Michel Doneda, Lê Quan Ninh : Aplomb (Vand’œuvre, 2015)
Enregistré l’automne dernier, l’Aplomb qui caractérise Michel Doneda et Lê Quan Ninh est moins une affaire de verticalité que de confiance – on ne reviendra pas sur les références que le saxophoniste et le percussionniste ont, depuis Concert public avec Daunik Lazro (sur Vand’œuvre déjà), élaborées ensemble – et, en conséquence, d’assurance.
Quant au fil d’Aplomb, il tiendra davantage de la baguette de sourcier, virant de bord dès les premiers affleurements improvisés – c’est-à-dire au moment de la « re-connaissance » – pour perdre ensuite toute notion de stabilité… Mais non pas d’équilibre. A les entendre (et sans pouvoir les scruter, privés donc de « l’étonnement de l’observation »), Doneda et Lê Quan stratifient en effet avec art : le soprano et le sopranino peuvent mitrailler, siffler ou graviter, les peaux rendre l’âme en filigrane ou le tambour être battu plus régulièrement, l’improvisation déjoue l’allure pour jouer de remuements au son desquels les partenaires d’hier et de toujours – « rivés aux contingences du son, à ses mouvements et à ses repos », comme l’écrit le percussionniste dans le livret du disque – se retrouvent aujourd'hui, et se découvrent encore.
Michel Doneda, Lê Quan Ninh : Aplomb (Vand’œuvre / Metamkine)
Enregistrement : 30 septembre et 1er octobre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Sol à pied 02/ Froid du ciel cru 03/ Halo d’apparences 04/ Pour la durée du dessous 06/ Les dehors
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Michel Doneda : Everybody Digs Michel Doneda (Relative Pitch, 2014)
Comme hier Bill Evans embrassant la cause publicitaire (sur la pochette d’Everybody Digs Bill Evans, Miles Davis, George Shearing, Ahmad Jamal et Cannonball Adderley saluaient les talents du pianiste), voici Michel Doneda célébré sur pochette par quelques collègues de choix (Evan Parker, John Butcher, Bhob Rainey…). Le dernier hommage est de Joe Giardullo : « The straight horn is Michel Doneda as much as Michel Doneda is the straight horn. There is no separation. »
C’est dire si l’homme a bien le droit d’agir seul. Alors, où il enregistra Solo Las Planques (Chapelle de Las Planques, Tanus), le saxophoniste est revenu en 2013 pour composer une autre fois avec la rumeur des souffles, l’imitation de l’appeau, la fragilité de notes franches, l'addenda du parallèle, l’endurance du sédiment. Le tout, lié avec force et conviction, pour abonder dans le sens d’Evan Parker : « May i commend his excellent legato? »
Michel Doneda : Everybody Digs Michel Doneda (Relative Pitch / Metamkine)
Enregistrement : avril 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Bec troué 02/ Avant canal 03/ Canal 04/ Parallèle blanche 05/ Plan Objectif 06/ Skeleton Key 07/ Après canal
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Peter Kutin : Burmese Days (Gruenrekorder, 2014)
C’est à dieb13 qu’il revient de fleurir les field recordings birmans de Peter Kutin (arrangé et composé par lui) et Berndt Thurner (original burmese metallophones). Aux electronics et platine, notre homme taille des sons de nature plus vrais que… des grouillements d’insectes, ou des chants humains, ou des bruits de train…
Entre les insectes, entre les chants, entre les bruits, dieb13 pose un larsen, d’abstract rythmiques ou un drone-basse agitateur d’aigus. Un cheval (et jamais un ange) passe et bing : re-noirs synthétiques sur ces enregistrements de terre, sur ces prières à la belle étoile (ou au beau nuage), sur ces fils sonores ténus comme des frontières. C’est un voyage sublimé par les retouches d’un gars resté sur place, en 33 tours du monde par minute.
Peter Kutin : Burmese Days (Gruenrekorder)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
LP : 01/ Burmese Days Part 1 02/ Burmese Days Part 2
Pierre Cécile © Le son du grisli
Barry Guy : Five Fizzles for Samuel Beckett (NoBusiness, 2014)
C’est un vinyle court qui consigne d’autres fruits – que ceux de Sinners, Rather than Saints – de la séance du 11 janvier 2009 organisée pour Barry Guy par NoBusiness à l’église Sainte Catherine de Vilnius. Cinq pièces qui voient le contrebassiste revenir, des années après la référence Maya, aux « Fizzles » de Samuel Beckett.
« A force de long vouloir / Tout vouloir envolé. » La formule de l’écrivain (Cap au pire) ne conviendra pas à Barry Guy. Lui, est donc allé voir à l’intérieur de Pour finir encore (ou de sa traduction) dans l’espoir de trouver l’inspiration nécessaire au retour à l’instrument puis d’abattre cinq « Fizzles » enfin.
A l’aléatoire poétique, Guy oppose une diversité de sentiments, rumine en périphérie de contrebasse, joue d’harmoniques et de grincements, de tensions surtout. S’il prend son temps, il n’est rien moins qu’évasif, chantant à plusieurs et accrochant de plus en plus, frottant puis grattant pour découvrir sous le vernis l’hymne orageux qu’il étouffait.
Barry Guy : Five Fizzles for Samuel Beckett (NoBusiness)
Enregistrement : 11 janvier 2009. Edition : 2014.
LP : A1/ Fizzle I A2/ Fizzle IIA3/ Fizzle III B1/ Fizzle IV B2/ Fizzle V
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Subsistent, dans les stocks du grisli, quelques exemplaires de notre onzième hors-série, Sept contrebasses, dont est Barry Guy. Si nos dix autres hors-série sont épuisés, certains sont encore disponibles au Souffle Continu ou chez Metamkine.
Helen Mirra, Ernst Karel : Maps of Parallels 41°N And 49°N (Shhpuma, 2015)
Si rien à faire dans l’heure qui vient, pourquoi ne pas faire le tour du Monde ? En d'autres mots : écouter ces field recordings d’Helen Mirra et Ernst Karel ? Même si, le temps de commander le disque en question… mais passons.
Une heure pile et une heure aqueuse (mais pas que…) pendant laquelle Mirra plaque deux enregistrements de parallèles terrestres sur vos deux enceintes. La pièce d'home stereo, destinée à l’origine à illustrer une installation de l'artiste, couple des enregistrements de terrain avec une guitare, une basse électrique et un générateur de bruits analogique. Rapidement, on ne sait donc plus de quelle nature sont vraiment tous ses bruits.
Mais reste l’impression (pas déplaisante) d’être parachuté et d’assister à sa propre chute. Agréable même, quand on croise ces cordes de guitare qui donnent une autre forme au projet, le propulsent dans le champ de la musique à loops et à décalages. Entre le passage d’un train, celui d’un avion, le bruit d’une cascade ou celui d’un chantier, on déniche un couloir aérien et musical fait rien que pour nous. Son doux nom ? Maps of Parallels !
Helen Mirra, Ernst Karel : Maps of Parallels (Shhpuma)
Edition : 2015.
CD : 01-02/ Maps of Parallels 41°N And 49°N at a scale of ten seconds to one degree (home stereo version)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Mark Alban Lotz : Solo Flutes (Lop Lop, 2014)
On ne pourra faire reproche à Mark Alban Lotz de ne pas souffler large. Cet infatigable glotte-trotter a visité pas mal de contrées dont il a ramené flûte sur flûte. Et c’est ainsi qu’il énumère ici des dizaines de vies, de villes et d’étendues : le tàl indien, les sequenzas de Berio, les flûtes des origines, celles des lendemains qui chantent, les flûtes du désert, les souffles ancestraux du Japon, les flûtes océanes, le théâtre des voix, Kirk et l’oiseau Dolphy, l’Afrique des origines et bien d’autres souffles se retrouvent, s’accordent, se raccordent, se reconnaissent.
Thriller ici, lenteur tarkovskienne ailleurs, Lotz est un cinéaste du souffle, un sage à qui on ne pourra décemment reprocher sa boulimie de voyages. Ni CD carte de visite, ni CD carte postale, mais CD de souffles hauts, intimes, sensibles, visibles.
Mark Alban Lotz : Solo Flutes (Lop Lop)
Enregistrement : 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Albert Speaks 02/ Eastern Desert 03/ Whole Steps 04/ Hungry III 05/ PVC Mantra 06/ Dear Moth 07/ Why Not Take All? 08/ Piccolo for Makeba 09/ Adam & Eva 10/ Whisper Alap 11/ Do Not Swallow! 12/ Major Circles 13/ The Fish on the Dry 14/ For Rhasaan 15/ Kazoo Track 16/ Inside 17/ A Fine Winter
Luc Bouquet © Le son du grisli
CABLE#8 : Emptyset, Yann Leguay, Greg Pope, John Hegre, Aaron Dilloway : Nantes, du 19 au 22 février 2015
J’aimerais être capable de rendre au moins partiellement le plaisir renouvelé chaque année d’assister (un peu) au festival Cable#, de l’enchantement de sa diversité (de programmation et de lieux), de son exigence générale, de toutes ces forces et finesses concentrées sur quelques journées. Extraits...
Emptyset (Vendredi, Espace Cosmopolis)
Des résonances qui s’intègrent physiquement, ré-agencent et ré-organisent le corps. Un instant, suivre un battement technoïde. Se raccrocher à une trame comme un retour de virus électronique qui, en son temps, avait peut-être su justement affranchir des corps encombrants, les engrenant dans une dynamique libératoire. Et permettre la perte de soi par répétition. Que le genre soit plus convenu n’importe pas réellement, bientôt il sera noyé dans la qualité d’un son âpre, d’une extrême rigueur, qui, s’il s’empare du corps, laisse l’esprit s’aiguiser à en découvrir les multiples dimensions. Le même soir aura vu la très délicate prestation d'Anne Guthrie ainsi qu’une lecture foisonnante d’Olivier Cadiot.
Yann Leguay (Samedi, Blockhaus DY.10)
Etonnamment, dans le cadre aride du blockhaus (ruin porn forever), l’impression prédominante a été celle d’une véritable sensualité. Ici, ce n’est pas tant d’une sensualité machinique dont il serait question mais plutôt de l’expression de quelque chose qui aurait très bien pu emprunter un biais plus classique et qui, malgré l’apparent paradoxe de devoir s’interpréter par les voies/x de disques durs malmenés, s’épanouit, matière souple et dense, tout en cohérence avec le lieu. S’ajoute à cela, la mise en abyme du disque dur, objet physique et donc sonore mais aussi lecteur de données tout autant audibles. Vertiges délicieux.
Greg Pope (Vendredi, Espace Cosmopolis / Samedi, Ateliers de Bitche)
Les deux performances de Greg Pope — Cipher Screen avec John Hegre le vendredi à l’espace Cosmopolis, Light Trap avec Aaron Dilloway et trois autres projectionnistes (Aurélie Percevault, Carole Thibaud et Mariane Moula), le samedi, aux ateliers de Bitche — vont certainement rester longtemps dans les mémoires des spectateurs. Pour la première, deux projecteurs 16 mm (horizontal / vertical), diffusent l’image de boucles de film qu’il détériore au fur et à mesure, poinçons, scratch, etc., de l’imperceptible à l’embrasement. Pour la seconde, quatre projecteurs installés en carré autour du public rayonnent vers le centre, leurs faisceaux créent un territoire de lumière qui se peuple suivant les mêmes procédés de sculpture directe de la bande. Difficile de faire la part du son produit par ailleurs, tant il semble être de prime abord une traduction directe du visuel puis, progressivement, s’installe dans une même intensité de frénésie créative ; on ne sait plus qui de l’image ou du son nous porte le plus, jusqu’à procurer une expérience totale, immersive et intense.
CABLE#8 : 19-22 février 2015, à Nantes.
C. Baryon © Le son du grisli
Photos : Emptyset / Yann Leguay / Performance de Greg Pope & Aaron Dilloway par Jean-Daniel Pauget.
Lucio Capece : Factors of Space Inconstancy (Drone Sweet Drone, 2014)
De la nécessité que ressent Lucio Capece de « revoir son approche instrumentale et sa façon de s’exprimer », de celle de faire de sa musique une « expérience perceptive » privilégiant désormais la « diffusion sonore plutôt que la projection », on trouvera ici l’histoire. Le disque Factors of Space Inconstancy, lui, en offrira deux exemples.
Le morceau-titre met le musicien en scène dans un dispositif qui rappelle, sans le reproduire, celui de Less is Less : ainsi, deux enceintes sans fil se balancent-elles près d’un walkman cassette relié à une pédale de volume dont le feedback fera réagir Capece au saxophone soprano. Comme sensibilisé par l’interférence des instruments, l’endroit résonne de notes différentes mais toutes fragiles, qui ici s’écartent et ailleurs se confondent sur l’équilibre toujours précaire d’un système oscillant.
L’oscillation et l’équilibre seront aussi le propos d’Eyes Don’t See Simultaneously, autre pièce de perception intensifiée. Là, les deux notes aiguës d’une sirène et le drone d’un synthétiseur analogique se contrarient avant que Capece ne décide de retourner son paysage : les basses l’emportent alors, et bientôt même : font masse. C’est le moyen qu’a aujourd’hui Lucio Capece d’aller voir derrière les évidences ; pas étonnant qu’on en tremble encore.
Lucio Capece : Factors of Space Inconstancy (Drone Sweet Drone / Metamkine)
Enregistrement : 2013-2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Factors of Space Inconstancy 02/ Eyes Don’t See Simultaneously
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Pinkcourtesyphone : Description of Problem (LINE, 2014)
Tous feux éteints, ambient glabre, est-ce de l’allemand que j’entends dans le fond ? Diantre, cette collaboration Richard Chartier / William Basinski qui inaugure cette série de Pinkcourtesyphone featurings m’aura glacé les sangs avant de me baigner dans une ambient rose bonbon qui ne me va pas au teint…
Heureusement, les collaborations se suivent et ne se ressemblent pas (si ce n’est qu’elles intègrent toutes la voix à l’ambient de Chartier). Avec AGF (Our Story) c’est quelque chose d’aussi irrémédiable que des piqures de machine à coudre et avec Cosey Fanni Tutti (Boundlessly) c’est un claustro-trip érotique qui vous fait chavirer net. Mais avec Kid Congo Powers (Iamaphotograph), la voix prend trop de place et avec Evelina Domnitch (I Wish You Goodbye) c’est le retour au diaphagnangnan. Pour faire pencher la balance en faveur de son CD, Chartier se colle tout seul à Perfectory Attachments en attachant une boucle de voix cinématographique à un crescendrone. Elève Chartier… 3,5/6. C’est-à-dire déjà plus que la moyenne !
Pinkcourtesyphone : Description of Problem (LINE)
Enregistrement : 2010-2013. Edition : 2014.
01/ Description of Problem 02/ Perfunctory Attachments 03/ Our Story 04/ Boundlessly (for M. Heyer) 05/ Iamaphotograph (Darkroomversion) 06/ I Wish You Goodbye
Pierre Cécile © Le son du grisli
Frode Haltli : Vagabonde Blu (Hubro, 2014)
Un peu d'accordéon, en ce lundi matin ? Œuvre du musicien norvégien Frode Haltli, Vagabonde Blu est le premier de ses quatre albums à être entièrement solo. En trois titres, composés à parité égale par les Italiens Salvatore Sciarrino et Aldo Clementi, ainsi que par le Norvégien Arne Nordheim, le surprenant accordéoniste prouve de main de maître que son instrument a toute sa place dans un registre contemporain – il est bien sûr à des lieues des clichés pour bals du 14 juillet et autres vieilleries pour festivals solidaires.
Notamment sur la seconde pièce, Flashing (A. Nordheim), très impressionnante de force dramaturgique et de virtuosité contenue. Par instants carrément flippantes, sans pour autant tomber dans un mauvais trip psychédélique, le morceau exprime en quatorze minutes une conviction poétique admirable, où les instants de sérénité larvée contrebalancent la violence sous-jacente du propos. Rassurez-vous, les deux autres titres valent également le détour, notamment l’admirable Ein Kleines… (A. Clementi), tout en langueur indocile et volupté post-moderne.
Frode Haltli : Vagabonde Blu (Hubro)
Edition : 2014
CD : 1/ Vagabonde Blu (Composed by Salvatore Sciarrino) 2/ Flashing (Composed by Arne Nordheim) 3/ Ein Kleines... (Composed by Aldo Clementi)
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli