Per Henrik Wallin, Sven-Åke Johansson: 1974-2004 (Umlaut, 2011)
Trente années de collaboration entre Per Henrik Wallin (piano) et Sven-Åke Johanson (batterie, accordéon, trompette, voix) sont racontées dans un coffret qu’édite l’Umlaut Records de Joel Grip…
Le premier des quatre disques est l’enregistrement le plus récent : duo évoluant en 2004 en compagnie du contrebassiste Joe Williamson. De Wallin, on célébrera les flottements élégants d’un pianiste revenu de soubresauts intempestifs et la retraite en phrases répétitives évoquant ici Monk, ailleurs Komeda. De Johansson, on notera la constance échevelée et ce goût des récits ponctués d’outrages.
Dix ans plus tôt, à Berlin, Wallin et Johansson dialoguaient déjà : veine cette fois taylorienne du jeu de Wallin, arpèges aussi véloces que sont appuyés les coups que Johansson porte à sa batterie. L’expressionnisme sorti du torrent, comme ce sera le cas en 1986 à Berlin encore : indéniable complicité filtrant – le son est ici « plus lointain » – de ballades défaites ou d’instrumentaux d’un cabaret déviant.
Si les enregistrements diffèrent, les quatre disques de ce coffret important soulignent la fougue additionnée de Wallin et Johansson et confortent les souvenirs que l’on gardait du trio du premier et des interventions du second, notamment aux côtés de Schlippenbach.
Per Henrik Wallin, Sven-Åke Johansson: 1974-2004 (Umlaut / Souffle continu)
Enregistrement : 1974-2004
CD1 : 01/ En Vals 02/ Sigge Fürst – CD2 : 01/ Biograf 02/ Roxy 03/ saga 04/ Teaterbio – CD3 : 01/ The Moon Says Good Night 02/ The Moon Continued 03/ Ungmön… (die eule) – CD4 : 01/ The Eel 02/ Get Hap 03/ The Swinging Policeman 04/ Romans
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lionel Marchetti : L'idée de tournage sonore & Haut-parleur, voix et miroir (Mômeludies, 2008-2009)
Ce qui, dans un son (ou un complexe de sons) nourrit l'écoute
n'est pas tant sa matérialité inouïe
que son caractère, sa tenue en tant qu'image juste
- son souffle -
lui seul pouvant nous ouvrir à son monde, ses harmonies
afin de se faire comprendre
comme un être viendrait à notre rencontre
et avec qui il s'agirait de dialoguer
Composer avec des sons enregistrés
c'est donc déployer, lucidement
toute une stratégie façonnant des identités
tant au moment de l'enregistrement : le tournage sonore
que lors de la composition
afin de donner corps à ce qui, sans cesse et paradoxalement
restera sans corps apparent
mais prendra corps, dans la composition
animé de ces fils invisibles qui tiennent toute véritable image
et lui donnent vie.
Lionel Marchetti
Espaces, temps, image...
... quelques notions
Chapitre VIII
in L'idée du tournage sonore
Editions Mômeludies, 2008.
Les éditions Mômeludies ont fait paraître deux excellents ouvrages de Lionel Marchetti : L'idée de tournage sonore, dont ce passage est extrait, et Haut-parleur, voix et miroir.
Lionel Marchetti : Une saison (Monotype, 2011)
Il me faut bien avouer, penaud, que de Lionel Marchetti je ne connaissais jusqu’alors que le duo qu’il forme avec Jérôme Noetinger (on les retrouve, au disque, tant avec Voice Crack qu’avec Sophie Agnel), et que je n’avais écouté le musicien live qu’à une occasion – circonstance en laquelle il sculptait des larsens avec deux talkies-walkies.
La publication par la maison Monotype de ce double volume qui regroupe quatre pièces composées entre 1993 et 2000 (et précédemment éditées, sur différents labels) arrive donc à point nommé pour le néophyte ; plus encore qu’une initiation – éclairée par un texte de Michel Chion intitulé Ponts suspendus – à cette fine musique concrète, elle offre les conditions d’une véritable conversion.
Voix, sourds ébranlements, lacérations ou froissements, l’auditeur est conduit (et parfois laissé à la contemplation) non pas dans un « paysage sonore » mais dans un univers hautement musical et dramatique, hanté, cinétique, feuilleté, comme marqueté, tout simplement passionnant dans ce qu’il dévoile de cet autre versant du monde où l’existence intime se déroule. Le clin d’œil à Kenneth White, dans la dédicace de La Grande Vallée, advient alors comme une évidence géopoétique. Plus loin, c’est une vraie brèche (comme une crevasse dans Le Champ de glace du roman de Thomas Wharton) que ménage le Portrait d’un glacier, ouverte dans le temps.
Lionel Marchetti : Une saison (Monotype / Metamkine)
Enregistrement : 1993-2000. Edition : 2011.
CD1 : 01/ La Grande Vallée 02/ Portrait d’un glacier (Alpes, 2173m) - CD2 : 01/ Dans la montagne (Ki Ken Taï) 02/ L’œil retourné
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Donato Wharton : A White Rainbow Spanning The Dark (Serein, 2011)
Donato Wharton est Anglais mais a travaillé son jeu de guitare à Stuttgart, au fil de ses solos dans de nombreux groupes. Un vinyle 10 pouces nous dit où il en est aujourd'hui…
Le jeu de guitare de Wharton adore glisser, adore jouer lentement, adore le buzz de l’ampli et adore (enfin) ajouter une deuxième couche sonore à la première et une troisième à la deuxième, etc. On pense forcément à Giuseppe Ielasi, mais à un Ielasi fétichisé (chétifisé, voire !) : l’univers de Wharton est pop et si ses arpèges en font parfois trop, il se rattrape sur leurs interférences et les effets de réverbération. A ce point que c’est au final une ambient pop télescopique qui charme ou qui fatigue. Au bout de dix écoutes, on hésite encore…
EN ECOUTE >>> Ink Mountains
Donato Wharton : A White Rainbow Spanning The Dark (Serein)
Edition : 2011.
Vinyl (10'') : : 01/ A Vaste White Solitude 02/ Ink Mountains 03/ A Thousand Miles of Grass 04/ In A Mute Scape 05/ Breath Held 06/ Mind Like a Snow Cloud
Pierre Cécile © Le son du grisli
Rosa Luxembourg New Quintet : Night Asylum (Not Two, 2011)
En ne s’interdisant rien, et surtout pas le hors-jeu ou le hors-piste, Rosa Luxembourg (Heddy Boubaker, Fabien Duscombs, Françoise Guerlin, Piero Pepin, Marc Perrenoud) fait trembler quelques postes-frontières. Aucun douanier zélé ici pour empêcher ces contrebandiers des sons de diffuser et d’honorer un aléatoire grisant.
Nerveuse et biliaire, leur musique l’est assurément. Mais elle sait aussi se fondre en des ambiances cotonneuses, souterraines. Elle sait aussi être mille autres choses : mal élevée, saturée, soutenue, circulaire, tourmentée, frappée, binaire, ondoyante, insistante, enrouée, berceuse-perceuse, piaffant du Piaf… Et toujours : libre et échevelée. Bref, Rosa Luxembourg est une ruche en ébullition. Une ruche sans reine, faut-il le préciser ?
Rosa Luxembourg : Night Asylum (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ Don’t Look Down 02/ Episodes 03/ Frölich Kamerad 04/ A Matter of Tactic 05/ Order Prevails in Berlin 06/ In the Night Asylum 07/ An Amusing Misunderstanding
Luc Bouquet © Le son du grisli
Bruno Duplant, Paulo Chagas, Lee Noyes : As Birds (re:konstrukt, 2011)
Tels des architectes, les oiseaux construisent minutieusement des édifices aux infinies variations. Il en va de même pour cette musique. Les oiseaux, chanteurs infatigables, nous rapprochent des mystères du monde. Il en va de même pour ces musiciens.
Le vent des saxophones et des clarinettes, le bois de la contrebasse, les peaux des tambours se combinent dans ce disque en 18 morceaux, tous emprunts de quiétude et de limpidité, tous épris de liberté. 18 morceaux, en trio ou en duo, comme autant de propositions d’un même chant « au naturel », d’abord dominé par la chaleur et la légèreté du souffle de Paulo Chagas. Puis, au fur et à mesure de l’écoute (des écoutes), la contrebasse de Bruno Duplant et la batterie de Lee Noyes font surgir de précieux contrepoints, d’inattendus miroitements.
La musique qui nous est offerte sur As Birds oscille entre une musique de chambre traversée par des courants d’air, qui insufflent aux notes de curieuses trajectoires, et un jazz libre et tendre qui prend son temps. Ici l’attention est portée sur les timbres et les frémissements (Fallen Tips, duo tout en nuances entre Chagas et Duplant, ou encore Mumble, où les graves de la clarinette et des cordées frottées à l’archet se mêlent au crépitement des percussions).
Si vous aviez croisé la route de Malachi (disque gravé en 2009 par Duplant, Noyes et Phil Hargreaves sur le label Insubordinations), et que vous l’aviez aimé, allez à la rencontre d'As Birds. Pour ceci, laissez le vent vous porter, tendez l’oreille… les trois musiciens ne seront jamais loin. Un seul regret, peut être : le label re:konstrukt ne propose ce disque qu’en téléchargement. Mais, à la réflexion : peut on étreindre le courant, arrêter le cours du temps ?
Bruno Duplant, Paulo Chagas, Lee Noyes : As Birds (re:konstrukt)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
Téléchargement : 01/ Hiccup 02/ One Hidden Green Paper Away From The Birds 03/ Whirr 04/ Fallen Tips 05/ Hush 06/ Gali Gali I 07/ Squeak 08/ Monochromatic 09/ Mumble 10/ Romance in Open Field 11/ Plop 12/ Gali Gali II 13/ Gargle 14/ Ballad for My Father 15/ Clang 16/ If The Birds Fall Down 17/ Tinkle 18/ Shortness of Breath
Pierre Lemarchand © Le son du grisli
Radu Malfatti, Keith Rowe : Φ (Erstwhile, 2011)
La rencontre est récente : sous la protection du nombre d’or, Radu Malfatti et Keith Rowe ont enregistré trois disques : le premier d’interprétations, le second de compositions personnelles, le troisième d’improvisations. A chaque fois, la proportion est dans l’épure.
Radu Malfatti est ce tromboniste qui, au mépris de toutes règles, insiste sur monotype afin d’obtenir plusieurs épreuves. Si l’empreinte qu’il dépose sur papier est en conséquence de plus en plus ténue, elle en impose aussi de plus en plus aux longs blancs qu’elle entame, aux longs silences qu’elle interrompt. Ainsi en est-il sur cette composition de Jürg Frey, Exact Dimension Without Insistence : un silence d’endurance opposé à un grave ronflant – souvent trois fois répété ensuite – traînant derrière lui l’interjection d’une corde de guitare étouffée. Malfatti est celui qui insiste, Rowe celui qui mesure ; alors se dilatent les lignes et leurs distances. Ainsi en est-il encore sur Nariyamu, pièce du tromboniste dont les beaux espaces infestés de parasites (grésillements, micro contacts…) accueillent des souffles discrets au destin polyphonique. Plusieurs fois imprimée ou déclinée sur tons avoisinants, la note essentielle est le sujet, toujours, pressé / compressé jusqu’à l’obtention de ghost proofs éloquents.
Keith Rowe est ce guitariste qui, accoutumé aux surprises de l’hybride, compose avec une patience électrique un inattendu remarquable. S’il joue encore de drones miniatures et de larsens – sur le Solo with Accompaniment de son ami Cornelius Cardew –, lève mais en retrait des armées de râles à saturation, il offre aussi au sérieux du propos et à la minutie qu’il requiert un accessoire indispensable : la facétie vigilante. Même chose sur Pollock’82 – renvoi inévitable aux abstraits américains, tandis que Malfatti et ses déclinaisons évoqueraient davantage les Prints de Robert Morris. Pollock’82, donc : la ligne électronique envisagée en plus comme alternative aux souffles blancs propulsés en trombone : sous forme de projections multipliées, de battements infinitésimaux et presque incongrus, d’artifices segmentés aux précises expressions. Après coups, le silence encore.
Radu Malfatti et Keith Rowe improvisant : une introduction feignant la mise en place (table d’opération immaculée mais électricité faiblissant) puis l’addition fantastique d’un analgésique à cordes tendues et de feulements / vrombissements / ronflements, tous éléments de phonation d’envergure. Derrière l’horizon, à force de conciliations et de ruptures accordées, deux parallèles qui ne l’étaient donc pas se sont lentement rapproché jusqu'au moment de se fondre. Patiemment, deux langages distingués ont donné naissance à un rare idiome musical dont le symbole est Φ.
EN ECOUTE >>> Exact Dimension Without Insistence > Solo with Accompaniment > Nariyamu > Pollock’82 > Improvisation
Radu Malfatti, Keith Rowe : Φ (Erstwhile / Metamkine)
Enregistrement : novembre 2010. Edition : 2011.
CD1 : 01/ Exact Dimension Without Insistence 02/ Solo with Accompaniment – CD2 : 01/ Nariyamu 02/ Pollock’82 – CD3 : 01/ Improvisation (6:18) 02/ Improvisation (46:54)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Surman : Flashpoint (Cuneiform, 2011)
Un zeste d’Africa-Brass, un zeste de big-band bien swinguant, un zeste de free héroïque : John Surman, en ce printemps 69, multiplie les figures avec décontraction et détermination. Donne la parole aux diplomates (Kenny Wheeler, Ronnie Scott, Fritz Pauer), aux éruptifs affamés (Alan Skidmore, Mike Osborne), à ceux qui ne savant pas trop quoi en faire (Malcolm Griffiths, Erich Kleinschuster, Alan Jackson) ; charge le merveilleux Harry Miller de lier le tout. Et n’oublie pas, au passage, de signer quelques vaillants solos.
En CD et en DVD noir et blanc (avec indications et remarques du leader après chaque prise), cette répétition filmée mérite amplement le détour.
John Surman : Flashpoint : NDR Jazz Workshop – April ’69 (Cuneiform / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1969. Edition : 2011.
CD : 01/ Mayflower 02/ Once Upon a Time 03/ Puzzle 04/ Gratuliere 05/ Flashpoint - DVD : 01/ Mayflower 02/ Once Upon a Time 03/ Puzzle 04/ Gratuliere 05/ Flashpoint
Luc Bouquet © Le son du grisli
Francisco López : Fango de Euriptéridos (Agxivatein
Dans le même ordre d’idée (cette idée qui en vaut une autre d’« indus climatique »), Francisco López avait produit une cassette, Fango de Euriptéridos, que le label Agxivatein vient de rééditer sur un petit CD.
Ce ne sont-là que vingt minutes mais vingt minutes assez denses. Elles réveillent des âmes perdues et leurs bruits (respirations difficiles, battements réverbérés, mouvements fiévreux) ne promettent rien de bon du contact avec l’intrus. Or après avoir goûté la crainte de la rencontre avec ces euryptérides (de géants scorpions de mer, nous apprennent de courtes recherches), viendra la joie d’en avoir frissonné. C'est que l’espèce a disparu, enfin ! Même si, grâce à López, la menace est intacte !
Francisco López : Fango de Euriptéridos (Agxivatein / Metamkine)
Enregistrement : 1990. Réédition : 2011.
CD : 01 / Fango de Euriptéridos
Pierre Cécile © Le son du grisli
Francisco López : Untitled #244 (Sub Rosa, 2011)
Untitled #244 est une longue exploration que Francisco López a préparée à partir d’enregistrements réalisés en Argentine et au Paraguay. Un Vingt mille lieux sous les mers de cinquante cinq minutes à l’imagination folle. Ecoutez par exemple la faune que l’on y croise ; voyez les ambiances stratifiées que l’auditeur traverse...
Par endroits, ce que l’on entend fantasme une indus climatique. Un peu plus loin il y a des silences et derrière les silences une ambient magnétique, étrange et inquiétante. Untitled #244 c’est aussi une mélodie fantastique : la symphonie d’une clepsydre colossale que López s’est plu à retourner.
Francisco Lopez : Untitled #244 (Sub Rosa / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Untitled #244
Pierre Cécile © Le son du grisli