Richard Pinhas, Oren Ambarchi : Tikkun / Richard Pinhas, Yoshida Tatsuya : Welcome in the Void (Cuneiform, 2014)
Sur des loops electro-kraut et le soutien de renforts (Joe Talia & Eric Borelva à la batterie, Merzbow aux electronics ou Duncan Pinhas au séquenceur), Richard Pinhas et Oren Ambarchi se sont amusés à croiser leurs six cordes. C’était dans le studio de l’ancien Heldon en 2013 à Paris même si les titres nous expédient à Washington, Tokyo et San Francisco.
Géographiquement donc, on plane un peu (d’ailleurs d'où viendront les pistes des invités ?) jusqu’à ce que le duo propulse la navette dans une nouvelle contrée RanXeroxienne. L’air y est fort respirable et nos guitare-héros (francisons pour l’occasion) y vont de leurs effets psychénervés / bruts de rock avec la batterie enfoncée de Talia pour finir dans la retenue. Arrivés à San Francisco, les allers-retours de médiators ne nous parviennent plus, ils sont cachés derrière de nappes de synthé et des drones faméliques. C’est d’ailleurs là que réside tout l’intérêt de l’enregistrement, dans l’offre d’un voyage ébouriffant suivi d’une phase de décompression. A peine remis on se rue sur le DVD du concert que Pinhas et Ambarchi ont donné le 29 octobre 2013 aux Instants Chavirés... histoire de mettre des figures sur des affections !
Richard Pinhas, Oren Ambarchi : Tikkun (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Washington D.C. – T4V1 02/ Tokyo – T4V2 03/ San Francisco – T2V2 – DVD : Concert du 29 octobre 2013 aux Instants Chavirés.
Pierre Cécile © Le son du grisli
Roulement de tambour, c’est un autre duo qui commence : Richard Pinhas / Yoshida Tatsuya. Le batteur des Ruins a de la poigne, on sait ça, & le médiator qui arrache toujours le même accord à la guitare électrique lui dit qu’il faut creuser. Mais creuser quoi ? Eh bien un trou noir. Mais pourquoi ? Eh bien pour le remplir de couleurs ! Pendant plus d’une heure, ce'est ce qui se passe, et le délire répétitif accouchera d’un nouveau ballet cosmique.
Richard Pinhas, Yoshida Tatsuya : Welcome in the Void (Cuneiform / Orkhêstra International)
Edition : 2014.
CD : 01/ Welcome in the Void Part 1 02/ Welcome in the Void Part 2
Pierre Cécile © Le son du grisli
Lucien Johnson, Alan Silva, Makoto Sato : Stinging Nettles (Improvising Beings, 2014)
Que faire enfin du jazz qui traîne ? Son existence prouvée, trois possibilités : commerce (le plus couru), tradition, création. C’est un choix qu’il faut, semble-t-il, « faire » encore. Alan Silva a jadis démontré qu’il avait, dans la troisième catégorie, des choses à faire entendre. A la contrebasse, le plus souvent ; aux synthétiseurs, selon l’inspiration.
Est-ce, sur Stinging Nettles, un « retour » à la contrebasse ? Une nécessité ? Qu’importe, même imaginée seulement, la nécessité opère. L’épreuve date de 2006, qui l’expose auprès du saxophoniste ténor Lucien Johnson et du batteur Makoto Sato. Deux doyens pour un seul jeune homme, et voici que ce-dernier se montre capable : sur quelques fondamentaux de free mesuré, d’inventer et de rebondir au-devant d’un archet balayant, sinon d’entendre et de prendre en compte la batterie délicate. Alors – forcément pas commerce –, tradition ou création ? D’autres codes ici : vaillante arrière-garde, mêlant ancienne création et tradition neuve, qu’emmène ce bel archet retrouvé.
Lucien Johnson, Alan Silva, Makoto Sato
Pieces of Eight
Lucien Johnson, Alan Silva, Makoto Sato : Stinging Nettles (Improvising Beings)
Enregistrement : novembre 2006. Edition : 2014.
CD : 01/ Stinging Nettles 02/ Abora 03/ Copper Sky 04/ Family Silva 05/ Pieces of Eight 06/ Ice Self 07/ Burnt Fingers 08/ Thyme Nor Reason
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Radian Howe Gelb : Radian Verses Howe Gelb (Trost, 2014)
Après les disques avec Stefan Németh et les disques sans Stefan Németh, voilà une nouvelle occasion pour les trois acolytes de Radian (Martin Brandlmayr, Martin Siewert et John Norman) de sonner différemment. Cette occasion, c’est leur rencontre avec Howe Gelb, songwriter américain surtout connu pour son Giant Sand mais rompu aux collaborations (de Calexico à Lisa Germano en passant par John Parish).
Donc donc donc, la rencontre du folk US et de l’ambient électroacoustique viennoise, qui débute downtempo sur un refrain que n’auraient pas renié Robert Wyatt ou Arto Erotic City Lindsay. Mais ce n’est qu’en deuxième plage que Radian commence à opérer : les chausse-trappes se multiplient & les loops s’incrustent sur l’Americana de Gelb (dont je connais, je dois l’avouer, assez peu l’œuvre pour dire s’il pioche dans son répertoire ou a écrit des morceaux spécialement pour ce projet).
Quand les fûts de Brandlmayr, les guitares et processings de Siewert et la basse avale-tout de Norman sonnent la charge, nous voilà aux choses sérieuses. La voix de Gelb se fait plus proche et peut commander au trio de changer de piste. Au choix : un folk interrompu, une ballade propulsée dans l’espace, une ambient décalée, une americana whitexploitée, un pseudo remix, etc. trois fois. De la guitare, du piano et de la voix de l’Americain, les trois Radian se gavent tant et si bien (jusqu’à des archives de démo, à ce qu’il m’a semblé) qu’on applaudit à leur digestion sans tache : leur Verses Howe Gelb vaut bien d’être terminé en chanson, on se surprendra à siffler l’air de Moon River avec lui.
Radian, Howe Gelb : Radian Verses Howe Gelb (Trost)
Edition : 2014.
CD / LP : 01/ Saturated 02/ Saturated Beyond 03/ I'm Going In 04/ From Birth To Mortician 05/ ....And Back 06/ The Constant Pitch And Sway 07/ Return To Picacho Peak 08/ Pitch And Sway Again 09/ Moon River
Pierre Cécile © Le son du grisli
Guy Darol : Outsiders (Le Castor Astral, 2014)
La clef de ce recueil de portraits est à trouver dans l’évocation que fait Guy Darol, son auteur, de The Shaggs, trio de musiciennes imprécises motivées par la volonté d’un père. Ainsi, pages 371 à 374, remarque-t-on une vive prose delteillienne, une recommandation de Frank Zappa – dont Darol est spécialiste et qui plaçait The Shaggs au-dessus des Beatles – et une référence au critique Irwin Chusid, qui tenait le trio pour les « Godmothers of Outsider Music ».
Outsider Music comme il existe un Oustider Art (Darol fait d'ailleurs souvent référence à Adolf Wölfli, au Facteur Cheval, à Gaston Chaissac…) – Graeme Revell n’avait-il pas baptisé son label Musique brute ?… – soit : une musique de la marge – … et Sub Rosa, plus récemment, initié une série Music in the Margin ? – et du déséquilibre, concept-ou-presque qui s’applique en effet aux Shaggs, mais non pas à tous les musiciens loués ici.
C’est qu’il y a d’autres portes derrières lesquelles différents « outsiders » se bousculent : loosers magnifiques ou winners oubliés – après tout, les premiers seront les derniers, dit Jesus II –, estafettes aux messages nébuleux ou morosophes reclus, mauvais coucheurs de songwritters ou (artificiellement ou non) haut perchés incapables de compromis, loufoques aux goûts peu assurés ou beaux renonçants enfin, bref : fous musicaux, suicidés parfois, qu’André Blavier aurait pu recenser.
A la place de Blavier, c’est Darol qui phrase et ranime énergumènes sur le fil (Syd Barrett, Tim Buckley, Kenneth Higney, Jandek, Bill Fay, Kevin Ayers, Daevid Allen...) et autres inventifs pathologiques (The Godz, Richard Pinhas, Moondog, Joe Meek, Eugene Chadbourne, GG Allin...). Et si les 80 trompe-la-mort en question sont à recommander à des degrés divers, la prose de Darol leur assure une postérité toujours justifiée au son de genres (folk, rock, fluxus, free music, punk, no wave, performance, actionnisme…) aussi différents qu'eux.
Guy Darol : Outsiders. 80 francs-tireurs du rock et de ses environs (Le Castor Astral)
Edition : 2014.
Livre : Outsiders. 80 francs-tireurs du rock et de ses environs
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Yvan Etienne : Feu (Aposiopèse, 2014)
Avec Yvan Etienne, c’est des field recordings et le retour du Serge (que j’évoquais ici il y a quelque temps). Cependant, si la pochette du CD (un belépais digisleeve) ne m’avait pas prévenu, j’aurais eu du mal à trouver de quel instrument l’Etienne se sert sur la première de ses trois pistes.
Car il fait des cercles sur son cahier de brouillon sonore avec des stylos non pas quatre couleurs mais quatre teintes de gris. Et tout à coups le Serge arrive dans la marge, trace une ligne rouge que tous les sons captés (vent ? électrique ? tendres insectes de la nuit !) suivront contraints et forcés. Crescendo le modulaire va et finit par donner dans le drone et (surtout) encoder les field recordings pour leur donner une voix. Les choses s’expriment donc chez Yvan Etienne, comme elles le font souvent dans l’écurie Aposiopèse.
Yvan Etienne : Feu (Aposiopèse / Metamkine)
Edition : 2014.
CD / Téléchargement : 01/ Une Nuit 02/ De la charge 03/ La lueur
Pierre Cécile © Le son du grisli
Teletopa : Tokyo 1972 (SplitRec, 2014)
En 1970, après un séjour à Londres où il a pris des leçons de Cornelius Cardew et entendu jouer AMM, David Ahern retrouve son Australie natale. A Sydney, naît alors Teletopa quartette qui l’associe à Peter Evans, Roger Frampton et Linda Winson (qui n’attendra pas la dissolution du groupe, en 1972, pour en finir avec lui).
Grâce aux efforts de Jim Denley, deux improvisations « japonaises » refont surface, fruits d’une dizaine de jours passés à Tokyo – dans le groupe, trouver alors Geoffrey Collins – et même tout derniers fruits du groupe. Si Teletopa donna aussi dans l’interprétation (Cardew, Christian Wolff, Steve Reich), il atteste ici un intérêt pour les sons à découvrir sur le moment qui requiert l’amplification des instruments saxophone, flûte, violon, comme des percussions nombreuses.
Approchés par les micros, ceux-là livrent alors les éléments de deux suites fantasques inquiètes d’objets sonores inusités. Sifflements, plaintes, larsens, raclements, grincements, résonances des gongs... œuvrent – en faisant souvent fi des liaisons et persistances de la musique d’AMMeublement – à une électronique crépitante ou à une musique concrète ayant retrouvé la piste de ses instruments. La découverte de Teletopa est de taille ; ses surprises sont nombreuses.
Teletopa : Tokyo 1972 (SplitRec / Metamkine)
Enregistrement 14-26 septembre 1972. Edition 2014.
2 CD / 3 LP / Téléchargement 01 Improvisation 1 02 Improvisation 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jennifer Allum, Ute Kanngiesser : Bell Tower Recordings (Matchless, 2013)
Nous avons déchiffré ensemble la pochette du CD de Jennifer Allum et Ute Kanngiesser, sa cloche et ses poids. Leurs instruments sont cousins (un violon, un violoncelle). Leurs pratiques sont cousines, elles aussi. C’est presque une histoire de famille, que cette improvisation enregistrée en 2012 en trois lieux différents de la St. Augustine’s Bell Tower de Londres.
Les cloches sonnent, annonçant presque une heure de jeu, de balancelle, de recherche au pendule des trésors enfouis dans ce clocher. L’une tapote le bois de son instrument et l’autre pince une ou deux cordes, c’est comme un relai timide. L’une & l’autre s’emparent de leurs archets, se cachent puis réapparaissent, à tour de rôle. L’une égrène les secondes qui passent et l’autre les fuit sous les bruits de la grande ville. C’est une expérience de l’instant qui touche à distance, géographique et temporelle. Et si Jennifer Allum et Ute Kanngiesser ne savent pas comment mettre un terme à leur improvisation, c’est qu’il est des choses sans fin, comme l’est le passage des secondes ou le mouvement d’un pendule.
Jennifer Allum, Ute Kanngiesser : Bell Tower Recordings (Matchless / Metamkine)
Enregistrement : 29/05/2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Pendulum Case 02/ Clock Room 03/ Bell Room
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Bryan Eubanks, Jason Kahn : Drums Saxophone Electronics (Intonema, 2014)
Le titre donné au disque et le dessin utilisé pour sa pochette disent précisément l’un et l’autre de quoi retourne ce nouvel échange de Jason Kahn et Bryan Eubanks : retour à la batterie pour le premier, au saxophone soprano pour le second, qui « tissera » aussi au moyen de dispositifs électroniques personnels des fils parés pour la brouille.
Les conditions sont donc différentes de celles d’hier (Energy (Of)), mais l’élan est le même, qu’expliquait Guillaume Tarche en parlant d’ « assaut sonore », de « progression » et de « transition entre les phases du jeu ». Les fils cités plus haut sont en fait des câbles et des filins de différentes natures (acoustique du saxophone, électronique de la machinerie) et de couleurs variées, qui fondent sur le batteur et l’obligent à la réaction.
Remuant toujours, celui-ci passe de toms en caisses et de cymbales en percussions : escrime, piège puis capture telle ligne électronique lâchant un peu de lest ; provoque aussi des avalanches capables d’en anéantir de plus vaillantes et par paquets. Or, sous couvert de lutte, Eubanks et Kahn composent un ouvrage électroacoustique dont les nombreuses dérivations subliment la cohérence.
Jaosn Kahn, Bryan Eubanks : Drums Saxophone Electronics (Intonema)
Enregistrement : 17 septembre 2013. Edition : 2014.
CD : 01-05/ Drums Saxophone Electronics
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Loren Connors : Portrait of a Soul (Alara, 2014)
Portrait of a Soul (sorti en 2000 mais réédité aujourd’hui en vinyle et en digital) est certainement l’une des plus belles réussites de Loren Connors.
Car c’est un disque qui flaire bon l’introspection et qui a saisi à jamais l’électricité si particulière de la guitare et l'âme du MazzaCane. Un léger delay et l’Américain suit le cours d’une pensée et le fil d'une imagination merveilleuses toutes les deux. Poignant de simplicité (derrière elle se cache la vérité de Loren Connors), il multiplie les pistes mélodiques dans un embranchement qui évoque ces lignes de chemin de fer le long desquelles on l’a toujours imaginé vagabonder, guitare sur le flanc droit. Ses glissandos et ses pickings l’accrochent à la ferraille, la rouille atteint son instrument et cette couleur particulière donne tout son caractère à ce portrait d’une âme qu’il aurait été dommage en effet de ne pas rééditer.
Loren Connors
Portrait of a Soul
Loren Connors : Portrait of a Soul (Alara Music)
Réédition : 2014.
LP / Téléchargement : 01-14/ Day 1-Day 14 15—19/ Evening 1-Evening 5 20-23/ Night 1-Night 4 24-26/ Dawn 1-Dawn 3
Pierre Cécile © Le son du grisli
Christoph Limbach : begin_if_(3) (Agxivatein, 2014)
De tous nos papiers froissés j’aurais pu faire de la musique. Christoph Limbach froisse bien des micros, lui. A moins que ce ne soit des extraits de films, des choses de la vie concrète et des choses de la vie rêvée.
C’est le troisième volet de son projet begin_if. Et c’est parfois avec Angelina Kartsaki au violon. Des micros mais plus encore, des pulsations, des cymbales, des sons d’examens médicaux…, un monde entier à froisser. Le violon est lui oriental mais l’électroacoustique est occidentale. Car derrière tous ces sons il y a un drone et derrière le drone il y a toujours un occidental qui insiste : le drone, j’en fais mon métier, et mon imagination l’éprouvera. Je n’ai pas entendu les papiers froissés des deux premiers volets de begin_if. Le troisième ne plaide peut-être pas en la faveur du projet ? Je retourne à nos papiers froissés.
Christoph Limbach : begin_if_(3) (Agxivatein)
Edition : 2014.
Cassette : begin_if_(3)
Héctor Cabrero © Le son du grisli