Slobodan Kakjut : The Compromise Is Not Possible (GOD, 2008)
Vu que la pochette de ce double LP donne peu d’informations sur son contenu, je remercie l’étiquette du cellophane (son producteur, son attaché de presse…) de m’avoir fait cette promesse : « 65 minutes from hell coposed by Slobodan Kajkut for voice, guitar, drums and organs, recorded in St. Andrä Church, Graz, Austria ».
Sorti en 2008, ce disque noir de l’enfer pour qui « The compromise is not possible » est donc l’œuvre du patron de God Records qui a collaboré par la suite avec Michael Moser ou Weasel Walter. C’est même son premier disque, qui marque son esthétique du sceau d’une dark ambient qui raffole presque autant de silences que de metalenvolées.
L’écho de l’église où ces quatre faces ont été enregistrées va d’ailleurs bien au projet. La voix de Christine Scherzer lui donne ce je ne sais quoi d’eucharistie païenne qui piochent dans un panthéon où batifolent Stephen O’Malley, Yanka Rupkina, Richard Pinhas, Luciano Berio, Sonny Sharrock, Jon Porras et j’en passe. Heureusement, la guitare de Robert Lepenik, l’orgue d’Hannes Kerschbaumer et la batterie de Wolfgang Eichinger renversent rapidement le vin de messe et la table qu’il y avait dessous. Et si l’on ne sait plus à quel saint se vouer on mettra tous nos espoirs dans leur nouvelle idole, Slobodan Kajkut.
Slobodan Kakjut : The Compromise Is Not Possible (Wide Globe / God)
Enregistrement : 7 mars 2008. Edition : 2008.
2 LP : The Compromise Is Not Possible
Pierre Cécile © Le son du grisli
MKM, Casey Anderson, Mark Trayle : Five Lines (Mikroton, 2014)
Si elles ne bouleverseront pas l’œuvre ni les manières des membres de MKM – Günter Müller (ipods et électronique), Jason Kahn (synthétiseur analogique, radio et mixeur), Norbert Möslang (cracked everyday-electronics) –, ces Five Lines enregistrées en 2010 au California Institute of the Arts démontrent que le machicotage électronique est capable d’invention.
En compagnie de Casey Anderson (ordinateur, objets et radio) et le regretté Mark Trayle (ordinateur et guitare), le trio dessine, comme l’illustre la couverture du disque, cinq lignes en pointillés aux redirections nombreuses qui composeront sous l’effet de manipulations mesurées, voire inquiètes. Ainsi, de brouillages qui se télescopent en larsen insinuants, de sifflements renversés en perturbations parasites et de battements fins en craquements étouffés, l’électronique en partage cherche une autre abstraction. Une abstraction dont les interférences sont le lieu où prolifèrent cinq aspirations renouvelées.
MKM, Casey Anderson, Mark Trayle : Five Lines (Mikroton / Metamkine)
Enregistrement : 5 septembre 2010. Edition : 2015.
CD : 01/ Five Lines
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lemaire / Arques : De l’eau la nuit (Tricollectif, 2015)
D’abord, il faut dire que le packaging (cruciforme et gravure au plomb) fait de l’effet & qu’il nous presse rudement de nous pencher sur ces deux inconnus (de moi en tout cas, ce qui fait déjà pas mal de monde dans mon monde personnel) : Gabriel Lemaire & Yves Arques, du collectif… Tricollectif.
Pas mal de nouvelles informations à intégrer alors que j’ai déjà le cortex cérébral au bord de la rupture, mais allons donc. Lemaire est aux saxophones et à la clarinette et Arques est au piano. Comme je les découvre, je me dis au début qu’ils sont partis pour donner dans une impro tendue rebattue (genre « fuis moi je te suis » sinon « suis moi ou je te fouette »). Et c’est ce qu’ils font. Puis ils ne le font plus. On me demanderait donc d’attendre ? Soit. Je n’ai pourtant aucune conscience professionnelle… et en plus je regretterais avoir attendu pour ce mignonnet unisson sax / piano.
Je poursuis quand même et, heureusement, à peu près au milieu du disque, nos amis se (me ?) réveillent. La main gauche d’Arques semble désabusée et force le saxophone à gronder. C’est bien mieux, mais court. Ça impressionne un peu, et puis c’est tout, avant un retour à un impressionnisme qui finit de me convaincre que Lemaire & Arques papillonnent entre des références (impro / classique / contemporain…) qu’ils stérilisent. Le manque d’expérience, peut-être.
Gabriel Lemaire, Yves Arques : De l’eau la nuit (Tricollectif)
Enregistrement : 30 et 31 octobre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Les yeux ouverts 02/ Nocturne 03/ Clartés 04/ Clous et roseaux 05/ Ballade 06/ Eau obscure 07/ Le chat et l’amoureuse 08/ Berceuse
Pierre Cécile © Le son du grisli
Convulsif : CD3 (Get a Life, 2015)
La première chose que l’on remarque dans Convulsif, c’est la forte basse électrique. Normal, dirons-nous, puisque c’est Loïc Grobéty qui la tient et que Loïc Grobéty n’est autre que le noyau dur / soleil noir autour duquel tourne le metal hurlant (ou free metal, pourquoi pas, ou grind affranchi, qu’en sais-je ?) du groupe.
Ce qui change ici du metal classique, c’est l’instrumentarium. Car dans Convulsif on peut croiser un violon (Jamasp Jhabvala), de l’électronique ou une clarinette (Christian Müller) en plus du trust basse / guitare (Stéphane Loup) / batterie (Maxime Hänsenberger). Et cette particularité semble agir sur les compositions redessinées par l’improvisation. Ainsi un gimmick de basse pourra forcer le groupe au martellement sonore ou un retour d’ampli servir de drone répulsif à tout velléitaire.
Emules de Sunn O))), Lotus Eaters ou Wrekmeister Harmonies, la musique de Convulsif est là, prête à s’enrouler comme un jack dénudé autour de votre neck déboîté : sur CD et même en tournée à travers l’Europe en mars et avril.
Convulsif : CD3 (Get a Life)
Edition : 2015.
CD : 01-05/ CD3
Pierre Cécile © Le son du grisli
Goh Lee Kwang, Tim Blechmann : Findars / Claudio Roccheti, Klaus Janek : Reisenotizen (Herbal International, 2014)
L’endroit où Goh Lee Kwang et Tim Blechmann ont enregistré cette pièce d’une quarantaine de minutes – Findars Art Space de Kuala Lumpur – aura donné son nom au disque qui la concrétise aujourd’hui.
Dix ans après s’être entendu sur Drone, les deux hommes réinterrogent les possibilités de leurs interférences. Inquiet de nouveaux chants minuscules, Goh les soigne avec mesure et précision, jouant de courtes pulsations et de tremblements discrets. En parallèle, Blechmann met en route un engin qui, après s’être stabilisé, accouchera d’un drone dont l’agitation ambiante accentuera l’oscillation. Or, c’est le raffinement que l’art de Goh et celui de Blechmann se partagent ici qui donne tout son intérêt à cette nouvelle collaboration.
Goh Lee Kwang, Tim Blechmann : Findars (Herbal International)
Enregistrement : 15 février 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Findars
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Comme Blechmann, Claudio Rocchetti (traitement de field recordings et feedbacks) et Klaus Janek (contrebasse augmentée) ont fait le voyage jusqu’en Malaisie. C’était en août 2011, à l’occasion d’une tournée qui les vit passer aussi par la Chine et Hong Kong. De son séjour, le duo a ramené huit paysages retentissant que se disputent les atmosphères (enregistrées par Yan Jun, Liu Xinyu, Sin:Ned, entre autres) avec lesquelles Rocchetti compose et la turbulente contrebasse et qui, disposés les uns après les autres, révèlent un surprenant sur-naturel musical.
Claudio Roccheti, Klaus Janek : Reisenotizen - Aus Dem Land Der Mitte (Herbal International)
Enregistrement : août 2011. Edition : 2014.
CD : 01-08/ Reisenotizen Aus Dem Land Der Mitte
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #1
Cette année, le trio ldp célèbre sa quinzième année d'existence et son doyen soufflera quatre-vingt bougies. Deux anniversaires qu'Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips fêteront en différents endroits du monde où les auront menés Listening, tournée entamée le 7 mars dernier à Berne. Jusqu'en décembre prochain (promesse non contractuelle), les musiciens tiendront pour le son du grisli un carnet de route polyglotte que composeront photos, impressions et textes libres...
7 March, Berne, Suisse
Sonarraum U64
A year, about that – Now about this, the story – Re-entering an old building, familiar from youth, what was that address? Ah, yes. And it's still warm in here. The windows aren't even dusty. Welcome welcome!
B. Ph.
Heitere Fahne is das es frächs Konzert gsi.
U. L.
Yamaha. Pas le meilleur, mais pas le pire, me lance-t-on. Aucune envie de répondre, juste observer. S’asseoir, me dire son architecture, arpenter ses cordes, prendre sa mesure. Laisser venir, croiser ma position verticale avec l’harmonie horizontale de sa table. Les premiers sons traceront le territoire.
J.D.
8 Mars, St. Johann in Tirol, Autriche
Artacts 15
A mountain with some holes
Fill'em with music
Crowd a crowd in there too
Festi-value you
Love it
Keep on flowing
B. Ph.
Hans Oberlächner, festival artacts, 15 Jahre Jubiläumsausgabe: Etwa jene nie versiegende Quelle, des Trio Leimgruber_Demierre_Phillips, seit 15 Jahren faszinieren die drei Charmeure an ihren Instrumenten mit ungebrochener Spontanität – welch andere Konstellation wäre wohl besser geeignet, als diese Band zu den Paten des Festivals zu erklären.
U.L.
Boston. Lassé de payer chaque fois le transport et la location, le festival l’a finalement acheté. Mais les pianos n’appartiennent à personne. J’ai l’impression que s’ils sonnent, s’ils acceptent de sonner, c’est qu’on leur a laissé leur indépendance. Méfiez-vous des “i’ sonn’ pas c’piano”.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
WMWS : One-Night Stand (Improjazz, 2015)
Il est vrai… j’étais venu là (à l’Upstairs Room du Ronnie Scott’s Club le 14 avril 1973 sur invitation du label Improjazz) pour Robert Wyatt. A la batterie, il faisait pulser (et comment !) l’improvisation d’un quartette d’un soir. Avec lui, il y avait le saxophoniste Gary Windo, le claviériste Dave MacRae et le bassiste Richard Sinclair.
Juste après l’enregistrement de Rock Bottom, l'homme de Soft Machine travaille à une tout autre affaire. Plutôt de manière informelle, comme on dit, il improvise. Avec MacRae son comparse de Matching Mole, il donne au set un goût de rock prog et de fusion (le clavier électrique n’y est pas pour rien, MacRae faisant même penser au Chick Corea des seventies sur la deuxième face). Mais malgré l’efficacité du duo, c’est peut être Windo qui opère le mieux et donne une cohérence aux nombreuses séquences de jeu. Plusieurs fois il intervient avec autorité et, dans ses solos, vire au free. A ma grande surprise, et pour mon plus grand plaisir.
D’ailleurs, si j’étais venu là pour Robert Wyatt, c’est bien Gary Windo qui aura retenu mon attention. Depuis, il l’a même conservée.
RMWS : One-Night Stand (Improjazz)
Enregistrement : 14 avril 1973. Edition : 2015.
LP : A-B/ One-Night Stand
Pierre Cécile © Le son du grisli
GIASO : - (Fibrr, 2014)
GIASO est un orchestre. Un grand orchestre même. Et international, qui plus est (« s’il en est », auraient précisé quelques médias de grande marque). Car GIASO c’est pour « Great International Audio Streaming Orchestra » (dans l’Orchestra, j’ai ouïe entendu personnellement Joachim Montessuis et Julien Ottavi). Quoi, du streaming dans l’air ? Alors comment comprendre ces bouts de concerts à Bourges, Nantes et Bergen, alors que tout se passe sur la toile (comme auraient dit quelques médias…) ?
Passé 30 ans, j’ai de toute façon arrêté d’essayer de tout comprendre. Je m’en tiens à une ignorance sympathique et j’écoute. Un drone (tendu, le drone), le drone du grand vaisseau qui prend l’espace et que ses soupapes lâchent tout net. Mais, quoi ? Autant de musiciens pour de simples fumerolles ? Que nenni ! Car tous les parasites du monde (nos amis) qui tenaient à quitter la Terre se sont trouvés sur ce « courant ». Désertion toute : l’orchestre s’exprime vraiment une fois la stratosphère passée. Rythmes, larsens, infrasons et insectophones s’en donnent à cœur joie : c’est la fête (= le rêve), on est à la fois tous ailleurs et éloignés les uns des autres !
GIASO : - (Fibrr / Metamkine)
Enregistrement : 2013-2014. Edition : 2014.
CD : -
Pierre Cécile © Le son du grisli
Urs Peter Schneider : Kompositionen 1960-2012 (Cubus, 2014) / Kompositionen 1973-1986 (Edition Wandelweiser, 2014)
C’est toujours enthousiaste que nous poussons pour la première fois la porte ouvrant sur un corpus inconnu. Mais il faut y être préparé, même si l’on sait que cette préparation pourra ne servir à rien. Ce qui a été le cas avec le compositeur suisse Urs Peter Schneider. Né en 1939, cet élève de Stockhausen (son goût pour l’électronique et pour les chœurs lui sont-ils venu de là ?), créateur à la fin des années 1960 de l’Ensemble Neue Horizonte Bern, m’a promené pendant cinq disques.
Tout a commencé par une compilation, Kompositionen 1960-2012. Le label (Cubus Records) a eu la bonne idée de présenter les œuvres non pas dans l’ordre chronologique de leur composition mais groupées selon les instruments à qui elles sont réservées (orgue, électronique, clarinette et piano…). Dans sa crinière blanche, c’est tout un Univers que Schneider cache en fait au monde. Puisque nous sommes passés d’une musique de cathédrale hantée par des voix d’outre-classique (c’est à dire toutes celles jamais entendues dans la musique classique qui n’est pas d’opéra, comme sur Ernsteres) à un lyrique débordé par l’usage de l’ordinateur, une poésie vocale proche de l’Ursonate, des soli brumeux, une pièce plus classique pour ensemble ou clarinette et piano, et à de mystérieux récitatifs.
Notre préparation ne nous avait servi à rien, mais l’expérience nous engageait à poursuivre notre exploration. C’est là que les éditions Wandelweiser sont intervenues. Sur les deux disques du Kompositionen 1973-1986, il y a d’autres propositions. Et d’autres chemins. Une marche contrariée pour deux pianos ou une magnifique conférence-fantôme où des voix se répètent, disparaissent sous le déluge, refont surface, etc. Un opéra distendu jusqu’à la trame ou une énigmatique fantaisie pour orgue. Ce n’est pas toujours enthousiaste que nous refermons la porte qui donnait sur un corpus inconnu. Cette fois, c’est précautionneusement que nous le faisons, car elle doit nous resservir bientôt.
Urs Peter Schneider : Kompositionen 1960-2012 (Cubus)
Edition : 2014.
3 CD : Kompositionen 1960-2012.
Urs Peter Schneider : Kompositionen 1973-1986 (Edition Wandelweiser)
Edition : 2014.
2 CD : Kompositionen 1973-1986
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Knyst! : Knyst! (Gaffer, 2013)
Passée une première plage à l’humour potache (Rectal Injections), Knyst! ne cachera plus rien de son projet : faire comme les copains. Et on dira – à regret – de ce (free ?) jazz qu’il est entendu, déjà entendu.
Pourtant : un alto (Kasper Skullerud Vaernes) aiguisé et éructant comme Zorn rêverait encore de le faire, un contrebassiste (Christian Meaas Svendsen) mordant et perspicace dans ses interventions solos (noyés dans la masse sonique ailleurs) ainsi qu’un batteur (Andreas Wildhagen) amoureux de découpes sèches et tonnantes auraient pu faire la différence. Mais voilà, ceci ressemble à ceci… et encore plus à cela… Et l’oreille du chroniqueur sature de copie…
Knyst! : Knyst! (Gaffer Records)
Enregistrement : 2011. Edition : 2014.
CD : 01/ Rectal Injections 02/ Achsulott 03/ Denmark 04/ Pass 05/ Fiske 06/ Eine kleine Skleppy 07/ Om Natt 08/ Dr. Nakamats
Luc Bouquet © le son du grisli