Brandon LaBelle : The Sonic Body / Lecture on Nothing (Errant Bodies, 2011)
Brandon LaBelle est un artiste à idées et, si l’on en croit les deux CD-livres qu’il édite aujourd’hui, il est aussi un artiste-commanditaire. C'est-à-dire qu’il sait déléguer après avoir eu les idées en question. Pas à la manière des peintres d’autrefois, qui déléguaient à leurs apprentis, plutôt comme un visionnaire servi par des intermédiaires pour la bonne cause conceptuelle.
The Sonic Body : Figures 1-12. Ici Brandon LaBelle est à l’enregistrement et ce qu’il enregistre sont des mouvements de danseurs. Il donne les conditions de ces enregistrements : le titre de la chanson (que l’on n’entend jamais) et de son interprète (Madonna, Joy Division, The Beach Boys, Willie Colon, Barry White…). Nous, nous entendons des respirations, des essoufflements, des gestes, des grincements de parquet, des chuintements de moquette, des froissements d’étoffes, une voix de fausset qui transperce la gorge d’un danseur. C’est une sorte donc d’interrogation sur le mouvement sans musique, le silence environnant ou sur une écoute étouffée de musiciens en sourdine. C’est vain si l’on ne considère par le projet comme démarche artistique. Donc, ce n’est pas vain. Le CD n’est plus un disque de musique mais c’est un curieux objet d’art reproductible. Très bien, M. Walter Benjamin...
L’autre CD-livre, Lecture on Nothing, est une lecture d’un texte tiré du Silence de John Cage par un malentendant, David Kurs. Quand Kurs débute sa lecture, il y a d’abord une impression de malaise : non pas à cause de son handicap ou à cause de sa lecture difficile, mais qui naît du pouvoir que l'on a de disposer de lui. Après quoi arrive la gêne de ne rien comprendre à sa prononciation – là, on commence à s’en vouloir / on dispose et on est agacé ? La lecture est hachée et le souffle est repris souvent et même si nous étions prévenus que ce voyage sonore serait pus « artistique » que « musical », l’irrépressible envie nous vient d’accompagner Kurs dans sa lecture, de lire le texte reproduit dans le livret. Après quoi encore la lecture de l’autre nous gêne et cela finit par une lecture banale, solitaire : moi et le texte de Cage et c’est tout. Savoir si c’est vain cette fois…
Je le redis, Brandon LaBelle a de saugrenues idées. Mais un paramètre est à prendre en compte : le temps nous manque à tous. Même si l’idée est là, si le concept tient la route, le « spectateur » devra savoir choisir son moment pour y adhérer jusqu’au bout. Moi, je n’ai pas encore trouvé le temps de l’écoute d’une traite de Lecture on Nothing. J’ai réussi par contre pour The Sonic Body. Est-ce que cela veut dire que la seconde œuvre est de qualité plus incontestable que la première ? Je ne crois pas. Cela ne veut rien dire, en fait.
Cela m’a fait me souvenir quand même d’un texte du peintre Henri Cueco, publié dans ses 120 paysages que je ne peindrai jamais (éditions Pérégrines / Le temps qu’il fait). J’aimerais reproduire un extrait de ce texte, sans autre autorisation que celle que m’a donnée, à distance et sans le savoir, Brandon LaBelle : « Depuis longtemps, j’ai envie de faire des dessins pour des non-voyants que je réaliserais à l’aveugle (…) Ces dessins seraient exposés pour des aveugles qui ne les verraient pas non plus. J’aurais fait ainsi une exposition radicalement conceptuelle qui mettrait à égalité celui qui dessine sans regarder et celui qui regarde sans voir. L’artiste aveuglé et l’aveugle ‘’voyant’’ seraient à égalité. »
Brandon LaBelle : The Sonic Body : Figures 1-12 / Lecture on Nothing (Errant Bodies / Les presses du réel)
Edition : 2011.
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Pat Thomas, Raymond Strid, Clayton Thomas : Wazifa (Psi, 2011)
En Suède, le 7 mars 2009, Pat Thomas (piano et quelques pincées de synthétiseur), Raymond Strid (percussions) et Clayton Thomas (contrebasse), s’engageaient à tout dévoiler de leur extravagance. Celle d’être ici et ailleurs, de choyer les contraires et de n’en faire qu’un.
Par exemple : détrousser la tension initiale au profit d’une courte mais nécessaire confrontation des timbres. Puis, retourner en une périphérie sonique et, au final, ne rien taire d’un jazz venu d’on ne sait quel trouble-mémoire (Perceptive).
Mais aussi : ne pas craindre qu’un piano caricature sa propre mélancolie tout en la striant de cluster féroces (Preceptive). Et pour conclure : tenailler un trait obsessionnel et ne jamais le lâcher. Retrouver la tension du début, ici splendidement amorcée par une sauvage contrebasse, et laisser agir les forces obscures (Perspective). Oui, un disque de belles extravagances !
Pat Thomas, Raymond Strid, Clayton Thomas : Wazifa (Psi / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Perceptive 02/ Preceptive 03/ Perspective
Luc Bouquet © Le son du grisli
Sven-Ake Johansson, Annette Krebs : Peashot (Olof Bright, 2011)
La rencontre frôle la demi-heure. Elle est celle d’Annette Krebs (guitare, électronique) et de Sven-Ake Johansson (percussions).
En trois temps qui pourraient être confondus, Peashot raconte l’entente improvisée d’un percussionniste affûté et d’une guitariste négligeant son instrument pour opposer des sons préenregistrés ou créés sur l’instant à quelques-uns des bruits du monde qu'elle accueille sur ondes radio. Ainsi, des coups défaits de mailloche ou d’agacement des balais répondent à un rire d’enfant, à une note bouclée de guitare, à quelques craquements, à un drone court.
Il faut insister sur ce « court » : Krebs n’abusant jamais du temps dont elle aurait le droit de disposer, mais revoyant sans cesse les façons d’agencer ses éléments de langage. Johansson, lui non plus plus, ne donne dans la redite : il s’agite en abstrait concentré ou en rythmicien délicat. Le seul capable de reparaître est le silence : puisque Krebs et Johansson inventent autant dans le dire que dans le laisser-faire.
Sven-Ake Johansson, Annette Krebs : Peashot (Olof Bright / Metamkine)
Enregistrement : 23 avril 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Speaking 02/ Radio 03/ Throwing
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jazz à part 2011
D’une émission radiophonique hebdomadaire – diffusée tous les vendredis par la station HDR, 99.1 sur la bande FM locale – est né l’an dernier, à Rouen, un festival de jazz. Ainsi, une émission de radio et un festival partagent désormais un même nom, Jazz à Part, et une même devise : Free Music for Free People.
En 2010, le festival a programmé le trio Jean-Luc Cappozzo / Jérôme Bourdellon / Nicolas Lelièvre, le contrebassiste Claude Tchamitchian ou encore le guitariste Raymond Boni et le batteur Makoto Sato emmenant le Mamabaray Quartet. Encourageante, l’expérience commanda une suite : la deuxième édition vient d’avoir lieu, le cœur eut lieu le week-end dernier (21 et 22 mai). Plus tôt dans la semaine, un cinéma a diffusé en guise d’appetizers les films The Connection (Jackie McLean et Freddie Redd dans les rôles principaux) et Billy Bang’s Redemption Song tandis que la Galerie du Pôle Image a laissé au duo Ecco Fatto (Emmanuel Lalande et Jean-Paul Buisson) le soin d’improviser sur cadres de pianos.
Au cœur du festival, maintenant. Samedi 21 mai, en fin d’après-midi, Daunik Lazro donna un solo au saxophone baryton à l’Aître Saint-Maclou, ancien cimetière aux colombages ornés de crânes, d’os croisés et d’utiles instruments d’enfouissement. Pour Lazro, pas de Memento Mori cependant, plutôt un rappel recueilli administré à l’auditeur averti comme au passant : « Souviens-toi que tu peux entendre ». Interprétant, le saxophoniste rend hommage à John Coltrane et Albert Ayler. Une question, alors : combien sont-ils, les musiciens capables de mêler leur voix à celle de deux figures pareilles ? Le compte-rendu ne rendra pas de comptes, ne donnera pas d’estimation numéraire et encore moins de noms, mais soulignera que Daunik Lazro est de ceux-là, et des plus justes encore. Improvisant, le saxophoniste déploie par couches successives un témoignage d’exception fait autant de graves tonnants que de souffles blancs, de notes endurantes que de vibrations porteuses, et ce jusqu’au fading derrière lequel l’auditeur comprendra que l’instant est déjà passé, qui contenait un lot d’impressions aussi intenses qu’insaisissables.
Un peu plus tard, sur les quais de Seine, deux duos d’improvisateurs ont accordé l’un après l’autre leurs humeurs vagabondes : Hélène Breschand et Sylvain Kassap, d’un côté, Akosh S. et Gildas Etevenard, de l’autre. A la harpe, à la voix et aux machines, Breschand dessinait une musique de chambre à ogives que Kassap, aux clarinettes, aux flûtes et aux machines lui aussi, envisageait dans le même temps en coloriste. La connivence mit sur pied un théâtre enchanteur : mystère aux croyances discordantes et emmêlées, au langage en conséquence halluciné. Plus terrestre, l’échange d’Akosh S. (saxophone, clarinettes, flûtes, percussions) et Gildas Etevenard (batterie et gardon – instrument à cordes hongrois encaissant aussi bien frappes que pincements) ne fut pas moins efficient. Partenaires réguliers illustrant notamment les chorégraphies de Josef Nadj, les deux hommes composèrent de subtils paysages de rocailles, tentés de se fondre en des cieux béants. Contemplatif et concentré, le duo vagabonda en plaines, décidant ici ou là de tailler un relief à la hache : comme au temps de l’Unit, les belles incartades du ténor sont la marque de son invention abrupte.
D’autres reliefs encore, dimanche 22, au même endroit – le 106, pour être précis. En après-midi, Carlos Zingaro et le batteur Nicolas Lelièvre, familiers, se retrouvaient sur scène en présence de Joëlle Léandre. Deux archets d’exception : celui de la contrebassiste, exubérant, passionné, et même apaisé par moments ; celui du violoniste, volubile, sensible, voire surfin. Toutes cordes combinées avec élégance, que Lelièvre accompagna avec aplomb, cursif et agile, à l’affût pour changer toute intention en frappe opportune. Ensuite vint le temps d’une autre batterie (celle de Makoto Sato) et d’une autre contrebasse imposante (celle d’Alan Silva, qui interviendra aussi au synthétiseur), entre lesquelles se glisseront trompette, bugle et flûtes (ceux d’Itaru Oki). Sur synthétiseur, Silva expérimente en enfant détaché de toutes conventions, dans la joie ou le tumulte, invective ; à la contrebasse, il accompagne et ordonne, profite de l’harmonie de ses partenaires – Sato caressant peaux et cadres, mesurant ses coups comme d’autres réfléchissent en traçant des points d’interrogation, et Oki inventant dans le sillage de Don Cherry des mélodies sublimées par sa profonde exécution. Généreuse est la conclusion de ces quelques jours d’une improvisation en partage. Les promesses ont largement été tenues, jusqu’au respect de cette citation d’Eric Dolphy, phrase-étendard prononcée en guise d’introduction au solo de Lazro à l’Aître Saint-Maclou : « À peine écoutez-vous de la musique que c’est déjà fini, qu’elle est déjà partie, elle est dans l’air. Pas moyen de remettre la main dessus. » D’ailleurs, la redite elle-même ne saurait être consolante : le seul recours reste l’improvisation à suivre, l’instant d’après à inventer dans les limites du possible et de l’irraisonnable. Dès l’année prochaine, Jazz à part devrait y travailler.
Guillaume Belhomme © Mouvement / Le son du grisli
AMP : s/t (El Sound, 2011)
AMP pour Akchoté / Montera / Pauvros. AMP qui donna un concert au Point du jour, un centre d’art installé à Cherbourg dans un bâtiment d’Eric Lapierre. On peut trouver ce concert d’AMP sous forme de LP (blanc ou noir) édité par El Sound, ou, de durée plus courte cependant, sous forme de CD (argent) accompagné d’un livre de photos du bâtiment, édités par Le point du jour.
Mais revenons à la musique. Le 29 août 2009, les trois guitaristes trituraient leurs médiators sur un mélange de folk et de blues improvisé. Avant que les ondes électriques ne changent tout et fassent tout vaciller. Les guitares partent en vrilles (je veux parler de vraies vrilles) et élèvent un mur de sons précontraints. Le deuxième acte de la performance, deux fois plus court (c'est-à-dire neuf minutes et demi), commence aussi calmement. Un arpège et encore un peu de folk. Mais des sifflements montent, une guitare vrombit, Akchoté, Montera et Pauvros crachent tout ce qu’il leur reste, et le reste est dense. Ils se font éruptifs et grandioses. Malgré tout, la construction de Lapierre semble avoir tenu.
AMP : s/t (El Sound / Souffle Continu)
Enregistrement : 29 août 2009. Edition : 2011.
LP : A/ B/
Pierre Cécile © Le son du grisli
Jean-François Pauvros donnera, le 31 mai en compagnie de Charles Pennequin, un concert au Générateur, Gentilly. Deux places sont offertes aux lecteurs du son du grisli : la participation à ce petit concours impliquant d’adresser ses coordonnées ici.
Swedish Azz, C. Spencer Yeh, Andy Moor, Tomasz Krakowiak, Kevin Drumm, Jérôme Noetinger...
Swedish Azz : Merry Azzmas (Not Two, 2010)
Avant que paraisse Azz Appeal, le Swedish Azz de Mats Gustafsson se contentait de deux faces réduites. Pour autant, Merry Azzmas ne se fait pas plus expéditif : distillant lentement son angoisse de passer un autre Noël sous une neige étouffante (morceau titre) ou allant de swing léger en free gaillard pour oublier celle-ci (Karl-Bertil Jonsson 11 ar). S’il vaut surtout pour sa première face, le disque est d’un contraste charmant. (gb)
C. Spencer Yeh Trio : 7’’ (Krayon, 2011)
Sobrement intitule 7’’, ce 33 tours de la taille d'un 45 consigne des extraits d’un concert donné à Cincinnati en 2008 par C. Spencer Yeh (violon), Jon Lorenz (saxophones) et Ryan Jewell (batterie). Virulent, l’archet de violon emmène sur la première face une improvisation qui aboutira à une belle cohésion bruitiste. Face suivante et obsessionnelle, c’est au tour de Lorenz de prendre le dessus et de nous donner l’envie d’aller entendre maintenant la collaboration gravée sur disque du C. Spencer Yeh Trio et du duo Paul Flaherty / Chris Corsano. (gb)
Anne-James Chaton, Andy Moor : Transfer/1 : Departures (Unsounds, 2011)
Les suites de la collaboration du poète Anne-James Chaton et d'Andy Moor, ce sont quatre vinyles édités par le label Unsounds. Sur le premier d’entre eux, il y a Dernière Minute, une liste de news lue par un Chaton à la scansion robotique sur la guitare de Moor, et D’Ouest en Est, une énumération qui mêle longitudes attitudes et heures. Pas bouleversant, le duo se rattrapera peut-être sur Princess in a Car, le deuxième titre de cette série Transfer. (pc)
Dow Jones and the Industrials : Can’t Stand the Midwest (Family Vineyard, 2011)
Avant de rééditer le reste de la minuscule discographie de Dow Jones and the Industrials, le label Family Vineyard a gravé cet ep vieux de 30 ans : Can’t Stand the Midwest. Ce sont trois morceaux sauvages à mi-chemin des Buzzcocks et de Gang of Four dont Let’s Go Steady donne un aperçu saisissant. A écouter aussi pour l’usage qui est fait de l’électronique sur Indeterminism ! (pc)
Tomasz Krakowiak : A/P (Bocian, 2011)
Tomasz Krakowiak s’était déjà montré surprenant sur La ciutat ets tu. Enregistré en 2010, A/P délivre en tournant 45 fois par minute le chant d’une cymbale et les mouvements conjoints de plateaux vacillants. De ronronnements sereins en oscillations amalgamées, le percussionniste passe d’un univers à l’autre, l’un rappelant l’art de Christian Wolfarth, un autre celui d’Ursula Bogner... (gb)
Kevin Drumm, Jérôme Noetinger, Robert Piotrowicz : Wrestling (Bocian, 2011)
Si, sur Wrestling, Kevin Drumm (synthétiseur analogique, électronique), Jérôme Noetinger (électronique) et Robert Piotrowicz (synthétiseur analogique, guitare) en viennent aux mains, notons que la confrontation date de 2005 et eut lieu sur ring Musica Genera. Non pas tant la lutte de Jacob avec l’Ange que celle de tigres de métal aux clés remontées : la mécanique est fière et bruyante, le rythme abandonné aux glorieux effets de manche et l’apaisement de conclusion permettra le réconfort. La durée du 45 tours – masterisé par Giuseppe Ielasi – convenant parfaitement à la confrontation. (gb)
Joe Rigby : For Harriet (Improvising Beings, 2011)
Découvrir aujourd’hui le soufflé agité de Joe Rigby n’est pas chose anodine. Ami et partenaire régulier de Milford Graves et Ted Daniel, ayant exercé des dizaines de métiers pour survivre et maintenant retraité, Joe Rigby appartient à la confrérie des grands convulsifs (Ware, Ayler, Gayle, Shoup…).
Le cri (For Harriet – part. 3) est là qui inonde le cercle. Tellement saillant et engagé qu’il éclipse parfois ses partenaires écossais (Calum MacCrimmon, Scott Donald, Billy Fischer). Ainsi, si saxophone sopranino et flûte s’entendent à merveille, le ténor de Rigby écrase quelque peu la cornemuse de MacCrimmon. Mais quel abatage, quelle soif de dire, quel souffle généreux et si peu dérangé, ici, par les changements rythmiques opérés par batteur et percussionniste ! Des longueurs certes mais une agréable découverte. A suivre…
Joe Rigby Quartet : For Harriet (Improvising Beings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 14 & 16 novembre 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ For Harriet Part 1 02/ For Harriet Part 2 03/ For Harriet Part 3
Luc Bouquet © Le son du grisli
Bill Gould, Jared Blum : The Talking Book (Koolarrow, 2011)
The Talking Book est un CD qui ressemble à sa couverture : un terrain accidenté, un cimetière de références, un endroit étonnant où Bill Gould (Faith No More ??? Faith No More !) et Jared Blum ont planté leur tente.
Et lorsqu’ils en sortent c’est pour jouer une musique impossible à classer : un folk patraque, une ambient lo-fi, une space music tellurique ? Ici ou là, on croit reconnaître des influences (Suicide, Loren Connors, Ash Ra Templ…) sans savoir si Gould et Blum les ont un jour écoutées… Même si à la fin le duo s’essouffle un peu et donne dans un climat facile (à grand renfort de beatbox et de voix quasi ethniques), The Talking Book est une très belle surprise.
Bill Gould, Jared Blum : The Talking Book (Koolarrow)
Edition : 2011.
CD : 01/ Talking Book 02/ Sundown 03/ I Have a Secret to Tell 04/ Maxim 05/ Open Your Eyes 07/ Frequency 08/ Notes from the Field 09/ SKS 10/ The Fallen 11/ Talking Book II
Pierre Cécile © Le son du grisli
Edgar Varèse : Kontinent (Col Legno, 2011)
Kontinent rassemble des œuvres qu’Edgar Varèse a écrites dans les années 20 et au début des années 30. Trois ensembles les interprètent : The Percussive Planet (dir. Martin Grubinger), Ensemble Modern Orchestra (dir. François-Xavier Roth) et ORF Radio-Symphonieorchester Wien (dir. Bertrand de Billy).
Sur ce CD-Kontinent, on retrouve l’essentiel des belles heures de la « production » varèsienne raconté par des exécutants d’une classe folle. Amériques d’excellente facture, les recherches sonores (la ville et ses bruits) et l’affront rythmique contrastent merveilleusement avec le Conseil des violons. Offrandes et son chant défragmenté servi par la soprano Julie Moffat. Hyperprism dramatique dans le beau sens du terme. Intégrales dont le chromatisme aveugle les musiciens et leur fait perdre la boussole.
Au début des années 30, Varèse commença à travailler à deux autres compositions rendues aussi : la messe noire d’Ecuatorial accompagnée par des ondes Martenot et Ionisation. Cette pièce pour percussionnistes exclusivement est jouée deux fois. Elle résume à elle seule les découvertes musicales que la fréquentation de tous les bruits du monde révélèrent à Varèse. C'est pourquoi ces sept plages forment bien tout un Kontinent à découvrir (si ce n’est déjà fait) mais surtout à explorer de fond en comble.
Edgar Varèse : Kontinent (Col Legno)
Edition : 2011.
CD : 01/ ionisation 02/ Offrandes 03/ Hyperprism 04/ Intégrales 05/ Ecuatorial 06/ Amériques 07/ Ionisation
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Sonic Liberation Front : Meets Sunny Murray (High Two, 2010)
Il n’y aura pas collision entre free jazz et rythmes afro-cubains. Il y aura tout autre chose qui sera surtout affaire de mouvement. Pas de savantes combinaisons ni de superpositions millimétrées mais, au contraire, une liberté de choix pour chacune des parties engagées.
Ainsi, et en deux sessions (2002 & 2008), percussionnistes (Chuck Joseph, Okomfo Adwoa Tacheampong, Shawn Hennessy, Nichola Rivera, Joey Toledo), contrebassistes (Matt Engle ou Fahir Kendall), saxophonistes (Terry Lawson, Adam Jenkins), trompettistes (Todd Margasak ou Kimbal Brown) et batteurs (Kevin Diehl, Sunny Murray) vont rayonner sur des structures ouvertes et solidaires.
Ni mixage ni métissage donc mais de hauts trajets où s’invitent irrégularité et aléatoire, convulsions et éructations. Et puis, en fin de disque, la caisse claire de ce diable de Sunny Murray n’en finissant pas de répondre aux percussions endiablées du combo, résonne en nous le troublant souvenir d’un certain Live at the Pan-African Festival.
Sonic Liberation Front : Meets Sunny Murray (High Two / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2002 & 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Init 02/ Knowledge of the Sun 03/ Meaningless Kisses 04/ Cosa de grupo 05/ Ochun libre 06/ Some Other Times 07/ Nomingo 08/ Under the Wave of Kanagawa
Luc Bouquet © Le son du grisli