Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Eryck Abecassis : Ilumen (Entr’acte, 2015)

eryck abecassis ilumen

Echappé de Sleaze Art, c’est en solitaire qu’Eryck Abecassis pensa Ilumen, sept compositions électroniques enregistrées en 2013 et 2014, au synthétiseur modulaire notamment.  

Sur la plus longue des plages, le morceau-titre rappellera, pour employer en plus une basse électrique, l’art de Toeplitz au son de graves qui pétaradent et de bruits bouclés et amassés. Mais c’est avant et après Ilumen, sur ses trois premiers et ses trois derniers titres – en quelque sorte, ses morceaux-satellites – que le disque révèle ses véritables ambitions analogiques.

Ceux-ci composent ainsi dans l’urgence avec des aigus instables et des basses qui oscillent, des sirènes dont la voix porte encore malgré l’insistance de quelques éléments de noise, des ronflettes en déroute et des bourdons tremblants. C’est là un chaos qui inspire un curieux retrogaming musical qui, lui, fait preuve d'un magnétisme certain.



ilumen

Eryck Abecassis : Ilumen
Entr’acte / Metamkine
Enregistrement : 2013-2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Ark 02/ (No HumXn) Cry for Help 03/ La griffe du chien 04/ Ilumen 05/ Ilu Who Men 06/ La Née 07/ Partout, Zéro, Nulle Part
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Astatine, Ogrob : Œil céleste (Doubtful Sounds, 2016)

astatine ogrob oeil céleste

Ce qui faite toute la grande qualité de cet Œil céleste (arghh, une dizaine de mots et j’ai déjà vendu la mèche !), c’est que ses deux faces ne se ressemblent pô. Mais pas pour cause de split, non… Alors pour cause de quoi ?

Œil céleste, c’est signé Astagrob & Astagrob c’est en fait Astatine (Stéphane Récrosio, qui officie dans le groupe que je ne connais pas Acétate Zéro) et Ogrob (Sébastien Borgo, de Micro-Penis & L’autopsie a révélé que la mort était due à l’autopsie). Voilà donc le « pour cause » : pour cause que c’est le foutoir et que dans ce foutoir on bute dans une clarinette basse, on se coupe à un piano à pouces, on craint total des noisy-loops quand on n’est pas en train d’essuyer une averse d’ambient expécrash (qui peut rappeler le duo Courtis/Moore).

On sort groggy (mais content) de la première face et là les types nous fichent un ou deux micros dans un jardin de banlieue que survolent des avions et qu’égaye une perruche (je crois que c’est une perruche). Voilà, c’est tout. Un coup d’avion, un coup de perruche, moi au milieu du petit carré de jardin où la terre empêche l’herbe de pousser, un autre coup de perruche, etc. Mais le ciel est bleu et j’ai l’œil céleste.

écoute le son du grisliAstatine, Ogrob
Œil céleste (extrait)

oeil céleste

Astatine, Ogrob : Œil céleste
Doubtful Sounds
Enregistrement : 2014. Edition : 2016.
EP 10’’ : A-B : 01-06/ Œil céleste
Pierre Cécile © Le son du grisli


Free Jazz Group Wiesbaden : Frictions / Frictions Now (NoBusiness, 2015)

free jazz group wiesbaden frictions now

En cinq petites années d’existence le Free Jazz Group Wiesbaden n’aura enregistré que deux vinyles (le premier tiré à 330 exemplaires, le second à 500 : comme quoi, rien n’a vraiment changé). Les influences (ne parlons pas de maîtres : les vrais libertaires refusent les maîtres) de Michael Sell, Dieter Scherf, Gerhard König et Wolfgang Schlick se nomment Don Cherry, Ornette Coleman, Milford Graves, Ayler Brothers & co.

Entre Complete Communion (surtout) et BYG Sessions (parfois), Frictions (enregistré le 12 juillet 1969) récolte le free des (presque) origines. La trame est là, qui donne à chacun tout loisir de faire exploser le cri. Et personne ne s’en prive. Frictions Now (9 juillet 1971) admet et exige l’étreinte des stridences. Solos, amalgames et superpositions s’encastrent, se chevauchent. Nous sommes en plein cœur d’un cri furieux et enragé.

Ceci pour la face A. La face B sera plus nuancée, stagnante (tout est relatif !), interrogative, apaisée (tout est relatif, bis !). Et l’on quittera à regret ce chant du cygne blessé, ici, superbement réactivé.

frictions

Free Jazz Group Wiesbaden : Frictions / Frictions Now
NoBusiness

Enregistrement : 12 juillet 1969 & 9 juillet 1971. Edition : 2015.
CD : 01/ Frictions 02/ Frictions Now Part I 03/ Frictions Now Part II
Luc Bouquet © Le son du grisli


Han Bennink : en conversation avec Garrison Fewell

han bennink interview par garrison fewell

Cette conversation est extraite de De l'esprit dans la musique créative, ouvrage dans lequel Garrison Fewell converse avec vingt-cinq musiciens improvisateurs, parmi lesquels, outre Han Bennink, on trouve Joe McPhee, Wadada Leo Smith, John Tchicai, Steve Swell, Irène Schweizer, Oliver Lake, Milford Graves, Henry Threadgill... C'est à la fin de ce mois de mars que paraîtra le livre, aux éditions Lenka lente.

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GARRISON FEWELL : Quelle est l’importance de l’esprit ou de la spiritualité dans votre musique et dans votre art ? Comment ont-ils influencé vos capacités d’artiste créatif ?

HAN BENNINK : Quand j’étais très jeune, j’ai toujours pratiqué deux disciplines, le dessin et la batterie. Mon père était batteur professionnel. Depuis mes quatorze ans, je n’ai rien connu d’autre de mieux, ou de différent. Bien sûr, j’étais alors plus intéressé par la musique de l’époque, comme le hard bop et ce genre de trucs, mais j’ai évolué pour arriver où j’en suis aujourd’hui et le résultat de tout cela c’est l’art musical. Si c’est « spirituel » ou je ne sais quoi d’autre, je n’en sais rien. Je ne peux pas répondre à ces questions car je joue de la musique. Du moins, j’espère jouer de la musique, et j’ai l’espoir que chaque soir sera un bel échange et que tout le monde fera de son mieux pour que ce le soit. Cependant, pour moi, lui donner ce nom est trop lourd. Je n’aime pas mettre un nom sur les choses. J’aime sauter d’une boîte à une autre et être, dans le bon sens du terme, « sans étiquette », pour proposer mon propre truc. C’est comme lorsque je réalise des collages : je fais avec ce que je trouve autour de moi, des objets trouvés, et mon jeu se construit de la même manière. C’est un peu de ceci, un peu de cela et on peut indéniablement l’entendre. Je n’aime pas utiliser des mots lourds de sens. J’espère que je fais de la musique, je m’entraîne comme un fou car j’ai maintenant soixante-dix ans et ma tombe est entrouverte, alors on ne peut qu’espérer le meilleur. Non, je n’utilise pas des mots comme « spiritualité ».

GF : Avez-vous des habitudes qui nourrissent votre créativité après toutes ces années ?

HB : Fumer de la marijuana. Ça m’aide énormément à me concentrer, et continuer à travailler l’instrument. Certains aiment boire, ou faire autre chose. J’aime boire un peu également mais ce n’est pas vraiment mon truc. Mais pour parvenir à bien me concentre, ça m’aide quand même beaucoup. Pour ce qui est du quotidien, je suis quelqu’un de très simple. Par exemple, quand je me lève, j’aime manger un œuf et une tomate, presque tous les jours, puis je m’entraîne sur mon instrument pendant une heure. Mais je suis tombé il y a deux ans et j’ai eu des problèmes avec mon pouce. Donc, ça peut dépendre des circonstances, car une toute petite chose peut dans ce cas devenir une énorme tâche à accomplir. Quand j’étais jeune, je me disais toujours qu’à soixante-dix ans, j’aurais du temps ; mais je n’en ai en fait plus du tout. Je prends l’avion dans quelques heures pour rentrer chez moi, j’y resterai une demi-journée puis je filerai à Londres avec l’ICP Orchestra pour quatre ou cinq jours, et c’est tout le temps comme ça. Mon autre discipline artistique est de faire de l’art mais en tournée c’est impossible car on doit être avant tout musicien. Donc : parfois je suis musicien, parfois je suis plus artiste.

GF : Je connais bien le problème : maintenir une discipline sur la route est compliqué.

HB : Absolument. Nous avons eu de la chance avec le temps en cette période de l’année à Montréal, nous n’avons eu qu’un vrai froid : il faisait -30, je n’avais jamais ressenti un tel froid de toute ma vie. Mais nous n’avons pas eu de neige sur la route. Notre tournée a été fantastique et ce genre de chose me rend heureux. C’est un peu le but de la vie, en quelque sorte. Quand tout va bien, c’est cool.

GF : J’ai écouté votre interview avec Terry Gross dans l’émission de radio Fresh Air. Vous y avez déclaré : « Les sons sont partout, c’est juste le contexte dans lequel vous les trouvez qui change. »

HB : Les sons sont partout, oui. Je les vois plus comme des formes, en fait. Nous avons bien évidemment besoin de ces sons ; le son est partout. C’est pour cela que Terry Gross a réalisé une sorte de batterie pour moi avec des choses trouvées sur son bureau, un pot à encre, une théière, des trombones. Quand vous êtes un enfant – et je suis probablement encore un grand enfant qui n’a pas véritablement grandi –, le batteur que vous êtes joue avec des pots, des poêles et des chaises, ce que je fais encore aujourd’hui. Je n’ai pas besoin d’une vraie batterie pour m’exprimer, je peux le faire avec une chaise également.

GF : Vous êtes effectivement tout à fait capable de libérer les sons qui sont emprisonnés dans des objets ordinaires, et même peu ordinaires.

HB : C’est mon but.

GF : Avez-vous déjà été totalement saisi par surprise par le son d’un objet ?

HB : D’abord, je vois l’objet. Comme hier, j’ai trouvé derrière la scène un gros bol en fer avec des bouts de bois dedans, c’était très attirant. Quand vous décidez de poser le bol sur la batterie, instantanément tout le monde se met à penser : « Quand va-t-il jeter toutes ses baguettes ? » Remarquez, peut-être que personne ne pense rien. Vous avez tous les choix possibles. Vous pouvez prendre un seul bout de bois ou bien vider le bol d’un coup. Tout est une question de moment. Vous pouvez aussi décider de ne rien faire et de reposer le bol. Vous avez toutes les possibilités, et j’aime les possibilités.

GF : C’est fantastique, j’aime votre idée du suspense et de l’improvisation. Votre jeu et votre son contiennent des éléments du jazz originel, des fanfares de la Nouvelle-Orléans au swing, du morceau à deux temps au be bop. Mais ce qui est encore plus marquant, et je le ressens quand vous jouez – hier encore, très clairement –, c’est que vous percevez le temps sans que cela provienne de votre tête. De quelle manière envisagez-vous la connexion entre le free jazz, la musique créative, l’improvisation, et la tradition du jazz et du blues en Amérique ?

HB : Avant tout, selon moi, il n’y a pas de « free jazz ». J’ai beaucoup fréquenté la Free Music Production Company à Berlin quand je jouais avec Peter Brötzmann. A cette époque, Frank Wright en était également, et répétait : « Eh, mec, qu’est-ce que t’entends par ‘‘free music’’, au juste ? Il n’y a rien de ‘‘free’’ ! Est-ce que ‘‘free’’ sous-entend que les musiciens ne sont pas payés ou alors que le public vient nous voir gratuitement ? Ca veut dire quoi ?! ». Depuis, j’ai beaucoup de mal avec le terme « free music ». Pour moi, tout cela demande beaucoup de discipline. Quand j’entends « Ça a swingué », j’ai envie de répondre : « Bah, évidemment ! ». Mes modèles ont été Kenny Clarke, Art Blakey et Philly Joe Jones, et je les admire toujours. Cependant mon autre intérêt, comme je l’ai dit, c’est la peinture. Dans ce domaine, je m’intéresse à Dada, Francis Picabia, Man Ray, à tous ces gens, qui vous donnent des idées. Vous pouvez utiliser ces idées quand vous jouez. Si une chaise tombe à un moment précis, ou si vous mettez une chaise sur la batterie, ou si je pose mon pied dessus afin d’en changer la tonalité, voilà encore des tonnes de possibilités. Le fait d’utiliser son pied, par exemple, a déjà été fait en 1937 par Baby Dodds. Il faisait ça sur un tom, debout ; moi, je le fais assis pour pouvoir utiliser mon autre pied sur la pédale. Il y a une multitude de combinaisons.



GF : Quels sont vos premiers souvenirs d’improvisation ?

HB : Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai improvisé toute ma vie car je ne sais pas lire les notes. Les notes de musique sont pour moi toutes des crottes de mouche sur une page blanche, j’ai donc toujours joué à l’oreille et avec le cœur. J’ai été très vite intéressé par Charlie Parker. J’ai commencé par le be bop bien sûr, j’étais jeune et je suivais la tendance, puis les albums ESP avec Albert Ayler sont sortis. Je me souviens de la première fois que j’ai rencontré Albert Ayler et Don Cherry. J’ai beaucoup joué par la suite avec Don. Je louais ma batterie à Sunny Murray pour trente-cinq florins car il voyageait sans son instrument. Je suis allé voir ces gens jouer live de nombreuses fois. A cette époque, je réarrangeais ma batterie : j’avais une grande grosse caisse, des blocs chinois, des timbales et un marimba. J’ai aussi joué du tabla en duo avec Nina Simone pour la télévision. Je ne suis pas un joueur extraordinaire de tabla, c’est très très très très difficile. Il faut vouer sa vie entière au tabla et jouer de la musique indienne. Comme ma culture musicale est européenne, et donc très différente, il faut savoir se familiariser. Je fais une sorte de collage, un assemblage pour mes sons en utilisant un peu de tout. Aujourd’hui je suis revenu à la batterie simple. Après avoir joué sur cette énorme batterie, j’ai réduis et, de nos jours, je suis connu pour amener une simple caisse claire avec laquelle je joue pendant tout le concert. Je peux même évoluer avec un big band entier uniquement accompagné de ma caisse claire. On dit aux Pays-Bas que « tout passe par le regard ».

GF : Votre musique parle à toutes les générations. J’ai vu des enfants fascinés par votre jeu, ce qui est plutôt réconfortant...

HB : Ca a toujours été le cas. Des gens qui ont aujourd’hui la trentaine viennent encore me voir alors qu’ils accompagnaient leurs parents à mes concerts quand ils avaient cinq ou sept ans. Je reçois encore des lettres du Japon où certains m’ont vu étant enfant, il y a des années de cela. C’est très, très gentil. Je pense qu’à soixante-dix ans – dieu merci, je ne me sens pas si vieux –, je joue pour les jeunes et les moins jeunes, les punks et les autres, j’aime jouer pour tout le monde.

GF : Avez-vous des conseils à donner aux Américains afin qu’ils montrent davantage d’intérêt pour la musique improvisée et le jazz ?

HB : Bien sûr, c’est très dommage qu’il n’y ait pas d’argent pour le jazz ici et, quand il y en a, il est destiné à Wynton Marsalis et à son club. Je trouve ça triste car depuis que les blancs sont arrivés en Amérique et ont tué tous les Indiens, la seule chose qui reste c’est le jazz. Le jazz a tellement à offrir, qu’il soit noir ou blanc, c’est une partie importante de la culture américaine et les Américains devraient être très fiers de cela. L’argent ne devrait pas être donné à ceux qui en ont déjà, comme Herbie Hancock et d’autres. Ils devraient vraiment prendre soin de ce qu’ils ont en Amérique et être fiers de ce que tous ces artistes de l’improvisation apportent à la musique. C’est la même chose aux Pays-Bas maintenant, nous avons suivi le système américain, c’est dommage. C’est même pire, en tant que musiciens européens nous devons acheter un permis de travail pour jouer en Amérique. Si vous mentez à la frontière, ils vous renvoient chez vous. Je connais beaucoup de musiciens qui ont menti à la frontière en disant qu’ils n’étaient pas là pour jouer et qui ont été renvoyés direct. Un permis coûte mille euros par an. J’en ai un pour trois ans. Si tu fais un concert à New York, tu as déjà investi trois mille euros et ensuite tu dois payer ta chambre d’hôtel, le taxi et éventuellement de quoi manger de temps en temps. Au final, tu joues pour rien ! Il y a un problème, là ! Les musiciens américains viennent en Europe très souvent, eux, car notre système est tout à fait différent. Vous voyez, les choses ne sont pas si simples.

GF : L’été, je vis en Italie et j’y joue régulièrement ; je comprends parfaitement ce que vous dites. J’espère que nous saurons nous ouvrir davantage, la musique créative et ceux qui l’écoutent auraient à y gagner. A ce propos, quel rôle la musique créative peut- elle jouer dans la société et peut-elle faire évoluer ce genre de situation ?

HB : Eh bien, il faudrait davantage de concerts et de soirées comme celle d’hier, avec la pleine lune, une standing ovation et des gens qui en redemandent. Il y a un besoin palpable de bonne musique et un intérêt pour ce genre de jeu. Nous avons déjà ressenti ce genre d’ambiance, comme quand nous avons joué avec l’ICP Orchestra. Nous ressentons cette atmosphère pratiquement à chaque fois. Il y a donc un vrai besoin, et si ce besoin existe il faut y répondre : nous avons donc besoin d’argent pour organiser des concerts. C’est logique. Ça ne sera jamais une musique populaire comme la pop, puisque « pop » veut dire populaire, à la Paul Anka ou d’autres. Mais il devrait y avoir plus d’argent pour organiser des concerts. Et s’il y a plus de concerts, il y a automatiquement plus de possibilités offertes d’aller écouter cette musique. Ça devient de plus en plus difficile. Je vous le dis, je ne peux pas me plaindre mais je crains pour les générations à venir. Le monde va si vite. Je ne sais pas utiliser l’ordinateur, j’ai besoin d’aide pour cela. Ma femme s’en occupe pour moi car je suis un analphabète, je ne peux même pas allumer ce truc correctement. Je m’enfonce dans un monde qui n’est plus le mien mais je peux encore y apporter ma contribution. On devrait faire plus attention aux musiciens qui jouent bien ici et on fait exactement le contraire. Pour moi ça va, car le 23 avril je recevrai le prix du Jazzahead-Škoda, ce qui représente une somme de 15000 euros environ.

GF : Félicitations, c’est fantastique ! Vous êtes un artiste dont la musique dépasse toutes les catégories. Bien sûr, nous venons tous de quelque part et pouvons être fiers de nos racines, mais je suis tellement heureux que vous veniez jusqu’ici pour permettre au public de vous écouter et de faire vivre au public une telle expérience... Il me reste quelques questions à propos de votre façon de jouer, comme hier en concert avec The Whammies : en une chanson, vous avez tous joué des idées courtes en répondant les uns aux autres et en usant de silences entre les dialogues. J’ai choisi cinq musiciens avec qui vous avez joué dans votre carrière, j’aimerais vous demander de les évoquer en trois mots. Ces musiciens ne sont plus parmi nous aujourd’hui, vos confessions pourraient nous permettre de les connaître davantage, d’autant que votre expérience avec eux fut très significative. Prenons d’abord Eric Dolphy...



HB : Ouais, mec. En trois mots... Mais, en fait, il n’y en a qu’un : fantastique ! Je ne peux pas décrire cette expérience, ça a été fantastique de travailler avec lui. Je ne fréquente plus trop la scène aujourd’hui mais, à l’époque, je jouais avec Hank Mobley, Johnny Griffin et Don Byas et, tout à coup, Dolphy apparaît et c’est une expérience totalement différente. Le type qui organisait les concerts pour les musiciens que je viens de citer ne voulait pas le faire pour Eric, parce que c’était un peu trop marginal. Mais comme je jouais déjà avec Misha Mengelberg, ça tombait à pic : inoubliable !

GF : Maintenant, l’un de mes musiciens préférés : Derek Bailey.

HB : Ouais aussi ! L’inventeur de la guitare ! Il a inventé un style totalement nouveau pour la guitare.

GF : Steve Lacy ?

HB : Oh, avec Steve j’ai tellement bourlingué et bien sûr donné tellement de concerts avec lui et/ou ses compositions. Quand je les rejoue encore maintenant, j’ai l’impression d’être de retour dans mon lit ! Steve ne m’a jamais imposé une façon de jouer ses compositions, je pouvais tout simplement faire ce que je voulais. Aujourd’hui, je connais bien ses morceaux et je les interprète avec un ensemble plus large. Je pense que je peux les interpréter avec beaucoup plus de maturité que quand je les jouais avec Steve. Ouais, Steve était un ami et il me manque terriblement.

GF : Marion Brown ?

HB : Oh, Marion, ouais ! Marion et moi nous sommes rencontrés pour la première fois chez moi. Je me souviens que nous avons joué sur ma péniche. Le disque que nous avons enregistré ensemble s’appelle Porto Nuovo.

GF : Et John Tchicai ?

HB : Ah, John Tchicai, c’est une autre histoire. J’aimais beaucoup John. Sur le deuxième disque d’Instant Composers Pool, c’était le choix de Misha, nous avons réalisé un enregistrement avec John. Plus tard, histoire de rendre les choses vraiment plus compliquées, voire impossibles car ils ne s’entendaient pas, il y a eu le disque avec Derek Bailey et John Tchicai (Fragments, ICP 5).

GF : J’ai cet enregistrement chez moi. Je le trouve super !

HB : Ce n’est pas l’avis de Derek ni celui de John. Je me souviens qu’ils se respectaient mais n’étaient pas amis, en tout cas pas vraiment.

GF : Et un dernier, qui est cette fois toujours parmi nous : Cecil Taylor.

HB : Oh, Cecil, Cecil, ah ! (Rires). Je dois vous raconter cette histoire, même si ça fera plus de trois mots ! A une époque, je jouais beaucoup avec Cecil, puis nous avons fait un album à deux pour Free Music Production (Spots, Circles, and Fantasy). J’étais emballé par ce disque et un type de Village Voice est venu m’interviewer. J’ai dit un truc que Cecil n’a vraiment pas apprécié, si j’en crois sa réaction d’alors : « Mec, pourquoi t’as dit ça ?! » Ce que j’ai dit au journaliste n’était rien d’autre que : « J’aime bien jouer avec Cecil et écouter toute cette merde ». J’avais utilisé le terme « shit ». Ce fut pour Cecil très duuuur à digérer. Depuis ça, je n’ai jamais rejoué avec lui.

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GF : Cecil n’a pas compris le sens dans lequel vous aviez utilisé ce mot.

HB : Effectivement. Ce fut une semaine fantastique en plus, j’ai joué et enregistré avec lui puis je suis parti jouer ailleurs. Ce n’était pas avec Otis Redding mais avec un autre type qui chantait « Sitting on the Dock of the Bay ». Il était connu en tant que chanteur soul et il m’avait engagé parce qu’il avait un groupe qu’on avait composé pour lui en Allemagne mais qui, selon lui, manquait de swing. J’ai oublié son nom mais j’ai largement préféré jouer avec lui qu’avec Cecil. Quand je joue avec Cecil, c’est un peu comme être dans une rue à sens unique. Pour faire un contrepoint je joue une marche. Par exemple, Tony Oxley ne fait jamais ça. Tony swingue, nage avec Cecil, en sortant toutes ces notes. J’aime aussi les formes qu’il crée, toutes ces petites formes. J’aime incorporer une marche ou un truc très carré afin de faire un contrepoint.

GF : Pour vous avoir entendu jouer souvent avec des musiciens différents, je peux dire que vous êtes vraiment dans l’instant présent, réagissant, répondant et nourrissant les autres musiciens avec vos contrepoints. J’ai vu beaucoup d’aspects différents de votre musique et ai réalisé que tout, chez vous, peut arriver, et à n’importe quel moment en plus. Il ne faut pas hésiter : il faut écouter son instinct et faire le grand saut sans attendre.

HB : On ressent cela tout de suite. Il faut le ressentir tout de suite. Il faut saisir le moment, il faut y aller. L’erreur n’existe pas, c’est de cette manière qu’on apprend. Misha et moi trouvions parfois intéressant de ne pas jouer l’un avec l’autre mais plutôt l’un contre l’autre.

GF : Vous pouvez donc jouer contre quelqu’un tout en jouant avec lui.

HB : Oui, bien sûr ! On joue dans un groupe, donc, si ce que jouent les autres ne vous convient pas, il faut partir dans une autre direction, interférer, et la musique change tout de suite. Les gens pensent que si je mets mon pied sur la batterie, ou que je joue par terre, c’est pour faire le show. Ce n’est pas pour le show, pas du tout ! Je change l’acoustique grâce à cela, vous comprenez ? Ça fait une grosse différence. Quand je me lève et que je joue dans le hall ou sur des chaises, je suis dans le public, je fais partie du public tout en restant en lien avec ce qu’il se passe. Et en même temps, je modifie l’acoustique.

GF : Merci beaucoup, Han, vous êtes aussi généreux en paroles qu’en musique...

HB : Je vous souhaite tout ce qu’il y a de meilleur !

Garrison Fewell : De l'esprit dans la musique créative (Lenka lente, 2016)
Traduction : Magali Nguyen-The
Photographie d'Han Bennink : Luciano Rossetti

le son du grisli

Image of A paraître : Eric Dolphy de Guillaume Belhomme


Regler : regel #5 (classical music) (Nueni, 2016)

regler regel 5

Mes oreilles ne s’étaient pas encore remises du Regel #4 (ni du #3, d’ailleurs) de Regler que je trouve dans ma boîte le Regel #5. C’est mon cerveau (que je soupçonne d’héberger ma raison) qui m’a fait attendre un peu avant de le passer. Et puis un jour (récent) je le passe.

Et là, rien. Ou presque rien = le souffle de l’enregistrement, un tripotage de micro, un remuage de tom ou de pied de cymbale… Oui, on sent bien des présences, mais elles ne font guère de bruit ! En ouvrant le digisleeve (l’une des 50 nuances de digi), je retrouve ces présences en photo : à gauche Anders Bryngelsson assis derrière sa batterie, le dos au mur et les yeux fermés, & à droite Mattin, allongé sur le sol, les yeux fermés aussi à quelques centimètres de deux micros.

Dois-je en déduire que le duo s’est enregistré pendant sa pause ? Qu’il a eu envie de savoir ce qu’il se passe dans le studio quand il n’y joue pas ? Qu’il a enfin tenu à en faire profiter tout le monde ? Quand je dis « tout le monde » je veux dire moi. Quarante minutes de fatigue consommée pour eux = quarante minutes de repos assourdissant pour moi. C’est concept, me direz-vous ; c’est vrai, mais j’ajouterai que, dans le discographie de Regler, ça se tient parfaitement !

écoute le son du grisliRegler
Regel #5 (extrait)

regel 5

Regler : Regel #5 (Classical Music)
Nueni
CD : 01/ Regel #5 (Classical Music)
Enregistrement : 26 mars 2015.
Pierre Cécile © Le son du grisli



Michel Chion, Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger : Filarium (Vand'Oeuvre, 2016)

michel chion lionel marchetti jérôme noetinger filarium

Le livret qui accompagne ce disque double – fruit d’une commande que le CCAM passa à Michel Chion, Lionel Marchetti et Jérôme Noetinger : improvisation à trois dans un premier temps, composition de six pièces dans un second – donne une idée de ce que l’on trouve dans ces enregistrements « maison » : bandes renversées, soupçons de voix et parfois râles, soupirs d’instruments concassés, déguisés ou défaits… Tout peut être trouvé beau, tout peut rentrer dans une esthétique.*

Si les compositeurs ont œuvré chacun « dans leur coin », Filarium renferme un travail commun qu’on pourra entendre sans chercher à savoir lequel des trois musiciens s'exprime au nom de l'association à tel ou tel moment donné. La raison est toujours celle des autres / La seule révolte individuelle consiste à survivre.

Au chevet d’une « nouvelle » musique concrète, Chion, Marchetti et Noetinger expérimentent donc ensemble, dans le même temps qu'ils s'expriment individuellement, dans un même décor de théâtre : de l’absurde, celui-ci, qu’aguiche ici le noise, là un soudain besoin de vérité, ailleurs une ironie fatale. Et si le théâtre en question connaît quelques longueurs, il est aussi capable de beaux moments « panique ». Tout raisonnement logique est destiné à faire accepter à un individu la volonté des autres. 

* En italiques : 4 X Topor, Petit Mémento Panique.

filarium

Michel Chion, Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger : Filarium
CCAM / Metamkine
Enregistrement : 2014-2015. Edition : 2016.
2 CD : CD1 : 01/ L’épaisseur de la nuit 02/ Les vers luisants 03/ Nostalgie du Cyclope – CD2 : : 01/ Archaeoptéryx 1 02/ Archaeoptéryx 3 03/ Archaeoptéryx 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Machinefabriek : Wendingen (Zoharum, 2016)

machinefabriek wendingen

Il est difficile de suivre l’actualité de Machinefabriek, alors autant s’attaquer à la chronique du dernier disque en date et faire comme si c’était un choix… Enfin, je veux dire, dans le cas de Wendingen, c’est quand même un choix, car le CD compile des remixes de morceaux qui datent d’entre 2005 et 2015… Ce qui devrait donner un aperçu satisfaisant du travail de Rutger Zuydervelt.

Si je ne connais pas tous les treize groupes ou musiciens remixés, je peux dire qu’ils officient dans des genres parfois différents (n’est-ce pas The Moi Non Plus, Amon Tobin, De la Mancha ou Coppice ?) à en croire les éléments d’origine encore présents dans les remixes. Maintenant, saluons les efforts de Zuydervelt.

Car qu’il repeigne les façades sonores dans une veine ambient-claustro, construct-downtempo ou psyché-dronisant (j’ai déposé hier tous ces termes, ils sont donc à moi) ou qu’il procède par couches successives qui oppressent le ou les musiciens qu’il devait retoucher, Zuydervelt impose sa patte tout en laissant affleurer le son d’origine. Autant dire que ce n’est pas donné à tout le monde, et quand en plus ça atteint des sommets comme sur une relecture de Fieldhead ou de Coppice, alors là : félicitations à la remixfabriek !

wendingen

Machinefabriek : Wendingen
Zoharum
Enregistrement : 2005-2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Mensenkinderen : Een Blauwe Maandag (Machinefabriek Remix) 02/ Wouter van Veldhoven : Schetsje (Machinefabriek Remix) 03/ Fieldhead : Songs Well (Machinefabriek Remix) 04/ Aaron Martin : Necks Of Wire (Machinefabriek Remix) 05/ Coppice : Hoist Spell (Machinefabriek's Philicorda Version) 06/ De La Mancha : Release All Night (Machinefabriek Remix) 07/ The Moi Non Plus : Where Is Everything (Machinefabriek Remix) 08/ Djivan Gasparyan : Moon Shines At Night (Machinefabriek Remix) 09/ Amon Tobin : Lost & Found (Machinefabriek Deconstruction) 10/ Gareth Hardwick : Lost in the Memory (Machinefabriek Remix) 11/ Fiium Shaarrk : Krypton Tunning (Machinefabriek Remix) 12/ Vladimir : Compare & Contrast (Machinefabriek Remix) 13/ Red Stars Over Tokyo : Guilded Houses (Machinefabriek Remix)
Pierre Cécile © Le son du grisli


Interview d'Herbert Distel

interview herbert distel le son du grisli

Dans ses œuvres sonores comme dans ses sculptures (voir notamment son célèbre Musée en Tiroirs), l’artiste Herbert Distel trahit un goût pour la miniature – plus précisément : pour l’accumulation de miniatures. Changé en procédé, cet intérêt accouche souvent d’œuvres imposantes et, sur disques, de paysages fournis : après ceux de Die Riese, La Stazione et Railnotes, c’était celui de Travelogue qui, récemment, impressionnait.

le son du grisli

hatOLOGY, un label qui vous est fidèle, a récemment publié Travelogue. Comment présenteriez-vous cette nouvelle œuvre sonore ? Travelogue, c’est à la fois la continuation et le rapprochement de mes précédents disques, Die Reise et La Stazione – c’est donc bien un « récit de voyage », Reisebericht, en Allemand.

Quel a été, en tant qu'artiste, votre premier projet musical ? C’était en 1971, un LP qui s’appelait We Have a Problem… C’était un mix des voix de l’équipage d’Apollo 13 et de la Rhapsody in Blue de Gershwin.

Quels étaient les musiciens que vous écoutiez à cette époque ? Terry Riley, La Monte Young, Steve Reich, John Cage, Maurizio Kagel, Gavin Bryars… Et puis, aussi, beaucoup, Morton Feldman.

Vos travaux sonores évoquent aussi, et avant tout, Walter Ruttmann et R. Murray Schafer : ces deux personnages sont-ils pour vous des influences ? En ce qui concerne Ruttmann, il ne m’a pas influencé d’un point de vue sonore mais son film de 1927, Berlin, die Sinfonie der Grosstadt, m’a bien sûr encouragé à utiliser quelques parties de mes pièces audiophoniques – comme autant de soundtracks ou comme des quasi-partitions pour images – et m’a motivé à réaliser mes vidéos intitulés Music Pictures, ainsi que Die angst die macht die bilder des zauberlehrlings (1993), Milano Centrale (2014) ou ROTATION (2015).Quant à Murray Schafer, je ne le connais pas bien.



Le train tient une place prépondérante dans votre démarche sonore. Avez-vous d'autres « obsessions » que celle-ci ? Ce n’est pas du tout une obsession ! Le train est une sorte d’instrument, très souvent à percussion, qui est donc en charge du rythme. C’est comme les cigales qu’on entend à un moment dans Die Reise…. Ce sont des « étant donnés ».

Vous avez composé Die Reise pour la radio, n’est-ce pas ? Oui, c’est une sorte de commande ; La Stazione aussi, qui a été jouée plusieurs fois sur France Culture (ou France Musique…)

A l’écoute de ces (maintenant) disques, on a l’impression que leurs trains roulent pour toujours, comme un train miniature. Etait-ce votre intention ? Non.

Oublions donc les trains miniature pour évoquer d’autres de ces engins que l’on peut entendre sur disques, comme ceux de Pierre Schaeffer ou, plus récemment, ceux de Chris Watson. Schaeffer est-il une influence ? Connaissez-vous les disques de Watson ? Ecoutez-vous d’ailleurs des disques de musique que l’on pourrait comparer à la vôtre ? Bien sûr, je connais un peu l’œuvre de Pierre Schaeffer, par contre je ne connais pas celui de Chris Watson. Mais ce qui m’a certainement influencé le plus est le film de Ruttmann, Berlin, die Sinfonie der Grossstadt. Pour ce qui est de la musique que j’écoute, elle ne ressemble pas vraiment à la mienne. Le côté répétitif de mon travail sonore est, si l’on peut dire, fondamental : je dois avouer que les deux concerts (Los Angeles 1971 et Paris 1972) de Terry Riley sortis sous le nom de Persian Surgery Dervishes m’ont fortement influencé…



Vous vous servez de field recordings pour composer, finalement, des œuvres sonores assez abstraites. Faites-vous un lien entre votre production d’artiste plastique et vos travaux d’artiste sonore ? Mes œuvres plastiques étaient de la sculpture, et ça remonte à mes premières années d’artiste plastique, j’étais encore très jeune. J’ai terminé ce chapitre de ma vie en 1970, avec une sculpture flottante (Projekt Canaris) : cet œuf en polyester, de trois mètres de long, qui a relié l’Afrique de l’Ouest à Trinidad. La même année, j’ai présenté Denkmal (Monument), un œuf aux dimensions identiques mais cette fois en granit, qui pesait 22 tonnes. Cette pièce se trouve au Giardino di Daniel Spoerri, en Toscane, où j’ai pu réaliser une vidéo de cette sculpture avec une bande-son à la field recording. Denkmal est le titre de la vidéo, sortie en 2012 : elle dure 27 minutes. La boucle a été bouclée.

Le Musée en tiroirs est votre œuvre emblématique : celui-ci renferme environ 500 minuscules œuvres d’artistes autres que vous. Il est fait en quelque sorte de « récupérations ». Cette démarche est-elle similaire à celle qui vous permet de créer sur disque… en empruntant ? Les 500 œuvres originales du Musée en tiroirs composent un cliché de l’aire du temps (Zeitgest) des années 1960 et 1970. Les œuvres y apparaissent comme les pierres d’une mosaïque. On peut donc en effet parler de création de l’emprunt… En 1993, est sortie la vidéo Die angst die macht die bilder des zauberlehrlings, construite de la même façon, qui montre une image qui raconte l’entier XXe siècle.

Pour l’un de vos récents projets, Rotation, vous avez collaboré avec les violonistes Maya Homburger et Charlotte Hug et le contrebassiste Barry Guy. C’est encore une fois une pièce assez répétitive, inspirée de la danse des derviches… Oui, en fait, avec Rotation se ferme le cercle inspiré par les derviches de Terry Riley. J’ai écrit cette musique en 2009 : la danseuse, Petra Otahal, tourne au rythme de la musique qu’elle entend grâce à des écouteurs tandis qu’une caméra est accrochée à sa poitrine.

Est-ce, entre autres, la musique d’Homberger, Hug et Guy que vous écoutez aujourd’hui ? Quels sont les derniers musiciens qui ont réussi à retenir votre intérêt ? Je dois avouer que la musique de la violoniste chinoise Weiping Lin m’a beaucoup impressionné sur The Violin Works de Giacinton Scelsi. J’ai d’ailleurs eu la chance de l’entendre à l’occasion d’un concert solo à Vienne.



Herbert Distel, propos (en français) recueillis entre décembre 2015 et janvier 2016.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Keith Rowe, Costa Monteiro, Belorukov, Liedwart : Contour (Mikroton, 2014) / Rowe, Belorukov, Liedwart : Tri (Intonema, 2014)

keith rowe alfredo costa monteiro kurt liedwart contour

C’est une belle couverture : les mains de Keith Rowe, un balai miniature et sa guitare à plat, instruments et ustensiles attendant la prochaine préparation, quelques pédales ; la précision du geste est artisanale, derrière laquelle l’artiste (mais non pas le musicien) s’efface.  

Auprès du guitariste, ce 29 avril 2013, c’est Alfredo Costa Monteiro à l’accordéon, Ilia Belorukov au saxophone alto et à l’électronique et Kurt Liedwart aux objets et à l’électronique lui aussi. A deux (Rowe & Costa Monteiro) puis à quatre, les musiciens lèvent timidement un lot de grisailles – on imagine les préparations d’avant le commencement « véritable », l’ébauche avant l’apparition du paysage –, déposent un larsen sur des plaques tournantes, remuent dans un même souffle. Un rythme peut même éclore, qui atteste que l’artisan ne s’interdit rien et que les musiciens en présence se sont accordés sur son savoir-faire, à deux, et puis à quatre.

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Keith Rowe, Alfredo Costa Monteiro, Ilia Belorukov, Kurt Liedwart : Contour
Mikroton / Metamkine
Enregistrement : 29 avril 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Two (R+CM) 02/ Four (R+CM+B+L)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


keith rowe tri

Sans Alfredo Costa Monteiro, les mêmes donnaient deux jours plus tôt un concert à Saint Petersbourg : avec (première plage) ou sans public (seconde). Bruitiste davantage, l’électronique se joint aux souffles pour mieux faire effet sur les lignes de guitare. Magnétique, l’improvisation marie aigus et graves dans un effleurement, mais aussi insistances (de l’alto) et discrétions (grésillements, crépitements, chuintements, toutes notes éparpillées comme autant de bruits secrets).

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Keith Rowe, Ilia Belorukov, Kurt Liedwart : Tri
Intonema / Metamkine
Enregistrement : 27 avril 2013. Edition : 2014.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 

contourLe samedi 19 mars, le trio Keith Rowe / Ilia Belorukov / Kurt Liedwart jouera à Nantes en compagnie de Julien Ottavi, dans le cadre des concerts intimes organisés par l'association APO33.


Drifting Box Celebration : Nœud-Col (BeCoq, 2015)

drifting box celebration noeud-col

Cuivres en poursuite (Frank Pilandon, Clément Gibert, David Audinet), violoncelle resquilleur (Alexandre Peronny), contrebasse et batterie en groove cisaillant (Stéphane Arbon, Sylvain Marty) : Drifting Box Celebration nous accueille avec Step Turn. Ça caquette déjà pas mal. Ça caquettera encore.

DBC, ça va très vite. Ça change de tableau sans prévenir. Ce sont des tempos sans déviation possible. Ça joue le faux déraillement. C’est très rock finalement. Ça fuit le solo comme la peste car ça pense collectif. Toujours collectif. Ça vous jette à la figure riffs, récifs, breaks et autre balles traçantes. Ça ne s’épuise jamais. Ça virevolte et ça se superpose. Ça s’encastre comme par magie. C’est de l’audace et ça n’épargnera que ceux qui l’ignoreront. Dommage pour eux.



noeud col

Drifting Box Celebration : Nœud-Col
BeCoq Records

Enregistrement : 2015. Edition : 2015.
CD : 01 /Step Turn 02/ Noeud-col 03/ Toupie 04/ Power Move 05/ Chute 06/ Rouge
Luc Bouquet © Le son du grisli



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