Hans Koch, Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt : Koch / Kocher / Badrutt (Bruit, 2015)
L’improvisation est retorse, qui demande aux musiciens – et aux trucs qu’on leur connaît – d’aller entre de longues notes, endurantes pour certaines, et des effets capables de dévier leur trajectoire.
Ainsi, la clarinette basse d’Hans Koch claque quand l’accordéon de Jonas Kocher et l’électronique de Gaudenz Badrutt tracent ensemble des lignes qui pourront disparaître derrière l’épaisseur d’un silence. Le bruit, bien gardé « pour après » : un bruissement, plutôt, que développent ici ou là, mais pour quelques secondes seulement, de grands emportements.
Mais ces effets de manche ne sont pas ce qui impressionne. La ferveur qui noie le discours du trio en fin de demi-heure n’efface d’ailleurs pas le souvenir de ces figures de clarinette qui tourne et même vrille, ou de ces longs aigus qui se refusent presque à l’auditeur et l’intéressent d’autant.
Hans Koch, Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt : Koch / Kocher / Badrutt
Bruit
Enregistrement : 2 mai 2014. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #43
L'heure de la tournée a sonné. Ce sont ici les dernières dates de LISTENING : le 10 décembre, à Bâle, Urs Leimgruber et Jacques Demierre apparaissaient, sans Barre Phillips, en solo mais avec une même envie : improviser encore, quels que soient les antécédents (Twine), quel que soit le chiffre (et même : le temps).
10 décembre, Bâle
FIM
Jeder spielt solo. Jacques beginnt an einem upright Klavier Marke „pearlriver, 807158“ mit schnellen, tonalen, minimalistischen Bewegungen auf der Klaviatur. Sein repetitives Spiel erinnert mich an die Klavier Musik von La Monte Young der 60er Jahre. Ich war gerade 17 Jahr alt, als ich diese Musik am Radio hörte, sie wirkte magisch und zog mich sofort in ihren Bann. Das Repetitive hat mich inspiriert, und ich versuchte diese Spielweise sofort auf meinem Saxophon umsetzen. Durch Roland Kirk habe ich dann die Zirkularatmung entdeckt. Jahre danach, habe ich angefangen sie im Solo Spiel einzusetzen. Durch diese für mich neue Technik war ich imstande, mein Spiel vorzugsweise mit Obertönen und Mehrklängen zu erweitern. Später hörte ich Evan Parker das erste Mal live in Willisau. Er spielte zusammen mit Alexander von Schlippenbach, Peter Kowald und Paul Lovens. Ich war beeindruckt wie Evan die Zirkularatmung und diverse anderer Ansatztechniken zum Einsatz brachte, während er zeitgleich in der Gruppe mit Chris Mc Gregor The Brotherhood of Breath noch um einiges konventioneller spielte. Die Flatterzungen-Technik hat mich an das Spiel von Pharoah Sanders mit John Coltrane Meditations / Live at the Village Vanguard erinnert, wo Sanders in den höchsten Lagen eine unübliche Zungentechnik einsetzt. Evan ist ein Pionier, er hat das Saxophonspiel in der nach Coltrane Phase, ausserhalb des Freejazz unverkennbar radikalisiert und weiterentwickelt. Er spielte mit John Stevens und er gründete mit zusammen Derek Bailey die Music Improvisation Company und das Schallplatten Label Incus. Die Zusammenarbeit, welche aus diesen Aktivitäten hervorgegangen ist, ist musika-lisch und historisch von grosser Bedeutung. Eine Art Geburtsstunde der europäischen improvisierten Musik, während sich andere europäische Musiker, wie Peter Brötzmann, Han Bennink, Peter Kowald, Fred Van Hove und die Amerikaner George Lewis, Anthony Braxton ähnlich mit Musik beschäftigten.
Mitte der 70er Jahre, habe ich aufgrund meiner Aktivität in der Gruppe „OM“ Evan etwas aus den Augen und den Ohren verloren, um eigene Wege zu gehen. Ich habe mir während dieser Zeit bewusst andere Instrumentalisten – Streicher, Sänger und Komponisten als Saxophon-isten angehört. Jazz, indische und afrikanische Musik, Strawinsky, Varése, Stockhausen, Ligeti, Berio, Nono und die ganze New York School. In den neunziger Jahren, während meiner Zeit in Paris habe ich Evan in wechselnden Gruppen im Instants Chavirés wieder erlebt. Später erinnere ich mich an eine Begegnung am Festival in Parthenay in 2004, als Even das Trio mit Barre und Jacques hörte. Er war von der Musik des Trios beeindruckt und hatte uns gebeten ihm eine Aufnahme zu zuschicken, um auf seinem Label PSI als CD zu veröffentlichen. 2005 haben wir die CD ldp – cologne auf Evan’s Label veröffentlicht. Für ein Zusammenspiel mit Evan im Duo kam es dann 2007. Die ersten paar Töne zusammen mit ihm im Konzert bleiben mir in sehr guter Erinnerung. Sie waren gezeichnet von grosser Offenheit, Leichtigkeit und Musikalität. Evan kam mir vor als sanfter Koloss. Während einer Tournee spielen wir im Loft in Köln. Das Konzert wird aufgenommen und als CD Twine bei Cleanfeed Records veröffentlicht.
Nach den beiden Solos zeigen wir das Video mit Barre, anschliessend spielen wir im Duo. Am Ende des Stücks schiebt Jacques das Klavier spielend nach hinten, dann auf die Seite und hinter den Vorhang. Er beginnt an zu pfeifen ... er kommt zurück auf die Bühne setzt sich auf einen Stuhl, macht Klänge mit seiner Stimme und setzt mit Lautpoesie ein, dabei spiele ich das Sopransaxophon.....
U.L.
Un piano à queue, brun clair et fermé à clef, donnait l'impression de vouloir forcer vainement l'entrée du lieu où nous allions jouer ce soir-là en duo avec Urs, Barre ayant dû renoncer, une nouvelle fois pour des raison de santé, à terminer cette tournée. Le mot SAFES brillait en lettres majuscules au-dessus d'une lourde porte en fer forgé. Celle-ci franchie, la descente fut brève et quelques marches plus bas, je découvris à ma droite, la salle de concert et à ma gauche, la salle des coffres. Une horloge sans chiffres, sans aiguille des minutes et au temps arrêté, distillait une ambiance étrange. Elle indiquait environ 10 heures 59. AM? ou PM? Cette absence de chiffre, de mouvement, ce doute, me sont apparus comme une menace silencieuse. Si il y avait une chose à laquelle je ne m'étais pas attendu en pénétrant dans ce SAFE, c'était à faire l'expérience d'un tel trouble. Mais le saisissement fut de courte durée. Autant la salle de concert que la salle des coffres – tendrement appelée Tresor sur les plans du lieu, sans accent aigu – allaient m'offrir des chiffres à profusion. Ce furent d'abord les colonnes entières de nombres gravés en sombre sur de petites plaquettes de métal brillant fixées sur la face de chaque boîte de dépôt
1024 1025 1211
1029 1030 1216
1034 1221
1039 1040 1226
1045
1049 1050 1236
1054 1055 1241
1059 1060 1246
1064 1065
1069 1070 1256
certaines plaquettes brillaient d'un éclat particulier, peut-être dû à l'éclairage irrégulier de l'espace
1826 1827
1829 1830
1832 1350
1835 1836
1838 1839
1841 1842
1844 1845
1847 1848
1850 1851
1853 1854
1857
Etourdi par l'accumulation de ces verticalités légèrement agressives, je rejoignis le piano droit chinois pearlriver déjà installé au milieu de la petite scène. Comme un rituel maintenant bien rôdé depuis le début de la tournée, je repérai, notai et photographiai les indications graphiques tatouées sur le corps de l'instrument. A chaque coffre, comme à chaque piano, son numéro, ici le 807158. Mais le paysage avait complètement changé, j'avais devant moi, une fois la structure de bois du piano élaguée au maximum, une étendue horizontale de nombres alignés, allant de 1 à 88, imprimés à même le bois de chaque marteau. Trois sections, aux directions cardinales légèrement différentes, divisaient l'espace séparant les cordes verticales du clavier. Sur ma gauche
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
puis, devant moi
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 535 54 55 56 57 58 59 60
enfin, sur ma droite
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88
Nous avions prévu deux solos. Assis face à l'instrument, je lus soudain une suite infinie de chiffres. Puis plus rien : j'avais commencé à jouer.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 0 1 1 1 2 1 3 1 4 1 5 1 6 1 7 1 8 1 9 2 0 2 1 2 2 2 3 2 4 2 5 2 6 2 7 2 8 2 9 3 0 3 1 3 2 3 3 3 4 3 5 3 6 3 7 3 8 3 9 4 0 4 1 4 2 4 3 4 4 4 5 4 6 4 7 4 8 4 9 5 0 5 1 5 2 5 3 5 5 4 5 5 5 6 5 7 5 8 5 9 6 0 6 1 6 2 6 3 6 4 6 5 6 6 6 7 6 8 6 9 7 0 7 1 7 2 7 3 7 4 7 5 7 6 7 7 7 8 7 9 8 0 8 1 8 2 8 3 8 4 8 5 8 6 8 7 8 8
Urs m'a dit avoir entendu des réminiscences de La Monte Young. Toujours des chiffres. Serait-ce ce chapelet horizontalement tendu devant mes yeux qui m'aurait poussé inconsciemment à un geste sonore minimaliste, mais tempéré, après avoir réactivé en moi certains exemples de proportions chiffrées du Well-Tuned Piano lus récemment ?
49/32 147/128 441/256 1323/1024
7/4 21/16 63/32 189/128 567/512
1/1 3/2 9/8
(transcription: Wolfgang von Schweinitz)
Mais ce ne sont que spéculations extérieures et incertaines, je n'en sais au fond rien. Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'il n'y a pas d'autre lieu que le lieu de l'action, de l'action sonore en l'occurrence, pour que les choses se passent, que les choses soient modifiées, qu'elles soient saisies et subissent les véritables transformations, afin qu'en retour elles nous révèlent leur propre et nouvelle existence.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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Sebastian Lexer, Steve Noble : Muddy Ditch (Fataka,2016) / Stefan Keune, Dominic Lash, Steve Noble : Fractions (NoBusiness,2015)
Les deux pièces à trouver sur ce disque ont été enregistrées au même endroit (Café Oto) mais à deux ans et demi d’intervalle. Assez pour que le duo qui les a improvisées, Sebastian Lexer et Steve Noble, modifie son propos.
En 2011, le piano+ de Lexer est certes déjà une machine à sons contrariés, de graves qui rôdent en cordes qui tremblent, et la ponctuation de Noble assez expressive pour les mettre en valeur et même les développer. Un léger tintement, répété, peut ainsi stopper le patient polissage auquel s’adonne un Lexer qui multipliera ensuite les clusters démonstratifs. Mais ce sont les mois qui passent qui changeront véritablement la donne.
Ainsi, en 2014, l’emportement romantique qui parfois gagnait Lexer s’est effacé derrière des plaintes et des chants sortis d’une recherche plus méticuleuse. C’est le silence qui, cette fois, rôde et impose là sa mesure ; en réponse, Noble brusque sa frappe et, étrangement, la soigne dans le même temps. Voilà pourquoi Muddy Ditch est un beau document : il atteste l’évolution d’un duo d’improvisateurs affairé, certes, mais concerné encore par son sujet.
Sebastian Lexer, Steve Noble : Muddy Ditch
Fataka
Enregistrement : 25 octobre 2011 & 18 juin 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ Pool 02/ Loess
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Un saxophone – qui pourra d’abord évoquer le ténor de John Butcher – monte tandis que, déjà, tonne un tambour (c’est encore Steve Noble). L’atmosphère passera pour « remontée » si l’archet de contrebasse (c’est Dominic Lash) ne tempère le jeu du trio. Stefan Keune (John Russell ou Paul Lytton jadis pour partenaire), lui, passe de ténor en sopranino. Son jeu est « rentré », qui rappelle aussi parfois celui de Paul Dunmall, manque peut-être de singularité, mais s’écoute néanmoins avec plaisir.
Stefan Keune, Domini Lash, Steve Noble : Fractions
NoBusiness
Enregistrement : 26 novembre 2013. Edition : 2015.
LP : A1/ Two Far A2/ Cuts A3/ A Find – B1/ Let’s Not B2/ Mélange
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nicolas Perret, Silvia Ploner : Nýey (Unfathomless, 2015)
Moi ça me rassure dès qu’un oiseau pointe sa queue dans le coin. D’autant que sur ce CD ça se passe en Islande (si j’ai pas rêvé). Le vent sur les cratères, le crachat des geysers, les voix qui nous parlent d’extraterrestres, de nouvelle ère et de nouveau monde, voilà le genre...
La phonographie de Nicolas Perret & Silvia Ploner n’est pas bien longue. Est-elle plus mystérieuse pour cela ? Oui sans doute car les sons et les (deux, il me semble) voix qu’elle fait parler font partie d’un paysage inconnu que le duo a visité puis reconstitué – jusque-là, rien d’original sur le papier.
Mais dans cette « recomposition », l’anxiété n’est jamais loin. Même quand on est assuré que rien de mal ne peut plus se passer (ni les oiseaux nous attaquer, ni les souffles nous emporter etc.) on craint fort. Mais c’est la force de Nýey de n’être pas rassurant. D’avoir su conserver dans la beauté de sa composition l’insécurité du voyage.
Nicolas Perret, Silvia Ploner : Nýey
Unfathomless
Edition : 2015.
CD : 01/ Nýey
Pierre Cécile © Le son du grisli
SQID : SQID (Mikroton, 2015)
Les 25 et 26 août 2014 à la frontière austro-hongroise, Attila Faravelli – dans le cadre d’une résidence accordée à SQID dont il fait partie – a enregistré des endroits qu’il a aussi photographiés. Dans le livret qui accompagne ce disque double, on trouve ainsi onze paysages dont on retrouve les sons dans les improvisations qu’il renferme.
Les artifices qui augmentent les field recordings sont l’œuvre de Faravelli, Angélica Castelló, Burkhard Stangl et Mario de Vega – invité par le groupe, l’artiste mexicain Gudinni Cortina a filmé les travaux et capturé quelques sons. C’est d’abord un tambour qui gronde et, plus encore, atteste une prise de son d’une chaleur rare (Martin Siewert au mastering).
Ce sont ensuite les rumeurs que composent les frôlements de bandes et de cordes de guitare électrique – notons que, lorsque celle-ci disparaît, l’ouvrage est plus commun –, de jouets inquiétants et de parasites nichés en enceintes, de flûte sifflant haut et de signaux d’ampli… qui réinventent quelques bruits « ordinaires » : le chant d’oiseaux de nuit, un défilé des véhicules sur la route, le passage d’un train ou la respiration habituellement insoupçonnée des alentours.
SQID : SQID
Mikroton / Metamkine
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
2 CD : CD1 : 01/ IMG_7697 02/ IMG_7750 03/ IMG_7787 04/ IMG_7760 05/ IMG_7796 06/ IMG_7899 07/ IMG_7909 08/ IMG_7757 09/ IMG_7919 10/ IMG_8035 11/ IMG_8127 – CD2 : 01/ IMG_7728 02/ IMG_7923
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lol Coxhill et alt. : Vol pour Sidney (aller) (Nato, 2015)
Début des années 1990 : on pouvait encore concilier, réconcilier. Un producteur (ici Jean Rochard) pouvait rêver à quelque projet fou : inviter quelques amis musiciens à évoquer le déjà oublié Sidney Bechet par exemple.
Lol Coxhill et Pat Thomas convoquaient l’electro avant l’heure. Elvin Jones et Michel Doneda partageaient une fantaisie égyptienne. Taj Mahal n’était jamais aussi bien servi que par lui-même. The Lonely Bears n’étaient que tendresse et bienveillance (mais frôlaient aussi le sirop !). Steve Beresford s’armait de ridicule sur Lastic 6 et retrouvait l'inspiration perdue en compagnie d’Han Bennink sur Lastic 7. Un Rolling Stones (Charlie Watts) pouvait compter sur les sopranos d’Evan P et de Lol C pour fluidifier son swing.
Le mainstream n’était pas aussi écœurant qu’aujourd’hui (Pepsi & The Blue Spiders). Lee Konitz et Kenny Werner nous sauvaient du cafard. Urszula Dudzak et Tony Hymas pensaient et régulaient l’à-venir. C’était hier. C’est aujourd’hui puisque l’on réédite la galette. En cette période d’irréconciliable, c’est une assez bonne idée.
Vol pour Sidney (aller)
Nato / L’autre distribution
Enregistrement : 1991-1992. Edition : 1992. Réédition : 2015.
CD : 01/ Petite fleur 02/ La nuit est une sorcière 03/ Egyptian Fantasy 04/ Sidney’s Blues 05/ Si tu vois ma mère 06/ Lasti 6 07/ Lastic7 08/ Blues in the Cave 09/ Laughin in Rhythm 10/ Blue for You Johnny 10 11/ Blues for You Johnny 11 12/ As-tu le cafard ? 13/ Make Me a Pallet on the Floor 14/ Petite fleur
Luc Bouquet © Le son du grisli
VA AA LR : Polis (Intonema, 2015)
Techniciens compétents, Vasco Alves, Adam Asnan et Louie Rice – ainsi donc : VA AA LR – ne s’interdisent pas d’avoir ici ou là recours à la bricole. Dans les pas des musiciens que le second publie sur Hideous Replica (Lucio Capece, Birgit Ulher, Kurt Liedwart ou encore, et même davantage peut être, Coppice), le trio enregistrait récemment Polis.
Un peu plus d’une demi-heure d’une électroacoustique épatante : où des graves imposants évoluent sur constructions pneumatiques et, en se frôlant, font des étincelles ; où les bruits enregistrés d’un chantier font jeu égal avec une poésie polyglotte – que le Portugais tire à lui puisque le travail est né d’installations montées dans les rues de Porto et Serralves ; où une basse, enfin, claque en suivant le parcours d’une bille lancée sur roulette avec de bercer sur deux notes les cris d’une cour de récréation. Et si les field recordings de notre trio d’initiales sont d’un commun universel, son invention électronique se charge de les sublimer.
VA AA LR : Polis
Intonema / Metamkine
Enregistrement : mai-juin 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Polis
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Yves Bouliane : Champ (10 Opérations) (Tenzier, 2015)
Saute saute, fouille fouille, tréfouille tréfouille, tréfile tréfile (trécorde trécorde si le verbe existait), gratouille gratouille : Yves Bouliane (que mes indics ont repéré sur un vinyle avec son compatriote John Heward) est violoncelliste & il joue seul. « Jouait », je devrais dire, car l’enregistrement date de 1977.
La réédition de la cassette originale tirée à dix (10 !) exemplaires est aujourd’hui un LP (si l’on croit au progrès de l’humanité, elle sortira un jour en CD). Le performer expérimente sur un violoncelle que l’on dirait réduit (alors que son archet semble de taille normale), comme un mini violoncelle en bois ou en porcelaine… Pas étonnant qu’il n’ait pas de partenaire (il a joué un temps avec le Jazz libre du Québec) puisqu’il introspectionne : saute saute, fouille fouille…[reprendre plus haut]. Ça rebondit fort mais en sourdine et ça chante faux mais avec une justesse incroyable. D'où le conseil : Tout le monde au Champ d'opérations !
Yves Bouliane : Champ (10 opérations)
Tanzier / Metamkine
Enregistrement : 1977. Edition : 2015.
LP : A-B/ Champ (10 Opérations)
Pierre Cécile © Le son du grisli
Ludovic Florin : Jazz Vinyls (Editions du Layeur, 2015)
On ne compte plus les livres publiés qui ont pour sujet la pochette de disque vinyle. Celui que signe Ludovic Florin – que l’on peut notamment lire dans Improjazz –, qu’il présente comme un « vagabondage », aurait pu être un ouvrage de plus au sujet consacré : or, son Jazz Vinyls est une belle histoire du jazz (qu’il s’en défende) cachée derrière l’image.
Quelques défauts, bien sûr – des raccourcis inévitables, des interrogations soudaines (« Le style West Coast existe-t-il ? », et qu’est-ce que le « mainstream progressiste » ?), la rareté des « petits maîtres », l’absence de bibliographie (certes, par les temps qui courent, un mal assez contagieux) et, last but not least, le fait que je ne l’ai pas moi-même écrit –, mais nettement moins que de surprises.
De la « préhistoire du jazz » aux « temps post-modernes », Florin fait en effet œuvre de tact et de nuances – c’est cette fois une qualité qui se perd, notamment au Sud de la Loire où l’on publiait récemment un ouvrage consacré au Free Jazz qui attache au domaine Mingus, Dolphy…, et même Akosh S. ou Colin Stetson, mais pas Joe McPhee, par exemple : le chapitre que Florin intitule « Au-dessus des chapelles » aurait pu apprendre à l’auteur (et à son Reste d'éditeur) qu’aller voir au-delà des codes n’est pas forcément « jouer free ».
Fort de citations choisies (de musiciens, comme de critiques), se permettant quelques focus d’intérêt (Dizzy Gillespie, Anthony Braxton, Joe Henderson…), Florin suit une chronologie irréfutable qu’il illustre avec un à-propos désarmant. C’est que son intérêt pour le genre profite d’un désintérêt pour l’anecdote ou le kitsch – ici, pas de cargaison de pin-up sirotant du jus de Monk ou de Blakey (quelques-unes, quand même) à la Jazz Covers – et, surtout, s’avère bien plus « contemporain » – à peine à la moitié du livre, et c’est déjà Ornette Coleman.
Comme pour excuser l’aplomb qu’il a de consacrer quelques chapitres au « mainstream » (après tout, le titre du livre n’est pas « Bon Jazz Vinyls »), Florin entame le chapitre « La toile européenne se déploie » : Derek Bailey, Alexander von Schlippenbach, Evan Parker... avant qu’arrive le tour des labels européens. Certes, l’œcuménisme est amical puisque la Fusion est à suivre, mais la conclusion nous amène… Brigantin. C’est dire que Jazz Vinyls est une indispensable lecture.
Ludovic Florin : Jazz Vinyls
Editions du Layeur
Livre : 359 pages
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #42
Retour à Genève pour le Trio ldp : au même endroit (AMR) que le 23 mai 2015, les musiciens retournaient le 5 décembre. C'est pour Jacques Demierre, qui joue à domicile, l'occasion de parler des nouvelles difficultés avec lesquels doivent faire les acteurs culturels, en Suisse comme ailleurs dans le Monde.
5 décembre, Genève
AMR
Der Verein (AMR) wurde 1973 von Musikern gegründet mit dem Ziel die Entwicklung und die Praxis von Jazz und improvisierter Musik, vorallem afroamerikanische Musik in Genf und in der Region durch Schulung, Unterstützung und Verbreitung zu fördern.
In den frühen 70er Jahren hatte ich die Gelegenheit mit der Gruppe „OM“ im Rahmen eines AMR Festivals, organisiert von dem damaligen Geschäftsführer François Jacquet und Musikern der Organisation zu spielen. François war eine führende Persönlichkeit, der sich mit Geist, Leib und Seele und grossem Einsatz für die improvisierte Musik engagiert hat, zu einer Zeit als noch eine Kulturgrenze zwischen der französisch und deutsch sprechenden Schweiz, dem sogenannten Röstigraben bestanden hat. Während dieser Zeit war es ganz schwierig Gruppen aus Zürich in Genf zu präsentieren und umgekehrt Musiker aus der welschen Schweiz in die Zentral Schweiz zu bringen. Heute gibt es für junge Jazz Musiker und Gruppen mit Diagonales ein bewährtes Gefäss, um aktuelle Projekte im Kulturaustausch in den verschieden Sprachregionen vorzustellen. Früher in den 70er Jahren, als eine Annäherung stattgefunden hatte, hat man sich unter Musikern oft englisch unterhalten. Das Französisch der Deutschschweizer war oft nicht ausreichend, um sich französisch zu verständigen. Umgekehrt gab es nur ganz wenige suisse romands die Deutsch sprachen, die andern wollten erst gar nicht deutsch reden oder kannten die Sprache nicht, und Schweizer Deutsch haben sie mit Sicherheit nicht gesprochen. Der einzige waschechte französisch sprechende Schweizer Musiker den ich kenne, ist Bertrand Denzler. Er spricht Akzent frei Schweizer Deutsch und Hoch Deutsch. Er hat in Zürich studiert hat, und er spricht diese Sprachen fliessend und perfekt, und dazu ist er ein sehr innovativer Musiker und Saxophonist. Ihn habe ich in den 90er Jahren in Paris kennengelernt.
Später gab es Kulturaustausch Projekte zwischen der deutschen und französischen Schweiz. In einem dieser Projekte, anfangs der 80er Jahre hatte ich das erste mal die Gelegenheit mit Jacques Demierre zu spielen. Das war der Anfang unserer musikalischen Zusammenarbeit. Im Anschluss ist diese Gruppe 1984 zusammen mit Maurice Magnoni, Bobby Burri und Joel Allouche für ein Konzert an das Jazzfestival Willisau eingeladen worden. Seither war ich immer wieder Gast im AMR, während einer Zeit wo Dominique Widmer die Administration geführt hatte und später der Historiker Christian Steulet für das AMR zuständig war. Seit der kontinuierlichen Zusammenarbeit mit Jacques im Trio ldp und mit der Gruppe 6ix und anderen Projekten bin ich regelmässig für Konzerte ins AMR zurück gekommen. Der Ort ist mir sehr vertraut, dennoch ist es für mich jedesmal eine neue Herausforderung im AMR zu spielen, die Stimmung ist immer aussergewöhnlich und geheimnisvoll. Der heutige administrative Leiter Brooks Giger und die ganze Equipe machen mit Bedacht einen sehr guten Job. Für alle Musiker und Musikerinnen wird mit viel Feingefühl, ganz persönlich und ausgewählt gekocht. Denn essen direkt vor dem Konzert ist nicht unproblematisch. Das Essen im AMR gibt einem jedoch genau den richtigen Kick. In der Regel wird aktueller Jazz mit seinen Wurzeln in der Tradition präsentiert. Ab und zu gibt es auch Konzerte mit frei improvisierter Musik. Wenn das Trio spielt, kommt ein ausgewähltes Publikum. Es kommen Liebhaber und Kenner die offen für experimentelles sind oder sich mit dieser Musik identifizieren. Die Konzerte beginnen jeweils um 21:30 Uhr. Heute Samstag, 5. Dezember ist es wieder einmal soweit. Die Leute sind sehr konzentriert und ruhig. Die ersten Töne des Trios fallen in den leeren Raum...
„Les choix que font Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips sont inattendus et inexpliqués, mais se combinent dans cette expression auditive qui se trouve entre l'imagination et la logique. Les matières sonores qu'ils utilisent ne sont pas neuves (et ne peuvent l'être) mais, dans ce trio, elles sont reconsidérées, recombinées, réorganisées de façon suprenantes. En son âme et coeur, cette musique est faite de subtilité, de modestie, de nuance et de concision. Un des choix du trio semble avoir été de prêter une attention particulière à la dynamique: Que l'activité physique de produire un son sur son instrument puisse devenir la musique elle-même. C'est à peine audible, mais extrêment vivant si l'on y prête attention. En lieu et place d'un discours basé sur l'harmonie et la mélodie, ces trois musiciens communiquent par effleurements, grattages, notes brisées, respirations, souffles, grincements, caresses, morsures, sifflements, intervalles détendus. Ils effacent les lignes, compriment les gestes, condensent les mouvements. Une belle soirée pour une nouvelle aventure auditive!“ (Christian Steulet, Genève).
U.L.
Le plus important ne fut pas la réactivation d'un souvenir de jeu avec ce même piano Yamaha S6, numéro 5614778 (lire 23 mai, Genève), mais bien l'imprégnation de notre concert à l'AMR – comme le montre l'affiche, placée entre ces deux géants-musiciens nés au milieu des années 30, un Barre Phillips au sourire énigmatique et une photo de Paul Chambers datant de la toute fin des années 50 – par la lutte que mène actuellement une grande partie des artistes et acteurs culturels à Genève qui s'opposent fermement à des coupes budgétaires dans la culture, le social et le tissu associatif. La situation n'est pas différente de celle observée tout au long de notre tournée LISTENING, ville après ville, européennes et américaines confondues, avec des variantes de gravité, mais, partout, un même constat : le désengagement progressif de l'état quant à ce qui touche à la culture en général et à la diversité culturelle en particulier. C'est pourquoi je joins mes mots à ceux de laculturelutte.ch. Dans le cas particulier de Genève, ces coupes linéaires des subventions aux associations artistiques, culturelles et sociales décidées par le Conseil Municipal, associées à des coupes annoncées par le Canton, sont une manière de remettre en cause non seulement la culture, la création artistique et le social, mais aussi la possibilité d'une dynamique associative qui contribue à la qualité de vie de toute une région. Ces coupes, opérées par la droite municipale et cantonale, ont été décidées sans consultation des milieux concernés et sans réflexion sur leurs réels impacts. Les répercussions sur les lieux de création, sur les associations, les artistes, les techniciens, les artisans, le personnel technique et administratif, seront lourdes à court et long termes. Les répercussions sur une société comme la nôtre aujourd'hui, qui n'a jamais eu autant besoin d'espace de pensée et de réflexion, sont et seront extrêmement dommageables. Mais la mobilisation paraît forte. Dans le système démocratique suisse, le peuple a la possibilité de contester des décisions prises par ses élus. Deux référendums ont été lancés. Comme le dit la musicienne Béatrice Graf, les faire aboutir est une première étape à boucler. La deuxième étape sera de gagner en votation populaire, au printemps ou à l'automne. Car cette politique de la droite est claire et décomplexée : ces décisions ne sont que le début d'un long processus, l'année prochaine et celles qui suivent devraient voir le mouvement de coupes s'amplifier. Il faut signer ces référendums afin de garantir un paysage culturel diversifié, des moyens de créations adaptés, des événements culturels de qualité, et une culture accessible à toutes et à tous. Tout le monde est concerné. Pour donner un éclairage local à une problématique internationale, j'aimerais citer intégralement le Manifeste lancé par le Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève :
Longtemps menacée, la culture est aujourd’hui attaquée frontalement et doit être défendue. Ce sont non seulement nos métiers et nos lieux de travail qui sont en sursis, mais plus largement la place indispensable de la culture dans notre société. Il s’agit d’être forts, solidaires et montrer que nous ne nous laisserons pas faire.
La majorité du Grand Conseil n’a plus qu’un seul objectif, couper dans les services publics, la protection sociale et l’emploi. Elle a réussi à imposer un cadre comptable et marchand qui réduit l’ensemble des activités orientées vers l’éducation, le soin, le travail critique et l’ouverture créative à la seule question du coût et de la rentabilité. Ainsi, depuis plusieurs années, toutes les baisses d’impôts n’ont eu pour but que d’amputer l’État de ses tâches redistributives et de ses responsabilités envers les plus faibles, les personnes âgées, les travailleurs précaires, les handicapés et, plus fondamentalement encore, le maintien d’une société véritablement plurielle.
C’est dans ce contexte que les artistes et acteurs culturels sont aujourd’hui en danger. Les lieux et structures subventionnés ont reçu un courrier leur annonçant une coupe importante de leur subvention, exigeant une diminution de leur charge salariale alors même que les acteurs culturels venaient d’exiger davantage d’aide pour leur prévoyance sociale. Moins visibles et plus fragiles, les artistes au bénéfice de financements ponctuels sont aujourd’hui également dans le collimateur des pouvoirs publics qui savent la facilité de couper là où personne n’est en mesure de réagir avec force.
C’est encore la culture, dans son essence même, qui est menacée lorsque le Conseil d’Etat s’en prend à nos manières de faire, de nous organiser et de nous auto-financer en s’attaquant, à l’instar de l’Usine, à nos buvettes au prétexte du respect d’une loi inadaptée et aseptisante.
Sans mobilisation massive des milieux culturels, aux côtés des fonctionnaires, des maçons et d’une population qui refuse de voir la société dans laquelle nous vivons réduite à des questions de rentabilité et de sécurité, c’est bien davantage que nos subventions que nous allons perdre!
Nous comptons sur vous. Soyons forts, soyons bruyants! (Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève).
J.D.
Photos : Jacques Demierre
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