Blank: Post (Grob - 2005)
Des 3 membres de Blank, Rüdiger Carl est celui qui orienta le trio vers la musique improvisée. Convaincus, Oliver Augst et Christoph Korn se sont laissé faire avec assez d’enthousiasme et d’acharnement, semble-t-il, pour proposer aujourd’hui sur Grob un florilège iconoclaste de leurs enregistrements : Post, 33 morceaux.
S’y bousculent, dans le désordre, et pour résumer, une musique folk sérielle – convaincante (Blut, Coal, Brut) ou non (Herero) -, des expériences bruitistes ravissantes (Radio, Jam), un rock décomplexé et rugueux (Konto) ou un post-rock nullissime (Rag), une berceuse angoissante (des)servie par les pires sonorités d’un mini synthétiseur qui commence à dater (Blade).
Ailleurs, le trio crache une samba sur les mots de T.S. Elliot (Old), déploie un blues blanc sur ceux de Werner Büttner (Green Birds) ; instigue une marche pop (Groom) ou entrecoupe d’envolées de beat box une valse punk saturée (Spartakus). Ici, comme sur Revenge ou Bullet, un parallèle possible avec la musique de Xiu Xiu, lorsque – trop rarement, d’ailleurs – celle-ci sert des compositions valant la peine qu’on s’y attarde.
Bien sûr, presque inévitablement, des plages inutiles (Pill, Twister, Vage). Rien de grave, étant donné le propos de Post : déluré, irrespectueux à souhait, refusant toujours d’envahir le champ d’une esthétique du fini à laquelle on a l’habitude de sacrifier l’âme. Originale, celle dont Blank dote ses 33 exercices de styles, ingrédients d’un bouillon de cultures divertissant et vengeur.
Blank : Post (Grob / Metamkine)
Edition : 2005.
CD : 01/ Parken 02/ Revenge 03/ Twister 04/ Spartakus 05/ Brot 06/ Pill 07/ Herero 08/ Bleib 09/ Radio 10/ Poke 11/ Bullet 12/ Old 13/ Ash 14/ Rag 15/ Trap 16/ Pace 17/ Blade 18/ Vage 19/ Blut 20/ Green Birds 21/ Groom 22/ Kerouac 23/ Bote 24/ Hoheit 25/ Coal 26/ Runover 27/ Tin 28/ Brut 29/ Home 30/ Welt 31/ Jam 32/ Konto 33/ Byebabe
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Toot : One (Sofa, 2005)
Trio frondeur sévissant depuis la fin des années 1990, Toot réunit le Britannique Phil Minton et les Allemands Thomas Lehn et Axel Dörner autour de l’élaboration de collages musicaux hystériques. Refusant toute logique, One présente quatre extraits de trois récentes performances en public.
Eléments épars plantés là pourquoi ? Question inabordable dans le cas de Toot. L’intérêt est ailleurs, qui réside dans la manière d’aborder les inspirations, de les taire ou de les imposer. Ainsi, sur les quasi ultrasons du synthétiseur de Lehn, le trompettiste Dörner met en pratique une hydraulique sonore qui emportera tout (01). Les expériences vocales de Minton, soumises à des référents visuels, évoquent, tour à tour, les onomatopées de personnages de Plympton, les bruitages de jeux vidéos inédits, ou les cris d’angoisse d’un homme civilisé qui déchante.
Régissant l’ordre des choses sur 02 et 03, les invocations insolentes et désespérées mettent à mal la fantaisie des simples collages bruitistes. Là, on imbrique des volumes, convulsivement, le rouge aux joues, jusqu’à ce que l’ensemble tienne de lui-même. Les voix organiques et les appels internes cherchent à s’acclimater en milieu hostile, univers de Tron exposé sous cloche.
L’oubli d’un entretien possible et le refus de théories à aborder n’empêchent pas Toot de calquer ses intentions sur d’autres utopies. L’Ursonate de Kurt Schwitters, par exemple, qui accueille bientôt des oiseaux perchés sur un éboulis de matières sonores rugueuses (04). L’audace est belle, qui abandonne les formes et les significations, accepte l’incompréhension inévitable que l’on se verra opposer. L’intention est menée à bien, qui propose une alternative que l’on sait, dès le départ, irrecevable.
Toot : One (Sofa)
Edition : 2005.
CD : 01/ 01 02/ 02 03/ 03 04/ 04
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Clive Bell, Sylvia Hallett : The Geographers (Emanem, 2005)
C'est évidemment à un voyage que nous convient Clive Bell et Sylvia Hallett sur The Geographers. Se refusant à consulter les cartes, leur cahier des charges est clair, qui veut bousculer aux sons d'instruments exotiques ou rares une musique improvisée parfois trop installée de ce côté-ci du globe.
Pour ne pas être monotone, le parcours devra refléter les changements de paysages. Ainsi, le charme des surprises nous mène de plaines désolées sur lesquelles soufflent des vents en fuite (Flying On The Landing) en étendues reposantes qui nous assurent que la virulence en improvisation n'est pas une fatalité (Birthmarks). Et quand, chaotique, la topologie reconnaît des frontières (Tantamount), c'est pour répondre aux échappées à la fois sages et hors-cadre un peu plus tôt établies (With The Book Propped Against The Horse's Mane).
Il arrive aussi aux violons, pipeaux, flûte japonaise et scie musicale, de rendre compte de scènes de la vie sauvage. Alors, on croise des oiseaux non répertoriés posés sur une balançoire (The Sweet Potato Festival At Fudomae). Ailleurs, les sirènes de Rolls Over The Plain engagent à la fuite des meutes affolées. Le départ est déjà loin, qui voyait Sylvia Hallett célébrer, d'un filet de voix, l'harmonie du monde, à la manière d'une Meredith Monk faite oracle (Shrugging Into Spring).
Et déjà, au son des nappes du khene de Bell, le duo termine sa course, sur une rizière à étages (Love For Shale). D'avoir préféré ne pas suivre les sentiers battus, les deux musiciens ont tiré profits ; et ramènent au pays des visions fulgurantes, réconfortés sur leur propre adresse : évidente, mais souvent inconnue des guides.
CD: 01/ Shrugging Into Spring 02/ Flying On The Landing 03/ With The Bool Propped Against The Horse's Mane 04/ The Weald 05/ Birthmarks 06/ Tantamount 07/ The Sweet Potato Festival At Fudomae 08/ Notes To The Milkman 09/ Rolls Over The Plain 10/ Love For Shale
Clive Bell, Sylvia Hallett - The Geographers - 2005 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.
Veryan Weston, John Edwards, Mark Sanders : Gateway to Vienna (Emanem, 2004)
Un album double, qu'accompagne un texte. Signé Philippe Alen, il évoque le mouvement naturel d'un mobile pour mieux nous faire envisager la musique improvisée défendue sur Gateway to Vienna. Sur un disque consacré aux prises studio, et un second revenant sur un concert donné à Vienne, on retrouve le pianiste Veryan Weston, aux côtés de John Edwards et Mark Sanders, complices avec lesquels il avait déjà enregistré, six ans plus tôt, un Mercury Concert impeccable.
En studio, avant tout. Dès le départ, le mobile, image acceptable, ne semble pas évoluer sans qu'on l'y aide un peu : fougue insatiable inondée de grincements d'archet (Gateway One), éviction précieuse de la pesée des âmes avant leur mise en musique (Gateway Six). Ailleurs, c'est d'accalmies que l'on décide : une plage de quasi silence porté par les éléments s'insinue dans le chaos (Gateway Two) ; une mise en place évanescente pour climat sonore étale ouvre Gateway Five.
Ici, la durée d'une improvisation implique forcément les changements. L'énergie auto alimentée de Weston profite ainsi de la toile de fond déroulée par la contrebasse d'Edwards (Gateway Three), avant d'entamer avec elle un colin-maillard espiègle - préféré à la course poursuite -, que la rigueur rythmique de Sanders aimerait rappeler à l'ordre (Gateway Four). On trouvera un terrain d'entente une fois les aspirations du trio apaisées.
En concert, les intentions sont les mêmes. Répétitions, passacailles modernes, Weston semble tout tenter, sur Vienna One, pour éviter de définir les structures. Sanders déploie allègrement ses fulgurances et, pas contrariant, accepte de courtes périodes lentes. A mi-course, un développement homophone force le respect, qui finira à l'orée d'un double-stapping signé par le batteur.
Vienna Two, elle, commence dans les brumes, éclairée de temps à autre par les tentations mélodiques du pianiste. La dominante est paisible, hermétique le vase qui reçoit les inspirations. Puis, comme tout passe, on emprunte le chemin sinueux menant au chaos instrumental. L'orage a dissipé les brumes, en studio comme à Vienne ; de crises d'énergie en phases de repos, Weston, Edwards et Sanders, ressortent sains et saufs de leur incursion en terres d'affrontements.
CD1: 01/ Gateway One 02/ Gateway Two 03/ Gateway Three 04/ Gateway Four 05/ Gateway Five 06/ Gateway Six - CD2: 01/ Vienna One 02/ Vienna Two
Veryan Weston, John Edwards, Mark Sanders - Gateway to Vienna - 2004 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.
Exuberance: Live at Vision festival (Ayler - 2004)
Quatre improvisations tout droit sorties du Vision Festival de New York, où le saxophoniste Louie Belogenis emmenait, en mai 2003, un quartette éclairé, voilà Live at Vision Festival, nouvel enregistrement radical et superbe proposé par le label Ayler records.
C’est au batteur Michael Wimberly qu’il revient d’introduire le concert, de vocalises incantatoires sublimant une Afrique lointaine que le groupe se chargera de célébrer, pleurer, remercier et croire encore possible. Sur Invocation, l’effort est soutenu et permet les excès : ceux de confrontations enthousiastes du ténor de Belogenis et de la trompette de Roy Campbell, comme ceux d’accrocs rythmiques et de chocs à conséquences.
Quelques vibrations échappées de la contrebasse d’Hilliard Greene, avant l’archet décadent, cherchant à déceler les limites du juste, et Procession que l’on mène. De conserve, ténor et trompette caressent des chapelets de notes tout juste enfilées, avant le répit des solos calmes, et l’emportement des phrases enlacées avec ferveur.
Plus courtes, deux improvisations se succèdent ensuite. Usage d’un vocabulaire cool de la part de Campbell face aux déclarations suaves de Belogenis (Evocation), puis explosion dernière, ou comment faire feu de tout bois, cuivre, cordes et peaux, en guise d’au revoir en flamme. Expressionnisme irrévocable emporté par l’énergie de Wimberly, Incandescence conclut la démonstration, inspirée et puissante.
CD: 01/ Invocation 02/ Procession 03/ Evasion 04/ Incandescence
Exuberance - Live at Vision Festival - 2004 - Ayler Records. Distribution Orkhêstra International.
Hamiet Bluiett : Birthright (India Navigation, 1995)
Birthright ou l'élégance d'Hamiet Bluiett racontée en 48 minutes. En 1977, offertes au public d'un loft new-yorkais, les poses hallucinantes d'un solo de saxophone baryton. Pour un free jazz qu'on raccommode avec ses sources ; qui met genou à terre le temps d'un hommage appuyé au blues des origines.
Histoire qu'on n'y revienne plus, signaler la maîtrise, impeccable, de l'instrument. Nouveau Faust, Bluiett explore avec emphase des gradations tout juste établies (Doll Baby, aka Song Service), ose les variations de phrases répétées (My Father's House), ou se moque du vertige lorsqu'il estime le gouffre séparant les contrastes (The Mighty Denn). Assagi, il poste délicatement quelques déclarations intimes (Ebu-Helen).
Dédiant In Tribute to Harry Carney à son maître de musique, il y appuie, respectueux, un free blues capable de silences comme de digression funk minimaliste. Carney notera l'élève tout à la fois studieux et innovateur, lorsque celui-ci se laisse aller à déconstruire à la lettre The Village of Brooklyn, Illinois, ou fait comprendre que les tremblements de My Father’s House ne sont pas d'hésitation, mais une façon comme une autre d'aller voir ailleurs.
De ce côté-ci, pas trop d'efforts à faire : Bluiett ne tient pas en place. L'espace du loft, il s'en sert ; la disposition des micros, il en joue, s'approche des appareils, compte sur eux pour capter les chocs des clefs de son instrument, ou s'en éloigne, histoire d'entamer un peu la présence, jusqu’au moment de mettre un terme au concert (Closing). La messe est dite ; le message délivré ; le solo éblouissant.
Hamiet Bluiett : Birthright (India Navigation / DAM)
Enregistrement : 1977. Réédition : 1995.
CD : 01/ Doll Baby, aka Song Service 02/ The Mighty Denn 03/ The Village of Brooklyn, Illinois 04/ Ballad for George Hudson 05/ My Father's House - 1. Hamiet 2. Deborah 3. Karen 06-07/ In Tribute to Harry Carney 08/ Ebu-Helen 09/ Closing
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jacques Coursil: Minimal Brass (Tzadik - 2005)
Depuis la sortie de The Way Ahead (1969) - son second album en tant que leader -, le trompettiste Jacques Coursil s’était retiré. Non pas du monde, mais de la musique que l’on enregistre, et à qui il préféra l’enseignement de la linguistique. Puisque 35 ans d’absence n’ont pas réussi à effacer l’empreinte d’un free jazzman cérébral et imposant, la raison du retour de Jacques Coursil est à chercher ailleurs.
Ailleurs, et autrement. Il semblerait que le temps nécessaire à la reprise du souffle aura permis l’apaisement de celui qui s’est livré tout entier à une longue réflexion. Libéré des ambitions de musicien iconoclaste pour les avoir menées à bien, Coursil signe aujourd’hui Minimal Brass, tout à la fois enregistrement solo que la méthode du re-recording dote de tentacules, et faire-part de renaissance produit par John Zorn.
Sous le signe du cercle et des cycles, la trompette, multipliée jusqu’à douze fois, répète des harmoniques, enjoint les timbres à l’interférence, ou explore la palette de son grain sur un développement sériel institué musique des origines (First Fanfare). Elaboration de strates sonores, dans lesquelles Coursil enfouit un Sketch of Spain réinventé par John Adams, et qu’il aimerait bien voir fossiliser.
Faisant écho à des bribes de musique contrapunctique disséminées avant et après elle, Second Fanfare suspend quelques notes sur des schémas mélodiques joués à l’unisson. Alors, le trompettiste invente une soul contemplative, donne son point de vue impressionniste sur le déroulement des choses. Quelques dissonances finales livrent de nouvelles intentions.
Celles de Last Fanfare, en définitive, qui se refusent à faire taire la tension sous-jacente. Tirant bénéfice de la technique de la respiration circulaire, le musicien décide de mises en abîme pastel, et accueille les échappées mélodiques de solos optimistes sur des bourdonnements linéaires et délicats. Soit, pour Jacques Coursil, un retour des limbes étrange mais réussi : le mystère des vapeurs investissant le domaine musical, l’investissement des cycles pour toute incarnation.
CD: 01/ First Fanfare 02/ Second Fanfare 03/ Last Fanfare
Jacques Coursil - Minimal Brass - 2005 - Tzadik. Distribution Orkhêstra International.
Joëlle Léandre, India Cooke: Firedance (Red Toucan - 2005)
S’asseoir, ce 11 septembre 2004, au Youth Music Center de Guelph, Canada, équivalait un peu à se faire une place à coups de coudes dans la Nef des fous de Jérôme Bosch. Le programme annonçait en effet une rencontre spéciale : celle de la contrebassiste Joëlle Léandre, étendard flamboyant d’une musique improvisée version française, et d’India Cooke, violoniste impeccablement éclectique, partenaire de Sarah Vaughan comme de Cecil Taylor, de Ray Charles ou de Sun Ra.
Dès le début, le récital ne dissimule rien de ses intentions : l’improvisation, faite suspense, entortille les notes qu’on se fait une joie de libérer ensemble (Firedance 1). Hétérogènes, les pratiques instrumentales facilitent la création sur le vif d’instants tout entier sacrifiés à une danse rituelle (Firedance 2), ou poussent à la confidence le dialogue élégant (Firedance 7).
Implorant ensemble - la protection de qui ? -, Léandre et Cooke fouettent l’air de coups d’archets vindicatifs, avant d’entamer un duel de pizzicati (Firedance 4). Ailleurs, c’est un rythme malléable qui fait les frais de la bataille, pendant laquelle, tant bien que mal, on cherche à cacher des morceaux de chaos derrière le rideau rouge (Firedance 6).
Histoire de reprendre quelques forces, on s’accorde deux danses du feu en solitaire. Quand celle de Léandre tente, de rebonds d’archets en nappes graves, d’hypnotiser les tensions (Firedance 3), celle de Cooke instaure un bouillon de culture réparateur, fait de phrases délurées, d’envolées lyriques et de clins d’œil au baroque (Firedance 5).
Comme il est loin, le temps des duels. On se console un peu qu’il soit passé sans nous en n’oubliant pas qu’il était pratiqué essentiellement par des messieurs. Aujourd’hui, Joëlle Léandre et India Cooke prouvent qu’à coups de cordes, les dames s’expliquent bien mieux.
CD: 01/ Firedance 1 02/ Firedance 2 03/ Firedance 3 04/ Firedance 4 05/ Firedance 5 06/ Firedance 6 07/ Firedance 7
Joëlle Léandre, India Cooke - Firedance - 2005 - Red Toucan. Distribution Improjazz.
Anthony Braxton: Charlie Parker Project (HatOLOGY - 200
Un hommage, sur deux soirs de concert, rendu par Anthony Braxton à Charlie Parker. Zurich, puis Cologne, accueillent en 1993 la révélation : celle de l’existence d’une parenté véritable entre les deux saxophonistes. Nouvel avènement de Parker ; mais inédit, celui-ci.
C’est qu’Anthony Braxton refuse évidemment l’interprétation policée de thèmes rangés. Investissant le répertoire choisi de manière ludique, libre, et parfois expérimentale, il peut aussi compter sur le soutien de musiciens en constant décalage, tels que le pianiste Misha Mengelberg, ou le trompettiste Paul Smoker.
A Zurich, un rythme illuminé d’Han Bennink lance un be-bop persuasif, qui fait la découverte de l’égarement possible des saxophones (Dewey Square). An Oscar For Treadwell, bop gouailleur et au charme ravissant, établit des contrastes avec Hot House, sur lequel Braxton et Smoker rivalisent d’envolées irrésolues.
A Cologne, on déploie des phrases joyeuses (Bebop) ; on relit, décomplexés, des standards faits fantaisies par un piano tentaculaire (Bongo Bop) ; on accepte, enfin, l’évocation de classiques par des modernes : le sage Passport, tout juste bousculé par les dissonances adroites de Mengelberg, ou l’impeccable Koko, portée par la contrebasse d’un Joe Fonda surpuissant.
A Zurich et à Cologne, on s’empare de Klactoveesedstene, pandémonium superbe tirant profits des flottements, et changeant selon la virulence des fuites choisies ; on investit A night In Tunisia, défiant la justesse des timbres sur des parties mélodiques en déroute, débordements contrôlés d’inspirations délicates.
Fleuri d’impacts charmants, le répertoire de Parker. Décidant des moments d’intrusion irrévérencieuse comme des processions ordonnées nécessaires à l’entretien du culte, Anthony Braxton fait bien plus que dépoussiérer des standards, et nous convainc, une fois encore, du raffinement de sa clairvoyance.
CD1: 01/ Hot House 02/ A Night In Tunisia 03/ Dewey Square 04/ Klactoveesedstene 05/ An Oscar For Treadwell - CD2: 01/ Bebop 02/ Bongo Bop 03/ Yardbird Suite 04/ A Night In Tunisia 05/ Passport 06/ Klactoveesedstene 07/ Scrapple From The Apple 08/ Mohawk 09/ Sippin’ At Bells 10/ Koko
Anthony Braxton's Charlie Parker Project - 2005 - HatOLOGY. Distribution Harmonia Mundi.
Roger Smith, Louis Moholo-Moholo: The Butterfly And The Bee (Emanem - 2005)
Différentes, et pourtant proches, les sphères musicales que sont le free jazz et la musique improvisée européenne. S’il leur arrive parfois de se croiser, deux mondes confrontent alors leurs points de vue, et donnent ensemble des couleurs changeantes à l’improvisation. L’année dernière encore, au Festival Freedom Of The City de Londres, où le guitariste Roger Smith, figure du Spontaneous Music Ensemble, rencontrait le batteur sud-africain Louis Moholo-Moholo.
Dès le départ, la rencontre mène au foisonnement d’idées fraîches. Motivé par les attaques abruptes de Moholo, Smith cisaille ses suites d’arpèges à grands coups d’accords compulsifs. Assaillies, toujours à propos, les cordes accueillent aussi bien les délires percussifs du batteur que l’inspiration d’une ritournelle répétitive, bientôt transformée en invocation rituelle par l’imposant effet de grosse caisse (The Butterfly And the Bee).
L’expérience de Moholo l’a depuis longtemps convaincu : accompagner subtilement le déroulement de schémas instantanés, ou emmener à lui seul le morceau tout entier, quelle différence ? Ici (Enclosed Sun), le second plan n’empêche pas les trouvailles. Là (Events That Rhyme), la joie est tout autre, issue d’une liberté d’expression dense et chaotique.
Souvent tirées à l’emporte-pièce, les cordes de guitare frisent, dessinent des glissandi, ou étouffent sous les coups. Leurs propositions sont rêches, certes, mais rien ne les empêche de servir un ostinato aussi studieux que de plus anciens, auxquels ont fait allusion (Webern in Africa). Les accès de mélodies se développent sur des rythmes hypnotiques, exclusifs, et décidés à toujours refuser l’installation des possibles bavardages (Letters To Insects).
Ailleurs, on fait tourner une poupée musicale, tout à la fois clin d’œil ironique à l’interprétation des thèmes, et moyen lénifiant d’ôter un peu de sérieux au discours (Involuntary Sculpture). Sagace, celui-ci aura tenu l’assemblée en haleine pendant plus d’une heure, et bousculé un peu la tiédeur d’un dimanche d’août à Londres.
CD: 01/ The Butterfly And The Bee 02/ Enclosed Sun 03/ Webern In Africa 04/ Letters To Insects 05/ Involontary Sculptures 06/ Events That Rhyme 07/ Uncancelled
Roger Smith, Louis Moholo-Moholo - The Butterfly And The Bee - 2005 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.