes, dont un coin que je prends dans la sourcilière. Sous le choc, impossible d’en dire plus. Sauf qu’il faudrait être fou pour ne pas se jeter sur l’une des 500 rééditions de Santoor… A moins de vouloir attendre dix ans encore.
Nurse With Wound, Aranos : Santoor Lena Bicycle (Tourette)
Réédition : 2014.
2 LP : A1/ Sparking Cloud (Outing) A2/ Gongs + Wood A3/ Peak Of Purified Dream A4/ Dusty Bella –
B1/ Bathing In Air B2/ Two From Half's Be Cracked B3/ Marbles B4/ Sunset Belly Mother – C1/ Mary Jane C2/ Generally Regarded As Safe C3/ Knife Knows His Doing – D1/ Every Bower Builder Aims To Be A Polygamist
Pierre Cécile © Le son du grisli
Chris Abrahams, Burkhard Beins, Andrea Ermke : Tree (Musica Moderna, 2013)
Aux branches du Tree que forment Chris Abrahams, Burkhard Beins et Andrea Ermke, sont suspendues les percussions et objets du second : ce sont elles que l’on remarque d'abord sur ces deux titres enregistrés en 2011 à la Vivaldisaal de Berlin ; elles, parmi lesquelles Abrahams expérimente patiemment sur synthétiseur analogique quand Ermke distribue samples et field recordings. Et la forêt de percussions mène à une salle des machines que jouxte un jardin où paissent quelques bêtes à rumeurs.
Passé à l’harmonium – Beins au synthétiseur et à l’électronique –, Abrahams entame la seconde improvisation : c’est, vingt-cinq minutes durant, un bourdon passé en entonnoir qu’érodent en plus des enregistrements de terrain et qu’agressent l’activité humaine. Plus habile peut-être, la seconde improvisation l’emporte sur la première, par les façons qu’elle a de retoucher ses habitudes et de contredire nos attentes.
Chris Abrahams, Burkhard Beins, Andrea Ermke
Tree (extrait)
Tree : Tree (Musica Moderna)
Enregistrement : décembre 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ 32:22 02/ 25:48
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jean-Luc Petit : Matière des souffles (Improvising Beings, 2014)
Et au milieu de ces friches désertées – et néanmoins résonantes – s’élèvera le souffle de Jean-Luc Petit. Le voyage sera fait d’échos et d’éclats. Le souffle sera cuivré, anguleux, orageux, ombrageux. Les harmoniques ne seront pas de recours mais de nécessité. L’aigu sera poison mais la tendresse aura droit de cité. Les souffles seront comme des cailloux sorciers. Ils rechercheront la respiration originelle, la modulation ancestrale. Car Jean-Luc Petit est un musicien qui sait déployer et entretenir une idée. Le zapping n’est pas pour lui. L’inutile lui est étranger.
Son saxophone baryton est un astre d’affection et de miroirs. Sa clarinette contrebasse craquelle le grain à l’extrême. Elle slappe et s’emballe. Perçoit la nervosité et s’en délecte. Et ces friches désertées de devenir clairières de sons et de souffles. Larges sons, larges souffles.
Jean-Luc Petit
Le noir et le goudron
Jean-Luc Petit : matière des souffles (Improvising Beings)
Enregistrement : 2012-2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Abrasives incursions 02/ Vibratoires 03/ Le noir et le goudron 04/ La montagne se consume 05/ Autre cime, autre gisement
Luc Bouquet © Le son du grisli
Kim Gordon : Is It My Body? (Sternberg Press, 2014)
On sait la passion de l’art qui travaille Kim Gordon, comme son penchant pour l’écriture. Dans ses publications – presque œuvre critique –, Branden W. Joseph est allé fouiller. Sa sélection, publiée sous le nom Is It My Body?, fait cohabiter des textes de différentes natures : extraits d’intimes carnets de voyage (tournée avec The Swans et Happy Flowers en 1987), compte-rendu de concerts (Rhys Chatham, Glenn Branca..), propos d’esthétique et textes de réflexion.
Qu’elle chronique, rapporte – évoquant par exemple le malaise créé par la sortie de No New York, qui « réduisit » la No Wave à quatre groupes seulement – ou s’interroge (sur les clubs, le public, l’avant-garde et ses désillusions, la sexualité, le machisme…), Gordon décortique avec un naturel désarmant son environnement, c’est-à-dire l’art qui l’entoure. Et quand elle échange avec d’autres artistes qu’elle – Mike Kelley ou Jutta Koether – c’est l’occasion d’en apprendre davantage sur une bassiste qui, auprès de Lydia Lunch dans Harry Crews, apprit à se détacher un peu du groupe qui l’a fait connaître. Certes, deux grands livres sur Sonic Youth [1 & 2] ont paru récemment… Is It My Body? en est, mine de rien, un troisième.
Kim Gordon, Branden W. Joseph (ed.) : Is It My Body? Selected Texts (Sternberg Press / Les Presses du réel)
Edition : 2014.
Livre (anglais) : Is It My Body? Selected Texts
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
EMERGE, Don Vomp : Retention (Attenuation Circuit, 2014)
Certains font de la rétention d’eau, d’autres... d’instruments ! C’est en tout cas ce que nous prouve ce CD (tiré à trente copies) enregistré en concert en 2009 par EMERGE (qui sample en direct et a joué entre autres avec Kommissar Hjuler, If, Bwana, etc.) et Don Vomp (au violon électrique).
Attention, ne pas se l’imaginer « électrique », ce violon électrique… Car ce qu’on entend plutôt c’est de la déformation de timbre grâce au sample direct ou des loops de cordes en plus des drones qui courent en rond, des collages… Le tout sous une atmosphère mystérieuse qui conviendrait à la BO d’un film de série B (angoisse, suspense, surprise). Certes un peu long sur la fin, mais qui retient longtemps l’attention !
EMERGE, Don Vomp : Retention (Attenuation Circuit)
Edition : 2014.
CDR : 01/ Retention
Pierre Cécile © Le son du grisli
Tetuzi Akiyama, Jason Kahn, Toshimaru Nakamura : ihj/ftarri (Winds Measure, 2014) / Dotolim Live Series_01 (Dotolim, 2014)
Till We Meet Again (For 4 Ears, 2005) annonçait bien que Tetuzi Akiyama et Jason Kahn se retrouveraient un jour. Ce fut à Tokyo, (notamment) à l’occasion de deux concerts donnés les 18 août et 12 octobre 2012 – improvisations réunies sur disque par Winds Measure.
A L’International House of Japan (ihj) et Ftarri (ftarri), le duo n’avait pas Utah Kawasaki pour partenaire (Luwa, Ailack) mais Toshimaru Nakamura. Ainsi guitares et synthétiseur analogique étaient deux fois associés au no-input mixing board.
La première fois, une guitare folk glisse, arpège ou bruite, sur les expressions larvées d’expérimentateurs différents – les longues nappes de Kahn (qui fantasment parfois l’usage d’un violoncelle) contrastent en effet avec les trouvailles abrégées de Toshimaru – dont l’association réussira pourtant à emmêler le jeu de cordes lâches. La seconde fois, le trio s’accorde sur un retour d’ampli pour décider ensuite de cheminer en compagnons. Dans le nuage qu’ils soulèvent, beaucoup d’aigus : cordes hautes et tendues, sifflements et larsens de la machinerie. Deux façons, obligées peut-être par deux formes d’espace, de retourner un environnement avec un même énergie.
Tetuzi Akiyama, Jason Kahn, Toshimaru Nakamura
ftarri (extrait)
Tetuzi Akiyama, Jason Kahn, Toshimaru Nakamura : ihj/ftarri (Winds Measure)
Enregistrement : 18 août et 12 octobre 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Ihj 02/ ftarri
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Le 11 décembre 2010, Tetuzi Akiyama donnait un concert en compagnie de deux improvisateurs (souvent) remontés : Hong Chulki (platine) et Jin Sangtae (hard drives). De la rencontre d’une basse ronflante et d’aigus perçants naît une machinerie terrible que nourriront toutes les propositions du trio : grattements, sifflements, cordes pincées ou frappes et retours d’ampli : du chaos naîtra la nécessité d’entendre enfin les arpèges courts d’une guitare heureuse d’en avoir réchappé.
Hong Chulki, Tetuzi Akiyama, Jin Sangtae : Dotolim Live Series (Dotolim)
Enregistrement : 11 décembre 2010. Edition : 2014.
CD : 01/ Dotolim Live Series_01
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Anne Choquet : Foehn (Petit label, 2013)
Dans la solitude d’une chapelle romane du Tarn, Anne Choquet et ses flûtes à bec correspondent avec les éléments. Pour l’improvisatrice, minéral et végétal lancent un appel. Voici les bois, l’eau. Voici une flûte-trompe. Voici une flûte-geyser. Voici une flûte-gravure, voici une flûte-désir. Peu importent les brefs développements, à la lisère du catalogue, voici des voix qui se zèbrent, accueillent le salivaire avec gourmandise.
Et l’on imagine les vallées glacées, l’aube du dire et du jouer. Voici la flûte moustérienne et les flûtes d’Anne Choquet réunies. Sans doute pour nous dire que tout est commencement.
Anne Choquet : Foehn (petit label)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Profondeurs sous-marines 02/ Accord/désaccords 03/ Echos du bois : thème et variations 04/ Geysir 05/ Résonnance aquatique 06/ Dendrites 07/ Hverarönd 08/ Iceflute 09/ Réconciliation 10/ Blizzard 11/ Ballade au bord du la 12/ Deux haïkus en guise de coda
Luc Bouquet © Le son du grisli
Earl Cross, Muhammad Ali, Rashied Al Akbar, Idris Ackamoor : Ascent Of The Nether Creatures (NoBusiness, 2014)
Enregistré en concert aux Pays-Bas en 1980, le quartette que composèrent un jour Idris Ackamoor (saxophones alto et ténor), Earl Cross (trompette passée par les formations de Charles Tyler), Rashied Al Akbar (contrebasse entendue auprès de Louis Armfield) et Muhammad Ali (batterie), prouve qu’il était possible de prôner un autre revival que celui imposé par le code de commerce de l’époque.
En refusant de briller par le son – celui de l’enregistrement en question évoquant davantage Bird & Diz, sur Verve quand même, que les pompiers travaux de tous les Marsalis possibles – comme d’épater par le geste, pour en appeler aux permissions du premier free jazz (sans la frappe motivante d’Ali, le quartette aurait-il été le même ?) et à l’impétuosité du bop.
Sur une mélodie affable (Earl’s Tune, de Cross) ou une plage d’invention atmosphérique (Ascent of the Nether Creatures, d’Ackamoor, qui renverra l’auditeur à ses travaux hétéroclites, à la tête de The Pyramids ou compilés par EM Records), le quartette invente donc un revival inédit pour être fantasque, exubérant, au final : expressif.
Earl Cross, Muhammad Ali, Rashied Al Akbar, Idris Ackamoor
Ascent Of The Nether Creatures
Earl Cross, Muhammad Ali, Rashied Al Akbar, Idris Ackamoor : Ascent Of The Nether Creatures (NoBusiness)
Enregistrement : 12 juillet 1980. Edition : 2014.
LP : A1/ Earl’s Tune A2/ Ascent of the Nether Creatures – B1/ Ascent of the Nether Creatures (Continues) B2/ Evenings B3/ 4 for 1
Guillaume Belhomme © Le son du grisli