Arv & Miljö / Krube (Fragment Factory, 2016)
Depuis la fin des années 90, l’Allemand Alexander Schneider compose sous pseudo (Krube). Mais il n’est dit nulle part pourquoi. Pas encore très fournie, sa discographie présente quand même une cassette Fragment Factory (Vom Unerträglichen), ce qui est bon signe puisque la fidélité envoie toujours un signe favorable. Donc, comme un micro-aimant qui attrape tous les trucs à traîner, un scanner à la Cronenberg (référence référence, chers amis du Cinéclub) qui amasse un tas d’informations qui finit par balancer. On ne s’attendait pas à une si bonne conclusion.
Est-ce un hasard ou le thème du split ? le Suédois Matthias Andersson compose lui aussi sous pseudo (Arv & Miljö). Là-dedans il n’est pas deux ni trois mais tout seul à traiter des souffles de bande et un piano qui répète sans arrêt la même mélodie jusqu’à ce qu’il s’entruche. Et c’est là que ça devient intéressant. On reconnaît le piano qui tourne presque jusqu’à s’envoler sur une bande qui sature un petit peu. Loin des références expérimentalobruitistes les plus radicales du label, mais deux découvertes et deux surprises !
Krube / Arv&Miljö : Untitled / Okänd Strand
Fragment Factory
Edition : 2016.
K7 : A/ Krube. : Untitled – B/ Arv&Miljö : Okänd Strand
Pierre Cécile © Le son du grisli
Joe McPhee : Flowers (Cipsela, 2016)
« La répétition d’une même forme semblable non identique crée un espace ouvert, rythmique, sensuel par le jeu contrasté des espaces contenants ». Cette remarque de Claude Viallat pourrait convenir à l’art de Joe McPhee, ici enregistré en 2009, seul en concert à Coimbra.
L’espace du musicien est celui qu’il habite au moment où il chante : son alto peut aller sans but avoué ou retrousser une mélodie ancienne – c’est ici Knox, jadis joué au ténor en ouverture du disque du même nom), ou Old Eyes, qui donna son nom à une autre des références du catalogue Hat Hut.
De l’intérieur de son instrument, McPhee régénère alors le motif ou sinon siffle comme il respire : avec ou sans attaches, nonchalamment comme précipitamment, sa façon de digresser est la même mais son déplacement – puisque, en solo, on ne peut pas ne pas imaginer Joe McPhee jouer sans se déplacer –, « sensuel » en effet, résonne toujours différemment.
Joe McPhee : Flowers
Cipsela
Enregistrement : 4 juin 2009. Edition : 2016.
CD : 01/ Eight Street And Avenue C 02/ Old Eyes 03/ Knox 04/ Flowers 05/ the Whistler 06/ Third Circle 07/ The Night Bird’s Call
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Serge Baghdassarians, Boris Baltschun, Burkhard Beins : Future Perfect (Mikroton, 2016)
C’est donc à moi qu’on a demandé de déchiffrer cette couverture du trio d’improvisateurs Serge Baghdassarians / Boris Baltschun / Burkhard Beins. Mais je sèche. Oui mais en échange je n’attends pas pour ajouter que ce sont des prises berlinoises, & qui datent de 2008 à 2009… M’excuserez-vous d’avoir failli à ma mission ?
D'autant que j’ajouterais en plus que c’est un CD que je recommande à ceux qui (comme moi ?) ont pu décréter un jour qu’en fait l’impro électroacoustique bah c’était pas la panacée. En piste 1 ça crépite mais pas assez pour remuer un lièvre de Mars mais voilà que tout à coup ça vous cueille (pour moi ça a été dès les premières secondes de la plage 2). Sans doute l’effet des stries électroniques qui va si bien avec la guitare du bout des doigts de Baltschun ou avec le battement de la grosse caisse de Beins. Toujours plus loin (piste 3), le trio dépasse toutes nos (mes) attentes, avec un ordinateur qui joue les pleureuses magnifiques. Le petit drone tient bon et son futur a l’air d’avoir au moins trente ans : c’est peut-être là son secret !
Serge Baghdassarians, Boris Baltschun, Burkhard Beins : Future Perfect
Mikroton
Enregistrement : 2008-2009. Edition : 2016.
CD : 01/ Futur 1 02/ N-eck 03/ Futur 2
Pierre Cécile © Le son du grisli
JC Jones, Raphaël Saint-Rémy : Serendipity (Kadima Collective, 2016)
Duchamp des possibles visités par Raphaël Saint-Rémy (piano, electronics, haut-cuivre, trompette, etc…) et JC Jones (guitare, banjo, contrebasse, etc…), il nous reste une féerie de bruissements, frottements, brouillages, borborygmes. Comme si, échappés du tréfonds des entrailles terrestres, se déversaient les fantômes – pas toujours bienveillants – des surréalismes passés. Comme si les esprits se réveillaient d’un long sommeil et hantaient ce joyeux indéfini épinglé par les deux improvisateurs.
A force d’insister sur le farfelu, d’armer leurs garnis(s)ons de chocs et de cordes slappées puis de s’offrir quelques respirations – certes anxiogènes –, Raphaël Saint-Rémy et JC Jones sont comme furets au milieu de la basse-cour : de dangereux prédateurs étouffant des systèmes bien trop huilés pour être honnêtes.
Raphaël Saint-Rémy, Jean-Claude (JC) Jones : Serendipity
Kadima Collective
Enregistrement : 2016. Edition : 2016.
CD : 01-09/ T1 – T9
Luc Bouquet © Le son du grisli
Festival Exhibitronic : Strasbourg, du 25 au 29 octobre 2016
Exhibitronic, émanation de deux associations, UT et Larkipass, est organisé depuis plusieurs années et s’investit principalement, mais non exclusivement comme nous allions l’entendre, dans les musiques acousmatiques. En son sein : Open Call, un appel à des pièces sonores international, vise à donner de la visibilité et de la reconnaissance aux jeunes créateurs des arts sonores, par une diffusion internationale. Si le temps fort se situait la semaine dernière, entre le 25 et le 29 octobre, l’activité d’Exhibitronic a débuté dès la fin du mois de septembre, en proposant des « after » après certains concerts de Musica, et il faut aussi noter la carte blanche assumée pendant ce récent festival des musiques d’aujourd’hui.
Un autre événement a marqué la présence d'Exhibitronic en ce mois : le samedi 8 octobre la remise des prix Open Call 2016 à trois récipiendaires, avec la présentation de leur réalisation avec à la clé, pour chacun d’entre eux, des journées offertes dans divers studios associés (tel celui du collectif Empreintes Digitales de Montréal, Césaré de Reims, Eole de Toulouse, Musiques et Recherches de Bruxelles…). L’édition Open Call 2015 s’était, elle, conclue par la réalisation d’un LP avec neuf pièces émanant de lauréats des Etats-Unis (3), de Royaume-Uni, d’Allemagne (2), de Pologne, du Mexique et d’Australie.
La pièce de la jeune française, Estelle Schorpp, intitulée Bagdad IXe siècle et inspirée d’un plan de la ville ronde conçu par le calife Al-Mansur m’apparut la plus intéressante à la fois discursive et propre à générer des images dans l’imaginaire de l’auditeur : une entrée quelque peu linéaire, rapidement remise en cause par des sons de cloches, de gong, parsemée de sons d’oiseaux ou d’autres animaux, puis se densifiant, comme pour évoquer le brouhaha des souks… Celle du canadien Alexis Langevin-Tétrault, Dialectique I, répondait parfaitement à son intitulé par sa forme thèse / antithèse / synthèse à travers la matière sonore. Un peu trop « étude » à mon goût. Celle de l’argentin Mario Mary, Gusano (ver de terre), avait aussi un parfum d’étude, mais son idée de base était moins technique, plus inspirée, qui faisait référence à certains aspects de la culture mexicaine (le ver peut se transformer en serpent, les champignons hallucinogènes…)
Les autres activités furent surtout la mise en place d’ateliers, dont celui animé par Jaap Blonk et Jörg Piringer, pour une restitution lors d’une des cinq soirées publiques de la semaine dernière. La première, celle du mardi 25, était dévolue à la poésie sonore associée aux traitements numériques et diverses distorsions électroniques, avec la prestation de JJJJ. J comme les prénoms des quatre intervenants : Jaap Blonk, Jörg Piringer, Joachim Montessuis (photo), Julien Ottavi. Quatre propositions solistes successives, et une collective pour terminer étaient soumises à un public un peu restreint. Extase à tous les étages, ou rien, de Montessuis, fut sans doute la pièce la plus consensuelle, par son entrée assez linéaire, permettant au public d’immerger progressivement dans une accumulation de voix se désaccordant peu à peu. La pièce sans titre de Piringer, plus bruitiste, était parcourue de pulsations presque mécaniques, avec une accumulation de sonorités plus ou moins denses selon les passages. Julien Ottavi réalisa avec Série Voix – Ordinateur / La trilogie des fantômes la pièce la plus décapante, tout en déambulant devant la scène, usant de divers bruits de bouches, de cris passant de la miniature aux sons les plus agressifs et déchirants. La prestation de Jaap Blonk fut un triptyque : Roll Dice Roll, basé sur des extraits de textes de Mallarmé associant voix audible et sons électroniques chaotiques, First Class Nightmares ne mit en œuvre que des voix retraitées et bien sûr cauchemardesques, tandis que Cheek-a-synth travaillait surtout sur les bruits de bouches, effets de voix spatialisés mais sans traitement numérique. La prestation collective et en totale improvisation, d’aspect plutôt chaotique bien que la part de chacun des quatre musiciens était clairement identifiable, termina une soirée, jubilatoire pour les uns, crispantes pour les autres.
La soirée Dadarama du lendemain, dédiée au centenaire de la naissance de DADA (et qui se tenait à l’Aubette dans une salle voisine de celles qui avaient été décorées entre 1926 et 1928 par Théo Van Doesburg, Hans Arp et Sophie Taueber-Arp), donnait champ libre (chant libre ?) aux stagiaires de Jaap Blonk et Jörg Piringer : douze propositions ont été soumises à un public plus nombreux que la veille (mais surtout estudiantin). Avec un travail sur la voix assez hétéroclite : voix seule sur un poème anglais transcrit phonétiquement, voix accompagnée par des instruments de musiques « conventionnels » (la guitare surtout avec divers effets), la voix intégrée dans un travail acousmatiques, parfois proche d'It’s gonna rain de Reich (DJVH de Rigal), offrant des pièces tantôt ludiques (Sans Titre de Bryan Luce), empreintes de psalmodies tibétaines ou plus bruitistes... Une diversité qui emprunta aussi une traduction audiovisuelle et deux performances, dont Copié/Collé qui avait une connotation dadaïste.
Jeudi soir, devant une audience plutôt clairsemée (où sont passés les étudiants de la veille ?!), ce fut une double plongée dans l’univers de Phill Niblock. Visuelle à travers un film vidéo, extrait de sa série Movement of People Working, présentant les travailleurs marins (pêcherie et aquaculture). Sonore (et surtout plus intense) à travers cinq de ses compositions, dans lesquelles il met en œuvre ses textures sonores denses générées par l’accumulation de couches issues, pour chacune d’un instrument. La première Hurdy Hurry, jouée en direct par Yvan Etienne à la vielle à roue, et qui date de 1999, fut suivie par quatre pièces enregistrées plus récentes (et inédites) usant successivement de la viole d’amour (servie par Elisabeth Smalt), du saxophone ténor (Neil Leonard), de la cornemuse (David Watson), et de la voix associée à la guitare lap steel (Lore Lixenberg et Guy de Bièvre). Reste une double interrogation : la musique convient-elle à ces images de travailleurs, la musique ne suggère-t-elle pas d’autres images ?
Le lendemain soir, ce fut la 1ère soirée avec l’acousmonium Motus, dans la même salle que la veille. Acousmonium mis en œuvre par Jonathan Prager, Olivier Lamarche (partenaires réguliers du festival Futura de Crest) et Yérri-Gaspar Hummel, directeur d’Exhibitronic. Au programme figuraient une quinzaine d’œuvres, dont les trois œuvres distinguées d’Open Call (voir plus haut) avec, bien sûr, une meilleure mise en espace de leur diffusion. Parmi les autres la palme semble revenir à Petite symphonie intuitive pour un paysage de printemps de Luc Ferrari, je dirais bien évidemment, encore que Creux-du-Van, de Sophie Delafontaine pourrait la lui disputer avec sa belle évocation de ce cirque rocheux du Jura (pièce qui pourrait être complémentaire du dernier CD d’eRikm Doubse Hystery consacré justement à l’arc jurassien). La pièce de Pete Stollery évoquant Three Cities nordiques (Aberdeen, Bergen, St. Petersburg) s’inscrivait dans la continuité des propositions de Ferrari, Delafontaine et Estelle Schorpp, la mise en sons de paysages plus ou moins oniriques. Ivo Malec fut flamboyant avec ses Luminétudes, quoique difficile à suivre avec ses silences, ses contrastes. Emilie Mousset, avec ses Passagers, proposa une pièce intéressante et riche avec ses matériaux sonores récupérés même s’il y manquait, à mon goût, un peu d’empathie pour s’y laisser plonger totalement. On notera aussi Hentaï de Denis Defour, inspiré par l’accident nucléaire de Fukushima, très évocatrice. Les autres propositions me parurent plus anecdotiques du point de vue de la création sonore. Il est vrai qu’un accent y a aussi été mis sur l’aspect vidéo, d’où l’on retiendra plus particulièrement les images de torses et de corps humains de David Coste sur la musique de Pierre Jodlowski (Respire).
La seconde soirée de l’acousmonium Motus, et dernière soirée d’Exhibitronic, offrit des pièces assez récentes, voire en création, telle Fort, fin, sec… de François Dumeaux, en général plus longues que la veille (entre quinez et vingt-et-une minutes), en dehors d’une courte séquence d’Aphex Twin très récréative et emphatique (Jynweythek Ylow) et de celle de Javier Alvarez, Temazcal (eau brûlante), une des premières pièces électroacoustiques associant un instrument acoustique (1984), ici les maracas joués par François Papirer des Percussions de Strasbourg, autour de motifs rythmiques tirés de la musique latino-américaine. Si Paramnesia d’Aki Pasoulas, et Anthropos de Livia Giovaninetti suscitent une certaine perplexité entre leur présentation théorique (la paramnésie pour la première, l’être humain sous ses diverses formes pour la seconde) et le rendu sonore au-delà de la perception qu’en a chaque auditeur, ce-dernier ne pouvait être que séduit (voire rassuré, car il retrouvait ses marques) par la polyrythmie proposée avec Fort, fin, sec… réalisée à partir de l’enregistrement des pas de danseurs d’une bourrée. Un peu discrète par son faible signal sonore, mais délicate et apaisante, Syneson de Philippe Lepeut reprenait quelques moments emblématiques d’une installation sonore réalisée il y a trois ans dans un quartier de Strasbourg, inscrivant la pièce dans un registre proche de l’esthétique de Ferrari, tandis qu’Elisabeth Anderson, avec Solar Winds… & beyond, offrit une sorte de musique des sphères enivrante. Datant du milieu des années 2000, Glasharfe de Ludger Brümmer et 0.95652173913 de Benjamin Thigpen étaient denses, impressionnants : les sonorités chatoyantes de la première (qui pouvaient rappeler l’ice harp dans les œuvres Terje Isungset) faisaient oublier le côté « étude » de la pièce, et, sans adopter la forme d’un récit, la seconde véhicula un cheminement chaotique vers le cataclysme annoncé.
Reste le problème de l’audience : alors que la soirée Exhibitronic intégrée au festival Musica au début du mois d’octobre fut suivie par un public assez large (il est vrai que Musica est installé fortement dans la cité depuis sa création en 1983 et a son public !), ces cinq soirées n’eurent que peu d’échos, et ne surent guère mobiliser. Problème de communication ?
Pierre Durr, texte et photos © le son du grisli
Michael Esposito : Voice Box (Spectral Electric, 2016)
Le sous-titre de cette Voice Box – en réalité : une clef usb de la forme d’une carte de crédit – dira ce qu’on y trouve : « A Collection of Oddities and Curiosities », issus de travaux signés du Phantom Air Waves de Michael Esposito. Une suite de raretés, à l’image d’In The Silence Of A Watery Grave dont une centaine d’exemplaires furent jadis glissés dans un petit livre et qu’il sera en conséquence impossible de commenter ici.
Rangées dans neuf dossiers qui renferment aussi images et parfois explications, les autres pièces sonores (MP3 et WAV) donnent à entendre Esposito arranger ses EVP seul ou en compagnie d’amis choisis. Certes inégale – le chasseur se contentant parfois d’évaluer sa collection au son d’une ou deux boucles simplistes –, la boîte renferme quelques traitements astucieux qui parviennent à égaler en intérêt les interventions de ses acolytes.
Ainsi, sous la voix de Bryan Lewis Saunders, Esposito dispose-t-il quelques basses profondes qui renferment déjà le code d’un langage singulier ; avec Kommissar Hjuler und Mama Bär, il déforme d’autres prises afin qu’elles épousent le propos d’une surprenante discussion en allemand ; avec Carl Michael von Hausswolff, il adapte ses manières à deux pièces d’une électronique jouant de couches multiples pour mieux rendre hommage à Friedrich Jürgenson, l’une des grandes figures du phénomène de voix électronique. Seul, Esposito peut donner dans un genre expérimental progressif auquel on préférera l’étrange atmosphère de Haunt Of The Athenaeum Codex ou les miaulements répétés de The Barn Witch Familiar, pièce qu’il ne faudra pas oublier de produire quand viendra l’heure du procès en sorcellerie qu'on devra bien lui faire un jour.
Michael Esposito : Voice Box: A Collection of Oddities and Curiosities
Spectral Electric
Edition : 2016.
MP3 / WAV : 01/ Byan Lewis Saunders & Michael Esposito : S.S. House 02/ Michael Esposito & Kommissar Hjuler und Frau : Der Geist Meiner Mutter 03/ CM von Hausswolff & Michael Esposito : The Ghosts of Effingham 04/ Michael Esposito & Rainier Lericolais : Perdus Et 05/ The Maladjusted of Manteno Asylum : Radical Matters 06/ The Shadow Of Roy Vail's Daughter Walks The Moonlit Harvest 07/ Haunt Of The Athenaeum Codex 08/ In The Silence Of A Watery Grave 09/ Demons Of Independance Day 10/ The Barn Witches' Familiar
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nurse With Wound : Echo Poeme: Sequence N°2 (Drastic Plastic, 2016)
Le phénomène de voix que l’on trouve sur Echo Poeme: Sequence N°2 n’est ni électronique ni fortuit : il est dû aux interventions d’Amantine Dahan Steiner et Isabelle Gaborit que Steven Stapleton a ensuite manipulées pour composer un hommage au film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour.
Editée par le label Jnana en 2005 – entre The Little Dipper Minus Two (Echo Poeme Sequence 1) et Sand Tangled Women (Echo Poeme Sequence 3), ensemble compilés plus tard sur Creakiness And Other Misdemeanours – et aujourd’hui sur vinyle, la « sequence » en question arrange trois-quarts d’heure durant récitations, hésitations et prises On & Off the record le long d’un jeu qui rappelle celui que Stapleton avait mis en place dès 1980 sur To the Quiet Men from A Tiny Girl. Les récitantes peuvent ainsi entamer une comptine en français, lire Victor Hugo, fredonner L’aigle noir de Barbara ou même s’interroger à voix haute : « tu peux essayer un son ? » / « J’crois que t’es en train de le dire sur l’autre… euh… enregistrement qu’on a fait… »
Au contraste établi par la valse du On et du (false) Off et aux faux-semblants avec lesquels Stapleton s’est mis dans l’idée de composer, un léger écho ajoute l’étrange effet de nombreux décalages. A tel point qu’en se laissant aller un peu – Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées / Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit –, on pourrait imaginer Léopoldine et Adèle revenues et, avant de repartir, confirmer à leur père – tout comme, à Hiroshima, Lui disait à Elle – : en effet, « Tu n’as rien vu ».
Nurse With Wound : Echo Poeme: Sequence N°2
Drastic Plastic / Souffle Continu
Edition : 2005. Réédition : 2016.
LP : A-B/ Echo Poeme: Sequence N°2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Gaap Kvlt : Jinn (Zoharum, 2016)
Je me suis toujours méfié de l’incorporation des appels à la prière (muezzin ou autre) dans la musique. Mais là, je veux dire… un hommage à Paul Bowles en pleine frénésie PompidouBeat… version downtempo ? Et de beats, justement, il est ici (le second disque de Gaap Kvlt) question… piano pianissimo… avec des loops diverses qui rappelleraient Long Fin Killie de temps en temps (mais en plus lent).
Une ambiance ressort donc, mais pas forcément de Tanger... Plutôt le genre de truc crépusculaire qui va bien au Jinn du titre du CD. Les Jinn (de l’arabe) ce sont ces esprits invisibles qui nous frôlent un peu partout : celui de Gaap Kvlt ce serait alors le fantôme de Bowles ? Sur différents beats (parfois techno à grosse basse, bizarrement mais bizarrement qui passe), un progamme ou des voix à deux cordes vocales du noise, le revoilà qui danse et se trémousse jusqu’à ce qu’il regagne ses pénates. Oserais-je écrire (en ai-je même le droit ?) que le jinn sied bien à notre écrivain beat ?
Gaap Kvlt : Jinn
Zoharum
Edition : 2016.
CD : 01/ Prayer 02/ Abu Kamal 03/ Bou Rattat 04/ Peninsula 05/ Prayer 8 (Death) 06/ Larache 07/ Tangsir 08/ Ovidius 09/ Vient
Pierre Cécile © Le son du grisli
Andrew Liles : The Power Elite (United Dairies, 2016)
Derrière les visages du couple Blair – à peine déformés – se lève une armée de voix prêtes à lui demander des comptes. Ce n’est pas la première fois qu’Andrew Liles signe une musique « qui fait parler » (on pense d’abord à The Surveillance Lounge, en Nurse With Wound) mais avec The Power Elite, ce sera seulement le temps de l’introduction.
Car les porteurs de murmures auront vite fait d’aviser d’autres instruments – percussions, cordes souvent grinçantes, grand piano… – qui leur permettront d’entamer une danse macabre, particulière pour être chargée de sens : combien de déceptions politiques (on sait Liles défait par le Brexit récemment plébiscité), combien de fois l’impression de ne pas avoir été écoutés ?
Des années après, c’est l’heure de la revanche. Remontant les horloges – les détraquant à force, ils provoquent par exemple la rencontre de Tony Blair et d’Horatio Alger, dont LeRoi Jones réinventait jadis la mort –, les facétieux fantômes menacent et leurs plaintes jouent d’échos. En conséquence, leur bal est inquiétant, qui finira sur l’Air de la Reine de la Nuit – hier avec Stapleton, Liles manipulait Beethoven ; c’est aujourd’hui Mozart qu’il interpelle, et, avec son concours, toute l’élite qu’il discrédite.
Andrew Liles : The Power Elite
United Dairies
Edition : 2016.
CD : 01/ Signature 02/ Horatio Alger Myth 03/ Systematic Conditioning 04/ Redemptioners 05/ Artificially Induced Consciousness 06/ Control & Manipulate & Exploit 07/ Affluenza 08/ The Iron Law Of Oligarchy 09/ Equitable Distribution
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
David Vélez, Bruno Duplant : Moyens fantômes (Unfathomless, 2016)
Il faut croire aux choses qui n’existent pas, les traquer partout : à ces informations qui, à peine exprimées, déjà se volatilisent ; aux possibles esprits qui les ont exprimées et qu’elles emportent avec elles. Des champs de bataille américains (Michael Esposito sur Perryville Battlefield) à un recoin de forêt amazonienne (David Vélez et Simon Whetham sur Yoi) ou encore, pour le même Vélez et Bruno Duplant, d’usines désaffectées en entrepôts abandonnés, à Bogota comme à Waziers.
Ici et là, les deux hommes ont donc enregistré grâce à, disent-ils, un équipement électronique rudimentaire, qui plus est ancien – on se demandera alors si ces « moyens fantômes » ne renverraient pas aux machines plutôt qu’aux esprits qu’elles voulaient capturer. C’est peu dire que, sur les murs, la peinture est écaillée : au son, c’est une corrosion d’un autre genre qui fait effet. Chassées par les balayages, combien de présences s’évanouissent entre deux portes ? Dans les flaques qui parsèment des sols anéantis, il y a bien quelques ondes mais aucun reflet (d’autant que la phonographie n’est pas photographie) ; et puis, dans un retour, c’est la soudaine musique d’un synthétiseur miniature.
Vélez et Duplant n’avaient donc qu’à se promener et à constater : qu’entre deux grisailles un chant peut trouver sa place, que la nature qui peu à peu reprend ses droits est capable de sifflements divers ou de vocaliser comme un homme pourrait le faire dans un parlophone pour simplement jouer un tour… Aux antipodes, c’est le même constat : expérimental et étrangement musical.
David Vélez, Bruno Duplant : Moyens fantômes
Unfathomless
Edition : 2016.
CDR : 01/ Moyens fantômes
Guillaume Belhomme © Le son du grisli