John Heward: Let Them Pass (Laissez-passer) (Drimala - 2004)
Pour l’enregistrement de son premier album en tant que leader, le batteur John Heward a choisi le trio. Ainsi, Joe Giardullo (anches) et Michael Bisio (contrebasse) accompagnent le Montréalais sur Let them pass (Laissez-passer) et ont, autant que lui, instigué le projet d’un disque-hommage à leurs parents, émigrés dont l’espoir tenait tout entier dans un simple laissez-passer.
Il est convenu qu’il est au leader de montrer la voie, et Heward, qui se veut un batteur servant les changements et les fluctuations du rythme, impose ses points de vues le long de sept morceaux. D’attaques nerveuses en lignes sages, il entraîne ses acolytes comme lui suit ses intuitions, jouant des successions de cadences (Let them pass One) ou soulignant subtilement les progressions de ses partenaires (Let them pass Four). Parfois même discret au point d’évoquer ingénument sa possible absence (Let them pass Six).
Car le talent d’Heward est aussi de savoir laisser le champ libre. A Joe Giardullo, d’une part, qui d’un saxophone ténor, d’une clarinette ou d’une flûte, déploie un jeu rauque aux mélodies ployant sous les improvisations free (Let them pass Three), tout en multipliant les évocations d’un ailleurs fantasmé – qu’il vienne d’Europe de l’Est (Let them pass Four, Let them pass Five) ou pousse jusqu’en Asie (Let them pass Six).
Mike Bisio profite aussi comme il l’entend de ses permissions. Accentuant bien sûr le rythme, mais aussi l’emportant totalement au terme d’un blues revisité (Let them pass Three). Autre part, il entrelace les notes qu’il obtient à l’archet avec celles produites par les anches (Let them pass Five), opération sans faille au résultat bruitiste et sophistiqué (Let them pass Two).
Let them pass, sept fois. Le trio mené par John Heward livre sept improvisations aux carcasses changeantes, parce que l’enjeu qu’il détermine touche l’oscillation en musique. Let them pass (Laissez-passer), album réfléchi, parfois emporté, sauvage, complexe ou poli (comme on l’est par les eaux), est aussi la preuve qu’il est possible de rendre hommage avec élégance, et sans imposer l’ennui.
CD: 01/ Let them pass One 02/ Let them pass Two 03/ Let them pass Three 04/ Let them pass Four 05/ Let them pass Five 06/ Let them pass Six 07/ Let them pass Seven
John Heward - Let Them Pass (Laissez-passer) - 2004 - Drimala. Import.
Ornette Coleman : David, Moffett, Ornette, 1966 (Efor Films, 2003)
1966, deux jours à Paris. Le trio Coleman / Izenzon / Moffett enregistre une bande originale de film, prétexte, pour le réalisateur Dick Fontaine, d’un autre film. Quelques images en noir et blanc d’une capitale de l’époque, avant d’accompagner les musiciens en studio. Devant eux, un écran sur lequel défilent les images de Who’s crazy ?, œuvre – passée où ? - du Living Theatre.
Il fallait suivre l’un des inventeurs de la New thing pour illustrer le mieux ce que doit être le free jazz. Ornette s’en charge ici, saxophone aux lèvres ou violon à l’épaule, emmenant son trio dans des improvisations sensibles, et, avant tout, concentrées, à l'image d'European Echoes, que le trio a joué mille fois déjà, et où il s’agit de tout donner, ensemble, encore.
A côté de la musique, attitudes et gestes : Charles Moffet faussement agacé, Izenzon ironique, Coleman d’une timidité extrême bien que sûr de son fait. A côté des gestes, les phrases : expliquer, non pas tant la musique que l’improvisation, la démarche free, l’oreille fermée aux critiques, les paupières closes aux rêves de carrière et de célébration. Le film est court, mais l’essentiel est dit, et plusieurs fois.
Sound ?? Dick Fontaine, à nouveau, et une idée : confronter les réflexions musicales de John Cage aux élucubrations funky free bruitistes du saxophoniste (mais pas seulement) Roland Kirk. En un peu moins d’une demi-heure, nous suivons Cage en balade : au jardin d’enfants, en taxi ou dans un entrepôt, il fait la lecture de Sound ??, sorte de poème théorique et interrogateur : « Is that a sound ? If it is, is music music ? » ; “Why is it so difficult for so many people to listen ?”, etc.
Les images d’un concert de Roland Kirk au Ronnie Scott club de Londres (1967) viennent à intervalles réguliers interrompre la lecture. Grinçant, ironique et parfois arrogant, Kirk enfonce encore le clou des questions délicates à grand coup d’ Here comes the whistleman, Rip, rig and panic, ou A Nightingale Sang in Berkeley Square. Un simple portrait en flou, dans l’intérêt du film, qui, comme celui consacré au trio d'Ornette Coleman, traite de façon originale le phénomène de l’incompréhension en musique. Et de la seule réponse à lui aller : le charisme du musicien.
Ornette Coleman, John Cage, Roland Kirk : David, Moffet, Ornette, 1966 (Efor Films / Socadisc)
Edition : 2003.
DVD : 01/ Ornette Coleman trio : David, Moffet, Ornette, 1966 02/ Roland Kirk / John Cage : Sound??
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Stephan Mathieu: On Tape (Häpna - 2004)
L’honnêteté doit me faire admettre qu'il m'arrive parfois de proclamer de ces choses, essentielles, du genre « Je pense avoir définitivement fait le tour de l’improvisation instrumentale allemande.» Or, au moment où je décide « N’y revenons plus », voilà qu’il m’est donné d’entendre On tape, de Stephan Mathieu (Von Saarbrücken).
Batteur de formation, Stephan Mathieu s’intéresse à l’électronique de façon presque exclusive depuis la fin des années 90. Or, en travaillant à la construction d’un instrumental à partir de bandes que lui a soumises le saxophoniste Magnus Granberg, il décide d’enrôler ce dernier, pour qu’ils complètent ensemble l'ébauche en question devant le public du Fylkingen de Stockholm, le 21 février 2004.
Voilà l’histoire d’On Tape, séquence électronique sur laquelle viendront se greffer bribes de rythmes et plaintes de saxophone. Du côté de la programmation, enregistrements de voix d’enfants, d’une mouche tapant au carreau, de chants d’oiseaux ou d’effets du vent se succèdent. Le fond sonore, au volume constant d’un bout à l’autre de la séquence, reproduira la prise d’un seul instrument, en fin de partie, celle d’un xylophone, duquel on aura retouché les notes.
Quant à l’improvisation, voici : le jeu de batterie de Stephan Mathieu est impeccable. Répondant aux nappes aiguës de saxophone par des touches légères - aux balais d’abord, aux baguettes ensuite. Sa présence discrète défend la profondeur et les résonances permises par son instrument, qui évoquent bientôt un sage Milford Graves. Quant aux nappes (dé)posées par le saxophone de Granberg, elles passent d’un traitement naturel à un autre, réfléchi, nécessitant l'intervention de samplers et chorus. Différentes prises de l’instrument s’enlacent, imposent leurs effets circulaires et répondent ainsi à la ligne imposée par la programmation. Tout cela sur un mode suave, délicat, sans excès.
Sur toute la durée de l’enregistrement, Stephan Mathieu et Magnus Granberg en rajoutent. Chacun à sa façon, certes, mais tous deux sans jamais trop en mettre. Un éloge de la retenue, et du suivi d’un parti pris : celui qui veut qu'improviser sur une programmation définie n’impose pas forcément qu’on la recouvre, au final, par le bruit du spectacle.
CD: 01/ On Tape
Stephan Mathieu - On Tape - 2004 - Häpna.
Son of Clay : The Bird You Never Were (Komplott, 2004)
Même si la manœuvre est délicate, les tentatives de réconciliation entre approches digitale et acoustique de la musique populaire ont été nombreuses. Or, le genre connaît peu de chef-d’œuvres. Ayant sorti, il y a deux ans, un premier album résolument électronique sous le nom de Son of Clay, Andreas Bertilsson relève à son tour le défi, construit un rêve d’échappée belle au moyen d’instruments classiques.
Soit, un pont entre électronique et acoustique, long de neuf morceaux, et dont le point de départ (Bring Me Water or Bread) fait obligatoirement référence aux expériences passées (l’album Face Takes Shape). Mais à partir de sa deuxième plage, on aperçoit les véritables fondations du disque : sous la haute influence de Mark Hollis, Son of Clay s’empare d’une guitare, d’un clavier ou d’une clarinette, pour donner une autre couleur à ses programmations. Jouant avec les silences et les harmoniques (The Colour Scheme, The Rook), la résonance (Vision Thing) ou la répercussion (So Much Love I Can Take), les compositions présentées sont autant de séquences sonores, poétiques ou tout simplement évocatrices, transformées, toujours, en chroniques inachevées. L’esquisse, en musique, de compositions au lavis.
Citant parmi ses références Morton Feldman, Bertilsson se fait une habitude de venir bouleverser les lents déploiements : par l’intervention d’instruments qui s’opposent, disputes faites d’arguments brefs et rapidement énoncés (Forest On Paper, First Snowflakes, Then Winter Fall), ou par les dérangements ludiques d’éléments choisis de musique concrète (Max Kristofer, ou le même First Snowflakes, Then Winter Fall). Plus paisibles, une averse donnée à entendre ou les notes tirées d’un tympanon, qui renforcent l’idée d’une musique impossible à appréhender, d’une fuite de notes aussi implacable que l’est celle du temps. Comme un papier savamment plié, la musique de Son of Clay garde l’empreinte du temps passé à la concevoir, et n’est presque que cela.
Son of Clay : The Bird You Never Were (Komplott)
Edition : 2004.
CD : 01/ Bring Me Water or Bread 02/ The Colour Scheme 03/ Forest on Paper 04/ Vision Thing 05/ Max Kristofer 06/ The Rook 07/ I Can't Make It Alone 08/ First Snowflakes, Then Winter Fall 09/ So Much Love I Can Take
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Anthony Braxton : Solo (Milano) 1979 Vol. 2 (Leo, 2004)
20 janvier 1979. Comme la veille, Anthony Braxton donne à Milan un concert solo d’essence rare : à contrario de ses habitudes, il y interprète, mélangés, compositions personnelles et standards du jazz. Comme celui de la veille (Solo (Milano) 1979 vol. 1), ce concert est maintenant disponible sur CD (Solo (Milano) 1979 vol. 2) chez Léo records.
Des postures permises par l’exercice en solo, Braxton explore d’abord l’évolution dans un cadre donné (Composition 99b, Composition 118m). Respectant toujours une forme qu’il s’est imposée, le saxophoniste progresse, concentré, élaborant des figures libres ou savantes. Ici, quelques trouvailles éclosent, encouragées par une fluidité sereine – rives soudanaises du Nil sur Composition 77e – ou déchaînée (Composition 77g).
Ailleurs, l’instrument devenant la cible principale des expériences en cours, l’accès à un nouveau champ des possibles est permis. Comme un aquarelliste jauge la quantité d’eau souhaitable, Anthony Braxton, pour estimer comme il faut, entame une étude des dosages (du souffle, du volume ou de l’implication des bruits) sur Composition 188g. Surveillant sans relâche ses préparations hétéroclites, il n’hésite pas à morceler sa Composition 77d, pour mieux proposer, toujours à l’affût, de nouvelles combinaisons musicales.
De cette manière, comme souvent chez Braxton, le jazz côtoie la musique contemporaine. Or, l’éloignent ici l’interprétation d’une bluette (They say that falling in love is wonderful) et là les références que sont les standards du jour : un hommage ramassé à Dolphy (On Green Dolphin Street), la confection du voile qui sied instantanément au fantôme de Thelonious Monk (‘Round midnight) ou l’évocation introvertie d’un souvenir mettant en scène Coltrane (Lush life). C’est avec ce souvenir que se termine l’enregistrement. Après lui que l’on peut entendre les seuls applaudissements du disque.
Anthony Braxton: Solo (Milano) 1979 Vol. 2
Leo Records / Orkhêstra International
Enregistrement : 20 janvier 1979. Edition : 2004.
CD : 01/ Composition 99b 02/ On Green Dolphin Street 03/ Composition 77e 04/ Composition 77g 05/ Composition 77d 06/ They say that falling in love is wonderful 07/ Composition 118m 08/ Composition 118g 09/ Composition 106g 10/ Half Nelson 11/ ‘Round midnight 12/ Lush Life
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 2005
Surd: Live at Glenn Miller Café (Ayler - 2004)
La tradition des passades culturelles imposées par les secrétariats de rédaction – dont les proies sont le plus souvent des mochetés, mais des mochetés qui ont l’avantage de combler les vides éditoriaux – veut que l’on célèbre actuellement du jazz suédois ses musiciens d’après-guerre et son électro proche du genre. Alors que nous étions prêts à accepter, d’un commun accord, qu’au jazz les Suédois ne comprennent rien, voici qu’Ayler records perturbe nos quasi certitudes.
En juin dernier, convaincu du concert donné par le quartet Surd au Glenn Miller Café de Stockholm, Jan Ström, patron du label, décide d’en tirer un disque qui viendra grossir ses références (Jimmy Lyons, Arthur Doyle, William Parker, etc.). Par là même, il prouve à qui veut bien tendre l’oreille qu’en Suède, comme ailleurs, d’autres musiciens existent que ceux que l’on veut bien nous laisser entendre.
Ouvrant leur prestation par un hommage à Steve Lacy (38), chacun des musiciens de Surd impose rapidement son individualité, et la met au service de l’effort collectif. Pizzicati frénétiques du contrebassiste Filip Augustson, arpèges de guitare à saturation pour David (Sharrock) Stackenäs, acharnement stratégique sur chacun des éléments d’une batterie que Thomas Stronen se plait à désosser. Nordström, enfin, revendiquant à la fois l’influence du free de la seconde génération (Julius Hemphill ou Arthur Blythe) et celle de la pop contemporaine.
Interprètes maladroits d’un blues bancal (Hello Paul), c’est en effet en jouant avec leurs références personnelles que les musiciens convainquent majestueusement. Déployant un jazz envoûté par Portishead (Head P), structurant ses morceaux à la façon de Mogwaï (Bye, Bye Teddy), ou instaurant des boucles de basse rafraîchissantes (Magnum Bonum), Surd refuse néanmoins de juxtaposer les styles et, ainsi, évite à son free jazz de sombrer dans l’amalgame. Pour qu’il n’ait plus qu’à voir avec l’hybride et le désaxé. Implacable.
CD: 01/ 38 02/ 3 6 4 U 03/ Hello Paul 04/ Head P 05/ Bye, Bye Teddy 06/ Magnum Bonum
Surd - Live at Glenn Miller Café - 2004 - Ayler Records. Distribution Orkhêstra International.
Daniel Goyone: Etranges manèges (CC Productions - 2003)
Si un album original, en musique, et plus particulièrement en jazz, recèle inévitablement quelques imperfections, c’est que l’infaillibilité n’a jamais été de son domaine. L’important se situe ailleurs, dans le fait, par exemple, que les meilleurs morceaux rattrapent les moins bons ou les erreurs de parcours. Etranges manèges n’échappe pas à la règle, et en est même un exemple surprenant, miraculeux, presque.
Ainsi, le duo formé par le pianiste Daniel Goyone et le vibraphoniste Thierry Bonneaux, renforcé quelquefois par les flûtes de Chris Hayward, s’égare parfois. Echouant ici dans le domaine de la production (Titlù, au son de flûte propre et rose bonbon transformant un thème qui pourrait être signé Moondog en rengaine exotico-publicitaire), là dans l’interprétation (La ronde, à l’introduction agréable tournant rapidement à la démonstration), ou simplement dans la composition (les doublons piano / vibraphone dont on abuse), il faut à Etranges manèges un soutien sérieux, et féroce, pour s’en sortir. Et il le trouve.
Car Daniel Goyone se montre capable du contraire de ce qu’il prouve en mal, et le fait majestueusement. Capable de tourner le dos au clean pour servir le sauvage et les rêches (Introduction à Doudaï dance, Boules et billes), de préférer à la candeur quelques délires velléitaires (Riding on the Wind, rappelant le Blow up de Galliano et Portal), d’évoquer John Cage plutôt que Gershwin (Chitchat), ou de servir des ritournelles évolutives complexes plutôt qu’une mélodie, simple mais par trop directe (Cincando).
Mais ce qui fait enfin pencher la balance vers le salut irrévocable, sont les pièces de piano leader, voire solo, disséminées sur le disque. Berceuse suave au vibraphone discret (Her Song), invocation brillante autant qu’originale du Satie des Préludes flasques (Etranges manèges), ou chef d’œuvre / hommage (For Morton Feldman), dont l’introduction cite For Bunita Marcus avant de laisser la place à une India Song réécrite, aux dissonances choisies. Le secret est là : les erreurs corrigées par un talent réformateur et revanchard.
CD: 01/ Titlù 02/ Haute-Marne 03/ Introduction à Doudaï Dance 04/ Doudaï dance 05/ For Morton Feldman 06/ Her Song 07/ Riding on the Wind 08/ Demi-teintes 09/ Cincando 10/ Tournelune 11/ Etranges manèges 12/ Boules et billes 13/ La ronde 14/ Danse #13 15/ Yellow Circle 16/ Chitchat
Daniel Goyone - Etranges manèges - 2003 - CC Productions.
Cheval de frise: Fresques sur les parois secrètes du crâne (Ruminance - 2003)
Cheval de frise est une sorte de concept ; Fresques sur les parois secrètes du crâne en est un autre. Le premier, un duo guitare / batterie. Le second, un album original, rugueux et quasi inclassable. Quasi car sous influences : on pense à Gastr del Sol, Craw ou à Derek Bailey lorsque la guitare en arrive à saturer.
Les instrumentaux relèvent tous de la confrontation des deux instruments. Qu’on y plaque des accords, souvent répétés, ou qu’elle joue sous arpèges, la guitare évolue comme indifférente au jeu de batterie. C’est pourtant au rythme qu’elle se réfère sans cesse, lui imposant calme (Deux nappes ductiles), décidant d'accélérations (Lucarne des combles), ou, au contraire, acceptant qu’il la recadre de temps à autre (Bora lustras). Nul besoin d’aller chercher ailleurs : c’est bien la tension constante sous laquelle évoluent guitare et batterie qui fait de cet album un exercice réussi. Le jeu fluide ne parvient pas à camoufler la violence, encore approfondie par les tentatives de retenues que l’on perçoit, ici ou là, dans le jeu des deux musiciens.
Sur les dix morceaux à fleur (chardon) de peau qui composent Fresques sur les parois secrètes du crâne, Cheval de frise se montre rarement décevant – le recours à la mélodie, mal amenée, de L’agonie dans le jardin – et impose son style (sorte de free folk déjanté) en soignant jusqu’au clin d’œil (IX) un deuxième album indispensable.
Cheval de frise : Fresques sur les parois secrètes du crâne (Ruminance)
Edition : 2003.
CD : 01/ Lucarne des combles 02/ Bora lustras 03/ Le puit 04/ Deux nappes ductiles 05/ Songe de perte de dents 06/ Fresques sur les parois secrètes du crâne 07/ L'agonie dans le jardin 08/ Phosphorescence de l’arbre mort 09/ IX 10/ Chiendent
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Michael J. Schumacher: Stories (Quecksilber - 2004)
Compositeur ayant autant investi le champ de la musique contemporaine que celui de la musique électronique, Michael J. Schumacher nous offre à écouter, dans Stories, quatre pièces de son domaine de prédilection : l’art sonore. Depuis 1996, chacune de ses installations new-yorkaises sert la haute couture de la haute fidélité, toujours impeccable. Stories, dont le postulat de départ est la superposition de sons de provenances diverses, ne déroge pas à la règle.
Still, d’abord, où au matériau sonore de départ, Schumacher ajoute progressivement des couches de nappes répétitives programmées, de chants d’oiseaux, ou de musique concrète assimilée. Traversée de temps à autre par de courtes et violentes plaintes de violoncelle ou de violon, l’ambient sombre ici créée, si elle anime des angoisses sous-marines, en arrive d’autant mieux à toucher profondément qui l’écoute.
Pièce électronique lorgnant du côté de la musique contemporaine, Two, Three and Four Part Inventions est l’histoire d’une lutte. Celle que se livrent, à coups de déclamations éclairs, bois et cuivres, percussions et voix. Les instruments rappellent Berio, les vocalises les chants inuits. Parmi eux, un orgue seul refuse le jeu court, et rejoue quelques notes pour en faire sa complainte.
L’installation suivante, Room Pieces New York, persiste, et signe le portrait d’un Schumacher hanté par l’eau et les voix. L’atmosphère sombre, qu’aggrave encore l’incapacité des nappes musicales et des voix à interagir, se déploie à une allure différente, et doit son salut aux bulles d’air que créent les interventions d’une guitare électrique et de percussions rassurantes.
Sur plus d’une trentaine de minutes, court Untitled. Là encore, une opposition : celle d’un piano classique et d’un copié collé d’un enregistrement de Caetano Veloso, récitant un poème de Campos (Días). S’y succèdent un piano au jeu atmosphérique, proche de celui de Nyman, et la voix du Brésilien, sur fond bruitiste - d’origine - de guitare électrique saturée. Morceau subtil et décalé, intelligent et sensible, Untitled est sans doute l’archétype de la musique que Schumacher défend avec brio dans Stories, celle, unique et manifeste, d’une ambiant en lutte.
CD: 01/ Still 02/ Two, Three and Four Part Inventions 03/ Room Pieces New York 04/ Untitled
Michael J. Schumacher - Stories - 2004 - Quecksilber. Distribution La baleine.
Andrew Hill : Black Fire (Blue Note, 2004)
Comme allant de soi, les efforts récents du mythique preneur de son Rudy Van Gelder déployés pour remasteriser certains de ses anciens enregistrements permettent aujourd’hui à Blue note de tirer profit d’une série intitulée "The Rudy Van Gelder edition". Parmi les disques réédités, Black Fire d’Andrew Hill.
L’intention est claire, qui est celle de déployer une autre avant-garde que celle défendue par le free, et la méthode réfléchie : embaucher le batteur Roy Haynes (côtoyant Roland Kirk, Henry Grimes...), le bassiste Richard Davis (compagnon de jeu de Dolphy), et Joe Henderson (dont le saxophone oublie peu à peu les maîtres Rollins - Coltrane pour des élucubrations plus sages jouant sur les répétitions et les harmoniques).
Le 8 novembre 1963 est enregistré Black Fire, qui, dès le premier morceau, avoue sa soumission aux basses. Celles de Richard Davis, évidemment, mais surtout celles, redondantes et imposant la forme musicale à suivre, d’Andrew Hill (Pumpkin, Subterfuge, Land of Nod). L’impression qui se dégage des thèmes confronte chacune des mélodies à certaine sorte d’incantations musicales, de répétitions envoûtantes, qu’elles viennent d’un Haïti fantasmé (Cantarnos) ou demandent humblement le parrainage d’un Monk idéalisé (McNeil Island).
Car c’est à une avant-garde du passé – pas d’antinomie ici -, et celle de Monk justement, que le quartet rend hommage. Pas forcément en réaction au free de l’époque, mais en proposition alternative et changeante, répétant sur chaque morceau que l’innovation ne peut se faire sans acquis et sans modèles, et ne se fait parfois qu’avec.
Un album comme une proposition, de celles dont Andrew Hill a l’habitude. Comme lorsqu’il démantèle son quartette pour mieux arriver à ses fins, se passant tout à coup des services de Joe Henderson (Subterfuge, Tired Trade) ou de Roy Haynes (McNeil Island). L’époque demande le changement, ou du nouveau. S’attaquer à sa propre formation augure déjà du reste. Black Fire pose sept morceaux (et deux prises inédites), autant de preuves d’une modernité plurielle.
CD: 01/ Pumpkin 02/ Subterfuge 03/ Black fire 04/ Cantarnos 05/ Tired trade 06/ McNeil Island 07/ Land of Nod 08/ (Pumpkin) 09/ (Black Fire)
Andrew Hill - Black Fire - 2004 (réédition) - Blue Note. Distribution EMI.