Festival Musica [2016] : Strasbourg, du 21 septembre au 8 octobre 2016
Le Festival Musica de Strasbourg, qui en est à sa 34e édition, est en général très largement dévolu aux musiques contemporaines plutôt académiques, voire institutionnelles, nonobstant quelques ouvertures à l'occasion de certaines éditions à des esthétiques plus proches des musiques improvisées (surtout lors de ses quinze premières éditions (Un Drame Musical Instantané, Anthony Braxton, Cecil Taylor, Trio Traband a Roma, Cassiber, Phil Minton, David Moss…). Les musiques électroacoustiques, plus précisément acousmatiques, y furent longtemps les parents pauvres : absentes de certaines éditions, tout au plus une rencontre parmi la trentaine de rendez-vous proposée chaque année, elles ont l'honneur de cette présente édition. Est-ce dû à la création d’un département consacré à ces esthétiques au Conservatoire de Strasbourg, appuyé par le partenariat avec l’Université de Strasbourg / HEAR (Haute école des arts du Rhin) ? Toujours est-il que le programme de l’édition 2016 de Musica alignait près d’une dizaine d’événements en rapport avec ces courants des musiques contemporaines.
La première semaine (du 21 au 24 septembre) à laquelle on peut rattacher la soirée du mercredi 28 septembre avec le concert de Thierry Balasse (Messe pour le temps présent) tournait principalement autour du GRM, dont le directeur actuel, Daniel Teruggi, présenta en prologue l’acousmonium, avant d’animer une discussion avec Thierry Balasse et eRikm. Cette installation permit tout d’abord d’entendre des créations de certains étudiants de la classe du département d’électroacoustique de l’académie supérieure de musique de Strasbourg, ainsi qu’une de l’enseignant coordinateur, Tom Mays dont le Presque rien pour Karlax usait d’archives de Luc Ferrari fournies par Brunhild Ferrari. Parmi celles des trois étudiants, Dreaming Expanses d’Antonio Tules apparaissait la plus évocatrice d’un cinéma sonore, les deux autres, quoique ambitieuses, affichaient encore un côté « étude » moins propice à l’imaginaire de l’auditeur : très techniques et pleines de heurts pour Les cheveux ondulés me rappellent la mer de mon pays, du Chilien Sergio Nunez Meneses, une utilisation plus intense des ressources de l’ensemble de l’acousmonium, avec Registres de Loïc Le Roux.
Le lendemain, ce fut la présentation de la dernière œuvre de Pierre Henry (absent pour raison de santé), Chroniques terriennes. Celle-ci n’a pas la densité sonore d’autres œuvres du maître, et pourrait presque s’apparenter à une sorte d’écologie sonore, proche de l’acceptation canadienne de ce vocable, avec ses stridences de cigales, ces ululements ou roucoulements s’ils n’étaient perturbés par des sonorités plus mécaniques, plus anthropiques. Assurée par Thierry Balasse, la diffusion spatialisée de cette création fut suivie par celle de Dracula, créée il y a une quinzaine d’années.
Les auditeurs de Musica retrouvèrent le lendemain l’acousmonium du GRM pour deux sets de présentation d’œuvres réalisées en son sein. D’abord quelques œuvres historiques (deux études de Pierre Schaeffer, forcément, trois œuvres de la fin des années 1960, début 1970 à travers Luc Ferrari, Bernard Parmegiani et François Bayle, dont L’expérience acoustique use de sons empruntés à Soft Machine !, et plus récente, Anamorphées de Gilles Racot). Histoire de montrer les diverses approches. Le second set proposait des œuvres plus récentes. Celle de Vincent-Raphaël Carinola, Cielo Vivo, basée sur quelques vers de Garcia Lorca et offrait une spatialisation intéressante à une trame mouvante et fortement rythmée, plutôt emphatique. Draugalimur, membre fantôme d’eRikm devait suivre : « C’est une pièce que j’ai faite à la suite d’un voyage en Islande en 2013 er ça tourne autour d’un conte islandais sur l’infanticide des familles pauvres, un conte dont j’avais entendu parlé par une amie qui a beaucoup vécu en Islande. J’ai rencontré différentes personnes, je suis entré dans différents paysages, et avec Natacha Muslera nous avons fait des prises de sons... J’ai puisé dans ces enregistrements pour réaliser cette pièce en octophonie… »*. Peut-être la pièce la plus riche en sonorités des quatre présentées durant ce set. Celle de Guiseppe Ielasi, Untitled, January 2014, semble débuter comme une étude mais se meut peu à peu en un récit, parfois linéaire, tantôt plus animé. Springtime de Daniel Teruggi proposa un environnement sonore plutôt onirique, plaisant et prenant, assez rythmé, nourri toutefois d’une voix mutante tantôt proche de la diction d’un Donald Duck, tantôt plus cérémoniale, voire presque sépulcrale.
Deux rendez-vous marquèrent la deuxième semaine. La soirée du mercredi 28 septembre, Thierry Balasse proposa sa re-création, plus instrumentale, et jouée par sa formation Inouie, de la Messe pour le temps présent de Pierre Henry, précédée de deux autres pièces, une récente création de Pierre Henry encore, Fanfare et arc-en-ciel, pièce plutôt ludique diffusée sur des haut-parleurs mixant orchestre et sons purement acousmatiques et Fusion A.A.N. de son propre cru, présenté par les musiciens d’Inouie (Thierry Balasse lui-même au cadre de piano, bagues-larsen, theremin, cymbale, cloches tubulaires, synthés…, Benoit Meurot aux guitare et synthé, Cécile Maisonhaute aux piano préparé, flûte, guitare, voix, Eric Groleau aux hang, cadre de piano et batterie, Eric Löhrer à la guitare, Elise Blanchard à la basse, Antonin Rayon aux synthé et orgue, enfin Julien Reboux au trombone).
ElectroA, ou la prestation soliste d’eRikm fut le second rendez-vous de la semaine. Dans un halo de lumière rougeâtre, le musicien improvisa pendant près d’une heure avec ses deux platines CDs, divers ustensiles et effets, mixant les sons, mettant d’autres en boucles, créant une fresque sonore mouvante, parcourue de pulsations avant d’évoluer vers des sections plus linéaires, presque minimales mais régulièrement perturbées par divers couinements, triturations, maintenant l’auditoire dans un qui-vive permanent.
Les musiques électroacoustiques se déclinèrent en trois prestations lors de la troisième semaine de Musica. Les festivaliers eurent d’abord droit à un troisième acousmonium (après celui du GRM et celui de Pierre Henry) : c’est le studio Musiques et Recherches, de la musicienne belge Annette Vande Gorne, invité par Exhibitronic (Festival international des Arts Sonores, né à Strasbourg en 2011 auquel Musica a proposé une carte blanche !) qui en assura la maintenance pour diffuser quatre pièces, quelque peu inégales. La première, Avant les tigres, due à un jeune élève de Musiques et Recherches, Laurent Delforge était plutôt narrative, colorée, proposant une sorte de paysage mouvant sans agressivité. Annette Vande Gorne diffusa une de ses dernières créations, Déluges et laissés par les actions humaines, avec forces références (Claude Lévi-Strauss, Anatole France, Pasolini) et un questionnement. Pourquoi ? Cette pièce ne fit pas l’unanimité dans l’audience, contrairement à espace-escape, pièce de 1989 que Francis Dhomont présenta au public strasbourgeois après la courte séquence dévolue à Yérri-Gaspar Hummel (directeur artistique d’Exibitronic) et son point de contrôle C, qui évoquait, de manière plus emphatique (malgré les sons d’orage) la condition humaine, la liberté, les frontières.
Deux concerts mixtes (instruments et acousmatique conjoints) constituèrent le plat de la pénultième journée du festival, dont le concert de clôture officiel. Tout d’abord le décoiffant KLANG4, avec Armand Angster (saxophone, clarinettes), Françoise Kubler (voix, harmonica, percussion) entourés d’un platiniste / sampleur, Pablo Valentino, et du compositeur électroacousticien Yérri-Gaspar Hummel. Cette prestation fut aussi mixte dans sa conception, entre trame apparente écrite et pratique improvisée. Tout en nuances, les deux acousticiens surent créer un environnement sonore raffiné et renouvelé aux interventions d’Armand Angster qui, ainsi, dérogeait à l’attitude souvent convenu inhérente à ses interprétations de la musique contemporaine, en se lâchant. De même, malicieuse, Françoise Kubler, vocalisant, minaudant, susurrant, chantant en diverses langues conquit son public. Un concert réjouissant.
Drum-Machines. Cela fait un peu plus d’un an que l’on attendait cette création associant eRikm (interprète et concepteur) et Les Percussions de Strasbourg (à travers quatre de ses membres). Elle débuta en septembre 2015 par une première séance de travail, se met progressivement en place au cours de l’année pour être enfin présentée à cette édition de Musica. Le résultat, ce fut d’abord l’esthétique musicale d’eRikm démultiplié, densifié, qui, pendant près d’une heure, apparut comme une machine infernale dans laquelle les instruments acoustiques (frottés, triturés…) se confondaient tantôt avec les sons distillés par le compositeur, tantôt s’individualisaient délicatement tout en en proposant des usages iconoclastes (qu’un jeu de caméras et d’écran permettait de visualiser) : vielle à roue, brindilles sur peau de tambour vibrant à la caresse d’une bille, plaque de métal, polystyrène… Un concert final étonnant et dynamique qui apparemment sut aussi ravir les aficionados des interprétations de musiques plus institutionnelles par les Percussions de Strasbourg.
P.S. Quoique ces quelques lignes se limitent volontairement à un aspect de la programmation, je ne peux m’empêcher de citer, parmi la trentaine d’autres rendez-vous concernant de l’édition 2016 de MUSICA, le compositeur espagnol Arturo Posadas, dont les œuvres « noires » (La lumière du noir, Anamorfosis, Oscuro abismo de llanto y de ternura), proposées par l’ensemble Linéa,Sombras (par le Quatuor Diotima, une soprano et un clarinettiste) et même Kerguelen (par l’orchestra national des Pays de la Loire) révélèrent une esthétique particulière. Il régnait dans ces prestations un esprit presque zeuhlien, en tout cas proche des ambiances distillées par Univers Zéro ou Présent. Et le même quatuor Diotima, avec Visual Exformation composée par le suédois Jesper Nordin** fit penser à l'Art Zoyd des années 1970. Voire à Sandglasses de la compositrice lituanienne Justė Janulytė (Musica 2011). Ou encore à Hildur Guðnadottir, violoncelliste islandaise (que Musica ferait bien d’inviter !)
Pierre Durr (textes & photos) © Le son du grisli
* extrait de l’interview réalisé pour le compte de Radio Bienvenue Strasbourg
** lequel a justement proposé sa pièce Pendants à l’ensemble L’itinéraire sur le CD Experiences de vol #8 édité par Art Zoyd Studio en 2010
Merzbow, Keiji Haino, Balázs Pándi : An Untroublesome Defencelessness (RareNoise, 2016)
Quand on est fatigué des trios guitare / basse / batterie, pourquoi ne pas essayer les trios guitare / électronique / batterie ? Et l’un des plus engageants (sur le papier tout du moins) en plus ? Alors BIM Keiji Haino / Merzbow / Balázs Pándi, captés l’année dernière à Tokyo.
Depuis ses débuts on a l’habitude d’entendre le batteur hongrois avec Merzbow en duo ou avec Merzbow et Mats Gustafsson en trio. S’il s’est déjà frotté à la guitare avec Joe Morris & Thurston Moore, il gravissait tout de même un échelon en imaginant la rencontre de son duo avec Merzbow et de Keiji Haino. Maintenant, puisqu’il était particulièrement attendu, An Untroublesome Defencelessness s’avère d’autant plus décevant.
D’abord parce que la batterie recouvre lourdement la guitare et l’électronique qui sont parfois poussifs de la première à la troisième partie du premier titre, Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters… Et si c’est bien mieux sur le deuxième morceau (en quatre parties), entre grosse batterie, ronronnements de guitare et cris gutturaux, c’est encore pas à la hauteur de nos attentes. Du réchauffé qui marche toujours, mais du réchauffé qui tourne en rond, donc du réchauffé malheureusement.
Merzbow, Keiji Haino, Balázs Pándi : An Untroublesome Defencelessness
RareNoise
Enregistrement : 15 avril 2015. Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters... (Part I) 02/ Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters... (Part II) 03/ Why Is The Courtesy Of The Prey Always Confused With The Courtesy Of The Hunters... (Part III) 04/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part I) 05/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part II) 06/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part III) 07/ How Differ The Instructions Of The Left From The Instructions Of The Right? (Part IV)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Milford Graves : en conversation avec Garrison Fewell
Cette conversation est extraite de De l'esprit dans la musique créative, ouvrage dans lequel Garrison Fewell converse avec vingt-cinq musiciens improvisateurs, parmi lesquels, outre Milford Graves,on trouve Joe McPhee, Wadada Leo Smith, John Tchicai, Steve Swell, Irène Schweizer, Oliver Lake... Les (3) derniers exemplaires du livre peuvent être commandés sur le site des éditions Lenka lente.
GARRISON FEWELL : Pour rendre hommage à vos connaissances en matière d’acupuncture et d’herboristerie, j’aimerais débuter notre conversation en abordant le sujet des pouvoirs thérapeutiques de la musique. Votre récente interview dans le New York Times dit beaucoup de vos recherches sur la relation entre la musique et le cœur humain. Pouvez-vous m’en dire davantage ?
MILFORD GRAVES : Pas de problème, si je peux divaguer et improviser librement, sans inhibition et sans la peur de choquer les gens. Actuellement, j’invite pas mal de musiciens chez moi parce qu’ils ne cessent de me dire : « J’ai lu des trucs sur tes recherches mais tu fais quoi exactement ? » Je leur réponds que la meilleure façon d’en apprendre est de venir me rendre visite. Je poursuis mes recherches en prenant garde à ne faire d’ombre à personne ; je ne veux offenser personne, surtout pas ceux qui ont suivi de longues études, les compositeurs par exemple. Mes recherches m’ont amené à penser de façon totalement différente et j’ai dû prendre du recul en ce qui concerne ce que nous faisons en tant que musiciens. Nous devons faire une pause et nous poser les bonnes questions : « Qu'est-ce que la musique ? Que faisons-nous exactement ? Quelle est notre responsabilité ? » J’utilise la métaphore de la musique car la musique vient du cœur, et je pense être parvenu à rendre ceci un peu plus évident en essayant de comprendre comment le corps se comporte. Il m’est apparu que nous devons absolument repenser la façon dont nous faisons de la musique. Il faut sérieusement y songer. J’ai animé un atelier au Guelph Festival, il y a trois ou quatre ans, qu’ont fréquenté beaucoup de musiciens académiques. A l’occasion d’une soirée, un type est venu me voir et m’a dit : « Vous savez, nous faisons face à un challenge. Votre conférence nous a vraiment fait réfléchir sur la musique. » J’ai répondu : « Tant mieux ! » Certains diront : « Je vais essayer de relever ce défi » et d’autres penseront : « Non, je ne peux pas changer ma façon de faire car elle a toujours été ainsi. » Revenons un peu en arrière. En 1960, j’avais un groupe de latin jazz funk. Le groupe était composé d’un bassiste, d’un pianiste, Ray McKinley dont la sœur jouait du vibraphone avec nous. Elle avait eu un doctorat, avant même Donald Byrd et tous ces gens. Quand le bassiste est parti après une répétition, ils ont commencé à dire : « Ce type a un bon feeling mais il ne joue que les mauvaises notes ! » J’avais dix-neuf ans et je n’arrivais pas à comprendre ce qu’ils entendaient par le fait de jouer les mauvaises notes. C’était très perturbant pour moi car à l’époque je ne lisais pas la musique ; je ne jouais qu’à l’oreille. J’ai commencé à bûcher et je me suis dit : « C’est incroyable ! Il n’y a pas de règles définitives, il n’y a qu’une règle, qui est celle de jouer dedans ou dehors, jouer ou pas les ‘‘mauvaises notes’’. » Puis j’ai fait des recherches sur l’origine des notes, des gammes, etc. Et je me suis dit alors : « C’est fou, chaque personne sur Terre a un concept particulier, les gens entendent la musique comme ils le veulent, ce qui prouve que rien n’est faux ; ce n’est pas parce qu’on joue telle ou telle note qu’on est plus faux que les autres. » D’un point de vue absolu, il n’y a pas de vrai ou de faux. Je me suis mis à enregistrer les sons que produit le cœur en développant un programme à l’ordinateur. Au départ, je voulais simplement connaître les changements de tonalité du cœur. J’ai contacté un médecin qui avait écrit un article dans un magazine spécialisé sur la cardiologie à propos de la fréquence du premier et du deuxième son du cœur. Notre discussion a duré trois heures. Il m’a expliqué qu’il était en train d’amener les cardiologues à analyser les changements de tonalité du cœur mais que ceux-ci ne se sont pas montrés très intéressés, sans doute parce qu’ils n’étaient pas musiciens. Il m’a expliqué qu’il y avait une façon d’analyser ces fréquences, que cela pouvait se faire numériquement et que la seule organisation possédant le matériel capable d’analyser les sons du cœur autrement que de façon analogique était la marine américaine. Ces appareils coûtaient 40 000$. A cette époque, au début des années 1970, c’était une somme énorme. Ce fut le début de mes recherches sur les sons du cœur. J’allais souvent à la librairie Barnes and Nobles à Manhattan et, un jour, au rayon Sciences, j’ai trouvé un enregistrement du cœur réalisé par des médecins. Après avoir écouté cet enregistrement, j’ai contacté par téléphone tous les batteurs que je connaissais pour leur expliquer ma trouvaille : « C’est incroyable, mec, je viens d’écouter tous ces sons produits par le cœur, toutes ces arythmies ; elles sont la reproduction exacte de ce que fait le tambour batá dans le Santería des Yorubas. Je ne sais pas comment ils ont trouvé cela, mais ils reproduisent exactement ce que fait notre corps. »
Cette expérience fut le début de quelque chose d’important pour moi. Et aujourd’hui, j’analyse chaque fréquence trouvée dans le son du cœur. Après quoi, je stimule les neurones et le système neurologique de notre corps. Lors de mon expérience avec William Parker, il m’a dit que je faisais une connexion entre les sons du cœur et la musique. J’ai enregistré son cœur puis le lui ai fait écouter. Je vous assure que son cœur sonnait exactement comme sa façon de jouer de la contrebasse. J’ai dit à William : « Je peux faire de toi un meilleur contrebassiste ! Je peux entrer en toi et te dire exactement où tu en es et ce que tu vas faire. » J’ai redit la même chose aux musiciens cubains que j’ai rencontrés car la musique qu’ils jouent est fortement liée aux battements du cœur. Tout se passe là- dedans. J’en suis arrivé à un point où j’estime que pour vraiment toucher ou stimuler le corps humain, le corps humain non-préparé – j’entends par là celui des gens qui n’ont pas encore été affectés ou influencés par les médias, la musique du Top-Ten et qui ne pensent pas encore en termes de « meilleur » saxophoniste ou guitariste ou batteur : ce sont particulièrement les enfants, eux sont encore purs et ne savent pas à l’avance ce qu’ils sont supposés entendre –, pour entrer en profondeur dans ce corps, il faut revoir notre approche de la thérapie par la musique, ce n’est souvent pas la bonne manière de faire. Nous ne sommes pas en harmonie avec la façon dont notre corps oscille, en tout cas pas selon mes recherches. Aujourd’hui, les cardiologues travaillent sur la variabilité des battements du cœur, peut-être en avez-vous entendu parler... L’une des techniques les plus importantes de diagnostique en cardiologie est aujourd’hui de mesurer la durée entre chaque battement, et cette durée n’est pas métronomique. Si elle l’était, la durée entre les battements serait toujours la même et, pour la nature comme pour les cardiologues, ce serait là une pathologie. Je me pose donc la question : « Pourquoi utilisons-nous des métronomes ? Pourquoi comptons-nous ainsi ? » C’est ce qui m’a amené à penser que nous sommes totalement « désaccordés ». Si l’on veut faire partie de la clique, du groupe, ça ne me gêne pas qu’on aborde les choses ainsi et qu’on écoute ce qu’on a l’habitude d’écouter ; mais si l’on veut utiliser la musique comme outil de guérison, si l’on souhaite être en harmonie et bien saisir la résonance des oscillations du corps, alors il nous faut repenser notre manière d’écouter et de faire de la musique. Je pense que j’en ai dit pas mal, déjà, n’est-ce pas ?
GF : Oui, et c’est fantastique !
MG : Je dis toujours que je ne suis pas contre ce que nous avons pris l’habitude de faire. On peut se faire plaisir avec nos habitudes, mais si l’on veut vraiment faire les choses sérieusement, on peut se servir de ce que je viens d’expliquer. Les gens s’identifient à la musique populaire parce qu’ils ont été conditionnés à le faire, mais si on s’enfonce dans les microcircuits du corps alors il nous est impossible de continuer à agir de telle sorte. Les barres de mesure en musique ne sont pas statiques. Certains diront que c’est comme si nous jouions à côté du temps, hors tempo. Selon moi, tant que l’on souhaite divertir et se faire plaisir, cela marche très bien, il n’y a aucun problème. Après, quand on entre dans le fond du problème, là c’est différent.
GF : La musique n’est pas qu’un divertissement même si la société en décide souvent autrement. Je suis d’accord avec vous au sujet du pouvoir thérapeutique de la musique, et l’improvisation me semble être un des éléments-clés de ce pouvoir.
MG : C’est vrai. Nous nous sommes limités, nous avons fait en sorte de rester bien à distance du maximum que pourrait nous offrir notre potentiel. En tant que musiciens, nous avons une responsabilité dans la façon dont évolue la planète, l’univers. Je dis toujours aux musiciens que, bien qu’ils pensent jouer simplement d’un instrument et que leur responsabilité n’est que de composer, d’enregistrer, de donner des concerts, de gagner de l’argent, leur responsabilité est en fait bien plus grande. Nous sommes les intermédiaires entre la façon dont le cosmos vibre et les gens, c’est ce que nous devons leur délivrer. C’est pourquoi je dis toujours que les musiciens sont des oscillateurs. Nous sommes au-dessus du lot. Nous comprenons comment cette oscillation fonctionne, alors pourquoi nous limiter à une petite partie du spectre tonal ou rythmique ?
GF : Mon père était cardiologue et professeur à l’université Temple. Il m’amenait souvent au Franklin Institute, qui possédait un modèle de cœur géant. C’était fascinant, vous pouviez marcher dans ce cœur et entendre des battements de partout : boum boum, boum boum... Quand vous parlez de résonance et d’accord avec la façon dont le cœur oscille, cela me ramène à l’accordage du cœur, un peu comme quand vous avez deux diapasons dans une même pièce: quand vous en faîtes résonner un, l’autre, même s’il est à l’autre bout de la pièce, se met à vibrer en harmonie, par vibrations sympathiques. Comme quand, à travers le dialogue, il arrive au cœur d’une personne de se synchroniser avec celui d’une autre et de s’y accorder. Et si l’un des deux cœurs est « désaccordé », qu’il ne ressent pas le pouvoir du dialogue, le son de la voix humaine, comme compatissante, peut se charger de compenser ce déséquilibre. Grâce à la musique, vous pouvez accorder le cœur humain dans l’intention de créer quelque chose de positif au moment opportun. Votre but n’est donc pas simplement de divertir.
MG : C’est tout à fait vrai.
GF : Vous venez de parler de notre responsabilité en tant qu’interprètes de musique créative. Quel rôle jouons-nous dans la société, et comment en élever le niveau ?
MG : Je pense que la première chose à faire est de jeter un œil à toutes les cultures qui existent dans le monde. Chez nos ancêtres, la musique avait un enjeu holistique. Le musicien n’était pas seulement fait de musique. Il connaissait la philosophie, la littérature, c’était un guérisseur. Vous étiez herboriste, rebouteux, acuponcteur, guerrier. Vous aviez une situation de globalité. Par exemple, comme je le dis souvent, si on ne voit les arts martiaux que comme un concept féodal capable de faire mal, on est dans l’erreur. J’ai toujours enseigné les arts martiaux en lien avec le système immunitaire. Ainsi, je déclare : « Je vais vous apprendre une prise mais, avant cela, regardons comment est faite une cellule sanguine. Peu importe ce que vous faites en dehors, vous devez penser à ce que vous faites en dedans, ainsi vous serez en harmonie. » Quand des gens se battent, je pense toujours : « Interrogez-vous, essayez de voir qui a besoin d’un léger ajustement, ainsi vous stimulerez votre système immunitaire pour ne pas détruire la personne qui vous fait face. » J’appelle cela le massage positif ou actif, grâce auquel vous accédez à des endroits essentiels de votre corps. J’utilise beaucoup de références comme celle-là. C’est un travail de recherche que j’accomplis avec les musiciens. J’ai été inspiré par nos anciens. Eux ne voyaient pas la musique comme un divertissement mais l’utilisaient dans un but holistique, pour faire de l’être une personne complète. Si vous n’êtes plus en harmonie, tout peut se détraquer ! Nous produisons des sons, qui sont des expressions reprises de l’enfance. Les enfants s’expriment par des postures et des sons différents. Mais nous avons cela en nous, même si nous le perdons quand les autres commencent à avoir de l’influence sur nous en nous mettant dans telle boîte, en nous disant ce que l’on peut faire ou ne pas faire. Ils ne veulent pas de votre esprit car ils savent qu’ils n’auront pas de contrôle là-dessus et que vous pourriez même finir par les manipuler ! L’une des premières questions que j’adresse aux musiciens est : « Vous étudiez les notes, les rythmes, les formes et tout le reste, mais étudiez-vous la physiologie ? Savez-vous comment le tympan vibre ? Quel en est le mécanisme ? Comment les cils des bronches oscillent sur les poumons ? » Selon les scientifiques, ils oscillent à 20 hertz : il s’agit donc d’un mi bémol, mec ! C’est ça, pour moi, respirer ! Alors, quand on entend les anciens parler du Mi bémol ou du Si bémol, il faut faire la relation avec tout le reste ! Ces gens ont vécu des choses difficiles et de grands changements sociaux et tout cela a été exprimé par une musique humaine. On a tous cela en nous. Et si nous devions vivre ces mêmes conditions, nous ferions la même chose qu’eux. Mon grand- père m’a appris une chose. Il faisait partie de ces vieux bluesmen africains-américains qui n’étaient jamais allés à l’école. C’est ce qui me fascine toujours à propos de la provenance de l’improvisation, surtout dans la musique africaine-américaine. J’ai compris une chose : du fait qu’ils n’ont pu aller à l’école et que tant de choses leur étaient interdites, l’improvisation est ce qui leur a permis de survivre. J’en conclus donc qu’elle est un style de vie, un vrai style de vie. On en fait des tonnes concernant l’improvisation, mais si on veut improviser il faut se confronter au monde, c’est tout. Comme Bouddha le disait. Vous savez, il a laissé tomber son statut de prince, ses richesses et il a dit : « Je veux vivre dans la pauvreté... Je veux savoir ce qui me permettra de réaliser une introspection et d’en connaître la nature. » C’est un tout. Parfois il faut dire : « Il va falloir que tu comprennes cela seul. » C’est ça, l’impro ; et si tu veux vivre, tu vas le faire. Si tu en as la volonté, si tu as l’esprit d’un guerrier, des choses dont tu ignorais jusqu’à l’existence vont surgir de toi. Au Bennington College, je rendais les étudiants complètement fous, mais alors vraiment fous ! Ils étaient parfois en colère après moi. Ils venaient en cours et me disaient : « Vous nous racontez tous ces trucs mais vous ne nous donnez jamais de travail. » Ce à quoi je répondais : « Vous voulez apprendre à improviser ? Tout ce dont je parle en classe est fait pour vous inspirer ou vous livrer une information qui vous permettra d’y arriver seul. Je n’ai pas à vous donner de devoirs en vous disant que vous échouerez si vous ne les faites pas. Si vous avez compris ce que je suis en train de vous dire, que vous l’avez ressenti au fond de vous et que vous voulez bien vous y essayer, pas juste pour m’obéir et avoir une bonne note mais pour vraiment improviser alors vous y arriverez. Il suffit simplement de m’écouter. » Pour argumenter, je me mettais à jouer en disant : « Essayez de ressentir ce que je ressens. Allez-y, faites cette expérience ! » C’est mon grand-père qui m’a enseigné ça... Comme je le répète régulièrement : « Ce type a tout fait, mais il n’est pas allé à l’école pour ça. Tout ce qu’il avait à dire était : ‘‘ Je veux vivre !’’ »
GF : Je suis professeur de musique depuis trente-sept ans et je comprends très bien ce que vous dites. Si vous voulez connaître la vraie nature de la musique, vous devez le faire seul, avec un guide approprié. Comment l’administration a t-elle réagi au fait que vous ne donniez pas de devoirs ?
MG : Vous savez, Bennington c’est Bennington ! Si j’avais enseigné dans un établissement plus « carré », j’aurais probablement eu des problèmes. (Rires)
GF : L’année dernière, j’ai étudié le cerveau humain et la façon dont nous apprenons afin de pouvoir enseigner plus efficacement. L’une des choses que j’ai apprises a été de « transformer les tests en quêtes » : il s’agit, au lieu de tester les connaissances, de se changer en chercheur de savoir en posant des questions du genre : « Quelles sont les solutions possibles à ce problème ? Je ne te donne pas la solution mais essayons ensemble d’explorer ces solutions et de les découvrir. » Il s’agit d’inspirer les étudiants à travers des exemples ; alors, quand ils poursuivent leur propre quête, ils apprennent et retiennent bien mieux que si on leur avait délivré une réponse qu’ils auraient simplement mémorisée. C’est la même chose en histoire et en musique, il ne s’agit pas de connaître une quantité de faits. Au final, comme vous le dites, si vous avez un esprit curieux et un instinct de survie, alors vous trouverez la réponse.
MG : Tout à fait. Là-dedans, il y a toute la métaphysique et toute la spiritualité, il n’y a plus qu’à l’appliquer, vraiment. Mon grand-père jouait de la guitare et de la batterie et il a construit sa maison, et moi, j’essaye de faire tout ce qu’il a fait. Je l’ai observé ; il avait son propre jardin d’herbes médicinales, il venait de Caroline du Sud, du comté du Geechee, et il est en moi, mec, vraiment en moi ! Bien sûr, quand j’étais enfant, je n’avais pas conscience de ce qu’il était : un facteur dominant, contre lequel j’ai voulu me rebeller, mais qui m’a marqué à vie parce qu’il avait cette sorte d’ascendance...
GF : En l’observant, vous avez été capable de tirer des enseignements et pas seulement parce qu’il pouvait dire : « Écoute, petit, je vais te donner une leçon. » Vous avez observé ce qu’il a fait pour survivre, vous avez appris que l’improvisation est une leçon de vie, qu’il vous faut d’abord apprendre à propos de la vie pour ensuite saisir le reste.
MG : Oui. Mon oncle, lui, jouait des cuillères. Il avait une planche avec des cordes et il chantait… (Il chante à la façon des chanteurs de Delta Blues) ... ça faisait du bien d’entendre ça, tu vois ce que je veux dire ? Ça faisait tellement de bien que je me disais : « Je ne sais pas pourquoi mais ça pulse, ça met une de ces ambiances ! » C’était fait pour que tout le monde garde le moral, en fait. On ingurgite de la nourriture pour rester en vie, voilà pour la bouche. Mais on a aussi besoin des autres récepteurs, que nos tympans vibrent notamment. Tout conduit à la même chose, au final. Tout oscille à travers le corps par transmission électrique, tout est connecté. Tous ces trucs sont connectés entre eux, et il est de notre responsabilité de les entretenir. Il ne suffit pas de nourrir les gens avec des choses qui leur donnent l’impression d’être bien de façon artificielle, comme c’est le cas avec le sucre, le sel, le gras. Il faut aussi fournir aux gens des légumes, des fruits, des céréales, même si certains n’aiment pas ça. Comme je le dis toujours : « Vous savez pourquoi vous n’aimez pas ça ? Parce que votre goût n’y est pas habitué. La nourriture a tellement été transformée qu’il vous est impossible de goûter à l’ingrédient pur. » Alors, que faisons-nous ? On convoque un conseil à D.C. et on explique la vie à ces gens qui ont inventé le Top-Ten et qui nous nourrissent de gras, de sucre et de sel. On doit réunir les gens, leur montrer ce qui est bon pour nous et montrer quels sont les nutriments dont nous avons besoin. C’est de cela dont la musique manque, de ces nutriments qui vont nous faire du bien.
GF : Les gens mettent trop de sucre, de graisse et de sel dans leur musique !
MG : Mais oui, absolument, exactement. Ils aiment bien ce truc backbeat, les paroles d’amour et tout ça, ça sonne bien. Je comprends qu’on ait besoin de ça aussi mais il faut parfois mettre un peu de nutriments là-dedans, des éléments qui vous aideront à tenir le coup, qui aideront le cerveau à prendre un chemin différent et qui nous permettront d’avoir accès à notre part créative et audacieuse.
GF : Comment stimuler ces qualités créatives et augmenter la quantité de bons nutriments dans la musique et la culture ? Le sucre, le gras, le sel... le corps raffole de ces choses.
MG : Je vais vous dire un truc : je nourris chacun de mes récepteurs de base, la vue, l’ouïe, le goût, le touché, l’odeur, ainsi que l’imagination ou la clairvoyance. J’étudie les différentes sortes de nourritures qui permettent aux populations de survivre et j’essaye de stocker ces nutriments dans ma cuisine. Je n’omets rien. Je veux savoir quels sont les nutriments qui ont permis aux cultures de rester en vie si longtemps. C’est le monde entier que j’invite dans ma cuisine. J’ai commencé cela dans les années 1960. On trouve tous les genres de musique chez moi, de la musique folk du monde entier. J’ai pris l’habitude de tout écouter et de m’en servir dans mon travail au point de me dire : « Je vais maintenant essayer de faire vibrer le spectre entier de l’humanité. » Il faut pour cela aller chercher des informations dans le monde entier et essayer de saisir de quoi est faite la musique des différentes cultures. Il est fascinant de voir comment les gens abordent les changements de fréquences et de tonalité, tout cela en une octave ! Dans cette octave, vous trouverez la musique de quelqu’un. Ce que nous ne stimulons pas dans notre corps, quelqu’un d’autre peut le faire. J’aime m’occuper de la voix en premier lieu. Quelqu’un, quelque part dans ce monde, se préoccupe des changements de tonalité ou de fréquences qui oscillent en nous d’une manière qui échappe à notre système musical. C’est l’une des premières choses que je dis aux gens : il faut étudier les musiques du monde. Je ne m’intéresse pas tellement aux musiques du monde que l’on a retravaillées. Je préfère étudier la musique indigène, celle qui vient de l’intérieur de vrais gens.
GF : L’un des sons qui m’ont fasciné dès la première écoute a été celui de la musique des Pygmées de la forêt de l’Ituri. Leur voix est capable de choses qu’aucun autre instrument ne peut imiter. Ce qui se passe dans leurs chants, poly-tonalement et poly- rythmiquement parlant, est magique.
MG : C’est vrai. Ces gens sont d’une telle profondeur... Voilà, je souhaite faire vibrer mes cordes vocales. Utilisons le spectre entier de nos cordes vocales ou de nos tympans. Ça vibre davantage que de douze façons différentes ou dix-sept ou vingt, peu importe le système qu’on utilise, il y a une multitude de vibrations là-dedans. C’est pour cela qu’il faut toutes les écouter. Il y a un chant qui utilise tout cela, vous connaissez le Sōka Gakkai ?
GF : Oui, je suis membre du SGI (Sōka Gakkai International) et je récite « Nam-myo-ho-renge-kyo » chaque jour depuis trente-huit ans.
MG : Dans ce cas, je vais vous dire quelque chose. J’ai entendu la façon dont cela doit être scandé. C’était en 1977. J’étais à Kyoto, lors de mon premier voyage au Japon, où je jouais en duo avec le batteur Toshi Tsushitori. Nous étions hébergés dans un temple bouddhiste pour quatre nuits. La deuxième nuit, à quatre heures du matin, j’ai entendu ces chants et je me suis dit: ça me rappelle quelque chose. » Toshi m’a dit : « Ils scandent ‘‘Nam-myoho-renge-kyo’’. » J’ai répondu : « C’est bien ce qu’il me semblait, Toshi », mais on ne les entendait pas scander « Nam-myoho-renge-kyo », on n’enten-dait qu’une sorte de bourdonnement.
GF : Vous avez donc entendu les harmoniques ?
MG : Oui ! On entendait quelque chose comme (Milford scande « Nam-myoho-renge-kyo » dans une grande vibration)… voilà ce qu’on entendait !
GF : L’oscillation.
MG : Oui, mec ! C’est ce que dit Bouddha. Quand je suis rentré aux États-Unis, j’ai pensé à ces femmes africaines-américaines à l’église. Je n’ai jamais entendu les hommes faire cela, mais les femmes chantaient ainsi (il chante un gospel). Je me suis rendu compte que c’était la même chose ! Elles en oublient les mots, les mots permettent simplement au corps d’osciller d’une façon précise. Et je me suis dit : « C’est ça, ce ne sont pas des mots. » On prend juste ces mots pour permettre au corps d’osciller et, en les compressant, on obtient une oscillation du corps. Voilà la clé ! Voilà mon expérience ! Si je peux vous transmettre quelque chose, voilà, j’ai entendu ça !
GF : C’est très enrichissant. Je voyage beaucoup et, dans le passé, j’ai habité chez des gens pendant mes tournées. Chaque matin, je scandais, et, la plupart du temps, mes amis n’avaient jamais entendu cela. Au petit-déjeuner, ils me demandaient : « Qu’est-ce que c’était que ce son? On avait l’impression que c’était un synthétiseur ! » Ou encore : « J’ai entendu des voix, on aurait dit que les tuyaux du mur chantaient. » Si vous le faites correctement, un son spécial se produit, une vibration, comme une syntonie.
MG : Je vois, j’entends clairement ce son, je l’entends bien quand il est compressé. Je suis content de l’avoir entendu. Toshi m’a dit que c’était la véritable façon de faire. Moi je n’en sais rien, alors je le crois, aussi parce que je l’ai entendu. A quatre heures du matin… Je l’ai entendu, et c’était très différent.
GF : A quatre heures du matin, il s’agit du « Ushitori Gongyo » qui renforce l’esprit et le corps quand il est à son plus faible. La plupart des gens passe dans l’autre monde aux alentours de ces heures-là. Ma mère, par exemple, a effectué cette transition à trois heures du matin. Mais revenons-en à l’éducation... Quel rôle l’improvisation peut-elle avoir dans l’éducation de la jeunesse ? Selon moi, on devrait l’informer des différentes formes d’art…
MG : L’une des choses qui devraient être faites dans ce pays est d’enseigner l’improvisation aux enfants. Il est primordial que les jeunes sachent improviser. Et ce, du fait de son concept singulier en comparaison à la technologie et aux machines. Je dis aux jeunes qu’ils sont en danger car ils ne savent rien faire sans les machines ou les appareils. Arrivera un moment où nous aurons des problèmes avec ça et, vous savez, la nature en montre déjà les signes, mais les gens n’y font pas attention. Des tornades aux tremblements de terre en passant par les inondations, la nature balaye tout. Les gens retournent au degré zéro, à l’ère primitive. Maintenant, je pose la question : « Qu’allez-vous faire ? » Si vous ne savez pas improviser, vous allez véritablement avoir un gros problème. Ils commencent à improviser maintenant, ils apprennent cela aujourd’hui. Toutes ces tempêtes, mon Dieu, tous ces gens qui perdent leurs familles, leurs amis, leurs maisons, sans électricité, attendant des rationnements de nourriture. Quel bazar. Cela fait un certain temps que j’en parle : comment allez-vous faire avec le manque de nourriture ? Ils construisent toutes ces maisons dans des villes où il n’y a pas d’espaces verts. Il faudrait faire comme jadis, apprendre par exemple à distinguer les plantes comestibles... On ne peut plus s’en remettre à la société aujourd’hui… Quand je me promène dans le coin (Queens, New York), je me dis : « Regarde-moi ça, ça se mange, on peut manger ce truc... » Mais les gens ne savent plus cela aujourd’hui.
GF : Ce que je vous entends dire à propos des désastres naturels et de l’improvisation me rappelle une chose que nous n’avons pas encore abordée, la vie et l’environnement. La nature et l’être humain ne font qu’un et pourtant nous traitons la vie et l’environnement de façon séparée. Ces désastres naturels sont pourtant en relation directe avec la vie humaine. Vous pouvez être la victime d’un désastre dont vous n’êtes pas directement responsable mais si nous voulons changer les choses il va falloir respecter un rythme différent. L’improvisation, la prise de conscience spirituelle et la sagesse en accord avec les changements, sont primordiaux.
MG : C’est très vrai. Et les changements doivent arriver rapidement ! Nous devons apprendre en urgence à effectuer des changements car les choses vont vite. La nature est profonde et nous fait des signes. Tous les signes ont été donnés, il nous faut maintenant retourner à l’improvisation. Nous devons réagir, et répondre sur l’instant.
GF : Comme l’improvisateur, qui n’a pas le temps de réfléchir et de se dire : « Que vais- je faire maintenant ? »
MG : Exactement. Et ce qu’il y a de génial dans l’enseignement de la musique improvisée, qui permet d’organiser son esprit, c’est que c’est une chose naturelle, qu’on n’a pas besoin d’y penser. Ça vous anime ; la musique vous anime. C’est une super façon d’apprendre à improviser à l’esprit.
GF : L’improvisation développe nos capacités dans beaucoup de domaines. Et je pense qu’il y a différents niveaux d’improvisation. Il y a celui où on s’installe et on joue, on ne dit pas ce qu’on va jouer, et on engage une conversation, un dialogue musical. On peut appeler cela de l’improvisation libre, ou du free play, mais il y a quelque chose de plus profond dans ce qu’il se passe alors à ce moment-là ; ce qui, en ce qui me concerne, m’a rendu plus fort, surtout depuis qu’on m’a diagnostiqué un cancer en décembre...
MG : J’allais vous en parler, mais j’attendais la fin de cette conversation.
GF : On est plus ou moins à la fin, en fait. Ce que vous avez dit sera fort pour celui qui le lira et qui prendra le temps de penser à la relation qu’il y a entre l’improvisation, la nature, le son, les vibrations et le cœur humain. Vous avez fait état d’observations très éloquentes ici. Une dernière chose, vous avez joué dans le New York Art Quartet dont Mohawk est l’un de mes disques préférés. Pouvez-vous me parler de cette époque ?
MG : Eh bien, je pourrais dire que l’Art Quartet d’origine, avec Lewis Worrell, était pour moi le meilleur. Je crois que les gens disaient que c’était l’un des meilleurs quartettes de l’époque, avec cette façon unique qu’avaient ses musiciens d’être en relation les uns avec les autres. La musique parle d’elle-même, je pense.
GF : C’est cette relation entre vous qui a su mettre en valeur les aspects les plus importants de cette musique.
MG : D’abord, il faut, pour que ça fonctionne, avoir un groupe dans lequel les membres sont humainement liés. Dans celui-ci, les relations humaines étaient bonnes. Dans d’autres groupes avec lesquels j’ai joué, cette relation n’existait pas. Quand je me suis mis à traîner avec John Tchicai, chez Roswell Rudd, je me suis senti à l’aise. Ce n’était pas le cas dans d’autres groupes. Il faut d’abord s’aimer, la musique est secondaire. La relation humaine doit être bonne. Nous n’étions pas ensemble pour un simple concert, ce n’était pas notre truc. Et je me suis senti bien accueilli. A cause de moi, J.C. Moses, dont j’ai pris la place, a perdu son job... Il ne m’appréciait plus beaucoup après ça. L’une de mes histoires préférées concernant cette anecdote s’est produite lors d’un de ces concerts qu’Amiri Baraka avait montés. J’y jouais et J.C. est arrivé saoul, puant l’alcool, et s’est assis par terre, devant ma batterie. Il faisait des grimaces et des grands signes avec ses mains sous-entendant : « Ce type ne sait pas jouer », les gens riaient et ça continuait. Je le regardais par terre et me disais : « Ce mec est fou ! Je sais ce que je vais faire. » Je me suis mis à jouer très fort de ma grosse caisse, j’ai joué tellement fort qu’il en a décollé du sol. Il s’est mis à sursauter et tout le monde a ri. Il a commencé par dire des trucs « Blah blah blah… » Et je l’ai fait déguerpir. C’était drôle. J’aurais aimé qu’il existe une vidéo de ce moment. (Rires)
GF : Voilà une puissante vibration !
MG : C’est ça... Je me suis dit : « Mec, je vais me foutre de toi. Tu veux que je le fasse, alors tiens, prends ça ! »
GF : Musicalement parlant, à quoi travaillez-vous en ce moment ?
MG : Je m’intéresse davantage à l’improvisation qu’à la composition. J’aime composer, bien sûr : « Écoute la musique de ton for-intérieur ! », comme disaient les anciens. Mais pour moi, la musique c’est l’improvisation, c’est une conversation. Je n’imposerais à personne ce qu’il doit dire à la fin d’une phrase, alors, de quel droit inscrire des notes sur un papier et obliger quelqu’un à jouer de telle ou telle manière ? La musique, c’est une conversation, et c’est ainsi que je la joue. Nous avons besoin de davantage de conversations, et que les gens nous aident à faire bouger les choses. Sois qui tu es et dis- toi que tu peux contribuer de manière positive et les choses se passeront bien. C’est ça être un bon musicien. Je sous-entends que nous devons être plus que de simples musiciens. Nous devons être des docteurs et des guérisseurs. Or, on s’éloigne de cela. Les musiciens d’aujourd’hui ne font que jouer de la musique, mec. Nous devons revenir à ces arts guérisseurs. Entraîne-toi, fais tes exercices à la maison et sois un bon musicien sur scène, sois prêt quand tu montes sur scène.
GF : Je comprends tout à fait. Il est primordial de ne pas oublier la dimension spirituelle qui s’exprime par la musique. Nous sommes la musique que nous jouons. Vous n’êtes pas le seul à penser ainsi, Milford. Horace Silver a composé un morceau qui s’intitule That Healin’ Feelin. Alors, que se passe-t-il après ?
MG : Nous devons être impliqués dans la guérison. Nous devons travailler sur la maladie. La pire des maladies qu’on puisse avoir est le racisme, ce sont les préjugés. On ne peut pas nier une culture pour la seule raison qu’on ignore tout d’elle. Pour que les choses changent, il faut dépasser l’émotionnel et imaginer ce qu’il nous est possible de faire pour qu’elles s’améliorent. Il faut balayer les questions d’identité, qui nous sommes, d’où nous venons... Arrêter de se demander : « Qui suis-je ? » Tu es quelqu’un, alors c’est bon, laisse tomber ! Nous sommes tous, et avant tout, des êtres humains, des frères et des sœurs. Ôte ta peau et vois : nous sommes pareils. La seule chose que le diable ait faite c’est nous donner des apparences différentes ! Je vais vous donner un exemple. Les blancs viennent suivre mes cours de batterie parce qu’ils me disent qu’ils n’ont pas le rythme. C’est ce qu’ils me disent. Je réponds : « Nous avons tous le rythme, vos cœurs battent, n’est-ce pas ? Si on ne vous a pas appris à écouter votre âme, vous êtes un produit de la révolution industrielle et vous jouez comme une machine. » La révolution industrielle nous a apporté toutes ces machines, la société, les gens se sont reposés sur ces machines pensant qu’elles seraient la solution à leurs problèmes. Mais il est là le problème. La musique vient du coeur. Les tambours bâta sont basés sur les battements du cœur.
GF : Les tambours bâta viennent d’Afrique mais on les trouve aussi dans la musique cubaine du fait que des esclaves Yorubas ont été envoyés sur l’île. Certains disent que c’est du vaudou ou de la magie noire, mais c’est avant tout un rituel qui permet de communiquer avec les esprits. Elle procure une énergie guérisseuse, il ne s’agit pas là de cette magie noire qu’on a inventée pour faire vivre le folklore.
MG : Ce qui compte, c’est la batterie, le beat et l’énergie qu’il en ressort. En 1977, j’ai été invité à jouer dans un festival au Niger et l’United States Secret Service a suivi l’évènement de près. Il y avait d’autres musiciens là-bas, Sun Ra était là avec son Arkestra. Les Africains ont eu une réaction surprenante à la musique de Sun Ra. Quand le groupe a joué l’arrangement de Fletcher Henderson, ça allait encore, mais quand Sun Ra a joué son truc, ils n’ont pas du tout compris ce qu’il faisait. Nous n’étions pas à New York où ce genre de truc était cool, là on jouait devant des Africains qui s’y connaissaient en matière de musique. Je pense qu’ils se sont dits que les musiciens ne prenaient pas au sérieux la musique et ils ont vidé les lieux. J’ai joué avec Ahmed Abdullah et Hugh Glover. Jack Jackson, qui était le percussionniste de Sun Ra, avait une grosse batterie et jouait avec des baguettes spéciales – il a d’ailleurs aussi joué avec nous à l’occasion de ce festival. Notre rythme fonctionnait bien et tout le monde était dedans. C’était le Niger, on ne pose pas des pupitres à terre, on ne joue pas comme on le fait à Hollywood. J’ai connu un certain succès à ce festival et j’ai entendu dire qu’à la fin ils ont tiré un grand poster de moi...
Garrison Fewell : De l'esprit dans la musique créative (Lenka lente, 2016)
Traduction : Magali Nguyen-The
Photographies de Milford Graves : NAdy Newcombe & Luciano Rossetti.
Stephen Cornford, Ben Gwilliam : On Taking Things Apart (Winds Measure, 2016)
Il y a de l’idée et, plus encore, du prêt-à-expérimenter dans l’étrange instrumentarium que se partagent Stephen Cornford et Ben Gwilliam – à en croire leurs précédentes réalisations, un intérêt inspirant pour John Cage rapprocherait les deux musiciens. Enregistrés en 2012 à Bruxelles, ils improvisent ici une quarantaine de minutes.
C’est d’abord l’impression d’interrompre des préparatifs : le souffle de la bande, un (discret) remue-ménage ou l’exploration d’une boîte à outils, se font ainsi entendre. Et puis il y a ce petit moteur qui pétarade, première expression assumée derrière laquelle se lèveront des sifflements. Eux vont à l’allure du tour sur lequel Cornford et Gwilliam semblent jeter tous leurs artifices, leurs objets comme leurs illusions. Les projections à suivre ont alors raison de leur intention première : ni brute ni vraiment abstraite, leur musique d’atelier – pour ne pas dire « de bricole » – laisse ainsi chanter les circonstances.
Stephen Cornford, Ben Gwilliam
On Taking Things Apart (extrait)
Stephen Cornford, Ben Gwilliam : On Taking Things Apart
Winds Measure
Enregistrement : juin 2012. Edition : 2016.
CD : On Taking Things Apart
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Hugo Blouin, Claude Bourque, Paul Grégoire : L’ossuaire (Tour de bras, 2016)
Il faut faire abstraction des instruments et ce sont les musiciens (plutôt artistes sonores) eux-mêmes qui nous aident à le faire… C’est-à-dire Hugo Blouin, Claude Bourque et Paul Grégoire… Mais de quels instruments parlons-nous ? ces trois-là jouent du même : un orgue à feu (une sculpture que la chaleur fait vibrer, souffler, chanter… si l’on veut résumer les notes du disque qui disent aussi : « cette sculpture monumentale (…) est faite de tuyaux de métal résonnant à l’aide de torches au propane et d’ossements de baleine »).
C’est donc bien un ossuaire que l’on entend une fois le disque rangé dans le tiroir et non deux ou trois saxophones + une contrebasse à l’archet… Au-delà de l’aspect dronique de son son (on pense à Urban Sax bizarrement), on imagine mille choses cachées dans ses tuyaux, comme un train-fantôme, un transfo mélodique, un bacille de Dyson, un roulement à billes, une flûte électronique, un avion-balais… En représentation le 23 juillet 2013 (alors que leur instrument venait tout juste de sortir de l’atelier), les sculpteurs-musiciens (costumés, cf. la vidéo) ont en tout cas réussi à démontrer les diverses possibilités de la bête… Et, vous en conviendrez, c'est assez impressionnant !
Hugo Blouin, Claude Bourque, Paul Grégoire : L’ossuaire
Tour de bras
Enregistrement : 23 juillet 2013. Edition : 2016.
2 CD : 01/ Un 02/ Deux
Pierre Cécile © Le son du grisli
Lustmord : Dark Matter (Touch, 2016)
Le sujet – la matière noire – aurait pu inspirer Lustmord bien avant Dark Matter, dernière référence en date de la discographie que Brian Williams inaugura sous ce nom en duo avec John Murphy. Serait-ce alors un pas vers l’ultra-noir que ferait ici, en trois temps, l’une des grandes figures de l’ambient ombreuse ?
Il faudra tenir les claustrophobes éloignés de ces nappes soufflant le froid et de ces sirènes qui, sur deux notes, balisent un paysage lugubre qui ne peut que faire effet sur le voyageur derrière lequel se sont refermées de grandes et lourdes portes de métal. Pour cette sorte de descente aux Enfers qu’il lui a promise, Lustmord oblige en plus son invité à un transport aussi lent que le sien.
Prendre, alors, garde aux bruits sourds que vobulent les résonances et les vents contraires : confinée à un environnement hostile mais ravissant aussi, l’écoute s’empare d’un paquet de rumeurs auxquelles elle attachera presque autant de fantasmes noirs. Si la dernière piste est moins impressionnante – allongeant l’expérience d’une distance de trop – est-ce parce qu’elle accompagne le lent retour à la surface du musicien et de son invité ?
Lustmord : Dark Matter
Touch / Metamkine
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Subspace 02/ Astronomicon 03/ Black Static
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Ikue Mori, Evan Parker : Miller’s Tale (Intakt, 2016)
En duo ou en quartet, et à chaque fois sous l’influence du Death of a Salesman d’Arthur Miller, Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Ikue Mori et Evan Parker poursuivent une aventure débutée quelques mois plus tôt au Stone new-yorkais.
En quartet, rapides et pressés, acharnés de la trille, ils adorent juxtaposer leurs élans, coordonner leur descentes, affirmer leurs réparties et s’acharner en souffle, clavier et archet continus. En mode lenteur, ils partagent les conflits, le saxophoniste et son phrasé mélodique temporisant les ébats.
En duos, les tempéraments se resserrent : Feldman-Mori entre sirènes et crépitements ; Courvoisier-Parker, conquérants et fermes ; Feldman-Parker, crissant et affutant le contrepoint ; Mori-Parker, gamins gambadant dans la boutique aux jouets cassés ; Mori-Courvoisier, charmants monstres soniques s’essayant à l’harmonie. Pourvu que ça dure !
Sylvie Courvoisier, Mark Feldman, Ikue Mori, Evan Parker : Miller’s Tale
Intakt / Orkhêstra International
Enregistrement ; 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Death of a Salesman 02/ A View from the Bridge 03/ The American Dream 04/ Up from Paradise 05/ Riding on a Smile and a Shoeshine 06/ Playing for Time 07/ The Reason Why 08/ Nothing’s Planted 09/ A Fountain Pen
Luc Bouquet © Le son du grisli
Keith Rowe, Martin Küchen : The Bakery (Mikroton, 2016)
A l’automne 2013, Martin Küchen était en résidence à Vienne* pour quelques semaines – combien d'heures passées dans une ancienne boulangerie industrielle ? Ce qui lui laissa le temps d’y inviter Keith Rowe, de l’attendre un peu (de l’entendre venir peut-être) et enfin d’improviser avec lui. L’enregistrement que consigne The Bakery date du 15 octobre 2015.
Dans les studios de Christoph Amann, Küchen mit saxophones alto et baryton – noter qu’il fit usage aussi d’un poste de radio et d’un iPod – au service de notes longues qui l'une après l'autre, avoir été déclenchées par les gestes minutieux de son partenaire. Souvent graves, les souffles enveloppaient alors les grésillements de la guitare et les rumeurs du guitariste : Rowe et Küchen s’entendaient ainsi sur le rythme d’une même respiration.
Aux graves du baryton, l’électronique ajouta ensuite les siens propres avant de se frotter à un alto décidé à se faire entendre davantage. Ce qui n’empêcha pas les silences, entre lesquels une note fragile pouvait tenir quelques secondes, sur un paquet de grisailles électriques ou sur le murmure de parasites. Soufflée il y a un an, la note fragile, quelle qu’elle soit, tient encore : et la promesse du duo et son accord.
Keith Rowe, Martin Küchen : The Bakery
Mikroton / Metamkine
Enregistrement : 15 octobre 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ The Bakery 1 02/ The Bakery 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Matthew Revert : An Insect On The Other Side Of The World Climbing Up a Table Leg (Caduc, 2016)
Matthew Revert est un romancier australien, An Insect On The Other Side Of The World Climbing Up a Table Leg est son deuxième enregistrement sonore à sortir (un troisième suit, un duo avec Vanessa Rossetto sur Erstwhile). Il fallait s’y attendre, il y raconte une histoire sur des field recordings et autres captations « concrètes ».
Peut-être parce que je ne parle pas si bien sa langue, je n’ai pas tout à fait capté (moi) l’idée de la chose. Ce qui fait que je l’ai abordé comme une œuvre abstraite même si une guitare folk glisse des accords de temps en temps, une guitare qui peut évoquer celle de Nick Drake et plonge notre folkeux britannique dans une marmite sonore sur le feu.
Des voix ralenties ou à la bonne vitesse (dans toutes les langues), des flûtes, des field recordings… Il y a des fois où l’on aimerait que les musiciens s’expliquent par écrit pour mieux nous faire pénétrer leur univers. J’aurais bien aimé lire (même en anglais, dictionnaire à portée de main) ce que l’écrivain Revert a à dire sur le musicien ou le poète sonore Revert… Mais non. Donc je me suis égaré entre deux lignes de sons.
Matthew Revert : An Insect On The Other Side Of The World Climbing Up a Table Leg
Caduc
Edition : 2016.
CDR : 01/An Insect On The Other Side Of The World Climbing Up a Table Leg
Pierre Cécile © Le son du grisli
Goh Lee Kwang, Julien Ottavi : Pukul Berapa ? (Herbal International, 2015)
Un premier crépitement et l’affaire éclate : duo de noisers – d’un noise qui cherche davantage à mettre la main sur quelques sons neufs qu’à abasourdir – que sont Goh Lee Kwang (no-input mixing board) et Julien Ottavi (percussions, ordinateur), enregistré – non pas par correspondance, malgré la question posée dans le titre : « Quelle heure est-il ? », en Indonésien – entre janvier et mai 2015.
Ainsi les « chants minuscules frappés de frénésie expressionniste » du premier, décrits dans cette évocation d’And Vice-Versa, se voient-ils renforcés par l’usage que fait Ottavi d’un tam tam, d’une grosse caisse et d’un ordinateur. D’autres interférences s’expriment alors, qui soumettent l’électronique à la palpation ou au pincement et les percussions aux effets des résonances sur leurs timbres. De bordées en décharges, de crépitements en respirations et de ronflements en projections sifflantes, le duo compose des paysages bruitistes qui « roulent » puis se meuvent sur de grands plateaux en équilibre. Enfin, quand les deux sont à l’électronique, c’est pour s’approcher plus encore du chant des oiseaux.
Goh Lee Kwang, Julien Ottavi : Pukul Berapa ?
Herbal International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Berapa In Loop 02/ Extra 03/ Out of Berapa 04/ Pukul 1 05/ Pukul 2 06/ Pukul 3
Guillaume Belhomme © Le son du grisli