Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Bill Dixon, Aaron Siegel, Ben Hall : Weight / Counterweight (Broken Research, 2009)

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Sur son propre label, le percussionniste Ben Hall publie un double disque vinyle où on peut l’entendre en compagnie d’Aaron Siegel (autre percussionniste) et de Bill Dixon : Weight / Counterweight.

D’autres « tapisseries » sonores que celles du récent Tapestries for Small Orchestra sont à entendre ici, apposées en outre par une formation plus légère encore qu’un « petit orchestre ». Sur un léger écho et les effets de l’usage d’une électronique minuscule qui portent toujours un peu plus loin les interventions mesurées de sa trompette, Dixon invente encore autrement, compose un bouquet de souffles éthérés ou oppose à la rumeur apaisante commandée par ses partenaires un lot de râles caverneux.

La musique à sortir de Weight / Counterweight, d’épouser avec subtilité l’atmosphère dans laquelle se propagent chacune de ses vibrations. L’espace alentour soudain chargé d’ondes positives, sorties d’un objet rare qu’il faudra d’abord réussir à capturer.

Bill Dixon, Aaron Siegel, Ben Hall : Weight / Counterweight (Broken Research)
Enregistrement : Avril 2008. Edition : 2009.
LP1 : A/ Atelier : Corbu’s Studio B/ Hirado – LP2 : C/Contrapposto D/ The Red & the Black
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



John Tchicai : Coltrane in Spring (Ilk, 2008/2010)

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En ouverture de Coltrane in Spring, John Tchicai dit un poème de John Stewart qui célèbre un autre printemps et adresse à l’auteur d’Ascension – enregistrement auquel Tchicai participa – son vœu de l’entendre chanter encore Alabama. Hier, Coltrane servait aussi la mélodie de Spring Is Here ; en 2007, son ancien partenaire retrouvait le Danemark pour l’évoquer en compagnie de jeunes compatriotes – le pianiste et cornettiste Jonas Müller, le contrebassiste Nicols Munch-Hansen et le batteur Kresten Osgood.

De son passage de quelques mois à New York dans les années 1960, Tchicai a gardé ses suspicions vis-à-vis de formes musicales arrêtées ainsi qu’un instinct farouche pour la remise en cause des convenances musicales. Malgré tout, il ne peut nier l’intégralité des choses qu’il y a apprises : sur Melodic Seven, il fait ainsi état de l’éternelle vivacité de se verve déstabilisatrice ; au son d’Ude I Det Fri, aux côtés du cornet de Müller, rappelle ce que lui a enseigné la fréquentation d’Albert Ayler et de Don Cherry (ici, le cri du premier et le détachement du second s’entendent sur un hymne minuscule) ; sur Dashiki Man, enfin, il profite une autre fois du swing de ses partenaires pour déraper encore en insatiable virulent.

Ailleurs que sur ces trois morceaux convaincants, des éléments d’un folklore ombreux investissent le domaine du jazz sans déranger vraiment si ce n’est pour se faire remarquer quand même le temps de surenchères passagères auxquelles se livrent Tchicai et Müller. En conclusion, un exercice de style réinvente sur Modoc les manières amples du free insistant du dernier Coltrane. Et la boucle est bouclée de l’hommage de Tchicai à son ancien mentor.

John Tchicai : Coltrane in Spring (Ilk / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2007. Réédition : 2010.
CD : 01/ Coltrane in Spring 02/ Dahiski Man 03/ Ude I Det Fri 04/ Angel Wing 05/ Melodic Seven 06/ On Top of Your Head / Lat’s Hear What We Can See 07/ Row Your Love Boat 08/ Double Arc Jake 09/ Modoc
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


New York Art Quartet : Old Stuff (Cuneiform, 2010)

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Accepterait-on, aujourd’hui, cette joyeuse anarchie ? Ces ruptures insoumises, ces torsions indécises, ces rythmes instables, ces pauses et terminaisons aventureuses ? Telle une horloge folle et totalement déréglée, le New York Art Quartet pouvait se permettre d’instruire l’indéfini et d’y prendre place durablement.

En ce mois d’octobre 1965, Finn von Eyben et Louis Moholo remplaçaient Lewis Worrell et Milford Graves. Deux concerts nous sont proposés ici. Le premier est capté au Montmartre Jazzhus de Copenhague le 14 octobre. Aléatoire et imprécisions sont au menu, l’irrégularité est reine ; on observe, on se retrousse les manches et on plonge sans souci des récifs et des grandes profondeurs : le bancal est si beau ici. Le second concert, enregistré dix jours plus tard au Concert Hall of the Radio House est d’une toute autre envergure. Le groupe s’est trouvé, soudé (on jurerait presque que Milford Graves a rejoint le groupe) ; Roswell Rudd gronde et vocifère comme un beau diable, John Tchicai convulse allégrement et la rythmique impulse une liberté inouïe. C’est magnifique de maîtrise et d’abandons mêlés. Un disque témoignage en quelque sorte.


New York Art Quartet, Karin's Blues. Courtesy of Orkhêstra.

New York Art Quartet : Old Stuff (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1965. Edition : 2010 .
CD : 01/Rosmosis  02/Sweet Smells  03/Old Snuff  04/Pannonica  05/Kvintus T  06/Pà Tirsdag  07/Old Stuff  08/Cool Eyes  09/Sweet V  10/Karin’s Blues  11/Kirsten
Luc Bouquet © Le son du grisli


Source : Music of the Avant-garde 1968-1971 (Pogus, 2009)

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Cette première compilation de titres sortis sous le "label" Source entre 1968 et 1971 à peine sortie, voilà qu’on attend déjà la suite annoncée, qui fera le portrait sonore des dernières années d’un label incontournable pour tout amateur d’une musique expérimentale plurielle.

En attendant, ces trois disques passent et repassent et font valser les vocalises bruyantes de Robert Ashley, les longues traînées métalliques de David Behrman et Gordon Mumma, le piano préparé de David Tudor sur une idée folle de Larry Austin, les slides de guitares qui portent une autre œuvre électronique de Robert Ashley. Puisque je respecte ici l’ordre d’apparition des musiciens, continuons avec Alvin Lucier et sa pièce fantastique I Am Sitting in a Room, qui donne encore aujourd’hui des leçons aux expérimentateurs amateurs de concepts vocaux par ses bégaiements de poésie sonore superposés jusqu’à l’apparition d’une voix robotisée… Comme Lucier dans cette pièce, je commence d'ailleurs à sentir ici les effets de l’accumulation. Mes phrases sont moins nettes et n’arrivent plus qu’à faire passer le message suivant : il faut à tout prix écouter ce premier volume de la rétrospective Source. Juste le temps de citer encore l’excellent Lowell Cross et ses drones aux courbes intelligentes ou Alvin Curran et sa musique japonisante désincarnée ou Annea Lockwood et ses ronronnements zoophiles ? Après ce fabuleux retour à Source, on attend donc la compilation consacrée aux deux dernières années d'activité de la publication !

Source Records Music of the Avant-garde 1968-1971 (Pogus)
Edition : 2009.
CD1 : 01/ Robert Ashley : The Wolfman 02/ David Behrman : Wave Train 03/ Larry Austin : Accidents 04/ Allan Bryant : Pitch Out – CD2 : 01/ Alvin Lucier : I Am Sitting in a Room 02/ Arthur Woodbury : Velox 03/ Mark Riener : Phlegethon 04/ Larry Austin : Caritas 05/ Stanley Lunetta : Moosack Machine – CD3 : 01/ Lowell Cross : Video II (B)/(C)/(L) 02/ Arrigo Lora-Totino : English Phonemes 03/ Alvin Curran : Magic Carpet 04/ Anna Lockwood : Tiger Bal
Pierre Cécile © Le son du grisli


Fenn O'Berg : In Stereo (Editions Mego, 2009)

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Premier vrai disque studio du trio aux milliards de neurones – ses prédécesseurs étaient des edits de performances live –, In Stereo comble un vide discographique de neuf ans, que l’extraordinaire piqûre de rappel The Magic Sound & Return Of… avait encore amplifié l’an dernier. Enregistré au studio GOK Sound de Tokyo, le nouvel opus des magiciens du laptop improvisé n’aboutit à nulle déception.

Etonnamment intitulés dans le désordre – partant de Part III pour arriver à Part VI (ou l’exclusif morceau bonus Part II sur le double vinyle), les morceaux portent chacun l’idiosyncrasie prééminente de chaque membre du trio. Tantôt, les paysages sonores de Christian Fennesz emmènent la vrille électronique (le début de Part III), parfois, les troubles neuropsychiatriques des machines portent la signature de Peter Rehberg, en d’autres instants, la musique quasi-concrète de Jim O’Rourke s’impose de son évidence faussement calme. Tournoyantes et obsessionnelles, les réponses digitales des trois complices entretiennent le mythe de maîtresse manière. Entre fureur insoupçonnable et apaisement trompeur, les atmosphères s’imprègnent des décalcomanies noirâtres de la paire KTL (dont Rehberg forme la moitié), échelonnées sur des  sifflements urbains captés en bordure d’un biotope ferroviaire. L’orage franchi dans un climat sous la pénombre d’une apocalypse pensée par Kevin Drumm, des pensées expiatoires montent au cerveau, gargouillant d’hybrides insectivores en perpétuelle mutation.

Fenn O'Berg : In Stereo (Editions Mego / Metamkine)
Edition : 2009.
CD : 01/ Part III 02/ Part IV 03/ Part V 04/ Part I 05/ Part VII 06/ Part VI 07/ Part II
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli



Nmperign : Ommatidia (Intransitive, 2009)

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Sur Ommatidia, la paire Greg Kelley (trompette) / Bhob Rainey (saxophone soprano) improvise pour la première fois en studio. Le label Intranstive, qui a déjà sorti deux disques de Nmperign, ne cache pas sa satisfaction d’avoir produit l’exception d’une discographie déjà conséquente, dans laquelle ont pu intervenir en invités des musiciens tels que Günter Müller, Andrea Neumann ou Axel Dörner.

Le décors réductionniste planté, parler de l’allure de l’exception : dans laquelle s’ébattent – poussés par une palette d’effets – des souffles longs en structures coudées ou dans laquelle se bousculent de micro compositions bruitistes nées de l’usage expérimental et souvent perturbé que l’on fait ici des instruments. Malgré les multiples façons qu’ils trouvent à dire, Kelley et Rainey élaborent un ouvrage cohérent fait d’éléments sonores complexes et de moments d’insistances sur lesquels le duo agit en répétitif lent. Le dernier de ceux-là finissant en vociférations qui concluent Ommatidia, disque né du passage réussi de Nmperign en studio.

Nmperign : Ommatidia (Intransitive / Metamkine)
Edition : 2009.
CD : 01/ Glass 02/ Variation II 03/ Prey 04/ Fault 05/ Variation V 06/ Dalton
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Little Women : Throat (AUM Fidelity, 2010)

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Non, ce ne sont pas des prises inédites du Machine Gun de Peter Brötzmann qui ouvrent ce décapant Throat mais Little Women, quatuor new-yorkais composé de deux saxophonistes (Travis Laplante, Darius Jones), d’un guitariste (Andrew Smiley) et d’un batteur (Jason Nazary).

Punk-jazz : pour une fois, on pourrait être (presque) d’accord. La guitare cisaille, les métaux sont en ébullition, la batterie pilonne sans discontinuer. Et quand surgissent des unissons de cuivres, ils ne sont qu’angoisse et menace. On l’aura compris : le chaos n’est jamais très loin. Maintenant, un hymne surgit ; contrepoint baroque et sérum fielleux débouchant sur un insolite slow. Puis, très vire, ressurgissent les dissonances, les traumatismes. Chassez le naturel… A vrai dire, Little Women aime à fouiller le chaos, à brutaliser et distancer les bornages. Ce ne sont ni les premiers, ni les derniers à le faire, mais cette messe sonique à écouter très fort de préférence (c’est le groupe qui vous le conseille) ne peut laisser indifférent. C’est bon signe, non ?


Little Women, Throat I (extrait).


Little Women, Throat III (extrait). Courtesy of AUM Fidelity.

Little Women : Throat (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.   
CD : 01/Throat I  02/Throat II  03/Throat IV  04/Throat IV  05/Throat V 06/Throat VI  07/Thraot VII
Luc Bouquet © Le son du grisli


William Parker, Marcello Lorrai : Conversazioni sul jazz (Auditorium, 2010)

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Il faudra d’abord dire que l’Italien de ce livre n’est pas celui, pour ne prendre qu’un exemple, des romans de Bontempelli, soit : est accessible à qui ne pratique pas la langue mais est doué quand même d’un minimum d’entendement. Ensuite, noter qu’il s’agit là d’un long entretien donné par William Parker à Marcello Lorrai, journaliste à qui aucune revue ne peut offrir autant de pages pour un même sujet et scribe qui regretterait sans doute qu’un tel témoignage ne soit pas consigné sur papier.

C’est qu’ici, William Parker revient sur son parcours – passage par le Jazzmobile, formation de l’Aumic Orchestra, interventions au sein de Muntu, de l’Unit de Cecil Taylor ou d’un orchestre emmené par Bill Dixon – et se plaît aussi à raconter dans le détail la journée type d’un lofter new-yorkais dans les années 1970, à évoquer quelques partenaires charismatiques, notamment percussionnistes (Milford Graves, Hamid Drake, Han Bennink) et contrebassistes (Charles Mingus, Peter Kowald, Henry Grimes), ou encore à répondre aux questions touchant à son rapport à la religion (école italienne de journalisme). En une centaine de pages qu’augmente un cahier d’une quarantaine de photos signées Luciano Rossetti, Conversazioni sul jazz peint un William Parker aussi lucide et humble qu’il est imposant.

William Parker, Marcello Lorrai : Conversazioni sul jazz (Auditorium Edizioni)
Edition : 2010.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Pierre Gerard, Shinkei : Static Forms (Dragon's Eye, 2010)

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On se souvient de l'oiseau de Brancusi coincé en douane américaine : fallait-il le considérer comme une œuvre d'art ? Les douaniers retournent et retournent encore l'oiseau et les étranges bruits qui en sortent semblent être ceux avec lesquels compose Pierre Gerard dans une pièce qu'il dédie justement au sculpteur. Des bruits faibles entourés par le silence le temps que des interrogations naissent sous la casquette des officiers, un embouteillage d’idées partagées entre l’envie de bien faire et le souci affiché de comprendre de quoi il retourne. Ce sont dans ces soupçons que taille Gerard afin de former une abstraction contenant des propositions musicales en devenir et des copiés-collés qui demandent du volume, et pas qu’un peu. 

Une composition non intitulée de David 'Shinkei' Sani – split oblige – suit la première pièce : des notes de piano optent cette fois pour un art concret sur des grésillements malingres ou la rumeur créée par des objets que l'on traîne à terre ou dont on joue. Des tonnerres de pacotille et des vents factices, un grain menaçant et des apparitions d’ordre numérique. Shinkei revient au piano pour finir, et conclut le disque qu’il se partage avec Pierre Gerard, que l’on appelle Static Forms.

Pierre Gerard, Shinkei : Static Forms (Dragon's Eye Recordings)
Edition : 2010.
CD-R : 01/ Pierre Gerard : Wooden Mouldings for the Assembly (to Constantin Brancusi) 02/ Shinkei : Untitled
Héctor Cabrero © son du grisli


Jackie McLean : Let Freedom Ring (Blue Note, 1962)

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Il y a des disques que l'on écoute comme pour remonter à la source (Crescent, John Coltrane), d'autres pour être secoué jusqu'aux tréfonds (Spirits, Albert Ayler), d'autres pour se donner du courage et un coup de sang (Jump Up, Jimmy Lyons), certains pour réparer l'injustice de leur oubli (Scorpio, Arthur Jones), d'autres encore pour sentir l'apaisement d'une solitude transcendée (Minimal Brass, Jacques Coursil).

Et il y a des disques que l'on écoute des années après, simplement pour la joie qu'ils procurent, comme celle de retrouver l'enfance, le retour d'une amitié et les prémices des beaux-jours. Ils nous donnent cette joie simple et profonde, comme une autre définition possible du "swing", cette chose simplement vivante. Quatre hommes au sommet de leur art enregistrent donc ce 19 mars 1962 un disque manifeste en faisant déborder la musique de son cadre établi, McLean magnifiant ce son unique qui faisait toute son individualité, au service d'un bien commun et d'une utopie ici réalisée. Une ballade magnifique signée Bud Powell, trois intenses originaux, et c'est comme si la liberté venait frapper à votre porte. Ni plus ni moins.

Jackie McLean : Let Freedom Ring (Blue Note)
Enregistrement : 1962.
CD : 01/ Melody for Melonae 02/ I’ll Keep Loving You 03/ Rene 04/ Omega
Didier Lasserre © Le son du grisli

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Didier Lasserre est batteur. Le Free Unfold Trio qu'il compose avec Jobic Le Masson et Benjamin Duboc a récemment vu sortir Ballades sur Ayler Records.



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