Cassettes Expéditives : Jeff Henderson, Hheva, ArGil & Loïc Joseph, VOICEOVER, Cyril M., Black Givre, Satchel Forrester...
ArGil & Loïc Joseph : Trois Balades (Tanuki, 2014)
C’est en préparation d’une exposition qu’ArGil et Loïc Joseph ont manipulé des field recordings qui font la part belle au langage humain. Bouclées sans vergogne, les discussions sont insaisissables, que peuvent accompagner une basse ou (semble-t-il) un peu de synthétiseur. Rappelant quelques travaux Sonic Arts Network ou les témoignages ayant inspiré Olivier Cadiot et Rodolphe Burger, ces Trois balades pourraient constituer la bande-son du beau livre de photographies de Patrick Thinsy, Codegenerates. (gb)
Jeff Henderson, Vicky Mettler, Raphaël Foisy, Félix Lachance : Built Like a Brick Shithouse (Small Scale Music, 2014)
Jeff Henderson (saxophone, clarinette), Vicky Mettler (guitare électrique), Raphaël Foisy (basse) et Félix Lachance (batterie) composent ce Built Like a Brick Shithouse enregistré en septembre 2013 à « Feu la brique, Montréal ». L’exercice est d’un free jazz à l’ancienne, tendu et grinçant, mais qui démontre un intérêt pour le travail du son : ainsi l’alto d’Henderson et la mesure défaite de Mettler colorent cette poignée d’improvisations virulentes. (gb)
Bryan Counter & Satchel Forrester : Twice Stopped (Small Scale Music, 2014)
Pour le même label et dans la même veine, Satchel Forrester (saxophone alto) et Bryan Counter (batterie) s’essayèrent au duo. Le son est d’abord lointain, qui étouffe quelque peu la frappe du batteur, mais on déplacera le micro. S’interroger alors sur la nature de la pièce à entendre sur ces deux faces : improvisation décidée ou simple répétition ? Forrester phrase Coleman et Ayler en tête, Counter rappelle un Hamid Drake sans assurance : la proposition est un peu courte, précipitée sans doute. (gb)
Black Givre : Explosion Therapy (Beaver Club / Small Scale Music, 2014)
Black Givre est un homme-orchestre (batterie, samplers et racks d’effets) qui répond au doux nom de Samuel Bobony – voilà pour le côté informatif de cette chroniquexpéditive. Enregistré live en studio en 2013, Explosion Therapy montre que celle-ci s’avérait nécessaire : le musicien est nerveux, obsessionnel, truculent ou peine à jouir, selon le bout de bande sur lequel vous vous trouvez. Sa pop expérimentale vaut en tout cas le voyage jusqu’à là. (pc)VOICEOVER : Nervous Breakthrough (Tanuki, 2014)
Quand il ne joue pas dans Institut Für Feinmotorik, VOICEOVER est un homme-orchestre (voix, turntables, effets…) qui répond au doux nom de Marc Matter – voilà pour le côté informatif de cette chroniquexpéditive – que j’imagine en amateur de bruits déroutants. Il en fait d’ailleurs des structures organiques bullaires quand il ne travaille pas à la transformation de l’homme (la voix d’Otto Nebel) en… gibbon. Tout ça (A & B) est très mystérieux, et donne envie d’en entendre un peu plus. (pc)Cyril M. : Diffraction (New Bones, 2014)
Cyril M. est un guitare-héros qui a profité d’un concert à la chapelle Saint-Jean de Mulhouse pour prouver qu’il savait improviser, et seul encore. Dans l’espace, son instrument tisse des fils de sons qui s’emmêlent et font parfois pas mal de bruit, alors il démêle : mais le méditatif est toujours enclin au soubresaut. En face B, il improvise en duo avec la pianiste Sacha Navarro-Mendez. Plus courant et… moins fort, dans tous les sens du terme. (pc)Hheva : Her FrozenHeart Bore the Weight of a Thousand Stars (Geräuschmanufaktur, 2014)
Je m’interrogeais l’autre jour sur le post-indus (ou indus ambiantique) de Hheva (Drenched in the Mist of Sleep), et voilà qu’il me faut déjà revoir mes conclusions. Car Her FrozenHeart Bore the Weight of a Thousand Stars, c’est un autre Hheva, on croirait presque : doom sous valium, ténèbres planantes et profondes comme des tambeaux (c’est de moi), bref surprenant et même décisif : j’applaudis les Maltais ! (pc)
FALOT : Expérience Blockhaus (Décimation Sociale, 2014)
Mais quel est donc le message d’Expérience Blockhaus, CD de FALOT « unplayed and unproduced by Romain Perrot » ? Y a-t-il d’ailleurs là-dedans (harsh noise wall, héroïque guitare, mur du gras son, purée de crachin…) un message à décoder qui nous ouvrirait les portes d’un monde insoupçonné ?
D’un monde parallèle j'entends, aussi exotique qu’un raout de soukous organisé dans un gymnase de l’autre côté du périphérique ou aussi smegmatiquement fiérot qu’un rallye de cousins logeant autour de la Place Rodin. Bref le genre de truc louche et pas net comme ce que nous promet cette pochette : le cri d’un homme en pleine décomposition qu’une amie, insensible, abandonne souriante à sa putréfaction. Bon, déjà dedans, alors poursuivons l’expérience… Abasourdi par le bruit penthotal du début, maintenant je vacille sur un duo guitare / batterie et obéirais avec gentillesse à la voix qui m’engueule : « repli dans le merzbowisme, gars, ma hargne aura raison de la bonne musique qui endort ta vie de parasite ! » Diantre, le type sur la pochette, c’est moi !
FALOT
Expérience Blockhaus (extraits)
FALOT : Expérience Blockhaus (Over the Rainbow) (Décimation sociale)
Edition : 2014.
CD / DL : 01-04/ Expérience Blockhaus (Over the Rainbow)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Vomir à l'Espace B ? Falot, Le Chevalier de Rinchy et Charnier s'y engagent : rendez-vous ce samedi 8 novembre, à 20H30.
Simon Whetham : From the Mouths of Clay (Helen Scarsdale Agency, 2014)
Début 2013, Simon Whetham était en Colombie, la Casa Tres Patios de Medellín l’ayant invité à faire le voyage. Entre autres occupations, il parcourut le Museo Universitario de la Universidad de Antioquia, prélevant dans l’espace de quoi composer – et faire « parler les silences » – avant de s’intéresser de plus près à un lot d’urnes funéraires (préhispaniques, sinon récentes encore).
Inspiré par les anciens travaux d’Alvin Lucier, Whetham enregistre l’ « âme » des récipients d’argile pour y diffuser ensuite les rumeurs qu’il y a trouvées, en somme les remplir des rumeurs amplifiées. Au fond de chaque urne, non pas un œil mais la bouche promise, dont la langue est d'un surréalisme confondant : résonances arrangeant en surface sifflements, bourdons, frottements et crépitements. En seconde face, Alejo Henao et Miguel Isaza enrichissent ce ballet flottant d’autres discrétions, extraites d’antiques instruments de musique. Voilà le souvenir à conserver du passage de Whetham à Medellín, assez saisissant pour espérer que les images de l’installation présentée à la Casa Tres Patios nous parviennent un jour.
Simon Whetham : From the Mouths of Clay (Helen Scarsdale Agency)
Enregistrement : janvier-avril 2013. Edition : 2014.
Cassette : A-B/ From the Mouths of Clay
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Candelilla : Heart Mutter (ZickZack, 2013)
Heart Mutter est seulement le deuxième album du groupe Candelilla et c'est déjà Steve Albini qui est aux manettes. C’est dire les espoirs que l’on porte ces jours-ci à ces quatre Allemandes élevées (peut-être) au biberon Riot Grrrls…
A moins que ce ne soit à une potion plus récente, genre un cocktail checkant Le Tigre, Electrelane et Pit er Pat ? C’est qu’au jeu des ressemblances on pourrait se laisser aller. Mais préférons noter que les jeunes femmes ont tenu à conserver un peu de leur langue maternelle (à côté d’un peu d’anglais d'accord) et que ce choix-là charme (le nombre de ch' là-dedans) dès l’écoute du premier titre et donne un peu de caractère à leur pop à distorsions et à leurs riffs loopés.
Mais hélas et trois fois hélas Heart Mutter est seulement (= n’est que) le deuxième album du groupe. Bien encourageant, d’accord, mais pour le troisième, il faudra réviser deux ou trois petites choses, comme faire taire le piano, raccourcir les textes, « cradifier » un peu l’ensemble (on frise l’Elastica de temps à autre, pour ceux qui se rappellent). Sur le motorik de 32 (oui, les morceaux ont pour noms des numéros), on les invite alors à travailler leurs obsessions. En d’autres termes : filles, allez-y franchement !
Candelilla : Heart Mutter (ZickZack)
Edition : 2013.
LP / CD : 01/ 28 02/ 30 03/ 27 04/ 32 05/ 26 06/ 29 07/ 31 08/ 21 09/ 25 10/ 23/33 11/ 34 12/ 22
Pierre Cécile © Le son du grisli
Francisco López : Untitled#281 (Störung, 2014)
Ainsi le boîtier transparent qui enferme cette 281e composition sans nom de Francisco López parvient à cacher le monstre multiple qui l’habite : électronique tumultueuse où l’usage des machines côtoie des chants de volatiles enregistrés aux quatre coins du monde.
Ce catalogue d’oiseaux évoquera bien sûr davantage les détournements de Merzbow que l’intérêt de Messiaen. Sur le disque, les pépiements sont en effet l’égal des râles – les oiseaux-mouches ne nichent-ils pas désormais en cavernes ? – et ce sont des espèces d’envergure qui s’ébattent en volières. Mais si les expérimentations de López produisent de nouvelles créatures, ce sont moins leur nouveauté que leur panache, mis en valeur par de savants encodages, qui rend leur découverte passionnante.
Francisco López : Untitled#281 (Störung)
Enregistrement : 1995-2010. Edition : 2014.
CD : Untitled #281
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis, Evan Parker : 28 rue Dunois juillet 82 (Fou Records / Metamkine)
Sans doute pas une émergence – le ver était dans le fruit depuis quelques temps déjà – mais l’audace d’une esthétique (l’improvisation radicale made in Europe) alors en plein bouillonnement. Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis et Evan Parker étaient au Dunois en ce chaud mois de juillet 1982. Le Dunois était alors le temple de toutes les expérimentations et un certain Jean-Marc Foussat y faisait ses premières armes de preneur de son(s).
Ces soixante-quinze minutes d’impro libre ne sont rien d’autre qu’une bénédiction. Parce que ces quatre-là n’avaient que le présent pour partage. Il faut les entendre, presque timides, cafouiller le temps de quelques minutes avant de s’unir réellement. Les tics, les habitudes viendront plus tard. Pour l’heure, à demi-notes, ils s’inventent (splendide connexion Lewis-Léandre), cherchent dans leurs duretés-souplesses le plus beau terrain vague. Le propulseur-saxophone d’Evan lançait des sagaies-idées, tâtait du souffle continu sans débordement inutile ; Joëlle – autant pizz qu’arco ici – ne doutait pas et dévoilait quelques-unes de ses sorcelleries futures ; la guitare de Derek jouait un drôle de flamenco et avait la corde fertile ; George Lewis se sentait comme un poisson dans l’eau angélique des hautes rivières. Oui, ces quatre-là avaient du caractère, de la suite dans les idées. L’utopie était en marche. Ce disque vient à point-nommé pour nous suggérer qu’elle est (peut-être) encore possible.
Derek Bailey, Joëlle Léandre, George Lewis, Evan Parker
28 rue Dunois juillet 82 (extrait)
Derek Bailey, Joëlle Léandre, Evan Parker, George Lewis : 28 rue Dunois juillet 82 (Fou Records / Metamkine)
Enregistrement : 1982. Edition : 2014.
CD : 01/ 1ère partie 1a 02/ 1ère partie 1b 03/ 1ère partie 2 04/ 2ème partie 1 05/ 2ème partie 2
Luc Bouquet © Le son du grisli
Ernesto Rodrigues, Chris Heenan, Alexander Frangenheim, Ofer Bymel : Berlin (Creative Sources, 2013)
Sur la couverture de Berlin apparaissent quatre marques de griffures. Symbolisent-elles les musiciens qui ont enregistré cette « Suite en six parties » ou sont-elles les traces de leur rencontre ? J’opterais pour la première hypothèse et j'ajouterais que la première griffure représente le violoniste Ernesto Rodrigues.
Avec Chris Heenan (saxophone et clarinette contrebasse de Trigger), Alexander Frangenheim (contrebasse) et Ofer Bymel (percussions), il improvise une petite musique de nuit et, malgré ses griffures, tendre est la nuit. L’archet tâtonne, glisse et après barre, tient le cap de l’improvisation. Devant l’inconnu que représente la minute ou la seconde qui arrive inexorablement, le quatuor peut vibrer (la clarinette en donne la meilleure preuve) et alors la nuit remue. Dans un cas comme dans l’autre c’est un beau souvenir de Berlin que nous dévoile là Ernesto Rodrigues ; un beau souvenir de nuit tendre qui remue.
Ernesto Rodrigues, Chris Heenan, Alexander Frangenheim, Ofer Bymel : Berlin (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 25 avril 2010. Edition : 2014.
CD : 01-06/ Berlin
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Gary Carner : Pepper Adams' Joy Road (Scarecrow Press, 2013)
Pour convaincre de la singularité du saxophoniste Pepper Adams, quelques notes souvent suffisent, enregistrées en compagnie de Charles Mingus en 1959…
Qui voudra en entendre davantage, c’est-à-dire aller voir ailleurs qu’en Moanin’, pourra désormais se perdre dans cette discographie commentée par Gary Carner : Pepper Adams’ Joy Road, soit 550 pages le long desquelles défilent chronologiquement – première apparition dans l’orchestre d’Oliver Shearer en 1947, dernière apparition captée à la radio quarante ans plus tard – les enregistrements sur lesquels entendre le baryton.
Nom(s) du ou des meneurs, référence du disque, date(s) et conditions d’enregistrement, personnel et instruments, liste, enfin, des titres consignés sur bande : le travail est précis et l’outil pratique. Souvent, la fiche technique est augmentée de précisions supplémentaires, extraits d’interviews ou anecdotes rapportées. C’est, dans le détail, la mise au jour de l’hétérogénéité du parcours d’un musicien qu’on aurait tort de résumer à quelques notes seulement, même d’exception, pour ne plus omettre l’importance de celles placées auprès de Thad Jones, Thelonious Monk, Donald Byrd (1958-1961), John Coltrane, Oliver Nelson…
Gary Carner : Pepper Adams’ Joy Road. An Annotated Discography (Scarecrow Press)
Edition : 2013.
Livre (anglais) : Pepper Adams’ Joy Road. An Annotated Discography
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nor Cold : Nor Cold (Multikulti Project, 2013)
Après avoir tâtonné dans l’espace Olgierd Dokalski (trompette), Wojciech Kwapisiński (basse électrique), Oori Shalev (batterie et cymbales très résonnantes) et Zeger Vandenbussche (saxophone alto & soprano, clarinette) tâtonnent dans d’autres pistes : la mélodie, l’unisson, le contrepoint.
Il faut dire que leur désir de mêler leur petite musique aux mélodies séfarades des Balkans n’est pas sans danger, Zorn étant déjà passé par là. Ici, Nor Cold ne cherche pas à en mettre plein la vue. Aucune réponse, copie ou réplique masadienne mais des souffles pétrifiés (Vandenbussche ravira les fans de John Lurie), des lignes claires, des harmonies frêles, des tempos impressionnistes. Ils tâtonnent : ils trouveront.
Nor Cold : Nor Cold (Multikulti Project)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Maria 02/ The Thief 03/ Madre: the Adolescence 04/ Sadness 05/ Drama 06/ Falling Sky 07/ Madre: the Reconciliation 08/ Deep End 09/ Maria Radio Edit
Luc Bouquet © Le son du grisli
Rashad Becker : Nantes, 29 août 2014
L’atelier est faiblement éclairé. Sur une table, la machinerie avec laquelle compose Rashad Becker ; derrière elle, l’homme est discret, réfléchi voire secret. Comptés, ses mouvements modéreront les sonorités à peine engendrées – extraites de quels stocks ou archives ? – pour penser déjà la forme des combinaisons qui transcenderont celles encore à naître.
Comme hier le chercheur en musique concrète, Becker opère en compositeur obligé par son matériau, mais avec cet avantage d’avoir façonné, et non pas révélé, le chant des « objets » qui l’inspirent. Sur Traditional Music Of Notional Species Vol. I ou remixant Christian Wolfarth (Acoustic Solo Percussion Remixes), l’ingénieur du son avait trahi un goût pour l’animal chantant au point de se changer en chef d’un orchestre confondant : râles, hululements, miaulements, feulements – allongés, étouffés, accélérés… – abondent ici encore, dont un rythme peut cristalliser la plainte ou un gimmick consolider la portée.
Mais Becker travaille parfois davantage l’abstraction de ses structures sonores : jeux de fréquences, d’ambivalences, de citations, de fuites voire de désertions : l’expression n’est plus la même, qui se passe de chant et de rythme pour construire dans les bruits et perdre dans les évocations (minimalisme, indus, noise, downtempo…). Le tour de force résidant dans l’à-propos et l’équilibre des six à sept séquences de cette performance, bel ouvrage envolé de concrétisme sonore réduit à ses fondamentaux : pas fier, mais haut.
Rashad Becker : Nantes, festival SOY, Médiathèque Jacques Demy, 29 octobre 2014.
Photo : Nantes.fr
Guillaume Belhomme © Le son du grisli