Interview de Martin Küchen
Puisque l'étrange sélection naturelle opérant sur le son du grisli veut que l'on donne la parole aux plus prolifiques musiciens des genres à y être défendus, au tour de Martin Küchen, saxophoniste entendu récemment en Angles avec le trompettiste Magnus Broo (sur Epileptical West), en trio avec le guitariste Keith Rowe et le saxophoniste Seymour Wright (sur un disque sans-titre), en quartette avec Ernesto Rodrigues (sur Vinter), et même en solo (sur The Lie & the Orphanage)...
... Mon père avait ramené d’un voyage en Tunisie un tambour à main et une flûte en bois dont j’ai joué dès l’âge de 7 ans. A la même époque, je me souviens aussi être assis, seul dans le salon, battant avec des baguettes de batterie – je ne pourrais pas dire d’où elles venaient, d’ailleurs – les précieux coussins de ma mère posés sur le canapé. Je pouvais faire ce truc quand ma mère dormait, c'est-à-dire quand elle ne pouvait pas soupçonner que je donnais des coups sur ses coussins chéris… J’ai connu d’autres expériences de ce genre : je battais des mains en classe et tapais sur le couvercle d’un banc d’école, la tête à l’envers afin de pouvoir y coller une oreille et ainsi entendre ce son amplifié, incroyable, alors que je continuais à bouger ma main voire quelques doigts seulement… A neuf ans, j’ai commencé avec des amis à faire des cassettes : nous nous tenions près de la table de ping pong au sous-sol et nous chantions un peu ce qui nous passait par la tête, nos « propres » chansons dont les paroles étaient écrites dans un anglais de notre invention. Parfois, il nous arrivait d’avoir une caisse claire pour accompagner nos chants, qui s’apparentaient d’ailleurs souvent plus à des cris…
Des débuts hantés par les percussions, en quelques sorte… Oui, des percussions de toutes sortes : coussins, bancs d’école, cette véritable caisse claire dotée d’une sale petite cymbale. Il y avait aussi un tambour d’aisselle rapporté du Ghana et puis ce tambour tunisien. Ensuite, la flûte dont j’ai parlé plus tôt, qui avait un son fantastique, faible et crachant, dans le genre des flûtes orientales mais avec quelque chose de bien à elle. Je pense d’ailleurs que je suis encore influencé par ce son, surtout lorsque je joue du saxophone alto, mon jeu me rappelle le son de cette flûte... J’ai aussi été très impressionné par les disques que mon frère jouait à la maison sur un petit lecteur de vinyles : The Free Alectric Band de John Hammond, 2000 Light Years from Home des Rolling Stones ou Desolation Boulevard de Sweet – peut-être que ce qui m’intéressait là était davantage l’expérience de l’écoute à travers l’utilisation de cette machine. Ça tenait de la magie ; en fait, c’était de la magie.
Par quel genre de groupes êtes-vous passé en tant que musicien amateur ? A l’âge de 13 ans, en 1980, j’ai formé avec quelques copains un groupe de rock progressif. J’étais le chanteur et je jouais aussi de la flûte avant de passer aussi au saxophone ténor. A cette époque, je prenais aussi des cours d’improvisation et de jazz à la flûte. Nous jouions des standards tirés du Real Book ; je ne jouais jamais d’oreille, ce qui fait que je n’ai jamais vraiment appris aucun des morceaux de ce livre… Et puis, avec d’autres amis, nous avions pris l’habitude d’improviser et nous enregistrions ces improvisations… Nous jouions tout simplement, dans un style proche de celui d’Oregon – sans atteindre bien sûr le niveau des rythmiques compliquées de ce groupe –, un style qu’on pourrait appeler ECM même si nous n’avions jamais encore entendu parler des groupes ECM à cette époque et que nous n’avions aucune idée non plus de ce que signifiait la « free improvisation ».
De quand datent vos premiers enregistrements ? J’ai enregistré en solo en 2001 le très confidentiel Sing with Your Mouth Shut. En 1999, il y a eu aussi Repets Hjärta, un CD-R enregistré avec ma femme, Maria, qui est poète et écrivain. En ce qui concerne le jazz, le premier disque date de 2002 avec Exploding Customer (Live at Glenn Miller Cafe), et puis il y a eu un enregistrement du Martin Küchen Trio (Live at Glenn Miller Cafe) paru sur Ayler Records. Ce même trio joue maintenant sous le nom de Trespass Trio.
Quel rapport entretenez-vous avec la notion de jazz, justement ? Utilisez-vous ce terme pour décrire votre musique ? Oui, je l’utilise. Avec Trespass Trio, Exploding Customer et Angles, il n’y a pas de doute, c’est une sorte de jazz, même si l’on y entend un million d’autres influences. Et puis, à côté de ça, je joue pas mal en qualité de faiseur de son : là, je me base sur des textures et des événements qui interviennent sur l’instant et j’utilise mon instrument de façon plus anti conventionnelle – même si cette pratique tend à devenir la nouvelle convention à la mode ! Je ne vois vraiment pas comment on pourrait qualifier cette musique : « improvisation » n’est pas tout à fait exact, alors « Instant compositions » ou, comme ils disent à Berlin, « Echtzeitmusik » (musique en temps réel), seraient peut-être des propositions plus viables…
Votre pratique fait donc une différence ces deux musiques ? Le jazz, ce sont des morceaux respectant une rythmique bien particulière, un battement et des harmoniques, qu’ils soient simples ou complexes, et avec le free jazz, c’est encore la même chose mais sans s’embarrasser de prédispositions : tout arrive simplement et l’énergie – ou le manque d’énergie – que l’on trouve entre les joueurs est à l’origine de ce qui arrive. Il s’agit donc d’improvisation tout le temps, tout ce qui arrive se fait à l’instant même. Concernant la composition instantanée, en dehors de l’esprit du free jazz, ce qu’on appelait « free improvisation » par le passé, est de moins en moins de la véritable musique improvisée, mais une architecture délicatement réfléchie, qui construit à coups de bruit et de silence quelque chose que l’on ne pouvait pas voir avant – de nos jours, c’est rare que l’on en arrive là en concert, mais lorsque cela arrive, alors c’est merveilleux, là encore de la pure magie !
Martin Küchen, propos recueillis en juin 2010.
Photos © Fergus Kelly
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Keith Rowe, Martin Küchen, Seymour Wright : s/t (Another Timbre, 2010)
Auprès de deux altos (Martin Küchen et Seymour Wright), le guitariste Keith Rowe enregistrait récemment une improvisation assez imposante pour se passer de titre.
Il faudra appeler Rowe Küchen Wright (voire RKW) ce mouvement en perpétuelle définition. Des soupçons de cordes tracent d’abord une ligne sonore aux apparences trompeuses qui fera office, ici, de ligne de flottaison. Embarqués, Küchen et Wright vont comme un seul homme sur de frêles parallèles avant d’enrouler ceux-là autour d’un son de guitare qu’ils auront réussi à isoler. L’éternel poste de radio de Rowe recrache ce qu'il attrappe, discours qui sépare les intervenants puis avive un larsen qui n'en était qu'à sa naissance. En conséquence, Küchen et Wright s’entendent une autre fois, sur un dessein plus terrible. Pour résister à l’affront, la guitare de Rowe tente une berceuse qui endormira les souffles et leurs effets. Le même larsen remonte, Rowe célèbre en vainqueur la série de quatre enregistrements que le label Another Timbre consacrait récemment à l’instrument guitare (at26-at29).
Keith Rowe, Martin Küchen, Seymour Wright, s/t (extrait). Courtesy of Another Timbre
Keith Rowe, Martin Küchen, Seymour Wright : s/t (Another Timbre)
Ediiton : 2010.
CD : 01/ s/t
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
RM74 : Reflex (Utech, 2010)
Lorsque se déploie la belle chauve-souris de couverture, on trouve le cinquième disque solo de Reto Mäder, guitariste d'Ural Umbo ou Sum of R. Un disque qui devrait faire peur, donc. Or, le premier titre prête plutôt à sourir. Deux notes graves de synthétiseur et par-dessus on jette un peu de kalimba. Bon.
Parce que Temporal Resolution est moins grossier, on pourrait dire que le disque commence là. Les notes d'orgues sont moins vulgaires et ont du mal à se faire entendre tant les effets sont nombreux. Mais la grande réussite de Mäder sont les deux titres qu'il a façonné en prenant comme matériau des enregistrements d'un orgue (joué par Roger Ziegler, nous disent les notes de livret, histoire de rendre à César...). Façonné et refaçonné, l'orgue inquiète véritablement cette fois.
Pour ce qui est du reste du disque, il semble né d'une sorte de mélange d'influences qui vont (on l'imagine, en tout cas) de My Bloody Valentine à Rafael Toral en passant par Ministry. En conclusion, l'électronique se confond avec un choeur qui évoque, lui, Palestrina sur un morceau toujours sombre mais d'aspect différent – c'est souvent le cas chez Mäder, concluerons-nous : la bile et l'angoisse peuvent prendre de multiples sonorités.
RM74 : Reflex (Utech / Metamkine)
CD : 01/ Early Morning Fog 02/ Temporal Resolution 03/ Between the Devil and the Deep Blue Sea 04/ The Human Factor 05/ Organ-Origami 06/ Send a Message in C Flat Morse Code 07/ Incremental Shift 08/ Garden of the Lower Lights 09/ Ripple Tank 10/ Slowly Up and Digital Down... 11/ ... To Earth
Enregistrement : 2007-2010. Edition : 2010.
Pierre Cécile © Le son du grisli
TonArt Ensemble, Ernesto Rodrigues : Murmúrios (Creative Sources, 2010)
Ernesto Rodrigues ne se refuse rien, en tout cas aucune rencontre, pas même celle forcément imposante du TonArt Ensemble que l’on entendit jadis auprès d’Anthony Braxton, Vinko Globokar, Peter Kowald, Evan Parker ou Keith Rowe.
A son tour, alors : le violoniste évoluant faiblement à l’archet en opposition aux interventions brèves et éclatées de l’ensemble : d’abord des souffles dispendieux et puis une note de clarinette met un terme aux ébats et, de l’empêchement, naît une autre saveur. L’improvisation se fait répétitive et compose à force d’entasser des feuilles de murmures – tuba et saxophones sont maintenant de la partie. Alors, de frêles percussions commandent un autre développement : les musiciens s’accordant sur un plus grand volume en congrégation affolée.
La seconde partie de Murmúrios, de s’en trouver changée : le vindicatif Rodrigues faisant maintenant face à un drone installé par un accordéon puis à une poignée de larsens. Les conséquences de telles confrontations sont diverses : bruyantes, sévères, accablantes ou apaisantes, mais toutes malignes – luttant souvent contre le seul usage microtonal. Ainsi, le violoniste aura eu raison de faire le voyage jusqu’à Hambourg.
TonArt Ensemble, Ernesto Rodrigues : Murmúrios (Creative Source / Metamkine)
Edition : 2010.
CD : 01/ Part 1 02/ Part 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Gaël Mevel : Images et personnages (Leo, 2010)
Le dernier album du pianiste Gaël Mevel, en quintet et pour le label Leo Records, se compose de deux longues suites d’une vingtaine de minutes chacune. Jamais, la musique jouée par Mevel et ses compagnons (Jean-Jacques Avenel à la contrebasse, Didier Petit au violoncelle, Jacques Di Donato à la clarinette et Thierry Waziniak aux percussions) ne se départira des climats sereins, méditatifs et concentrés développés dès les premières minutes.
D’abord, c’est au bandonéon que Gaël Mevel dépose délicatement un lambeau de mélodie, quelques notés tirées d’un ailleurs imaginé entre la comptine enfantine et une rengaine folklorique sans âge. Alors, les instruments, chacun à leur rythme (cette musique est la conjonction de respirations qui se cherchent et se rejoignent !), apprivoiseront ce bout de mélodie, le feront leur en lui dessinant de nouveaux contours qui s’entrelaceront tout au long de la première plage. Ce motif mélodique sera réintroduit dans la discussion régulièrement, tel un témoin de ce passage de relais musical, par Gaël Mevel, discret chef d’orchestre qui propose et recentre les débats plutôt qu’il les dirige. Il semble sans cesse rappeler ses compagnons à lui pour mieux leur souffler de s’enfuir à nouveau.
Sur ce disque, la musique est faite de flux et reflux, d’échappées belles et de retours en terra cognita, de boucles et de courbes. Les notes distillées avec économie, la riche interaction entre les timbres et les instruments, lui confèrent chaleur et étrangeté. Les musiciens, tous complices de longue date de Gaël Mevel, balaient de la main toute virtuosité et tout bavardage inutiles. Leur démarche pourrait être celle de la « route ouverte » décrite par D.H. Lawrence lorsqu’il décrivait la poésie de Walt Whitman : « La grande maison de l’âme est la route ouverte. (…) Pas par la méditation. Pas par le jeûne. Pas en explorant paradis après paradis, intérieurement, comme les grands mystiques. Pas par l’exaltation. Pas par l’extase. Par aucun de ces moyens l’âme ne se réalise. Seulement en prenant la route ouverte. »
Le langage commun, l’esperanto du quintet, c’est le silence. Gaël Mevel nous le confirme dans les notes de pochette : « Je remercie ces musiciens d’exception, inventifs et généreux qui partagent avec moi cet espace d’écoute si particulière où, en silence, tout est possible. » A notre tour de les remercier.
Gaël Mevel Quintet : Images et personnages (Leo Records / Orkhêstra International)
Edition : 2010.
CD : 01-02/ Images et personnages
Pierre Lemarchand © Le son du grisli
Zeitkratzer : John Cage (Zeitkratzer, 2010)
Inaugurant avec ce John Cage – et un autre disque consacré : James Tenney – une série de disques intitulée Old School, le pianiste Reinhold Friedl s'empare de grandes pièces de musique contemporaine pour conduire autrement son Zeitkratzer – à paraître : Alvin Lucier et Morton Feldman.
Si Zeitkratzer a plusieurs fois déjà servi Cage, le programme est cette fois exclusif, qui reprend Four6, Five et Hymnkus, pour se les approprier : longues pièces d'ouverture et de conclusion aux usages harmoniques établissant des ponts avec les manières de Phill Niblock et qui profitent d'un Zeitkratzer fait prisme singulier – auprès de Friedl, notamment, la trompette de Franz Hautzinger, la contrebasse d'Uli Philipp, les percussions de Maurice de Martin ou les clarinettes de Frank Gratkowski. Les couleurs à sortir des interventions des neuf membres de l'ensemble naissent alors des effets du passage de claires oscillations en résonances caverneuses (de Four6 en fin d'Hymnkus). Five mis à part – piano rébarbatif mais sur miniature de seulement cinq minutes –, la lecture est d'abord surprenante, assez remarquable ensuite.
Zeikratzer : John Cage (Zeitkratzer)
Enregistrement : 2006. Edition : 2010.
CD : 01/ Four6 02/ Five 03/ Hymnkus
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Cage : Violin & Piano (MDG, 2010)
Lorsqu'il compose les plus anciennes pièces pour piano et violon que CD comporte, John Cage a déjà fini d'étudier le bouddhisme zen auprès du professeur Deisetz Taitaro Suzuki (1945-1947). 1947, c'est le court Nocturne, dont le violoniste Andreas Seidel (membre éminent du Leipziger Streichquartett) et le pianiste Steffen Schleiermacher exacerbent l'impressionnisme magnifique ; 1950, c'est Six Melodies for Violin and Keyboard, que le duo interprète avec la grâce qu'il faut pour bien mêler orient et occident « musicals », minimalistiquement.
Les deux autres pièces du CD, John Cage les a prensé peu avant de disparaître et se dispensa de les noter sur partitions : Two, trente minutes que le silence revendique aux maigres accords de piano (le livret nous apprend que le piano a remplacé le shô, cet orgue de bouche japonais, qui devait accompagner le violon à l'origine). Le second Two, plus jeune de quelques semaines, met encore plus que son prédécesseur un drone (violon) et une expression ultra concentrée (piano) en rivalités. Pour finir, contre tout principe d'opposition zen, Seidel avalera Schleiermacher. Mais ceci n'est pas du fait de John Cage, qui écrit dans Pour les oiseaux : « Je cherché à laisser les sons aller où ils vont, et à les laisser être ce qu'ils sont. »
John Cage : Violin & Piano (MDG / Codaex)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01-06/ Six Melodies for Violin and Keyboard, for Josef and Anni Albers07/ Two (1991) 08/ Nocturne 09/ Two, for Ami Flammer and Martine Joste (1992)
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Duncan Heining : George Russell (Scarecrow Press, 2009)
L’année dernière, George Russell disparaissait et paraissait aussi une biographie imposante lui étant consacrée. Signée Duncan Heining – travail de recherches mêlant interviews et lecture approfondie des témoignages plus tôt recueillis par le trompettiste Ian Carr, à qui l’ouvrage est aussi dédié.
Chronologique, le parcours : qui mène Russell de Cincinnati à Chicago (rencontre d’Earl Hines) et puis de Chicago à New York, où Russell arrive en 1945. Là, se faire une place d’arrangeur en bénéficiant du soutien de Max Roach et soigner Cubano-Be, Cubano-Bop pour le compte de Dizzy Gillespie. Théoricien, Russell explique bientôt son Lydian Concept des choses dans un livre (The Lydian Chromatic Concept of Tonal Organization) ; pianiste, il emmène ses propres formations sur scène ou en studio dès 1956 – The Jazz Workshop et Ezz-Thetics en guise de premiers conseils. Le reste, et bien rapidement : installation en Scandinavie en 1963, retour aux Etats-Unis pour enseigner au New England Conservatory de Boston sur invitation de Gunther Schuller et puis s’essayer à d’autres mélanges à la tête du Living Time Orchestra (jazz et rock, jazz et musique classique encore). Le reste, aussi, de tenir quelques fois de l’anecdote : prise de position de Russell contre le vide à trouver parfois dans ce qu’on appelait la New Thing – les plus vindicatifs représentants du style n’ayant pas eu le temps de noter l’importance de ce « parfois » présent dans la phrase.
Parce qu’il fait aussi entendre les voix récalcitrantes – les travaux théoriques de Russell ou ses habitudes de professeur rigoureux en ayant fait lever quelques-unes –, l’ouvrage d’Heining n’est pas qu’une hagiographie. Et puis, l’auteur aura pris soin d’ajouter à l’histoire une discographie élaborée, un long agenda de concerts donnés en formations multiples et une bibliographie dense. Ainsi le livre est à la hauteur du sujet George Russell, musicien singulier et penseur hors-pair qui, comme Gil Evans, Teddy Charles ou Jimmy Giuffre, fit beaucoup pour faire bouger les lignes des partitions.
Duncan Heining : George Russell, The Story of an American Composer (Scarecrow Press)
Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Asher, Fourm : Selected Passages / Set.Grey (NonVisualObjects, 2010)
Récemment, Asher a édité un disque en compagnie de Jason Kahn. Fourm, de son côté, a récemment partagé un disque avec Shinkei et Luigi Turra. Aujourd’hui, Asher et Fourm se partagent l’espace d’un disque.
C’est Asher qu’on y entend en premier, avec Selected Passages (les passages sont cinq en tout). On a l’impression d’y entendre des billes de fer minuscules rebondissant sur des caisses-claires : leur rebond est provoqué par une petite note de piano, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Peu à peu, le silence mange la musique d’Asher ou retient son envie d’en faire, et c’est en se laissant faire qu’il parvient à chanter ce qu’il s’était promis de chanter : l’hiver et le vent.
Peut-être parce qu’il passe après, Fourm a plus de mal à convaincre de son Set.Grey. L’impression, cette fois, d’entendre un vocoder miniature faire tout pour qu’on l’entende entre des notes graves très effacées et des notes aigues sans enjeu. Quand l’un confirme, l’autre déçoit pourrait être la conclusion de cette chronique – c’est bien la conclusion, en fait…
Asher, Fourm : Selected Passages / Set.Grey (NonVisualObjects)
Edition : 2010.
CD : 01-05/ Asher : Selected Passages 06-07/ FOURM : Set.Grey
Pierre Cécile © Le son du grisli
Harris Eisenstadt : Canada Day (Clean Feed, 2009)
Ici, une indiscutable esthétique Blue Note. Mais quid de l’énergie, de l’originalité, du tranchant, de la conviction des originaux ? Parfois, ailleurs, quelques décalages made in M’Base (Halifax, Kategeeper). Et puis, souvent, un jazz qui frôle le convenu et le cliché (le duo saxophone-batterie in Keep Casting Rods).
D’un quintet dont on attendait beaucoup, que retenir ? Les brouillages et souffles embrasés de Nate Wooley, un chorus de ténor inspiré de Matt Bauder (After an Outdoor Bath), la belle distance que s’impose le vibraphoniste Chris Dingman, la parfaite interaction du couple Eivind Opsvik – Harris Eisenstadt ? Voici une réponse évidente. Mais la sage construction des compositions du batteur, son application extrême et cette empoisonnante sensation de déjà-vu ferme bien des portes. Et en premier lieu, celle du plaisir d’écoute. On l’aura compris : pour le vertige, on repassera.
Harris Eisenstadt : Canada Day (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008- 2009. Edition : 2009.
CD : 01/ Don’t Gild the Lilly 02/ Halifax 03/ After an Outdoor Bath 04/ And When to Come Back 05/ Keep Casting Rods 06/ Kategeeper 07/ Ups & Downs 08/ Every Day is Canada Day
Luc Bouquet © Le son du grisli