Charlemagne Palestine : Ssingggg Sschlllingg Sshpppingg (Idiosyncratics, 2015) / Youuu + Meee = Weeee (Sub Rosa, 2015)
Je vous l’accorde (non, pas le piano) : le titre de ce disque n’est pas facile à retenir & il est donc inutile que je passe quelques minutes à l’écrire. D'autant que ce qui importe c’est ce que Charlemagne Palestine enregistré seul à Bruxelles en février 2013.
Pour ce qui est des instruments, on devra deviner : un cor, une sirène, sa voix of course, un synthé oui mais quel synthé, une ruche (est-ce possible ?)… Et au milieu de l’essaim d’abeilles, Charlemagne danse et chante. Sa voix de fausset (ce n’est pas une critique) s’enlise dans les drones et les field recordings (de manifestations, de bêlements, de prières…). Assez difficile à résumer, mais c’est une brouhaha magnifique : un Magnificat païen qui se tait d'un coup d'un seul. Palestine repart alors en faisant siffler un verre et en actionnant un jouet. Le jouet et l’homme entament un duo & bye bye. Great !
Charlemagne Palestine : Ssingggg Sschlllingg Sshpppingg (Idiosyncratics)
Enregistrement : février 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ Ssingggg Sschlllingg Sshpppingg
Pierre Cécile © Le son du grisli
On les savait prolifiques et, ensemble, ils sont carrément impossibles à faire taire : Charlemagne Palestine & Rhys Chatham non sur un, ni sur deux, mais sur trois CD (= deux heures et demi). A Bruxelles, pendant deux jours, les vieux de la vieille minimaliste ont improvisé au piano et à l’orgue (pour CP), à la trompette et à la guitare (pour RC). Et que ça te tisse des drones psychédéliques et des couches de solos qui dispensent de beaux effets dans la longueur. Ce qui tombe bien !
Charlemagne Palestine, Rhys Chatham : Youuu + Meee = Weeee (Sub Rosa)
Enregistrement : 19-20 décembre 2011. Edition : 2015.
3 CD : CD1 : 01/ First – CD2 : 01/ Second – CD3 : 01/ Third
Pierre Cécile © Le son du grisli
Evan Parker : Monoceros (psi, 2015)
Ces oiseaux qui sifflent sur nos têtes ne sont rien d’autre que les flux ininterrompus de maître Parker. 30 avril 1978 : Evan Parker signe son second enregistrement solo au soprano. Utilisant la méthode du direct-cutting (pas de bande magnétique, pas de console et pas de possibilité de retouche(s)), le saxophoniste fait parler l’inouï : aigus en surmoi et souffle continu ; le chant du barde barbu fait vaciller-vibrer notre oreille interne.
Le Monoceros 1 est un feu d’artifices de polyphonies continues et ce qui aujourd’hui n’étonne (presque) plus bouleverse alors. Nos tympans aussi qui, parfois, demandent grâce. On ne parle pas de techniques avancées, on les découvre et l’on se rend au génie de Maître Evan. Les Monoceros 2, 3 & 4 délivrent quelques courts silences : les corbeaux jacassent, délivrent quelque chant vaudou, maudit. Les oiseaux hurlent de nouveaux modes-mondes et la licorne peut sourire : Evan Parker est grand. Définitivement grand.
Evan Parker : Monoceros (psi / Orkhêstra International)
Enregistrement : 30 avril 1978. Réédition : 2015.
CD : 01/ Monoceros 1 02/ Monoceros 2 03/ Monoceros 3 04/ Monoceros 4
Luc Bouquet © Le son du grisli
Ice Yacht : Pole of Cold (Fragment Factory, 2015)
L’homme qui se cache derrière Snatch Tapes (Philip Sanderson) aurait donc sorti une tape ailleurs ? Et ailleurs, c’est Fragment Factory. Bien bien, de bon augure. Mais…
Mais quoi que donc trouver dans cette techno à l’étouffe-raver, dans ces cliquetis spatio-électriques, dans ces loops qui ne demandent qu’à venir (mais of course indeed peinent à venir), dans ces bidouillages de pop cosmik ou post-indus, dans ces rythmes bruts à la Waits ou dans ces guitares œcuméniques (sa mère) ? Rien de bien trans-cendant. Mais bon, ça passe... en tout cas le Pôle Nord.
Ice Yacht : Pole of Cold (Fragment Factory)
Edition : 2015.
K7 : A1/ Pole of Cold A2/ Racing the Arctic A3/ Snow Drifter – B1/ Summer with the Snow Bees B2/ Vostock Station Hallucinations B3/ Whiteout Woman
Pierre Cécile © Le son du grisli
Bobby Bradford, John Carter : NO U-TURN (Dark Tree, 2015)
D’une formation documentée ici pour la première fois, on espère d’autres traces tant ces soixante-dix minutes paraissent courtes. Bobby Bradford et John Carter ont, dans leur coin, poussé le bouchon du free assez loin. Que presque personne ne se soit passionné pour leur musique rend triste, limite amer. Mais les musiciens discrets savent le rester et les oreilles avisées savent les entendre. Inaugurant une série Roots Series, le label Dark Tree a déniché LA pépite.
Bobby Bradford vise les hautes cimes, celles déjà atteintes une quinzaine d’années plus tôt aux côtés du grand Ornette C. Alléger les tempos, décoincer les harmonies, Bradford le fait magnifiquement. John Carter gagne les hauts plateaux sans effort. On retrouve ses suspensions giuffriennes à la clarinette – passions texanes jamais prises en défaut – et on le découvre proche des transes coltraniennes au soprano.
Roberto Miranda et Stanley Carter sont contrebassistes : ils n’ont appris qu’à se rejoindre, qu’à entretenir leurs emportements. Quant à William Jeffrey, sa batterie est foisonnante, jamais envahissante, jamais narcissique. Et d’une présence rare. Cela se passait le 17 novembre 1975 à Pasadena. C’était hier, c’est aujourd’hui.
Bobby Bradford & John Carter Quintet : NO U-TURN. Live in Pasadena, 1975 (Dark Tree / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1975. Edition : 2015.
CD : 01/ Love’s Dream 02/ She 03/ Comin’ On 04/ Come Softly 05/ Circle
Luc Bouquet © Le son du grisli
WMWS : One-Night Stand (Improjazz, 2015)
ONE NIGHT STAND is Michael King’s last gift to the fans of the UK”s improvised music scene of the 1970s. Of course, like everyone else, I had no idea it would be his last. As a longtime friend, I knew he was very troubled that music could be downloaded for ‘free’ on the Internet, and he positively hated what he considered “the catastrophe” of today’s technology….even though he used some of it to engineer and re-master the lost treasures he always had the knack to discover. ONE NIGHT STAND is one of those treasures.
The recording was made one night in the Upstairs Room at Ronnie Scott’s Club on Frith Street, in those days a rather seedy red-light district. The continuous 45-minute improvisation is both flowing and serious in tone. It would be Robert Wyatt’s last performance playing drums, as he would have his back-breaking accident only two months later.
I was in touch with Michael King for weeks about the CD, a copy of which he had sent me to listen to. He was concerned about how the musicians would get paid, and kept hesitating about where to place it. He was also, as usual, concerned about the sound quality. I suggested that it was a 40-year-old recording, that it was a brilliant and unique performance, and that he should go with the offers he had. I also said: “Keep your creative force moving along and do this album.” And he did. A few months later he committed suicide. The recording is now out on vinyl and on CD, and he would be very proud.
WMWS : One-Night Stand (Improjazz)
Enregistrement : 14 avril 1973. Edition : 2015.
CD / LP : A-B/ One-Night Stand
Pam Windo © Le son du grisli
Aaron Cassidy, Aaron Einbond : Noise In And As Music (University of Huddersfield Press, 2013)
Les références d’Aaron Cassidy et Aaron Einbond sont celles, essentielles, au domaine qui les intéresse : manifestes futuristes ou écrits de Kurt Schwitters, Mille plateaux de Deleuze et Guattari, Noise/Music de Paul Hegarty, Noise Water Meat de Douglas Kahn… Lecteurs avertis, Cassidy et Einbond pouvaient bien aborder à leur tour le sujet du bruit en (« et comme ») musique.
Découpé en deux parties (Théorie / Pratiques), l’ouvrage alterne études – dédiées aux rapports du noise et de la voix, aux bruits du corps, à l’inside-piano d’Andrea Neumann… – et témoignages recueillis auprès d’une douzaine de musiciens affiliés « au genre » : Maja Ratkje, Peter Ablinger, Alice Kemp, Benjamin Thigpen, Antoine Chessex, George Lewis, Pierre-Alexandre Tremblay, Kasper Toeplitz, Lasse Marhaug… A ceux-là, deux questions ont été posées : qu’est-ce que la « noise music », selon vous ? Pourquoi en jouez-vous ?
« Pour être en lien avec le réel » (Thigpen) ou « être en phase avec le monde » (Tremblay) : entre deux exposés (certains convaincants, d’autres fastidieux), les réponses font un tapage concret, qui aère l’ouvrage. Ainsi, le voici transformé en fantaisie bruitiste, qui abandonne de son sérieux sous l’effet des surprises qu’il recèle.
Aaron Cassidy, Aaron Einbond (dir.) : Noise In And As Music (University of Huddersfield Press)
Edition : 2013.
Livre (anglais), 238 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
OZmotic, Fennesz : AirEffect (SObject / Folk Wisdom, 2015)
Que restera-t-il des sons de l’homme une fois que l’homme aura disparu (puisque c'est ainsi) ? Ça, c’est à Fennesz et aux Turinois D’OZmotic de nous le dire, avec cet AirEffect que leur a inspiré La jetée de Chris Marker.
Les trois hommes on confectionné une boîte noire. On y trouve des tourniquets de jardin d’enfant qui grincent sous l’effet du vent, des bols chantants, des field recordings en lien sévère avec l’actualité, un beat de hip hop perdu ou un saxophone (celui d’OZmotic) de mauvaise B.O. de film… Pour résumer : une ambient bien fadasse doublée de field recordings œcuménico-foutraques. Dommage, c’était joli, la voix qui raconte et les sons qui illustrent la séance diapo de Marker ; La jetée, c’est quand même autre chose…
OZmotic, Fennesz : AirEffect (SObject / Folk Wisdom)
Edition : 2015.
CD : AirEffect
Pierre Cécile © Le son du grisli
La bête est morte. Souvenir d'Ornette Coleman (1930-2015)
Le titre de l'article reproduit ci-dessous (Les Inrockuptibles, août 2009) n'aurait pas dû être Bête de sax, mais la rédaction du journal sait trouver le mot qui amuse, même s'il est un peu court. C'est un regret, mais un beau souvenir quand même : Ornette Coleman (1930-2015) à l'autre bout du fil, qui demande votre prénom et le répète jusqu'à le prononcer le mieux possible, et puis vous offre tout le temps que vous jugerez nécessaire à la rédaction d'un papier dont sa légende aurait évidemment pu se passer. Sans doute Ornette Coleman n'a-t-il pas lu l'article en question, et donc pas noté la grossièreté d'un tel titre, Bête de sax... Le mois suivant, mettant la touche finale à une interview de Ken Vandermark, je proposais en réaction au même journal cet autre titre : Envie de Ken. J'essuyai un refus. Toutes mes excuses, Ornette, en plus de ma reconnaissance et de mon admiration.
Lourdes Rebels : Snuff Safari (Aagoo, 2015)
Mot d’ordre du mois : à la musique électro italienne tendance Kosmische tu t’intéresseras. Les Transalpins en question, le duo Lourdes Rebels, auparavant actifs dans la noise music sous le pseudo Bonora, ont beau être à leur coup d’essai sous ce nouveau moniker, ils sont loin d’être des perdreaux de l’année.
Depuis leurs débuts en 2010, et une multitude de noms plus tard, Luigi Bonora et Rodolfo Villani explosent en sept temps les basses qui rendent zinzin, à commencer par l’inaugural Pharaoh Excuses et ses échos psychedelia seventies qui évoluent progressivement en un écho martial sous hypnose animale (et on leur pardonne au passage la douteuse pochette). S’ensuivent des rappels de cordes où plane l’ombre de Steven Brown / Blaine L. Reininger autour de guitares qui brouillent les repères (Skate Mecca), des grognements mammifères prêts au combat en arrière-plan d’une six-cordes échappée de The Cure (Apuro Liquido), mais aussi des ouh ouh sur fond d’arpèges orientalisants qui font le job psychédélique (again, sur le morceau-titre) ou encore des rythmiques ouf of Africa sans doute oubliées dans une mythique session Made to Measure.
Lourdes Rebels : Snuff Safari (Aagoo Records)
Edition : 2015
LP / DL : A1/ Pharaoh Excuses A2/ Skate Mecca A3/ Apuro Liquido A4/ Snuff Safari B1/ Jungle Ghost B2/ Bovary B3/ Netske
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Mohammad : Segondè Saleco (Antifrost, 2015)
Voici donc le troisième et dernier temps du 34°Ν-42°Ν & 19°Ε-29°Ε Study de Mohammad : après Zo Rèl Do et Lamnè Gastama, Segondè Saleco brouille les pistes comme pour obliger Nikos Veliotis, Coti et ILIOS à revoir leurs cartes.
Pour qu'ils retournent à leur Nouvelle Géographie Universelle et découpent l'espace en zones de dépressions quand ce n’est pas en zones interdites (si ce n’est aux drones qui y circulent en semi-liberté). Les archets sont tirés au cordeau, balançant sur basses fréquences et neutralisant désormais scories et enregistrements de terrain.
A la place, mille signaux alternatifs oscillent, qui singent ici le theremin, ailleurs des voix de synthétiseurs. A la place, un chant-triple s’exerce au maintien d’un cap arrêté entre deux notes. Le reste est une question d’équilibre et de patience : la lente navigation du trio cependant influencée par une déviation dont l’infime est gage de subtilité.
Mohammad : Segondè Saleco (Antifrost)
Edition : 2015.
CD : 01/ Bela Frumatene 02/ Sagaraki 03/ Kwas Rivero Akvo 04/ Ah Ya em Hamada
Guillaume Belhomme © Le son du grisli