Felix Kubin : Chromdioxidgedächtnis (Gagarin, 2014)
Année 2014. Ultime (pas sûr) célébration en date de la cassette ! Felix Kubin (avec Ninon Gloger & Steve Heather aux claviers, samples et effets) a mis dans une boîte un cd, une cassette et un livret qui explique que Chromdioxidgedächtnis est le fruit de l’exploration des cassettes audio (toutes chromes, vraiment ?) de sa collection et de l’enregistrement d’instruments sur cassette exclusivement.
Le résultat donne des programmations rythmiques barrées mais pas seulement. Sur le CD, l’expérimental de M. Kubin, qui fraye souvent avec l’électropopdufutur, a ici un parfum de musique concrète (il n’y a qu’à entendre les loops des ces cordes de piano ou cette voix enregistrée sur un répondeur téléphonique), de collage surréaliste, de krautpop, etc. L’hommage à un objet et à son époque dans un grand délire œcuménique qui réconcilie Jon Appleton (par exemple) et le kitsch publicitaire.
Pour la cassette, c’est une autre histoire. Combien de mini Yamaha (Bontempi ?) y ont été maltraités ? Dans le paysage bandaire, des grosse mélodies, une guitare électrique, un piano, et une interview d’un ancien ingénieur de Philips qui nous parle de l’usage domestique de la cassette (= prétexte, bien sûr, pour Kubin, à copier-coller, citer, déformer la voix humaine). Cohérent mais moins efficace, musicalement parlant…
Felix Kubin
Chromdioxidgedächtnis (extraits)
Felix Kubin : Chromdioxidgedächtnis (Gagarin / Metamkine)
Edition : 2014.
CD + Cassette : Chromdioxidgedächtnis
Pierre Cécile © Le son du grisli
Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint (Cam Jazz, 2014)
Les cinq références Black Saint de ce coffret de rééditions – enregistrements datant de 1979 à 1985 – reviennent avant tout sur l’entente de Jimmy Lyons et de deux de ses plus fidèles partenaires : Karen Borca et Andrew Cyrille.
Ainsi retrouve-t-on l’altiste et le batteur sur trois disques dont deux furent déjà réédités l’année passée en Andrew Cyrille The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note – il faudra donc aller y voir pour se souvenir de Nuba (enregistré avec Jeanne Lee) et Something In Return (composé en duo). Aux doubles, on aura pris soin d’ajouter Burnt Offering, duo enregistré en concert en 1982 – publié une dizaine d’années plus tard et « oublié » dans le coffret Cyrille. De taille, le disque enferme trois pièces démontrant l’intensité du jeu de l’altiste et la stimulante invention du batteur : Popp-A, Exotique et Burnt Offering, qui toutes contraignent le swing à la fronde d’une imagination vertigineuse, double qui plus est.
Lyons aux-côtés de Karen Borca, l’association rappellera une autre boîte. Aux enregistrements de concerts jadis publiés par Ayler Records, font donc écho Wee Sneezawee et Give It Up. Avec le soutien de William Parker et Paul Murphy sur le premier disque, de Jay Oliver et du même Murphy sur le second, le saxophoniste et la bassoniste mêlent leurs voix à deux trompettistes différents : Raphé Malik (autre partenaire fidèle de Lyons) et Enrico Rava. L’épreuve est à chaque fois d’un free altier mais pas toujours de même hauteur : avec Malik, ce sont des courses instrumentales individuelles qui n’interdisent pas d’impeccables relais ; avec Rava, des cavalcades plus empruntées – exception faite de Ballada, merveilleuse conclusion au disque. Voilà donc pour Lyons chez Black Saint. Bientôt, peut-être, une autre réapparition en boîte ?
Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CamJazz)
Enregistrement : 1979-1985. Réédition : 2014.
5 CD : Wee Sneezawee / Give It Up / Burnt Offering / Nuba / Something In Return
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Akosh S., Sylvain Darrifourcq : Apoptose (Meta, 2014)
Personnage attachant, Akosh S. ne m’a jamais vraiment convaincu (ni en concert ni sur CD). C’est comme si j’attendais depuis toujours qu’il sorte du bois après avoir réfléchi à un moyen d’établir le contact avec moi, citadin acariâtre (autant que le gars est bourru).
Avec le batteur Sylvain Darrifourcq c’est encore la même chose. Sur le digipack il y a deux photos d’écorces et un texte qui parle d'un « éclaté de silence » alors que le saxophoniste-percussionniste ne se montre guère « silencieux ». On pourra louer son énergie, son épaisseur, l’habitude qu’il a prise de ne pas faire dans la demi-démesure (même sur les plages les plus « folk »), pour moi tout ça est trop « brut de décoffrage ». Ajoutez à cela que Darrifourcq partage avec Akosh un goût pour la multiplication des instruments (de l’Iphone aux sextoys, en plus de ses fûts) et l’envie de tout donner… Pour l’acariâtre que je suis, tout donner c’est trop donner. Voilà pourquoi j’attends toujours à la sortie du bois…
Akosh S., Sylvain Darrifourcq
Apoptose (extraits)
Akosh S., Sylvain Darrifourcq : Apoptose (Meta)
Edition : 2014.
CD : 01-07/ Part I – Part VII
Pierre Cécile © Le son du grisli
Microtub : Star System (Sofa, 2014)
Avec le retour de Microtub, c’est la réapparition d’une ligne d’horizon dessinée par trois tubas : l’un en Fa (Robin Hayward, qui signe ces deux compositions que modifieront quelque peu leurs interprètes), deux autres en Do (Martin Taxt et Kristoffer Lo). Sur le champ qui mène à la ligne en question, l’infini domaine de la microtonalité.
Sur lequel courent une (mais les hauteurs diffèrent), deux ou trois notes. Les tubas se soutiennent, leurs graves se prolongent tout en se disputant la somme des couches qu’ils déposent ; des cargos en partance et d’autres de retour se croisent alors sur la crête de reliefs altérés. Sur la seconde plage, c’est presque le même départ et presque le même chemin : l’allure est lente – atone peut-être, monotone non – mais bien chantante. Tout enveloppées de brume, les rumeurs que le trio laisse dans son sillage composent un hymne enchanteur qui atteste de son passage.
Microtub : Star System (Sofa Music)
Enregistrement : 25 avril 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Star System 02/ Square Dance
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sult : Svimmelhed (Conrad Sound, 2014) / Street Priest : More Nasty (Humbler, 2014)
C’est le retour de Sult et il va falloir faire un point sur ce que j’attends du groupe d’improvisateurs norvégiens. Première chose les deux basses sont toujours là mais elles ne décident plus de tout, comme c’était (presque) le cas avec Harm. Non, on dirait qu'elles se sont faites aux préparations et aux attouchements légers, ce qui laisse donc plus de place à la guitare acoustique et aux percussions.
Et l’effet est payant. Je me suis renseigné : « Svimmelhed » veut dire « vertiges », ce qui explique la pochette renversée et même toute la musique de Sult. Ce vague-à-l’âme instable (pour m’auto-citer moi-même personnellement) est plus instable encore car les micro-jeux et les provocations instrumentales de Jacob Felix Heule et Håvard Skaset ne se laissent plus faire. Ce qui fait qu’agréablement votre tête tourne… Vertiges, vous disais-je…
Sult
Svimmelhed (Bandcamp)
Sult : Svimmelhed (Conrad Sound)
Edition : 2014.
CD : 01/ Jern 02/ Doren II 03/ Fryst 04/ Snylter 05/ Uvel 06/ Doren I
Pierre Cécile © Le son du grisli
Street Priest (d’après le nom d’un disque de Ronald Shannon Jackson) est un autre projet de JF Heule (qui est aussi un des deux Basshaters rappelons-le) avec guitare (Kristian Aspelin) et basse (Matt Chandler). Sur la face A c’est un power trio (la guitare est cette fois électrique) qui est autant volontaire qu’indécis (c’est le bon côté de l’improvisation) et sur la B un essai ambient bruitiste puis free grassouillet un peu moins captivant. Inégal, mais le label a aussi un Bandcamp qui aidera à faire le tri.
Street Priest : More Nasty (Humbler)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
Cassette : A1/ Turk A2/ Taylor A3/ Sixth A4/ Market
Pierre Cécile © Le son du grisli
Sylvie Courvoisier, Mark Feldman : Birdies for Lulu (Intakt, 2014)
Sur fond de poursuite jazz, un violon désosse la corde : voici Mark Feldman. Les aigus d’un piano se déversent à grands flots sur la maison ternaire : c’est Sylvie Courvoisier. La contrebasse ronronne un blues racé : c’est Scott Colley. La batterie rectifie aux balais les effigies antiques : c’est Billy Mintz.
Le nouveau quartet Courvosier-Feldman implore au jazz de ne pas trop noircir la page. Y résistent les écritures contemporaines d’antan, le fantôme de Schubert, les traits vifs et saillants, les épandages d’aigus d’un duo toujours aussi éblouissant. De ces compositions aux mille-facettes (soit l’art de sauter du coq à l’âne sans s’en apercevoir), on retiendra l’intensité du jeu, les basses paroles murmurées, les lances tranchantes. Charme et légèreté ici. Encore plus que d’ordinaire.
Sylvie Courvoisier / Mark Feldman Quartet
Birdies for Lulu (extraits)
Sylvie Courvoisier, Mark Feldman : Birdies for Lulu (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Cards for Capitaine 1 02/ Cards for Capitaine 2 03/ Cards for Capitaine 3 04/ Shmear 05/ Natarajasana 06/ Downward Dog 07/ Birdies for Lulu 08/ Travesuras 09/ Coda for Capitaine
Luc Bouquet © Le son du grisli
Tom Chant, John Edwards, Eddie Prévost : All Change (Matchless, 2014)
Sous Waterloo Station, Tom Chant (saxophoniste jadis noyé dans le Core Anode d’Otomo Yoshihide), John Edwards et Eddie Prévost improvisèrent le 13 juin 2012. Sur la couverture du disque – qui succède à Touch, The Virtue In If et The Blackbird’s Whistle, du même trio sur le même label –, l’évocation d'un chemin de fer ; au dos, trois rails prêts à se passer de traverses.
L’allusion saisie (parallèles difficiles et possible accident), on soupçonne l’accrochage envisagé, et même convoité. C’est qu’il faut désormais malmener l’équilibre d’une improvisation pour qu’on ne l’accuse d’être trop prévisible dans ses recours et même ses inventions. Funambule, Chant ira alors au ténor puis au soprano sur l’indiscipline de la paire rythmique : que Prévost cingle ou se retienne, qu’Edwards projette ou ramage, le saxophoniste met au jour le liant qui permet au trio de battre le fer et la ligne – ligne dont l’instabilité assure la force du mouvement –, soit : de bel et bien se passer de traverses.
Tom Chant, John Edwards, Eddie Prévost : All Change (Matchless Recordings)
Enregistrement : 13 juin 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ All Change – Part 1 02/ All Change – Part 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Triac : In A Room (Laminal, 2014)
Un CD de belle ambient, de temps à autre, ça rafraîchit. D’autant qu’Augusto Tatone (basse électrique), Marco Seracini (claviers) et Rossano Polidoro (laptop) la font de boucles et de synthés auxquels il est bien difficile de résister.
Ça rappelle parfois Christian Fennesz, parfois leur compatriote Giuseppe Ielasi (deux signatures décidément inspirantes, à moins que ce ne soit moi uqi les entende partout...). Stellaire, sonnant comme il faut (parce que travaillé, y’a qu’à entendre In A Room Part I), jouant avec les références légendaires (Bruce Gilbert, Brian Eno & Harold Budd y sont aussi), capables de faire grouiller des bactéries sonores sur trois notes synthétiques. Avant même d’arrêter ma chronique, je signale que Triac sort sur Laminal, label-branche de Mikroton. N’est pas trop de gages de qualité d’un coup ?
Triac : In A Room (Laminal)
Edition : 2014.
CD : 01-04/ Part I – Part IV
Pierre Cécile © Le son du grisli
Pauline Oliveros, David Rothenberg, Timothy Hill : Cicada Dream Band (Gruenrekorder, 2014)
Dans la besace de David Rothenberg, des animaux de toutes tailles (sauterelles, cigales, merles, grenouilles, une baleine à bosse même), auxquels le trio qu’il forme avec Pauline Oliveros (accordéon) et Timothy Hill (voix) devra répondre.
Naïf peut-être, le projet manque surtout d’inventivité : ainsi Oliveros se contente-t-elle de souffler quelques notes en improvisatrice nerveuse, Timothy Hill de donner dans le chant de gorge ou d’en appeler à jadis plus inspirés que lui (Stephan Micus, Nana Vasconcelos…) quand David Rothenberg (dont l’Ipad fantasme parfois le synthétiseur datant) verse sans mesure dans un folk naturaliste (& découverte souvent). Soit : comment une gentille idée devient, pour contrefaire le titre d’une des dix pièces de l’enregistrement, The Longest Disc in the World.
Pauline Oliveros, David Rothenberg, Timothy Hill : Cicada Dream Band (Terra Nova / Gruenrekorder)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Who Said That? 02/ Arc Hive 03/ Room at the Inn 04/ Last Night in the Holocene 05/ Information National Forest06/ Several More Happened 07/ All Creatures Get It 08/ Three of a Mind 09/ As Many Inside as Outside 10/ The Longest Song in the World 11/ How We Got Here
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Peter Kowald, Daunik Lazro, Annick Nozati : Instants Chavirés (Fou, 2014)
Tout était élevé ce soir-là aux Instants Chavirés de Montreuil. La voix d’Annick Nozati transperçait la matière. Sa voix peau-rouge visait mille cœurs. Daunik Lazro était cet inépuisable cavalier des hautes plaines. Et Peter Kowald décochait sans compter. Ce soir-là, tous trois étaient indiens et pas un seul visage blanc pour les importuner.
Le chant d’Annick N. est pour beaucoup dans ce disque-sorcier. Ici, l’âme et la tripe. Le chant profond. La source de vie. L’âme dévoilée. Les entrailles mises à nu. Un certain Daunik L. zébrait son souffle. De l’entendre au baryton (depuis peu au ténor), on en avait oublié combien son alto était étoilé, constellé. De son côté, Peter K. activait son jazz naturel et spontané. Parfois les indiens se firent planètes folles. Puis retrouvèrent tendresses et cérémonies. Grand disque tout simplement.
Peter Kowald, Daunik Lazro, Annick Nozati
Kow-Laz-Noz
Peter Kowald, Daunik Lazro, Annick Nozati : Instants Chavirés (Fou Records / Metamkine)
Enregistrement : 2000. Edition : 2014.
CD : 01/ Laz Noz 02/ Kow Laz Noz 03/ L’invisible 04/ Laz Kow 05/ Kow Noz 06/ Noz Laz Kow
Luc Bouquet © Le son du grisli