Scott Walker, Sunn O))) : Soused (4AD, 2014)
J’avoue que les hypothèses se bousculent quand je me questionne sur les raisons de telle collaboration (Scott Walker & Sunn O))) aujourd’hui comme avant eux Anthony Braxton & Wolf Eyes, Evan Parker & John Wiese, Mats Gustafsson & Merzbow, Arto Lindsay & Paal Nilssen-Love…). Peut-être la recherche de nouvelles expériences ou de nouveaux publics ? l’envie de briser le quotidien discographique ?... Les peut-être sont légion alors je finis par me poser l’unique question qui vaille : la sauce prend-elle ou non ?
Même si l’on savait depuis Pola X que Walker Scott était capable de chanter dans le bruit, on n’osait imaginer l’ex-idole des sixties scotché à un ampli crachant du drone doom. Et pourtant, avec son fidèle Peter Walsh, le voici frayant avec Stephen O’Malley, Greg Anderson et TOS Nieuwenhuizen et ce, sans rien changer à son lyrisme habituel – ce qui est d’ailleurs tout à son honneur.
Sur quatre titres de sa composition, le voilà dans la pénombre déguisé en Cassandre qui clame ses textes sur de grosses guitares sans cesse frôlées par des corneilles que le groupe a lâchées en studio. Alors alors alors, quoi penser de Scott O))) ? Surprenant bien sûr, alternant des minutes d’équilibre et des couplets ampoulés, mais mais mais quand Herod 2014 passe sous le laser de la platine, aucune équivoque : c’est le simple auditeur que je suis qui se retrouve scotché à l’enceinte. J’avoue que Mathilde (autres temps, autres mœurs) m’avait fait moins d’effet…
Scott Walker, Sunn O))) : Soused (4AD / Souffle Continu)
Edition : 2014.
CD / 2 LP : 01/ Brando 02/ Herod 2014 03/ Bull 04/ Lullaby
Pierre Cécile © Le son du grisli
Piiptsjilling : Moarntiids (Midira, 2014)
Ce serait mentir que de dire que l’usage du Flamand n’a pas freiné (d’un grand coup) l’enthousiasme qu’aurait pu faire naître en moi la découverte (même si Moarntiids est la troisième production du groupe) du Piiptsjilling de Mariska Baars (qui signe la belle peinture de la pochette), Jan & Romke Kleefstra et Rutger Zuydervelt (plus connu sous le nom générique de Machinefabriek).
Mettant en musique la poésie de Jan Kleefstra, le trio en adopte (semble-t-il) les codes : la traduction des textes qui ont inspiré les quatre morceaux du CD parlent (merci au digipack pour la traduction) de murmure, d’endormissement, d’ombres et de reflets de lumière dans l’eau… C’est dire que la musique de Machinefabrik aurait pu convenir au projet, mais en choisissant Piiptsjilling pour s'atteler au projet, c’est peut-être autre chose qui en sort. Guitares électriques avec un peu de delay, ce qu’il faut d’électronique et des voix fantomatiques (en plus de celle qui récite) concoctent une pop atmosphérique matinée, un krautrock planant, une americana d'Amsterdam nouvelle… Passée la surprise du premier titre, tout ça est assez convaincant !
Piiptsjilling
Moarntiids (extraits)
Piiptsjilling : Moarntiids (Midira)
Edition : 2014.
01/ Flinter Djippe See 02/ Kobbeswerk 03/ Slykklauwers 04/ Sûnder Wyn Nea Itselde
Pierre Cécile © Le son du grisli
Rasmus Borg, Henrik Munkeby Nørstebø : 120112 (Edition Wandelweiser)
Il m’arrive de rêver. Et alors je rêve d’instruments de musique qui n’existent pas. Ou qui n’existent plus, qui sait ?, peut-être ont-ils existé un jour ? Lorsque je ne rêve pas, je passe des disques, et sur ces disques les instruments dont je rêve ne figurent jamais. Impossible d’entendre mes chimères. Jusqu’à ce que 120112, qui n’est qu’une date parmi d’autres, m’explique qu’un instrument dont on rêve, un instrument-chimère, peut-être la somme de deux instruments qui existent.
Le piano et le trombone, par exemple. Rasmus Borg (le piano) et Henrik Munkeby Nørstebø (le trombone) jouent chez moi, et je n’entends ni l’un ni l’autre instrument. Un orgue à leur place éprouve des difficultés à maintenir la note, et cet orgue est le trombone. Un écho reprend les notes du trombone et les déplace plus après sur la partition, et c’est le piano. Ce jour (120112) passé par Borg et Nørstebø en Norvège, mais où en Norvège ?, je l’ai fait sonner avant eux. Mais je leur suis reconnaissant de me permettre maintenant de l’entendre à ma guise.
Rasmus Borg, Henrik Munkeby Nørstebø : 120112 (Edition Wandelweiser)
Enregistrement : 12 janvier 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ 120112a 02/ 120112b 03/ 120112c
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Michael Muennich : Schamproressionen (Tapeworm, 2014) Tom Smith / Daniel Muennich : In Medias Res (Noise-Below, 2014)
Les statuts de la Fragment Factory n’interdisent en rien à son PDG, Michael Muennich, de jouer de temps à autre pour la concurrence. Deux cassettes le prouvaient récemment : Schamproressionen et In Medias Res.
Sur la première (référence Tapeworm), Muennich tente, seul, d’étouffer un feu d’artifices. En résultent sifflements et chuintements avant qu’un exercice vocal ne balaie tout l’espace, qui interroge à propos des conséquences qu’a eu sur l’homme l’exécution de son curieux projet. Sur l’autre face, c’est une autre expérience que l’on imagine : Muennich ramant à contre-courant d’un torrent de noise. Deux fois, l’expérience sonore a commandé un théâtre d’abstraction maligne.
Sur la seconde (référence Noise-Below), Muennich n’apparaît qu’en seconde face au son d’on ne sait quel instrument – une machine à coudre ? un parapluie ? – qui mitraille afin d’attirer l’attention. Répétitif, inquiet et remonté, il contraste avec la ballade éthylique que Tom Smith (Boat Of, Pussy Galore…) donne à entendre en première face, sur la rumeur d’un orchestre étouffé (lui aussi). Ensemble, la ballade et la mitraille font œuvre, qui révèle d’autres facettes encore de l’art de Muennich.
Michael Muennich : Schamproressionen (Tapeworm)
Enregistrement : 2013-2014. Edition : 2014.
K7 : A-B/ Schamproressionen
Tom Smith / Michael Muennich : In Medias Res (Noise-Below)
Edition : 2014.
K7 : A/ Tom Smith : Bald B/ Michael Muennich : Ur-Ahnung
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Farmers by Nature : Love and Ghosts (AUM Fidelity, 2014)
A Marseille, le 27 juin 2011, le grabuge était en marche et ne ronronnait point. Gerald Cleaver absorbait l’espace, William Parker, parfait dans son rôle de coureur de fond, triturait la corde comme jamais. Et Craig Taborn accueillait avec bienveillance tous les cercles vicieux passant à sa portée. Et s’en remettait au jazz. Et n’oubliait pas le free des origines. Maintenant, le batteur resserrait l’étau. A mi-chemin les battements n’étaient plus de cœur mais d’âme. Les voiles se tendaient et la navigation devenait plus incertaine. Ça sentait le chavirage. Le nord se perdait et nos trois fermiers par nature se séparaient. Puis se retrouvaient au cœur des typhons : le grabuge n’était donc pas d’anecdote mais de nécessité.
A Besançon le lendemain, soit à 441 kilomètres de distance, la tendresse se portait large. Mais la dissonance pointait. Le pianiste refoulait ses caresses. Le drame avançait ses pions. La contrebasse fendait de noirs silences. Et le pianiste jouait à l’Arlésienne. Revenu d’entre les morts, ce dernier faisait rivage commun avec l’astre Parker. Ailleurs, des roulements de toms ouvraient la voie. Le ton était bas. Tous chuchotaient. Allaient-ils allumer de francs brasiers comme la veille ? Aujourd’hui le grabuge sera tout autre : ordonné, scellé, apaisant, presque jarrettien. Un riff se répétant fit s’ouvrir le cercle. Et, ainsi, revinrent chaos et fracas, frictions et courtoisies. Ainsi débutait l’été 2011 entre Marseille et Besançon.
Farmers by Nature
Seven Years In
Farmers by Nature
The Green City
Farmers by Nature : Love & Ghosts (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011/ Edition : 2014.
2 CD : CD1 : 01/ Love & Ghosts 02/ Without a Name 03/ Aquilo 04/ Seven Years 05/ Massalia – CD2 : 01/ The Green City 02/ Bisanz 03/ Comté 04/ Castle #2 05/ Les flâneurs
Luc Bouquet © Le son du grisli
Marc Baron : Hidden Tapes (Potlatch, 2014)
Faut-il toujours découvrir ce qui est caché ? On sait bien ce que les découvertes archéologiques doivent aux pilleurs... à peine engouffrés, voilà un trésor, or impossible de tout emporter, on en laisse derrière, on en laisse aux archéologues justement. Pour le cas de Marc Baron, il est le pilleur et le pillé.
Ses Hidden Tapes racontent son histoire, son archéologie. Des collages, des samples & des field recordings, le tonnerre qui retourne tout, et le silence bien entendu, tout va très vite. Entendons-nous, vraiment, quatorze années de bandes enregistrées, de voix qui traînent dans notre cour, d’oiseaux passés près de la maison, de bateaux en partance (pour Valparaiso, Athènes ou le port tout juste creusé de Bucarest ?), de techno étouffée par des coussins de plumes, d’amusements d’enfants ?
Mais cette maison est-elle « notre maison » ? Peut-elle l’être ? Ces collages peuvent-ils trouver le chemin de nos sensibilités alors que nous avons déjà tant à faire avec nos propres collages, nos propres souvenirs, nos propres déchets ? Peut-être y a-t-il trop d’intime dans ces Hidden Tapes pour qu’elles trouvent notre chemin, et donc notre maison.
Marc Baron : Hidden Tapes (Potlatch)
Edition : 2014.
CD : 01/ 1991-2005 02/ 2010-2012 03/ Interlude (Romania to Paris) 04/ 2013 – A Happy Summer with Children 05/ 1965-2013
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Angle : Premier Angle (Nueni, 2014)
Les airs de menace qu’ont les premières secondes de la collaboration de Jean-Philippe Gross avec Jean-Luc Guionnet – de cet Angle orienté sur composition de vingt-six minutes – sont trompeurs. Car l’enjeu semble être ici la concomitance (plus que la connivence) de l’électronique du premier et du saxophone alto du second.
Premier angle est ainsi fait de multiples séquences – division cellulaires, pourquoi pas – qu’il s’agit d’arranger en assemblage cohérent. Si elles sont marquées encore (entrée d’une note, slap, interruption soudaine d’un grésillement pourtant tenace relayé bientôt par un bourdonnement), les séquences en question se succèdent avec un équilibre stupéfiant. Ainsi, le duo s’accorde-t-il dans la controverse : l’électronique prise de tremblement poussant Guionnet dans un jeu de volte et de retournement quand l’alto giratoire décide Gross à revoir l’origine de ses troubles moteurs. Et lorsque le premier suit la piste que le second vient à peine de tracer devant lui, il ne s’agit plus seulement d’équilibre, mais d’un rare exemple d’à-propos musical.
Angle
Premier angle (extrait)
Angle : Premier Angle (Nueni / Souffle Continu)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Premier Angle
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Dave Phillips : Homo Animalis (Schlimpfluch Associates, 2014)
On sait que Dave Phillips prend du plaisir à faire hurler (à la lune) le plus infime bruit (ou bruissement) de nature. A ce point qu’il vaut peut-être mieux ne pas chercher à connaître l’origine des sons qu’il manipule… les différents tableaux du CD Homo Animalis pourraient en effet nous faire perdre la boule.
Car à qui rendre ces cris (de gueules béantes) tressés, ces chocs, ces claquements, ces signaux larvés, ces appels à l’aide, ces rumeurs de grandes batailles ? Jamais rassasié de bruit et de fureur, l’ex Fear of God exacerbe la tension dramatique avec (de ?) laquelle il s’amuse : c’est la raison pour laquelle ses field recordings, lorsqu’ils ne font pas tomber la pluie ou s’abattre la tempête, remuent des fantasmes : un homme serait-il dévoré par les loups ? Le drame qui se joue ne terrifie-t-il pas les enfants (et leurs parents avec) ? Quant au piano derrière lequel s’assoie Phillips (en position renversée, généralement), il devient le complice qui illustre la plupart des scènes d’une cruauté sonore qu’on imaginera toujours différemment.
Dave Phillips : Homo Animalis (Schlimpfluch Associates / Metamkine)
Enregistrement : 2009-2011. Edition : 2014.
2 CD : Homo Animalis
Pierre Cécile © Le son du grisli
Eventless Plot : Structures (Creative Sources)
On pourra désormais envisager le monde d’Eventless Plot en ces Structures que portent Vasilis Liolios (piano, synthétiseur analogique, bols chantants, objets…), Yiannis Tsirikoglou (guitare, électronique) et Aris Giatas (piano préparé ou non, cloches). Flottantes, puisque le trio peut les improviser « seul » ou en compagnie d’invités : Chris Cundy à la clarinette basse sur la première pièce, Louis Portal aux percussions et objets sur la troisième.
Avec Cundy, c’est un jeu de soutiens permanent : piano effleuré en divers endroits, percussions fines additionnant leurs résonances, filet électronique et objets travaillés engagent la clarinette à trouver sa place sur une électroacoustique en équilibre charmant, mais précaire aussi. Tentantes, les saillies individuelles sont toujours réfrénées : et voici le collectif fondu en interférences ou, avec Portal, ravi par un drone. Changeants, les trois temps de ce disque court réaffirment (après Recon) le bel art qu’Eventless Plot tire de sa mesure et de ses discrétions.
Eventless Plot : Structures (Creative Sources / Metamkine)
Edition : 2014.
CD : 01/ Interior/Interaction 02/ Points of Attraction 03/ Co_exist
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Alvin Fielder, Ike Levin : Together Again (Charles Lester, 2013)
Empruntant des chemins maintes fois parcourus (free jazz modéré, rythmes subordonnés), Alvin Fielder (batterie) et Ike Levin (saxophone ténor, clarinette basse) déjouent la plupart des pièges passant à leur portée. Conscients que le lyrisme ne peut s’éviter, les voici prenant à bras-le-corps mélodies, phrasés et rythmes, et ce, sans attendrissement ou durcissement. Aucunement recycleurs mais pas encore innovants, tous deux prennent le temps – au risque de l’étirement inutile – d’installer-prolonger leur suave musique.
L’un est adepte des résonances de toms, l’autre d’un grain raffiné. L’un ne casse jamais la course de l’autre. L’un serait presque l’accompagnateur de l’autre s’il n’était à l’origine de rythmes-mouvements aux pourpres couleurs. En vérité, l’un et l’autre sont émouvants de tendresse et d’emportements mêlés.
Alvin Fielder, Ike Levin
Sketches (extrait)
Alvin Fielder, Ike Levin
Freedom Square Roots (extrait)
Alvin Fielder, Ike Levin : Together Again (Charles Lester Music)
Enregistrement : 23 novembre 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Freedom Square Roots 02/ Shadings 03/ Sketches 04/ Outside In 05/ Melodic Presence 06/ Excursion 07/ Into Now
Luc Bouquet © Le son du grisli