Håvard Volden, Toshimaru Nakamura : Crepuscular Rays (Another Timbre, 2010)
La guitare d’Håvard Volden a 12 cordes et le no-input mixing board de Toshimaru Nakamura est toujours le même. En d’autres termes, Nakamura peut faire deux fois plus d’effets à l’instrument de Volden qu’à toute guitare « normalement bâtie ».
Et c'est ce qu’il s’empresse de faire, d’ailleurs : tirant et étirant une corde à l’infini (ou presque) pour forcer Volden à chercher le bon moyen de mener sa contre-attaque. A cet instant, la guitare sonne comme un koto sur les vrombissements et le bruit des rouages, mais elle crachera bientôt des larsens, des accords et des arpèges d’un style noise abattu. Je crois avoir déjà entendu Nakamura plus poétique. Mais ce qu’il perd en poésie, le Japonais le gagne en vérité brute. La poésie n’est sans doute plus la priorité…
Håvard Volden, Toshimaru Nakamura : Crepuscular Rays (Another Timbre)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Scattering 02/ Perception
Pierre Cécile © Le son du grisli
Jazz Meets India (Promising Music, 2010)
Jazz Meets India est une idée du producteur Joachim E. Berendt. Nous sommes en 1967 et un an auparavant, en Angleterre, John Mayer et Joe Harriott avaient déjà croisé jazz et musique indienne.
Le batteur Mani Neumeier, qui avait eu la bonne idée d’étudier les tablas avec Keshav Sathe, mit sur pied cette rencontre indo-européenne. D’un côté ; le trio de la pianiste Irène Schweizer (Uli Tepte, Mani Neumeier), de l’autre ; celui de Dewan Motihar (Kusum Thakur, Keshav Sathe) et au centre ; le trompettiste Manfred Schoof et le saxophoniste Barney Wilen. A l’arrivée ; trois compositions et deux mondes qui se cherchent, réfléchissent, prennent plaisir à l’échange.
Sur Sun Love, le trio indien débute et impose sa transe légère. Puis s’ajoutent des cymbales. La pianiste s’invite dans la danse…et l’India de Coltrane n’est pas très loin (à noter : Dewan Motihar qui fut l’élève de Ravi Shankar initia les Beatles à la musique indienne). Puis, à tour de rôle, Manfred Schoof et Barney Wilen vont tenter la déconstruction. Aucun problème quant à l’harmonie, la musique indienne permettant maintes folies, mais le rythme résiste. Pas facile d’en sortir. Alors, ils n’auront d’autres choix, après tâtonnements, que de rompre le cercle. Surgiront alors de courts moments de solaire beauté ; deux territoires qui ne forment qu’un seul, uni et solidaire, convulsif. Cela sera plus flagrant, plus évident encore avec Brigah & Ganges, composition enlevée du trompettiste. L’espace de quelques minutes, la fusion avait été possible. En conclusion : un beau document.
Jazz Meets India (Promising Music - MPS / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1967. Edition : 2010
CD : 01/ Sun Love 02/ Yaad 03/ Brigah & Ganges
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jimmy Bennington : The Spirits at Belle’s (Cadence, 2010)
Jeune batteur texan désormais (forcément) sorti de l’Elvin Jones’ Jazz Machine, Jimmy Bennington enregistrait récemment en trio et en quartette avec le clarinettiste Perry Robinson, rencontré à Chicago.
En quartette : les débuts vont au son d’une mélodie timide qu’ose Robinson entre les deux contrebasses de Mathew Golombisky et Daniel Thatcher – l’une à droite et l’autre à gauche. En retrait, le batteur n’en fomente pas moins une accélération qui donnera au clarinettiste l’idée de feindre l’essoufflement. Sophistiqué, l’ensemble joue alors de paraphrases (via archets) et de références faites au jazz traditionnel sans que l’on puisse soupçonner le quartette de verser dans le passéisme simplement heureux (Albert M). Plus commun, un troisième thème signé Robinson vient clore l’échange.
Jimmy Bennington : The Spirits at Belle’s (Cadence Jazz Records)
Enregistrement : 2007. Edition : 2010.
CD : 01/ The Spirit at Belle’s 02/ Albert M 03/ Walk On
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jimmy Bennington : Symbols Strings and Magic (CIMP, 2010)
Jeune batteur texan désormais (forcément) sorti de l’Elvin Jones’ Jazz Machine, Jimmy Bennington enregistrait récemment en trio et en quartette avec le clarinettiste Perry Robinson, rencontré à Chicago.
En trio : ayant laissé au contrebassiste Ed Schuller le soin d’établir le contact avec la figure imposante qu’est Robinson, Bennington peut projeter des coups déstabilisant une approche qui troquera sa délicatesse contre la lassitude d’une ballade apaisante (What’s New). Alors, les esprits peuvent se laisser aller : actualisation valable des usages du free à coups de rebonds inspirés et de coups claquant net. Seule une question demeure, qui concerne l’intérêt que Schuller trouve à chanter sur son jeu de contrebasse.
Jimmy Bennington : Symbols Strings and Magic (CIMP)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Symbols Strings and Magic 02/ What’s New 03/ high Maestro (for Perry) 04/ Let Us Cross Over the River Under the Shade of the Trees 05/ Cadence Blues 06/ Susanna 07/ Now 08/ Side by Side 09/ EMOI 10/ Circles Aplenty
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Marilyn Crispell, David Rothenberg : One Dark Night I Left My Silent House (ECM, 2010)
C'est une histoire que nous racontent la pianiste Marilyn Crispell et le clarinettiste David Rothenberg. Une histoire qui commence par ces mots : « One Dark Night I Left My Silent House »… Deux voix susurrent et plantent les éléments du décor : la nuit, la solitude, la fuite de la maison et l’abandon de son silence.
Marilyn Crispell progresse à la vitesse à laquelle tout le monde avance lorsqu’il tâtonne dans le noir : prudemment, légèrement même. Sur son clavier, elle effleure les touches ; sur son instrument, elle fait pleuvoir des coups alors qu’à l’intérieur, elle trouve un peu de plaisir à pincer ses cordes jusqu’à la note. David Rothenberg, lui, se fait plus impressionniste, comme s’il était le fil auquel sa partenaire pourra toujours se raccrocher. Oreilles ouvertes, on écoute la suite de l’histoire, ses dissonances assassines et son lyrisme digressif / régressif, ses prises de décisions étranges (cette histoire est celle d’un jeu de rôle dans lequel Marilyn Crispell n’arrête pas de faire des choix personnels).
La musique qui illustre l’histoire qui nous est contée pourrait être celle d’un folklore déterré après avoir été enfoui sous des mousses vieilles de plusieurs siècles. Loin, très loin, de l’esthétique ECM tout en s’y rattachant quand même quelque part, Marilyn Crispell et David Rothenberg ont fait d’une histoire un beau projet discographique, sans les larmes de façades et la mélancolie forcée qui ont fait les bénéfices de ce même label. One Dark Night I Left My Silent House…
Marilyn Crispell, David Rothenberg : One Dark Night I Left Mi Silent House (ECM / Universal)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Invocation 02/ Tsering 03/ The Hawk and the Mouse 04/ Stray, Stray 05/ What Birds Sing 06/ Companion: Silence 07/ Owl Moon 08/ Still Life with Woodpeckers 09/ grosbeak 10/ The Way of Pure Sound (for Joe Maneri) 11/ Motmot 12/ Snow Suddenly Stopping Without Notice 12/ Evocation
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Don Rendell, Ian Carr : Live at the Union 1966 (Reel, 2010)
Avec Ursula (des faux airs du Greensleeves de Trane) et bien plus encore avec Trane’s Mood (de vrais airs de My Favorite Things), le Don Rendell – Ian Carr Quintet rejoignait la musique de John Coltrane.
On retrouvait l’élan coltranien, la modalité davisienne puis l’on s’en échappait (cuivres aux souffles enchâssés, ralentissement de tempos) pour mieux retrouver un bop libéré et fulgurant à forte tendance Milestones (Hot Rod) en fin de concert. Avant cela, le fantôme de Ben Webster avait dévoilé son blues baladeur (Webster’s Mood). Et bien plus avant encore, la sourdine tranchante de Ian Carr avait percé quelques noirs nuages ; le ténor rugueux de Don Rendell avait convulsé quelques phrasés retors ; Michael Garrick avait imposé ses rebondissements millimétrés ; Tony Reeves avait remplacé Dave Green et Trevor Tomkins avait maintenu un tempo infaillible.
En ce 12 décembre 1966, le Don Rendell – Ian Carr Quintet était à mi-course d’un parcours qui allait s’achever trois années plus tard. Cet enregistrement inédit n’en est donc que plus précieux.
Don Rendell - Ian Carr Quintet : Live at the Union 1966 (Reel Recordings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1966. Edition : 2010.
CD : 01/ On 02/ Ursula 03/ Trane’s Mood 04/ Webster’s Mood 05/ Caroling 06/ Hot Rod
Luc Bouquet © Le son du grisli
Leah Singer, Lee Ranaldo : Water Days (Dis Voir, 2010)
Lorsqu’ils passèrent par le Cneia de Chatou, les artistes (musiciens, photographes, vidéastes, poètes…) Lee Ranaldo et Leah Singer enregistrèrent des ambiances qu’ils ont réutilisées et que l’on retrouve dans le CD que contient le livre Jours d’eau (Autrement dit Water Days).
Pour la musique qu’a commandée l’Atelier de Création Radiophonique, il faudra encore une fois se montrer interactif et lire la chronique de We’ll Know Where When We Get There, en ajoutant qu’on y entend les voix de Carson McCullers, Brigitte Fontaine ou Michael Snow. Pour parler du livre, il revient en images sur l’exposition (ou plutôt il l'installe sans forcément la réduire dans un espace miniaturisé). Comme sur le CD, ce sont surtout des présences que l’on trouve dans ce livre et des traces de leurs passage : Singer et Ranaldo le temps de quelques jours à Chatou… Un immanquable pour tout adepte du couple, en quelque sorte.
Leah Singer, Lee Ranaldo : Water Days / Jours d’eau (Dis Voir)
Edition : 2010.
Livre : Water Days / Jours d’eau
Pierre Cécile © Le son du grisli
Nicole Mitchell : Xenogenesis Suite (Firehouse 12, 2010)
Sur disque, Nicole Mitchell n’a pas toujours réussi à convaincre du talent qu’on a quand même raison de lui prêter. Mais avec Xenogenesis Suite, la flûtiste rattraperait ses faux-pas…
A la tête de son Black Earth Ensemble, elle consacre là un disque-hommage à l’œuvre de l’écrivaine de science-fiction Octavia Butler et fait preuve d’une inspiration surprenante. Qui mêle dès l’ouverture envolées répétitives commandées par la voix de Mankwe Ndosi (assez subtile pour ne pas donner dans le spoken-word élémentaire comme l’entier ouvrage l’est aussi pour ne pas suivre lourdement les traces laissées par le vaisseau de Sun Ra) et déconstructions intenses qui refusent de mettre encore leurs notes au service d’un lyrisme flamboyant.
Parfois même, les musiciens s’en tiennent à un simple canevas sonore – entendre le duel remarquable auquel se livrent par exemple le violoncelliste Tomeka Reid et le contrebassiste Josh Abrams – sur lequel Mitchell pourra envisager le prochain paysage et commander un autre récitatif las. Si ce n’est sur sa fin – le piano de Justin Dillard trahissant là les mauvaises conditions dans lesquelles se passe l’atterrissage –, le voyage est étonnant et donc recommandable.
Nicole Mitchell’s Black Earth Ensemble : Xenogenesis Suite : A Tribute to Octavia Butler (Firehouse 12 / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2007. Edition : 2010.
CD : 01/ Wonder 02/ transition A 03/ Smell of Fear 04/ Sequence Shadows 05/ Oankali 06/ Adrenalin 07/ transition C 08/ Before and After 09/ Drawn of a New Life
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Satoko Fujii Ma-Do : Desert Ship (Not Two, 2010)
En diversifiant les formes mais en entretenant un assaut continu, le Ma-Do de Satoko Fujii s’amuse de la déconstruction, et s’y installe durablement. Si la musique de la pianiste japonaise n’est pas que turbulence, c’est surtout cela que l’on remarque ici ; ce dialogue sanguin entre trompette et piano (Pluto), cette fougue jamais tempérée quels qu’en soient les contextes : compositions ou improvisations.
Le démembrement n’est pas tout chez Ma-Do mais participe d’un rituel familier. Il y a la trompette faussement dilatée avant explosion de Natsuki Tamura ; une trompette lâchant ruade sur ruade avant de laisser pointer quelque lyrisme empoisonné. Il y a la contrebasse saturante de Norikatsu Koreyasu (Nile River) ; ces arômes amers, cette contrebasse toujours en mouvement, en questionnement. Insatisfaite en quelque sorte. Il y a les lames vives de Akira Horikoshi, batteur aux rythmes brisants, souvent à la source d’aiguillages inattendus. Il y a enfin la leadeuse, pianiste fougueuse, jamais apaisée, multipliant pistes et propositions sans jamais ne rien imposer de définitif. Des assauts donc mais de bien beaux assauts.
Satoko Fujii : Desert Ship (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ February-Locomotive-February 02/ Desert Ship 03/ Nile River 04/ Ripple Mark 05/ Sunset in the Desert 06/Pluto 07/ While You. Were Sleeping 08/ Capillaires 09/ Vapour Trail
Luc Bouquet © Le son du grisli
Roel Melkoop : Grey Mass / Grey Matter (1000füssler, 2010)
Si Roel Meelkop a préféré sortir deux petits disques au lieu d’un grand (c'est à dire d'un disque “normal”), c’est qu’il est encore possible à certains d’envisager la musique sous forme d’œuvre d’un format arrêté.
Tout ça pour que Grey Mass et Grey Matter forment en plus un seul et même objet : deux faces qui sont celles d’une même envie de musique qui s’infiltre jusque sous les sinus sous formes de collages d’enregistrements environnementaux (par exemple, le bruit d’un métro suspendu) et de jeux de guitare (qui joue par exemple Girl from Ipanema sur une corde et avec difficulté mais pour rire). Sur la durée, les deux disques font figure d’œuvres expérimentales fortes, travaillées, et aussi hypnothiques que loufoques.
Roel Meelkop : Grey Mass / Grey Matter (1000füssler)
Enregistrement : 2010.
CD1 : 01-03/ Grey Mass CD2 : 01-03/ Grey Matter
Pierre Cécile © Le son du grisli