Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Cecil Taylor : Garden: 1st Set - 2nd Set (hatOLOGY, 2015)

cecil taylor garden 1st set 2nd set

Pour informer de la réédition sur CD de Garden, on renverra le lecteur à cette évocation nocturne. Il faudra aussi dire qu’au double-disque vinyle publié à l’origine par Hat Hut – au début des années 1990, un double CD a aussi paru au Japon –, hatOLOGY a préféré publier deux disques séparés à quelques mois d’intervalle : Garden 1st Set et Garden 2nd Set.

Cecil Taylor en concert, donc, à Bâle le 16 novembre 1981. Et à nouveau : vous vous levez Garden en tête, parce qu’une note de ce concert solo semble vous avoir échappé en rêve…  


cecil garden

Cecil Taylor : Garden 1st Set / Garden 2nd Set (hatOLOGY / Harmonia Mundi)
Enregistrement : 16 novembre 1981. Réédition : 2015.
2 CD : Garden
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



LDP 2015 : Carnet de route #39

ldp 2015 39 21 novembre berlin

Après la campagne bavaroise, c'est Berlin : le 21 novembre, le ldp donnait un concert au Jazzwerkstatt...

21 novembre, Berlin
Institut français „Jazzwerkstatt" Berlin

09:22 München Hbf, ICE 1208 München-Berlin, direkt ohne Umsteigen. In Berlin Hbf  angekommen, nehmen wir eine Taxi zum Ellington Hotel Berlin. In der Hotelhalle schauen uns Gesichter von legendären amerikanischen Jazzgrössen wie Bud Powell, Coleman Hawkins, Charlie Parker auf Fotos entgegen. Als Hintergrundmusik läuft Round' Midnight von Thelonious Monk. Offensichtlich ist der experimentelle Bebop von Monk aus den 50er Jahren in der Zwischenzeit salonfähig geworden. Seit Monks Tod erlebt seine Musik eine regelrechte Renaissance, die bis heute anhält. Viele namhafte Musiker beschäftigen sich bis heute intensiv mit seinem Werk und spielen seine Kompositionen ein. Dazu gehören unter anderen Anthony Braxton, Misha Mengelberg und Chick Corea. Der Pianist Alexander von Schlippenbach führt mit einer Gruppe junger Musiker in einem Konzertprogramm das Gesamtwerk Monks auf und hat dieses im Jahr 2004 komplett aufgenommen. Der Sopransaxophonist Steve Lacy spielte einige Jahre seiner Karriere sogar ausschließlich Monk-Kompositionen.
Als wir ankommen stehen vor dem Institute Français am Kurfürstendamm, aufgrund der Geschehnisse in Paris mehrere Polizisten, um den Eingang zu bewachen. Beim Eintreten in das Haus werden wir nicht kontrolliert. Interessant denke ich. Der Lift führt uns ins 5. Ober-geschoss zum Saal, wo unser Konzert im Rahmen von Ulli Blobel’s Konzertreihe Sound No Walls stattfindet. Reinhard Müller und seine Assistentin begrüssen uns herzlich. Nach kurzem durchatmen richten wir uns ein. Der Raum klingt neutral und ist relativ einfach bespielbar. Wir erfahren vor Ort, dass der Sprecher Christian Brückner Psalmen aus der Bibel im Konzert mit uns lesen wird. Im Moment sind wir ein bisschen entsetzt. Grundsätzlich liebe ich ausgewählte, literarische Texte in Verbindung mit Musik. Der Umgang mit religiösen Texten ist jedoch delikat und kann Unmut und Verzweiflung provozieren. Dazu kommt, dass wir heute auf der Reise zum Thema Religiösität miteinander ausführlich und kritisch debattiert hatten. Wir unterhalten uns kurz und wir entscheiden, uns auf diesen Vorschlag im Sinne einer spontanen Aktion einzulassen. Das Konzert beginnt im Trio. Wir spannen einen extensiven Bogen. Der Sprecher liest seine Texte, unwissend zu früh während das Stück noch spielt. Es war vorgesehen, dass er im zweiten Teil zum Einsatz kommen soll. Spontan wird der Sprecher Teil der Musik. Jacques und ich sind zurückhaltend, während Barre aus dem Vollen schöpft und zusammen mit dem Sprecher einen spannenden, konzertanten Dialog führt. Barre versteht die deutsche Sprache nicht und fühlt sich frei von jeder Bedeutung. Sein Ohr richtet sich auf den Klang und nicht auf die Bedeutung der Worte. Gegen den Schluss führen wir gemeinsam das Stück zu ende. Nach einer Pause spielen wir eine weitere Improvisation im Trio. Die Zuhörer sind begeistert.
„Sie exerzierten das Instant Composing an den Rändern von Stille und Explosion. Hellhöriges Reagieren, Dynamik und eine unglaubliche Palette von Klangwirkungen waren die Konstanten eines Sets. Am faszinierendsten waren und blieben die Klangergeinisse und wie sie sich ineinander flochten. Demierre spielte im Saitenwerk des Flügels, Leimgruber oszillierte mit dem Atem und Saxophonklappen, Phillips handhabte den Kontrabass wie einen Sampler.“ (Pirmin Bossart)  
U.L.

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A Berlin ce soir, des amies et amis d'Allemagne, avec qui j'ai partagé des années de pratique de qi gong, mais qui ne connaissent ni mon jeu pianistique, ni la musique du trio ldp. Toujours passionnant de voir combien le spectateur, l'auditeur, donne vie tantôt au plus petit détail écouté, tantôt à la forme la plus complexe. Leurs retours furent nombreux et variés, et j'ai pu lire l'influence de leur pratique énergétique sur leur perception – ils formèrent le temps d'un concert un triangle interactif, ajoutant un troisième point à la ligne tendue entre le livre de Jean-François Billeter sur la calligraphie chinoise, auquel je me serai référé souvent dans ce carnet de route, et l'examen répété de mon expérience du son. C'est à travers leur corps, dirent-ils, qu'ils ont ressenti les équilibres et déséquilibres de nos improvisations, leur imagination liée à leurs mouvements leur a offert la possibilité de rejoindre les nôtres, de cheminer dans l'écoute à la même allure. C'est en nous écoutant qu'une amie fut saisie d'une émotion forte, si forte qu'elle ne put transformer cette émotion qu'en écoutant davantage, qu'en transformant par son activité d'écoute le désordre qui était monté en elle. L'écoute touche autant les musiciens que les spectateurs, et force les uns comme les autres à accepter de multiples métamorphoses intérieures. Ecouter entraîne de la tension, de profonds mouvement désordonnés, de l'instabilité. Mais écouter permet aussi d'organiser le désordre des mouvements, de stabiliser l'instabilité, de calmer l'émotion. L'état ultime d'écoute, si il existe, est sans doute sans émotion, ou plutôt on y trouve ni présence ni absence d'émotion, une sorte d'égalité d'humeur qui nous ramène à nous-mêmes immergés dans la seule expérience. Les qualités d'écoute demandées à un spectateur ou à un musicien sont les mêmes. Chacun se doit d'acquérir une disponibilité particulière à l'instant, de développer des capacités intérieures patiemment construites jour après jour, et de cultiver une faculté d'imagination qui lui permettra de mettre ce qui est écouté en mouvement en le projetant dans la réalité. Finalement, ce que l'on fait en jouant et en écoutant, c'est ce que l'on fait à chaque moment, confronté que l'on est, à la réalité extérieure. Jean-François Billeter parle quant à lui du « pouvoir » que nous avons de transformer autant une œuvre calligraphique que la réalité extérieure en des "réalités sensibles" pour nous. C'est exactement ce que nous pratiquons lors de l'écoute, musiciens et spectateurs confondus: puisque nous traitons les signes sonores « de la même manière que le monde extérieur, ils deviennent pour nous des signes de la réalité même. » Et davantage encore, ajoute le sinologue, ce qu'on observe, c'est le "signe du pouvoir que nous avons de produire la réalité sensible, et donc signe de nous-mêmes."
J.D.

P.S. : la musique ce soir-là a vibré autant de l'insouciance de ces femmes assises sur un muret dans la chaleur de l'été - leurs pieds nus touchant presque le piano STEINWAY & SONS B 489936 – que des fleurs déposées au bas de l'Institut français en hommage aux victimes parisiennes du 13 novembre.

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Photos : Jacques Demierre

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Chris Cundy, Thanos Chrysakis : Music for Chamber Organ & Contra Bass Clarinet (Aural Terrains, 2015)

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Le titre est clair, qui dit à quels instruments on trouve ici Thanos Chrysakis et Chris Cundy – auteurs, avec le guitariste James O’Sullivan, d’Asphodels Abide – sur ce disque enregistré à l’été 2014.

Un orgue de salon et une clarinette contrebasse, donc, au son desquels le duo tourne d’abord en rond – le reproche est le même que celui d’hier, et l’on craint un temps la rencontre informelle et le disque creux – avant que Chrysakis cesse de pianoter dans le vide et dépose un bourdon.

Peut-être pour ne plus avoir à faire acte de présence, le voilà travaillant à autre chose : deux ou trois notes qu’il répète, un accord qu’il étouffe et puis étoffe aussi dans le secret. De seconde en minutes, la discrétion le gagne. Cundy, lui, se laisse aller à une improvisation qui vrille et dérape souvent. Bientôt, les idées qu’il remue ont donc raison de l’orgue.

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Chris Cundy, Thanos Chrysakis : Music for Chamber Organ & Contra Bass Clarinet (Aural Terrains)
Enregistrement : 28 juin 2014. Edition : 2015.
CD : 01-05/ Part I - Part V
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Larry Ochs : The Fictive Five (Tzadik, 2015) / Larry Ochs, Don Robinson : The Throne (Not Two, 2015)

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Ces gens-là (Larry Ochs, Nate Wooley, Ken Filiano, Pascal Niggenkemper, Harris Eisenstadt) se croisent, s’entrecroisent, dissertent, discernent, réactivent une Ascension de fraîche mémoire (et l’on sait Larry Ochs très attaché à la composition de Trane). Puis ils dégrafent les tempos, baissent la garde, font plier les lamentations. Et le sopranino de s’élever en de brusques hauteurs. Ceci pour les vingt-cinq minutes de Similitude.

Ensuite, les tableaux s’enchaînent, la composition ne se cache plus. Et subitement, ils éteignent leurs paroles (A Market Refraction). Ensuite, encore, ils espèrent. Ils espèrent l’oasis proche, l’eau essentielle. Maintenant, ils pivotent et survolent, les contrebasses grondent, Wooley charrie un solo inspirant-important et tous désertent leur verbe pour mieux s’unir (By Any Other Name). Ensuite, et enfin, ils défient le silence de leurs souffles frêles. Et drapent de fines mélodies (Translucent). Et le tout est extrêmement convaincant.



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Larry Ochs' Fictive Five : The Fictive Five (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Similitude 02/ A Market Refraction 03/ By Any Other Name 04/ Translucent
Luc Bouquet © Le son du grisli

 

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Avec Don Robinson, batteur du genre direct, Larry Ochs enregistra neuf titres en juillet et septembre 2011. Epais en conséquence, le saxophoniste (aux ténor et sopranino) n’en perd pas son sens du swing sur des échanges qui pourront rappeler le duo Jackie McLean / Michael Carvin : ici les mêmes fulgurances, là des longueurs similaires. 

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Larry Ochs, Don Robinson : The Throne
Not Two
Enregistrement : 2011. Edition : 2015.
CD : 01/ Open to the Light 02/ Red Tail 03/ Push Hands 04/ Song 2 05/ El Nino 06/ Breakout 07/ Failure 08/ Muddy on Mars 09/ The Throne
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 


Songs : 1 & 2 (Intonema, 2015)

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Sur le premier disque du quartette Songs, c’est l’alto de Catherine Lamb qui perce d’abord : au son d’une note tenue que reprendront le trombone de Rishin Singh (qui signe les deux compositions qui font ce disque), la clarinette de Lucio Capece puis la voix de Stine Sterne. Et c’est Sterne qui transforme la ligne conductrice en chanson.

Pas une chanson de tous les jours, bien sûr. Mais une chanson lente – à l’instar de celles de Marianne Schuppe – faite de mots précautionneusement déposés sur les longues notes que se repassent les instruments et qui parfois se chevauchent. A l'arrière du grand vaisseau que conduisent ses trois accompagnateurs, Sterne chante des couplets rompus aux discrétions de phrases suspendues, et arrive le refrain.

C’est en fait une seconde chanson (Three Lives), qui accordera la voix de Sterne et celle de Lamb. Unissons ou légers décalages, le mot est moins rare et, comme la lenteur instrumentale est la même, on peut le croire impatient. Plus affectée, la seconde chanson est en conséquence plus conventionnelle. On préférera ainsi le couplet au refrain, en attendant d'entendre une troisième chanson.

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Songs : 1 & 2 (Intonema)
Enregistrement : 2014-2015. Edition : 2015.
CD : 01/ Six Scenes of Boredom 02/ Three Lives
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



LDP 2015 : Carnet de route #38

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Alors, c'est la campagne bavaroise (Zoglau). Et le trio ldp ne la craint pas : il y joue même, ce 20 novembre 2015...

20 novembre, Zoglau
Zoglau3 Raum für Musik Zoglau bei Taubenbach

Noon – Past time to check out of the budget hotel but the manager, who seems to be managing everything but himself, hasn't appeared to oust us.
Hannes arrives right on schedule, with his friend Franz. They will drive us, and our baggage, the +/- hour trip out into the Bavarian country-side and Zoglau. Not a village, not a hamlet but a short piece of road. Emmerich, our host, an architect, by the looks of things doubtless a successful one, welcomes us to his very tastefully restored farm complex and after a bit of look around and conversation we set up for the concert. As promising as the concert room looked, high-ceilinged, abounding in natural wood, beautiful shape, I couldn't find the right handle on the acoustics of the space. This held true at the evening's activities as well. What to do in such a case? My general rule is "don't worry, it will sound just fine". But, one more time, I couldn't keep myself from not overplaying, working too hard to produce the sounds. The music was unusual to me, delving into realms of sound that I don't remember having ever trespassed before. It was captivating, sumptuous and daring to a point of "hold on, that you don't tumble over the cliff". I loved it, but it did exhaust me. Bringing me to the question that I had been asking myself before leaving home and setting out on this adventure. Do I have the strength to do this? To travel, with all that accompanies same, and be able to really play, to have the necessary resources for the music as well? Apparently the audiences and my partners feel that I do. I feel it too as right now, in need of a meal, still 2 hours plus from Berlin, I'm ready to "hit it". I feel great.    
B.Ph.

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Als Abwechslung mal eine Reise im Auto zum nächsten Konzertort. Hannes Schneider und sein Freund fahren uns mit zwei Fahrzeugen nach Zoglau3 bei Taubenbach im Landkreis Rottal-Inn. Ein Ort an dem erlebbar ist, wie Musik aus dem Moment heraus entsteht. Der Ort befindet sich in der totalen Provinz, in der freien Natur. Ein paar Häuser umfassen das kleine Dorf. Ina und Emmerich Hörmann sind verantwortlich für die Konzertreihe Raum für Musik Zoglau3. Sie organisieren zwei mal im Monat im Frühjahr und Herbst Konzerte im Bereich Jazz, Klassik und Improvisierte Musik. Das Stammpublikum kommt aus der ganzen Umgebung z.T. kommen die Leute sogar aus München angereist. Liebhaber und Freunde konzertanter Musik. Das Haus umfasst diverse Räume in einem stilvoll umgebauten alten Stall, einer Mischung aus herkömmlicher Bauart und moderner Architektur. Man fühlt sich sofort sehr wohl und die Leute im Haus sind herzlich und ausgesprochen gastfreundlich. Wir befinden uns im ersten Stock des Hauptgebäudes mit Sicht auf umliegende Wiesen, Bäume und Büsche. Die Stimmung ist grau und Nebel zieht auf. Der Konzertraum besteht komplett aus Holz. Das Haus hat ein Dreieck Dach. Die Decke führt zum Giebel. Wir stimmen uns ein. Die Akustik ist ausgezeichnet. Das Licht wird eingerichtet, die Aufnahme Mikrofone werden positioniert, die Stimmung baut sich auf.... Die Leute treffen ein das Konzert beginnt pünktlich.
"Spontan, direkt, gemeinsam. Nichts ist vorbereitet, nichts abgesprochen, nichts vorher ausgedacht. Die Herausforderung bleibt die gleiche wie am ersten Tag des Zusammentreffens: der leere Raum, den es mit Klängen zu gestalten gilt. Drei Musiker, die nicht mehr und nicht weniger mitbringen als ihre jahrzehntelange Erfahrung mit freier Improvisation und ihre individuellen Musiksprachen. Seit fünfzehn Jahren spielen sie zusammen: der aus San Francisco stammende, eng mit der europäischen Szene verbundene Kontrabassist Barre Phillips sowie die beiden Schweizer Urs Leimgruber und Jacques Demierre. Jeder der Drei hat seinem Instrument eine gänzlich eigene Dimension erschlossen, die ihn unverwechselbar macht. Jedes Mal, wenn das Trio, das mittlerweile rund zweihundert Konzerte gegeben hat, zusammenkommt, wird die Musik zugleich neu erfunden und weitergeschrieben. Dann verdichten und verflechten sich diese Sprachen, oder sie verflüchtigen sich bis an den Rand zur Stille." (Bert Noglik)
U.L.

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L'arrivée à Zoglau fut comme entrer dans une peinture de paysage traditionnelle chinoise. Traversant les chemins forestiers sous une pluie battante, le concert avait déjà commencé. La sensation que ce paysage me faisait dépassait de loin la simple perception que je pouvais avoir de lui. Ce que je voyais, comme ce que j'entends au moment du jeu, n'était pas ce que mes yeux me permettaient de percevoir, mais à travers un accès direct à mon imagination, je reconnaissais les phénomènes issus de la rencontre entre le brouillard et les forêts, entre les collines et les prairies ouvertes. En concert, j'essaye de capter, plus que les sons eux-mêmes, l'interaction de ces sons entre eux. Il me faut les faire entrer en moi pour les recréer par mon imagination, témoigner de leur force de vie. Les nuances de gris du brouillard s'étendant dans le lointain résonnaient dans les profondeurs de la vie qui circule en moi. Résonnaient aussi des sensations anciennes, comme résonnent parfois en pratiquant les sons, d'anciens sons, d'anciennes traces sonores – en ce sens la voix enregistrée des personnes disparues est extrêmement troublante, troublante dans sa qualité de présence infinie. Arrivé au lieu de concert, l'effet se poursuivit. Entre les arbustes au premier plan, la déclivité du terrain, la forêt plus loin et sa dissolution dans le brouillard, il y avait un rythme, une pulsation irrégulière, qui me poussait à abandonner la vision de l'objet paysage et m'entraînait dans un mouvement essentiellement dynamique. Tel à l'instant du concert, où l'on perd parfois contact avec la configuration des sons au profit de forces internes et puissantes en jeu, je sentais la configuration paysagère s'abolir en un tourbillon de matière. Cette expérience, à la fois sonore et visuelle, et surtout vitale, est intense. On passe d'un état corporel relativement statique, à un corps en mouvement, pour aboutir, éventuellement, à une sensation de mouvement pur, où notre présence au monde devient immatérielle et mouvante. Pourtant, ce soir-là, assis devant le piano YAMAHA CONSERVATORY C3, numéro F 5140751, dans un grand espace architectural boisé, je me suis aussi dit qu'il était difficile de conserver cet élan lumineux sur la durée. Et ce ne sont pas les trois diapasons entrecroisés de la firme japonaise – que l'on peut lire à choix, dixit le site de Yamaha, comme les trois piliers de son business, technologie, fabrication et vente, ou comme les trois éléments musicaux essentiels, mélodie, harmonie et rythme – qui m'auront donné le la.
J.D.

Photos : Jacques Demierre

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Sleaze Art : Infra (Bocian, 2015)

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Une photo dit assez bien ce qu’on trouve en Infra : des instruments électriques à cordes épaisses tenus à la verticale ou à plat et reliés à combien de machines disposées sur une table. Si l’on redoute la friction des archets et des câbles, il faudra éviter de croiser la route du Sleaze Art de Kasper T. Toeplitz.

C’est à la fois une expérience et une procession : combien d’oscillations à mettre au compte de Toeplitz et des trois autres bassistes (Eryck Abecassis, Frédérick Galiay et JB Hanak) qui, ici – les membres du Sleaze Art semblent changer –, l’accompagnent ? Au son de tremblements, de crépitements, d’orages qui persistent et d’éclairs qui signent : derrière tout ça, c’est le passage d’un vaisseau qui fend l’air et après lequel on peut entendre ce même air se recomposer, cracher à son tour quelques morceaux de bruit, et puis disparaître. Et l’Infra révélé est forcément un Infra à entendre. 


Sleaze Art : Infra (Bocian / Metamkine)
Edition : 2015.
CD : 01/ Infra
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Fin janvier, Kasper Toeplitz donnera quelques concerts en France : seul à Lille le 23 à l’occasion du festival 340 m/s & en compagnie d’Anna Zaradny à Alfortville les 25, 26 et 27, et Reims les 30 et 31.


LDP 2015 : Carnet de route #37

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Depuis le 21 mai 2015, le trio ldp (au « grand » complet) n'avait pu donner de concert. Les retrouvailles eurent lieu à Munich, le 19 novembre, dont se souviennent ici Barre Phillips, Urs Leimgruber et Jacques Demierre... 

18 novembre, Lucerne  

The 18th comes on once again with a full sun shining down on Lucerne. It's time for me to take off for Munich. Since years now I've had this little rule for myself to not travel and perform on the same day. It works out, most of the time. And this is such a one.
Urs gives me a hand down to the train station and onto the train and off I go. An hour to Zurich where I easily catch the direct train to Munich. About 4 hours later, including a curry wurst in the dining car, I arrive in the Munich Hb to find dear Hannes Schneider waiting for me. We roll my stuff to his parked car and off we go to EinsteinStr. and the hotel which is very close to the concert venue.  Budget hotel with no elevator and of course for ageing bass players the tiny rooms are always on the top floor. But Hannes is a dream and helps me get my junk upstairs. It's evening already and at his suggestion we go to eat, ending up at a good Greek restaurant.
He tells me that there is a concert of experimental sound and video that we can check out and we do.
Ah, it's great to be old and caught in the generation gap. I couldn't understand what was happening. The video image was very interesting and to my eyes of excellent quality but the sound part left me holding years to keep out the overpowering noise and trying to understand what was happening but not being able to. Stuck in my quagmire I abandoned ship at the first break, as did Hannes, and called it a day.  
B.Ph.

19 novembre, Munich
MUG Offene Ohren e. V. Munich

The 19th finally brought Urs and Jacques to Munich and the hotel from where we went to set up the concert and do a bit of a sound check. We hadn't played a concert together in trio in nearly 6 months.
Amazing. Yes, we had met and played together in Zurich for Jacques’ piece but that somehow didn't count much in terms of the trio playing together as it was so particular and pre-determined. The MUG. Our old bunker friend of Munich. What a pleasure to find ourselves there again. The last time it had been 9 years before. I had performed there with other musicians in between, during those 9 years, as had surely Jacques and Urs. There was a nice sized crowd. The room's acoustic was a-humming. The "new-ness" of being back together was very strong and the music took off, outward bound, to other universes and dimensions. We played two sets and I must say that at the end of the 2nd set I was empty, no more juice. Fitting, only fitting.
B.Ph.

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Nach dem Konzert in Zürich mit Sinfonieorchester spielen wir heute, nach mehrwöchiger Abwesenheit von Barre das erste Mal wieder in der Original Trio Besetzung im MUG, München Untergrund im Einstein im Rahmen der Konzertreihe des Vereins Offen Ohren. Musik für neugierige Menschen, die offen für Neues sind, für Experimentelles, Kreatives, Spannendes, auf der Bühne Entstehendes, Interagierendes zwischen Musikern und Musikern und Publikum, Unvorhersehbares .... ein ungewöhnliches Hörvergnügen – Musik für Offene Ohren eben! Hannes Schneider ist Verantwortlich für den Verein und für die Programmgestaltung. Wir  kennen ihn aus einer ersten Begegnung am Festival Fruits de Mhère im französischen Burgund. Es ist sicher zehn Jahre her, als er ganz spontan die Idee hatte eine eigene Konzertreihe für kreative Musik ins Leben zu rufen. Diese Idee hat er dann in die Tat umgesetzt. Seither spielt die ganze internationale Prominenz der frei improvisierten Musik Szene in seiner Reihe. Hannes kümmert sich um alles. Er ist ein one man Produzent. Seine Frau Regula unterstützt ihn, indem sie die Kasse bedient, und sie ist zuständig für den CD Verkauf. Ein Techniker macht das Licht. Hannes installiert die Mikrofone für eine Audio- und Video Aufnahme. Das Trio stimmt sich ein, individuell und zusammen. Einstimmen, sogenannte Soundchecks sind immer etwas spezielles. Es geht vorallem darum die Akustik im Raum zu testen. Wir spielen leise, laut, schnell und langsam eine Melodie sogar Harmonisches kommt vor.
„Konzert mit dem Trio Leimgruber-Demierre-Phillips im Jazzlokal Moods; der Bassist Phillips tritt an die Rampe, sagt: „Today we have independence of Kosovo, in three days we’ll have full moon, an then we’ll go to the cinema...“ Folgt eine gute Stunde monotoner Geräuschentfaltungen, alle drei Instrumente – p, s, b – werden primär als Rhythmus – beziehungsweise Schlaginstrumente eingesetzt, alles Melodische weitgehend unterdrückt, daraus entsteht eine Intensität, die sich immer wieder zum Krampf steigert und im Krampf dann auch verloren geht. Musik, auf Geräuschhaftigkeit reduziert; Musik, die sich jeder Einfühlung widersetzt. Dennoch höre ich hin. Kaum ein Ton antwortet dem andern, Erinnerung und Erwartung kommen nicht zum Zug. Alles Symphonische, Harmonische wird unterdrückt, und überhaupt könnte man ... würde ich sagen: So quietscht es, rasselt, schmatzt, pfeift, kreischt es, wo Musik unterdrückt wird.
(Leben & Werk F. Ph. Ingold)
Die Zuhörer sind von dem musikalischen, experimentellen Erlebnis in der MUG mit dem Trio ldp hell begeistert. Sie bedanken sich herzlich mit Applaus. Die Leute kommen auf uns zu, wir führen angeregte Gespräche. Sie sind betroffen und die Stimmung ist belebt.
U.L.

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Dans une ville encore en état de choc, avant de rejoindre Barre et Urs à Munich, c'est à Paris, en jouant Ephemera, une pièce pour piano de Christian Marclay, que j'ai senti une nouvelle fois combien c'est à travers le corps que s'effectue la « compréhension » d'une situation de jeu, qu’elle soit improvisée ou prédéterminée comme ce soir-là. Face aux 28 folios composant la partition – dont j'ai extrait une petite dizaine d'ephemeras en vue de les interpréter – face à cette accumulation de diverses illustrations directement ou indirectement musicales trouvées par Marclay, de fragments de publicités, de journaux, de divers emballages ostensiblement décoratifs et destinés à ne pas survivre au temps – comme ces insectes dont la naissance et la mort surviennent le même jour –, le tout photographié puis réimprimé, face à cette compilation graphico-musicale, je me suis mis en état de me laisser saisir par la proposition visuelle, puis de lui permettre de s'intérioriser en moi, et j'ai essayé, enfin, de ne pas l'empêcher de se manifester spontanément. Pareillement à l'apprentissage taoïste qui se fait par imitation de la nature, je tente, de mon côté, de vivre la situation de jeu en imitant sa nature profonde, pour après la projeter dans l'espace de ma propre réalité. Le lieu du jeu devient ainsi le lieu de la production, de la création à travers ma propre projection, de ma propre réalité. Mais cette expérience est difficilement verbalisable : comment y accéder et comment transmettre un état qui implique la présence unifiée du corps entier ? Assimilation et mimétisme pourraient compter parmi les réponses afin d'accéder au centre de cette expérimentation du sonore. Si la position du corps d'Alfred Brendel au clavier est connue et plutôt conventionnelle, la photo que j'ai découverte le même soir dans les loges du CCS de Paris l'est moins. On y voit le pianiste autrichien debout, accoudé à un piano à queue, penché vers l'intérieur, l'avant-bras gauche reposant sur la ceinture entourant l'instrument, et la main droite semblant écrire au stylo feutre noir à même la surface du cadre métallique recouvrant la table d'harmonie. Quant on connaît la frilosité de certains organisateurs (tous styles confondus) pour le jeu à l'intérieur de l'instrument, on s'étonne de cette mise en scène. Cela m'a rappelé un piano que j'ai eu l'occasion de jouer en Argentine, au Teatro Margarita Xirgu de Buenos Aires, dans un projet intitulé Monologos Technologicos, sur lequel le pianiste russe Nikita Magaloff avait inscrit, presque gravé, son nom dans le bois. Pratique étrange, car à part quelques privilégiés, les pianistes sont en général plutôt échangistes quant à leurs instruments. Pourquoi estampiller ainsi de sa marque un instrument en particulier, si ce n'est pour lui attribuer dans un geste un peu fétichiste et magique une sorte de plus-value sonore ? Telle paraît avoir été l'intention de Steinway demandant à Brendel de signer le piano STEINWAY & SONS numéro 590216, modèle B, lequel, comme tous les B rencontrés jusqu'alors, porte en son intérieur et en relief le mot STEINWAY, ainsi que ceux de STEINWAY & SONS, séparés de NEW YORK HAMBURG par l'éternelle lyre. Plus loin, près de l'accroche des cordes, le numéro 655, lui aussi écrit au feutre noir, mais dans une graphie différente de celle de Brendel, précède le sceau en relief métallique MADE IN HAMBURG GERMANY. Dans un certificat intitulé ALFRED BRENDEL EDITION et affiché au mur, le pianiste nous livre son récit : « A l'occasion du 200me anniversaire de la naissance de Franz Liszt, Steinway & Sons a créé une édition spéciale de dix pianos à queue, modèle B-211. C'est avec plaisir que j'ai personnellement choisi l'instrument portant le numéro SERIAL NO. 590.216 à l'usine Steinway de Hambourg. A tous ceux qui le jouent, je souhaite de nombreux et joyeux moments de musique. » Bien que sa signature, figurant au bas du document, soit légèrement différente de celle apposée dans le corps même du piano du CCS, ses vœux furent exaucés : cette soirée-là, le concert fut joyeux et musical. Après une seconde soirée parisienne, partagée avec Christian Marclay et Hélène Breschand – les "classiques" harpe et piano se retrouvant merveilleusement phagocytés par un bric-à-brac d'objets trouvés provenant du lieu même – et déployée en un geste d'actions sonores post-fluxus effectuées d'un seul tenant, je m'envolais le lendemain pour rejoindre le trio à Munich. De véritables retrouvailles, car du fait du combat de Barre avec Black Bat, ldp n'avait plus joué en pur trio depuis le 21 mai, à Arles. BINGO ! Tout était différent et pourtant tout était pareil. Impression que chacun parvenait encore davantage à tirer parti de la totalité des occasions qui se présentaient. Le trio mobilisait ses énergies comme jamais, tout devenait champ d'expérimentation, sentiment que le réel était saisi dans la plus urgente des immédiatetés. Et surtout, alors qu'en jouant je contemplais la suite de chiffres tamponnés qui s'intercalaient en une comptine infinie entre les chevilles du piano STEINWAY & SONS, B, 497342, la sensation que la recherche qui était la nôtre était devenue plus ludique, que l'enfance était notre futur.
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J.D.

Photos : Jacques Demierre & Anouk Genthon

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Guus Janssen : Meeting Points (Bimhuis, 2015)

guus janssen meeting points

Avec pour particularité d’avoir été captées entre 1989 et 2014 au Bimhuis d’Amsterdam, les neuf pièces de Meeting Points nous livrent quelques-unes des multiples facettes du talentueux pianiste Guus Janssen.

On le découvre donc en invité-crapahuteur du Clusone Trio, redoutable d’aplomb et de sang-froid aux côtés de l’ouragan Han Bennink, bienveillant partenaire du grand Lee Konitz, libre et euphorique face aux potaches enragés que sont Peter van Bergen, Sanne van Hek, Wolter Wierbos, Raphael Vanoli, Ernst Glerum & Wim Janssen et, enfin, attentif-inspiré le temps d’un éclairé avec le batteur John Engels. Ceci, en attendant d’en découvrir plus…



Guus Janssen : Meeting Points (Bimhuis)
Enregistrement : 1989-2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Koto à gogo 02/ Rondo 03/ April 04/ Vry naar AT 05/ Meeting Points 06/ Pogo 1 07/ Pogo 2 08/ Peer’s Counting Song 09/ Janus Bifrons
Luc Bouquet © Le son du grisli


Phillip Schulze : Ambassador Duos (Apparent Extent, 2015)

phillip schulze ambassador duos

Pour ignorer la nature des machines que manipule Phillip Schulze – qui donneront ici l’effet de bandes renversées, là de samples confectionnés ou d’amplifications décidées sur le vif, ailleurs encore de saxophones d’emprunt –, on saluera l’ « électronique » qu’il oppose aux pratiques de trois partenaires différents. Ainsi, deux vinyles consignent quatre improvisations sans titres enregistrées entre 2005 et 2014 avec Anthony Braxton (saxophones), Christian Jendreiko (lap steel guitar), Andrew Raffo Dewar (saxophones) et Detlef Weinrich (électronique).

Ce qui aurait pu, pour Braxton, n’être qu’une rencontre de plus intéresse par l’étrangeté de la compagnie que lui réserve Schulze – depuis combien de temps ? Ainsi, au soprano, le saxophoniste déploie une mélodie tranquille que lui renverra un palais de glaces déformantes. Braxton devra se débattre – et changer de saxophone – pour sortir d’un endroit qui aura pourtant mis son jeu autrement en valeur. Sur l’autre face, c’est avec le guitariste Christian Jendreiko que Schulze peint un paysage dans lequel les notes vont lentement (trois ou quatre, qui tournent sous les attaques d’un médiator) et finissent par ployer avec un charme certain.

Avec Raffo Dewar – remarqué hier sur Estuaries auprès de Steve Swell et Garrison Fewell –, Schulze joue les saxophonistes de réserve : de longues notes graves se superposent alors, qui rivalisent de bourdons ou tissent des entrelacs qui prennent possession de l’espace dans lequel ils sont diffusés. Pour ce qui est de la rencontre la plus récente, avec le DJ Weinrich, c’est encore autre chose. A l’image du graphisme du disque, le duo se montre d’un modernisme appuyé mais qui, en réalité, date : les beats et les notes synthétiques lassent dès les premières secondes. Schulze cherchait-il à tout prix à fuir l’uniformité ? Il aura néanmoins réussi à convaincre.



Phillip Schulze : Ambassador Duos (Apparent Extent)
Enregistrement : 2005-2014. Edition : 2015.
2 LP : A/ Anthony Braxton B/ Christian Jendreiko C/ Andrew Raffo Dewar D/ Detlef Weinrich
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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