James Welburn : Hold (Miasmah, 2015)
James Welburn a du métal sous la peau et (note à qui voudra l’approcher) le ronronnement assez dissuasif. Mais il a aussi le drone chargé et la batterie hardasse (en l’occurrence, c’est celle de Tony Buck). Bon mais quoi ? Sur moi ça marche.
La première fois qu’on (subtil passage du « je » au « on » pour créer une intimité entre le chroniqueur et son lecteur) avait entendu Welburn, c’était déjà avec Buck dans leur Project Transmit. Et son expérience en sous-marin (quinze ans de métier auprès d’artistes d’horizons différents) lui a forgé une personnalité assez significative qu’il met au profit du premier disque qu’il publie sous son nom.
Alors oui, de la basse / oui, un goût de doom metal / oui, un certain talent dans la direction d’acteur (sur Shift par exemple Welburn a déguisé Buck en Colm Ó'Cíosóig – dieu que la frappe est rapide et puissante !). Bien sûr (c’est un premier disque, me direz-vous), on aperçoit sur Hold quelques ficelles et on y entend beaucoup d’influences (le rock tribal d’Océanie, le kraut’hypnotik, le noise accessible…) mais Welburn a eu la bonne idée de les faire tourner en boucle pour les mélanger avec panache : cocktail à consommer à température.
James Welburn : Hold (Miasmah)
Edition : 2015.
LP / CD : 01/ Naught 02/ Peak 03/ Shift 04/ Transcience 05/ Duration 06/ Hold
Pierre Cécile © Le son du grisli
Adam Lane’s Full Throttle Orchestra : Live in Ljubljana (Clean Feed, 2014)
Belle machine à swinguer pas droit, se dit-on d’emblée. Cuivres enchevêtrés, étranglements des souffles, batterie et contrebasse au cordeau : tout baigne. Et puis, on déchante : enchaînements de solos sur fond de rythmique molle, impression de déjà entendu, machine sans drame, jazz bien calibré.
Maintenant, on rechante, on s’habitue : Nate Wooley frondeur du souffle, salivaire jusque dans l’excès ; Susana Santos Silva moustique piqueur de surfaces dures ; Reut Regev louve enragée, David Bindman et son soprano-basson amplifiant bosses et cassures dans un pourtant assigné continuum ; Avram Fefer altiste voltigeur ; Matt Bauder en surchauffe tranquille ; Adam Lane en archet contigu ; Igal Foni en toms colorés. Ça valait le coup d’attendre.
Adam Lane’s Full Throttle Orchestra : Live in Ljubljana (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 28 juin 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Power Lines-Feeling Blue Ish 02/ Empire the Music (the One) 03/ Sanctum 04/ Multiply Then Divide 05/ Ashcan Rantings 06/ Power Lines-Blues for Eddie
Luc Bouquet © Le son du grisli
Frank Denyer : Whispers (Another Timbre, 2015)
Le français n’est pas ma langue maternelle, c’est d'ailleurs pour ça que je m’autorise quelques jeux de mots. De temps en temps. Oui, de temps en temps seulement. Comme ce jour où je t’ai dit « versatelle ». Nous écoutions Frank Denyer, compositeur britannique dont j’ignorais tout.
Cette voix de femme, tu l’as entendue toi aussi. C’était celle de Frank Denyer. Elle a fait mouche. Elle t’a piquée. Comme c’est beau, cette voix « si fragile ». Mais cette « fragilité » est-elle celle de Denyer ou celle de sa voix ? Elle a l’air de se cramponner derrière la fenêtre, à distance de nous, dans les frimas. C’est une leçon de courage, une leçon « des vies », comme dirait Rodrigo García…
La voix tient une note, et elle bat des mains pour accompagner son exploit : « d’où vient cette voix ? », tu m’as demandé, et « d’où je tenais ce disque, d’abord ? » et d’où venait ce « point » dans ma phrase qui disait et te prévenait même « bon, là, l’ennui point ». Ma jalousie, sans doute. J’avais à peine terminé ma phrase de jalousie que les instruments – non, ne sont pas arrivés mais – se sont fait entendre. C’était Whispers (dix-sept plages sur le CD) qui disparaissait. La voix s’est d’abord transformée en flûte (le shakuhachi de Kiku Day) et la flûte en petit orchestre (The Barton Workshop).
Le petit orchestre en cul de bouteille et le cul de bouteille en voix. Cette voix était celle de Juliet Fraser. « Encore ? », tu m’as demandé. Je t’ai dit que ça me rappelait Stimmung, que la voix de la fin (la voix de Juliet Fraser et non plus celle du compositeur, après tout tu n’as qu’à faire des recherches et au moins lire les indications inscrites sur le digipack) valait mieux que la voix du début (pour te prouver que non ma jalousie n’a rien à faire là-dedans, que ma jalousie n’est pas une histoire de musique, que quand c’est une femme qui chante ma jalousie n’a pas lieu d’être, etc.) et que ce disque, Whispers, je le tenais de là. Et je posais mon index sur mes lèvres.
Frank Denyer : Whispers (Another Timbre)
Edition : 2015.
CD : 01-17/ Whispers 18/ Woman with Jinashi Shakuhachi 19/ Riverine Delusions 20/ Two Voices with Axe 21/ A Woman Singing
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Chris Corsano, Joe McPhee : Dream Defenders (MNÓAD, 2014)
Enregistrés le 28 juillet 2012 au Vecteur de Charleroi, Joe McPhee et Chris Corsano confirmaient : leur entente est sans failles, qu’inspirent ici quelques standards.
Ainsi le duo évoquera-t-il Duke Ellington ou Thelonious Monk. Du swing, il fait son affaire : Corsano le mitraille quand McPhee le découpe, avec ce goût qu’ils partagent pour les déchirements et les suspensions. Le remuement, bien sûr, n’interdit pas le chant profond (Lift, sous la plume de James Weldon Johnson) – le chant profond pouvant accepter qu’on le fasse tourner en bourrique (The Icarus Effect).
Le rapprochement du souffleur et du batteur tenant de l’évidence, voici celle de Monk changée en Other Evidence : réduite mais dense forcément, que l’antienne de For Thelonious finira de combler – entre les deux pièces, une évocation de Coltrane et un hommage à James Baldwin fera le prétexte d’une terrible ballade qui interroge : de quoi Corsano fait-il son ? L’évidence, parfois, ne tient-elle pas du mystère ?
Chris Corsano, Joe McPhee : Dream Defenders (MNÓAD)
Enregistrement : 28 juillet 2012. Edition : 2014.
CD / DL : 01/ Ain’t No Thing (for Duke Ellington) 02/ Lift (for The Dream Defenders) 03/ The Icarus Effect 04/ Other Evidence 05/ Tell Me How Long Has Trane Been Gone (for James Baldwin) 06/ Circumstantial Evidence (for Thelonious Monk)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Erik Nyström : Morphogenèse (Empreintes DIGITALes, 2014)
Au premier abord, l’acousmatique d'Erik Nyström ne sort guère de l’ordinaire, pour autant que ce terme puisse être appliqué à une sortie du merveilleux label canadien Empreintes DIGITALes. Chemin faisant, et passées les premières minutes, Morphogenèse subjugue par ses innombrables variations, complètement à l’opposé d’une vision où les drones se noient dans la monotonie.
Tel un Markus Schmickler qui extirperait l’ombre de Fennesz sous le manteau de Robert Normandeau, l’œuvre du compositeur basé à Londres exploite à merveille une foule de registres des musiques électroniques abstraites, et sa force de conviction est telle qu’on se laisse emporter sans le moindre détour. Leçon numéro deux : aux trente premières secondes d’un disque, tu ne t’arrêteras pas.
Erik Nyström : Morphogenèse (Empreintes DIGITALes)
Edition : 2014
CD : 01/ Catabolisms (2011-12) 02/ Latitudes (2011) 03/ Lucent Voids (2012) 04/ Cataract (2010) 05/ Far-from-equilibrium (2008)
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Joda Clément : I Hope You Like the Universe (Notice, 2015)
Est-ce encore un field recording que j’entends derrière ce feedback calmé de loin ? Bing (par une question !), voici que commence I Hope You Like the Universe du Canadien Joda Clément.
Est-ce encore un drone arco derrière ce field recording ? Et derrière ce field recording serait-ce encore une sirène de police urbaine ? Urbaine, ma fille, comme la première face. Même en ville on n’en croise plus des sons comme ça. Tout se bouscule à tel point que Clément est obligé de prendre de la hauteur sur la deuxième face…
Balladerait-il maintenant ses micros à bout de bras au-dessus du périphérique (c’est-à-dire entre les voitures et les avions) ? Heureusement qu’il maroufle l’addition, et même qu’il écrase tout ça au camion rouleau. Après quoi il file les débris pour tisser des tapis environnementaux... j'avoue : bien agréables à l’écoute !
Joda Clément : I Hope You Like the Universe (Notice Recordings)
Edition : 2015.
Cassette ! A/ Part I B/ Part II
Pierre Cécile © Le son du grisli
Baron Oufo : Dar Al-Hikma (Quadrilab, 2014)
Sous son apparence solitaire, Baron Oufo met en duo les Frenchies Jérôme Alban et Eddie Ladoire. Entre les guitares du premier et les claviers du second, on penserait détenir les ingrédients d’une musique qui envole le dancefloor, et il nous propulse dans un magma dense et bruitiste d’où s’échappent moult collisions sonores.
Souvenirs probables d’Ecosse, où une tentative de cornemuse orne le background à la Tim Hecker de Depth of the Prophecy, vision de la forêt nordique où survivent quelques chants d’oiseaux dans la pénombre telles des lueurs d’espoir surgies du dark ambient (Dhikr), souffle contenu d’une bête maléfique dissimulée dans les restes décapités d’un combinat est-allemand où répèterait un combo nu shoegaze (Is a God to Live in a Dog?) et longue transhumance brumeuse d’où émergent quelque pensée cosmique (Blessing and Worship to the Prophet of the Lovely Star), on se sent tel Ulysse revenu d’une épopée électronica moderniste.
Baron Oufo : Dar Al-Hikma (Quadrilab)
Edition : 2014
CD : 01/ Depth of the Prophecy 02/ Dhikr 03/ Is a God to Live in a Dog 04/ Blessing and Worship to the Prophet of the Lovely Star
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Herbert Distel : Travelogue (hatOLOGY, 2015)
Le voyage, en train notamment, remue l’œuvre sonore de l’artiste suisse Hebert Distel – Die Reise (1985), La Stazione (1990), Railnotes (2003) sont les noms des disques publiés par le passé par hat ART et hatOLOGY. Sur Travelogue, des sons que lui et sa femme, Gil, ont attrapés entre 1984 et 1990 racontent aujourd'hui un départ et un voyage (première plage), une arrivée enfin (seconde plage).
Un grand signal, et c’est l'envol. Or, l’auditeur reste à quai. De là, devra se faire une idée du voyage au son de rumeurs lointaines, surtout, d’éléments qui résonnent dans le hall. Peu commun, celui-ci, puisque Distel l’a au préalable changé en surface sur laquelle faire tourner (ce sont là beaucoup de boucles) des appels sortis de maigres enceintes, le chant d’une faune urbaine (quasi fossiles incrustés dans l’architecture métallique) ou le bruit de moteurs minuscules.
Sous cloche, l’artiste organise donc un nouvel espace dans lequel diffuser une berceuse inquiétante, double pièce d’ambient concrète aux airs parfois d’électronique étouffée, qui aide à imaginer de quoi retourne le voyage. Avec une distance fabuleuse.
Herbert Distel : Travelogue (hatOLOGY)
Enregistrement : 1984-1990 / 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Departure and Journey 02/ Arrival
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #15
A l'occasion de la vingtième édition du festival Jazz in Arles, le trio Leimgruber / Demierre / Phillips improvisa en France le 21 mai 2015. Souvenirs d'Urs Leimgruber et de Jacques Demierre...
21 mai, Arles, France
Jazz in Arles
Arles hiess im Altertum Arelas oder Alrelate (kelt. „Sumpfort“), wurde von den Galliern an Stelle des ligurischen Theline gegründet und von Gaius Julius Ceasar 46. v. Chr. zur römischen Militärkolonie Colonia Julia Paterna Arelate Sextanorum gemacht. Arles gehört zu den sehenswertesten Städten der Provence und besitzt zahlreiche Überreste antiker Pracht, unter denen hervorzuheben sind: Amphitheater von Arles, um 90 n. Chr. Erbaut; Durchmesser 140 m x 103 m, mit zwei Geschossen mit ja 60 Arkaden und ca. 25.000 Zuschauern Platz bietend; im Mittelalter zu einer Festung ausgebaut, von der noch drei Vierecktürme (12. Jahrhundert) und die Arkadenvermauerung zeugen; Ab 1825 erfolgte schrittweise die Entfernung der zahlreichen Häuser im Inneren und angrenzend an das Oval; seit 1846 restauriert und gegenwärtig an Festtagen Schauplatz für Stierkämpfe. In diesem historischen Stadtteil befindet sich auch die Chapelle de Méjan, wo während dem Jahr die Vereinigung Méjan regelmässig Konzerte mit klassischer Musik und Jazz organisiert. Im Mai findet jeweils ein Jazzfestival statt. Für das Programm mit internationlen Musikern und Gruppen sind Jean-Paul Richard und Nathalie Basson verantwortlich. Wir befinden uns in der Chapelle zur Tonprobe. Mit einzelnen Klängen, kurzen und langen Einsätzen machen wir uns mit der faszinierenden Raumakustik vertraut. Der Tontechniker räumt die Monitore weg. Wir spielen wie üblich rein akustisch. Das Licht wird eingerichtet. Anschliessend werden wir kulinarisch verpflegt. Das Konzert beginnt ohne Abtasten, mit Absicht und vollem Einsatz. Gesten und Bewegungen, die Essenz von Klängen an der Grenze des Hörbaren. Energie wird Form, Abstraktion wird Emotion, schroffes Gelände wird mikroskopische Textur. Extreme Dynamik, Stille, kraftvolle Crescendi fügen sich ein. Barre spricht in den kurzen Pausen spontan zum Publikum. Ich fühle mich auf der Bühne zu Hause. Dennoch bleibt das Konzert ein öffentlicher Akt. Das Publikum partizipiert, indem es aufmerksam zuhört. Die Leute sind enthusiastisch bis zum Schluss.
U.L.
C'est entre deux rafales de violent mistral arlésien que nous avons réitéré, avec le même plaisir, les sons et autres actions que nous pratiquons en trio sur scène, concert après concert. Réitéré, car jamais il ne m'est apparu aussi clairement que c'est grâce au répété que nous construisons paradoxalement l'inouï de nos improvisations. Ce n'est pas en travaillant sur le neuf, sur l'inédit que la performance trouve son chemin dans l'instant, mais c'est à travers l'itération d'un certain nombre d'éléments déjà éprouvés, intégrés, automatisés, mémorisés, qu'émerge un contexte particulier, lequel, tout en accueillant l'ensemble de ces éléments performatifs connus, affiche sans ostentation mais avec évidence une originalité complète. A chaque concert, notre improvisation consiste, à travers la répétition d'un certains nombre de gestes sonores ou non-sonores, souvent associés à des fictions personnelles, en l'ouverture de nouvelles conditions de jeu qui ramèneront miraculeusement à la surface, comme autant de matériaux utilisables, d'éventuels accidents, tout ce qui peut être en rupture, tout ce qui ne fonctionne pas, ce qui est fissuré, ce qui relève de la faille. Et ce n'est pas s'ouvrir à l'imprévu, car cela voudrait dire que quelque chose était prévu. Rien n'a été planifié, aucune fin visée, ni de finalité qui impliquerait un chemin à suivre. Dans nos improvisations en trio, il n'y a pas irruption du réel au sein d'une représentation sonore, mais plutôt extension sans limite du réel. Cette extension est processus, elle est transformation infinie. Pas d'œuvre cadrée, mais une expérience du son et de l'espace qui n'existe que dans l'écoute produite du public et des musicien(nne)s.
J.D.
PS : dire aussi que c'est en fixant longuement les photos d'un spectacle de danse butho qui recouvraient les murs menant aux loges, que j'ai réussi à équilibrer ma présence et celle du Steinway & Sons, D, 554324, qui m'attendait, côté jardin, freins serrés et couvercle brillant dans la lumière d'une salle encore vide.
Photos : Jacques Demierre
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Elliott Sharp : Octal Book Three (Clean Feed, 2015)
Capable de lever une armée sonique à l’aide de sa seule guitare huit cordes, Elliott Sharp revient hanter nos enceintes. L’alphabet sharpien se voit ici parfaitement décliné et augmenté de quelques trouvailles transgenre.
Comme toujours chez le guitariste, le zapping se porte large : on superpose les couches – moins qu’en d’autres occasions néanmoins – et on abandonne le tableau assez rapidement pour aller faire roucouler des cordes de rouille et de feu. Pendulaire, mathématique, la métrique de Sharp pousse le rythme à s’accorder en boucles. Mais jamais très longtemps : puisque zapping il y a, zapping pilonnera.
Parfois, au sein de ce buisson ardent, le guitariste tente de remettre un peu d’ordre : un blues s’avance et demande parole… Et échouera lamentablement sur l’autel des sacrifices bruitistes. C’est qu’on ne change pas aussi facilement une formule aux si profonds tapages.
Elliott Sharp : Octal Book Three (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ Lacus Gaudii 02/ The Standard Model 03/ Cool School 04/ Koinonono 05/ Congruence 06/ Across the Lines 07/ Chondrite 08/ Mare Marginis 09/ Lyric 10/ Litophile 11/ Slidden
Luc Bouquet © Le son du grisli