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Le son du grisli

16 octobre 2016

Andrew Liles à Nantes, le 15 octobre 2016

andrew liles nantes

Les occasions sont rares d’entendre Andrew Liles jouer seul. Se comptant chaque année sur les doigts d’une main, ses performances solo tiennent quelque part de l’apparition. La dernière en date eut donc lieu à Nantes, dans le salon de musique du Lieu Unique, le 15 octobre 2016. Entre une table supportant quelques machines et un écran sur lequel défileront des images, l’homme se tenait debout. Pendant trois quarts d’heure, il allait donner à entendre de quoi sont faites ses préoccupations, puisque de préoccupations il s’agit.

En ouverture, c’est un kaléidoscope dont les motifs changent sur un air de Beatles converti en comptine – subtilement « déphasée », la relecture rappellera le remix (désormais étouffé) que Liles signa jadis de Tomorrow Never Knows. Après quoi sur l’écran des figures vont et viennent, attrapées aux premières heures de quelle ville nouvelle, que l’on soupçonne anglaise : centres commerciaux, parkings, aires de jeux… voient passer une humanité désincarnée dont Liles se charge de réécrire les bruits.

Plusieurs fois, la bande son (qui n’est pas « illustration ») marque le temps qui passe – comme le font les horloges de The Power Elite, l’une des dernières publications de Liles à laquelle préside ce couple de Blair défigurés, ou encore les références de la série « Through Time » que lui inspira la lecture de John von Neumann. Semblant courir après des fantômes, il peut répéter leur image, l’inverser, la déformer, l’accélérer aussi, au fil de séquences sonores qui révèlent et soignent des intérêts différents (ambient, pop, indus, lecture, rock, heavy metal…) – dont on peut se faire une idée sur la page Mixcloud du musicien.

Au massacre d’une nostalgie volontairement confuse succèderont des associations d’idées : c’est alors un déluge de girls et de guitars, d'anciennes vedettes télégéniques, de logos de groupes de hard et de symboles phalliques, et aussi la menace d’un visage sorti d'un film, L’Exorciste – qui nous renvoie, lui, à Monster, autre projet qui occupe beaucoup Andrew Liles. Par accumulation, le déferlement créé bientôt un monstre – une bête, même – qui reprend à son compte des sentences plus tôt affichées (« Life is an empty place » / « Life is empty ») et s’empare du corps de Julie Andrews / Maria von Trapp pour lui substituer celui d’une autre femme, nu et de mêmes proportions, et enfin pouvoir clamer : « Julie Andrews is Satan ».

D'une autre manière que Coltrane, Andrew Liles donne donc sa version personnelle de My Favorite Things : d’un retour aux origines de l’urbanisme sur dalles à ce renversement provocateur de l’ordre des choses, il réécrit ce qui l’inspire et expose un propos musical qui relativise jusqu’à sa propre importance – plusieurs fois sur l’écran, une éternelle question est posée : « Why? » A laquelle notre homme finit par répondre : « Because I can ». La pirouette est élégante, mais ne parvient pas à dissiper le mystère de son épatante performance. 

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