Kahil El'Zabar: Big M, A Tribute to Malachi Favors (Delmark - 2006)
En compagnie du violoniste Billy Bang, le Ritual Trio du percussionniste Kahil El’Zabar rend un hommage plus ou moins adroit à Malachi Favors, contrebassiste de l’Art Ensemble of Chicago, personnage emblématique de l’A.A.C.M. et figure sensible du jazz d’avant-garde de ces 50 dernières années.
A ses propres compositions, Zabar insuffle pas mal de l’esprit du jazz pratiqué à Chicago depuis les années 1960: gimmicks efficaces installés par la contrebasse de Yosef Ben Israel (Crumb-Puck-U-Lent), savant mélange de soul et de free (Kan) ou impressions d’Afrique construites avant tout par la kalimba du leader (Oof).
Mais ici ou là, le groupe se montre moins convaincant: lorsque Ari Brown préfère le piano au saxophone sur le poussif Freedom Flexibility, tandis qu’il avait réussi à rattrapper de justesse au moyen de son ténor le frêle fantasme d’Orient qu’est Maghoustut ; ou quand Bang se perd dans un lyrisme déplacé (Oof) alors qu’il s’était montré plutôt inspiré jusque là.
Soit, un hommage en demi-teinte, fait autant d’adresse que de faux-pas. Mais duquel il suffit de retenir la dédicace sincère, sublimée par quelques moments de grâce, pour être, au final, approuvé.
CD: 01/ Crumb-Puck-U-Lent 02/ Oof 03/ Freedom Flexibility 04/ Big M 05/ Kan 06/ Maghoustut 07/ Malachi
Kahil El'Zabar - Big M, A Tribute to Malachi Favors - 2006 - Delmark. Distribution Socadisc.
Kenneth Kirschner: Three Compositions (SIRR - 2006)
Se voulant introduction idéale aux travaux électroacoustiques de Kenneth Kirschner, Three Compositions sélectionne des œuvres enregistrées ces 10 dernières années. Qui attestent chacune à leur manière d’intentions semblables et saisissantes.
Enregistrée le plus récemment, la première pièce soigne son ambient quiète au son de notes comptées, déposées à intervalles réguliers ou expédiées par paquets, et de silences inévitables (July 17, 2006). Genre de sérénité que Kirschner avait, auparavant, essayé de perturber au moyen d’éléments choisis mais insuffisants – résonances et masses, vrombissements et larsens insinués –, capables quand même de mettre en place une succession d’univers minuscules et indépendants (April 27, 2004).
Tenue éloignée, donc, des cohérences de May 3, 1997 : atmosphère déployée entre Neroli de Brian Eno et For Bonita Marcus de Feldman. Zone de perturbations chastes - piano répétitif et usage de gongs – tournant sur elle-même, qui pourrait résoudre le problème de l’infini après laquelle Kirschner semble courir, si jamais un recours impromptu au « Repeat All » reliait un jour la plus ancienne à la plus récente des trois compositions exposées ici.
CD: 01/ July 17, 2006 02/ April 27, 2004 03/ May 3, 1997
Kenneth Kirschner - Three Compositions - 2006 - SIRR.
New Lousadzak : Human Songs (Emouvance, 2006)
Emmené par le contrebassiste Claude Tchamitchian depuis 1994, Lousadzak voit sa formation la plus récente qualifiée de « new », qui prouve sur Human Songs tout l’intérêt de porter un projet sur le long terme.
A l’appel du cornet solennel de Médéric Collignon, l’ensemble des huit musiciens se met en Marche dans l’idée de rendre hommage à quelques résistances, aperçues de Prague à Pékin. Dans les pas, donc, du Liberation Orchestra de Charlie Haden et de son désir d’aller voir partout – free jazz rock initié par la guitare de Raymond Boni sur Marche, impression orientale et cuivrée de Fanfare, ou mouvement romantique fantasmant Prokofiev sur Ostinato.
Ailleurs encore, l’ensemble dessine une valse lente et langoureuse gonflée par les roulements de batterie de Ramon Lopez puis décorée par les drones élaborés de Boni et Rémi Charmasson (Place Tien-An-men), ou oppose en ouverture de la deuxième Suite les notes longues sorties des saxophones de Daunik Lazro et Lionel Garcin et la préhension allant crescendo d’une contrebasse fulminant (Khor Virap).
Des méandres où l’on fomente les réactions (Human Song) aux places où le mouvement leur est insufflé – assauts grandiloquents et cacophonie rageuse de New Delhi – la musique du New Lousadzak aura tout évoqué, n’oubliant pas de porter haut des airs cuivrés de fête quand telle opération aura porté ses fruits.
New Lousadzak : Human Songs (Emouvance / Abeille)
Edition : 2006.
CD : 01/ Ouverture 02/ Marche 03/ Ostinato 04/ Fanfare 05/ Chant final 06/ Khor virap 07/ Tautavel 08/ New Dehli 09/ Place Tien-An-men 10/ Prague 11/ Human Song
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Martin Archer, Hervé Perez: The Inclusion Principle (Discus - 2006)
The Inclusion Principle. Où l’on voit improviser ensemble Martin Archer (violectronics, claviers analogiques) – multi instrumentaliste anglais influencé autant par John Cage et Morton Feldman que par Magma et Soft Machine – et Hervé Perez (field recordings, laptop) – collecteur de sons environnementaux et Français de passage.
Découpé en quatre parties, l’enregistrement prône à chaque fois une abstraction de principe, assurant l’auditeur que si ce qu’il s’y joue réellement peut sembler mystérieux, il ne peut en ignorer longtemps la dimension : faite de souffles, grincements et frottements, larsens insistants (jusqu’à trop en faire sur Part 4), elle s’insinue lentement, et tire une profondeur inédite des field recordings récoltés par Perez.
Hululements étranges et miaulements infimes, ruissellement d’une eau désormais perdue en méandres artificiels, ou percussions de bois, divertissent les constructions menaçantes. Balançant les effets de reverses agressifs ici, de réverbérations inquiétantes ailleurs. Jusqu’à trouver une stabilité inespérée à cette combinaison d’éléments épars et d’origines contraires.
CD: 01/ Part 1 02/ Part 2 03/ Part 3 04/ Part 4
Martin Archer, Hervé Perez - The Inclusion Principle - 2006 - Discus.
The C.T. String Quartet: Reqiphoenix Nexus (Cadence Jazz Records - 2006)
Formé par Dominic Duval (contrebasse), Thomas Ulrich (violoncelle), Jason Kao Hwang (violon) et Ron Lawrence (alto), le C.T. String Quartet profite d’un concert donné en 1999 à la Knitting Factory pour exposer Reqiphoenix Nexus, précis d’harmonie discordante expliqué en trois points.
Si quatre archets devisent d’abord au son d’entrelacs subtils, le résultat ne satisfait pas longtemps les musiciens, qui s’empressent de faire éclater, entre quelques pauses décidées, les aigus de pizzicatos précipités, sacrifiant toute logique à un Part 1 enfin déconstruit en distribuant les charges dissonantes, tant qu’ils peuvent investir sans compromission le premier plan.
Liberté que Part 2 ne peut leur permettre d’obtenir. Accueillant Joe McPhee, le quartette s’y inquiète davantage de confectionner des nappes sur lesquelles le soprano de l’invité trouvera l’assurance qui le laissera aller à quelques postures relevant d’un free jazz emporté. McPhee accompagné comme il faut, forcément irréprochable.
Avec son départ, Part 3 peut débuter : progression lasse soumise à plusieurs accès de fièvre. Sur le grand et grave archet de Duval, les violons grincent et se répètent, arrachent quelques notes inattendues, pour se laisser terrasser enfin par le gimmick qu’impose la contrebasse. Rassurant, et conseillant d’en finir ici avec l’exposé sensible qu’est Reqiphoenix Nexus.
CD: 01/ Part 1 02/ Part 2 03/ Part 3
The C.T. String Quartet - Reqiphoenix Nexus - 2006 - Cadence Jazz Records.
Michael Keith, John Oswald, Roger Turner: Number Nine (Emanem - 2006)
Invité par le guitariste canadien Michael Keith à enregistrer en sa compagnie et celle du saxophoniste John Oswald, le percussionniste Roger Turner incite le duo à toujours plus de ferveur dans sa pratique improvisée.
A l’image de son engagement vindicatif au cœur de Nine, sur lequel les attaques répétées de la guitare et les sifflements de l’alto (déjà couplés sur Sister) ne pourront s’accorder que lors de brefs moments de pauses. Sur Canal, aussi, où Turner enfonce - quand il ne peut plus se contenter de souligner - le dialogue à étages des solistes.
Ailleurs, il arrive à Keith de reprendre les commandes : lâchant des accords avant de faire corps avec la batterie pour asséner quelques coups secs au saxophone (Centre) ; élaborant Staircase presque seul, au son d’arpèges nerveux ; ou fleurissant le propos du groupe d’expérimentations personnelles (Sister).
Faisant suite à une suite de concerts donnée en Europe en 2005, l’enregistrement de Number Nine scelle avec évidence l’entente définitive du trio. Accomplit, enfin, son œuvre turbulente.
CD: 01/ Canal 02/ Sister 03/ Staircase 04/ Instants 05/ Nine 06/ Centre 07/ Harbourfront
Michael Keith, John Oswald, Roger Turner - Number Nine - 2006 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.
Roswell Rudd: Blown Bone (Emanem - 2006)
Longtemps partenaire de Steve Lacy, avec lequel il se pencha sur les compositions de Monk, le tromboniste Roswell Rudd a suivi comme lui un des chemins qui mène à un jazz exigeant. Florilège au casting de choix, Blown Bone présente huit enregistrements, issus de trois sessions différentes, pour mieux illustrer l’évidence.
Si Long Hope - morceau enregistré en 1967 sous la direction d’un Rudd passé au piano - est une progression romantique brouillonne, alourdie encore par les interventions à l’alto du saxophoniste Robin Kenyatta, les autres titres – enregistrés, eux, en 1976 – parlent davantage en faveur du leader. Cette année là, deux jours de mars auront permis au tromboniste de conduire avec grâce un nonette puis un sextette.
Mêlant d’abord en grande formation les dissonances du saxophone de Lacy aux divagations de Louisiana Red à la guitare électrique (Blown Bone), Rudd donne ensuite dans un blues caricatural avant de servir, avec plus de réussite, une danse lasse gonflée par la clarinette de Kenny Davern, puis une impression afro-cubaine portée par le bata drum de Jordan Steckel: Bethesda Fountain tirant son épingle du jeu grâce à la qualité de ses solos (signés Lacy et Davern, notamment).
En sextette, le résultat est plus soigné encore. Intéressé toujours par les ruptures stylistiques, Rudd décide de confectionner un bop étrange qui combine les interventions à étages de Lacy, le jeu éclairé du trompettiste Enrico Rava et le sien propre, évoluant sans attache ou citant It could happen to You (It’s Happening). Pour décider ensuite d’une chanson plus anecdotique – voix de Sheila Jordan déposée sur la divagations des instruments – avant de concevoir un free ravageur lancé par la batterie de Paul Motian bientôt abandonné pour un jazz vocal (Sheila Jordan, toujours) au swing plus que décadent (You Blew It).
Allant voir partout, Rudd éprouve ses talents et capacités d’arrangeur. Avec quelques maladresses, parfois. Mais celles-ci ne peuvent pas grand-chose face à la lucidité créatrice de musiciens de la taille de Lacy, Motian, Rava, Davern, et de Rudd lui-même.
CD: 01/ It’s Happening 02/ Blues for the Planet Earth 03/ You Blew It 04/ Long Hope 05/ Blown Bone 06/ Clement Blues 07/ Street Walking 08/ Bethesda Fountain
Roswell Rudd - Blown Bone - 2006 - Emanem. Distribution Orkhêstra International.
Spontaneous Music Ensemble: Biosystem (Psi - 2006)
Emmené par John Stevens jusqu’en 1992, le Spontaneous Music Ensemble version cordes – composé aussi de Nigel Coombes (violon), Roger Smith (guitare) et Colin Wood (violoncelle) – enregistra en 1977 pour le label Incus d’Evan Parker et Derek Bailey. Aujourd’hui, Parker réédite Biosystem sur Psi.
Virulent, Biosystem l’est à/sur plus d’un titre. Au jeu éclaté de Stevens, jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de renouveler ses façons d’attaquer cymbales ou toms, Coombes oppose un archet grinçant (Biosystem) ou quelques dissonances (Mystery), Smith des arpèges secs et effrénés (Back To The Beginning for the First Time), Wood, enfin, des pizzicatos tortueux (Mystery).
Augmentée de 4 inédits, la réédition offre des chutes d’époque : morceau entièrement emporté par la fougue du violoncelle et de la guitare (Another Beginning), petite pièce répétitive élaborée à partir de pizzicatos bondissants (Saved by The Bell), ou véritable hymne au service d’un folk d’aliénés (Restored).
Ainsi complété, Biosystem gagne encore en valeur. Et vient grossir le paquet de preuves révélant la majesté du Spontaneous Music Ensemble, projet aussi singulier qu’incontournable pour qui décide de passer un jour par le champ des musiques improvisées.
CD: 01/ Biosystem 02/ Mystery 03/ Replanted 04/ Back To The Beginning for the First Time 05/ Another Beginning 06/ Restored 07/ Saved by the Bell 08/ The Bell and Beyond
Spontaneous Music Ensemble - Biosystem - 2006 (réédition) - Psi. Distribution Orkhêstra International.
The Idealist : I Am The Fire (Nosordo, 2006)
Premier enregistrement de The Idealist – en vérité Joachim Nordwall –, I Am The Fire explique en six phases les tenants et les aboutissants d’un dérapage vers le Nord d’une musique atmosphérique et bruitiste.
Amateur de drones chargés, Nordwall combine des oscillations changeantes et des nappes denses d’éléments rêches, passant au tamis des influences allant de My Bloody Valentine à Fennesz (The Knives Are My Eyes), quitte, parfois, à les exposer trop longuement (To Make Exact Copy Of Every Mistake Ever Made).
Mais lorsqu’il agrémente son propos de touches qui, à défaut d’être originales, sont élaborées singulièrement – grésillements, effets de masses et fulgurances échappées du jeu auquel il s’adonne derrière un pod -, Nordwall se sort plutôt bien de l’impasse que constitue l’hommage timide aux maîtres (The Cranium).
Altérant même volontairement son propos au moyen de traitements dévastateurs : discours attaqué par le grain (The Declaaaration of Indeeependence) ou accrocs appuyant encore la lente dépression jouissive qu’est My Head Is On Fire. Sorti grandi de l’expérience et des nécessités d’un premier album, ne reste plus à The Idealist qu’à confirmer.
The Idealist : I Am the Fire (Nosordo)
Edition : 2006.
CD : 01/ The Knives Are My Eyes 02/ To Make Exact Copy Of Every Mistake Ever Made 03/ I Am Not Here 04/ The Cranium 05/ The Declaaaration of Indeeependence 06/ My Head Is On Fire
Guillaume Belhomme © Le son du grisli