Lucio Capece, Birgit Ulher : Choices (Another Timbre, 2011)
Choices dirait en haut-parleurs ce que même les intéressés n’avaient osé murmurer : Lucio Capece et Birgit Ulher sont faits pour jouer ensemble.
Formant un duo de souffles et de salives en embarcation divaguant, le saxophoniste / clarinettiste et la trompettiste – le premier embouchant parfois un mégaphone miniature et la seconde interrogeant un poste de radio et ces haut-parleurs cités plus haut – élaborent des trajectoires longues comme le pouce, donc : des trajectoires multipliées en conséquence.
Pour corser l’affaire, le bateau pop-pop quand ce n’est pas la barque qui craque. Et puis les vents s’emmêlent. Cherchant des solutions, Capece et Ulher fouillent, raclent, tournent en éperdus et finissent par tisser un fil de notes plus claires qui entrent en résonance et font contrepoids agissant. C’est donc le mouvement que le duo retient, la réaction en chaîne qu’il empêche. D’ondes premières en ondes ajoutées, Capece et Ulher – qui, l’un comme l’autre, ont connu déjà de beaux redressements en duos – s’accordent sur une autre et surtout singulière dérive.
EN ECOUTE >>> Choices
Lucio Capece, Birgit Ulher : Choices (Another Timbre / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Physical 02/ Chance 03/ Orbital
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Alessandra Rombolá, Michel Doneda : Overdeveloped Pigeons (Con-V, 2011)
L’une et l’autre avaient signé jadis un solo sur le label Sillon. Aujourd’hui (en fait 20 avril 2008), ils se penchent ensemble sur le cas d’Overdeveloped Pigeons.
Alessandra Rombolá (flûtes et objets) et Michel Doneda (saxophones soprano et sopranino, radio, objets) partis donc à la découverte d’oiseaux rares dont le souffle fait l’élan : volatiles plaintifs, expressifs voire disant, ou gibier plus commun qui, s’il ne joue pas un peu les surdéveloppés bravaches, s’en fait oublier d’autant. En guise de chants, qui se succèdent semble-t-il selon le développement artificiel de ladite espèce (de fragments de pigeons en pigeons gonflés à bloc) : respirations en partage, sifflements hauts et râles confondants, notes enquillées par la flûte et déraillements du soprano, et même quelques coups de plumes portés à des objets – lorsque ceux-ci ne sont pas plutôt traînés à terre.
C’est d’ailleurs au son des plaintes de ces choses que le duo maltraite qu’il lui arrive de gagner en originalité : pour cela – condition sine qua none ? – il aura dû perdre en assurance.
Alessandra Rombolá, Michel Doneda : Overdeveloped Pigeons (Con-V)
Enregistrement : 20 avril 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ O.V. 02/ E.R. 03/ D.E.V. 04/ P.I.G.E. 05/ O.N.S.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Miguel Frasconi, Denman Maroney : Gleam (Porter, 2010)
Nous ne les voyons pas mais nous les entendons. Ils sont deux et nous savons qu’ils frottent. Ils frottent les cordes d’un piano. Du verre aussi. Ils bercent et jamais ne fouettent. Etranges sont leurs sonorités. Ils distillent, entrechoquent, coulissent. Et toujours finement. Sans éraillures. Parfois le piano immisce une forme. Alors, l’autre rebondit et s’étire. Douce somnolence. Douce attraction.
Les responsables de cette sucrerie sonique se nomment Miguel Frasconi (glassharp, instruments en verre) et Denman Maroney (piano). Et à vrai dire, on ne s’est jamais ennuyé ici.
Miguel Frasconi, Denman Maroney : Gleam (Porter / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Gleam 02/ Glaze 03/ Glide 04/ Gliss 05/ Glass 06/ Gloss
Luc Bouquet © Le son du grisli
Valerio Tricoli, Thomas Ankersmit : Forma II (Pan-Act, 2011)
Synthétiseurs, guitares, saxophone alto, walkmans et enceintes, enregistreurs et ordinateur : ce sont-là les instruments de Valerio Tricoli et Thomas Ankersmit. A Berlin où ils sont installés, ils ont peut-être sucé et resucé la substantifique moelle d’une musique électronique éclatée, d’une improvisation réductionniste et d’une noise électrisée.
C’est ce que suggère en tout cas Forma II : ces plages où l’on trouve des grillons buzzophages grouillant en centrale électrique (Plague #7) ou des fantômes-aimants qui parlent presque comme vous et moi (Hunt). Mais Forma II, c’est aussi une ambient qui plane sur les cimes (Brent Mini) et de la drone ascendante qui fantasme une collaboration entre La Monte Young et Urban Sax (Takht-e Tâvus). C’est dire que l’écoute de Forma II est un conseil que je vous donne, parce que ce serait dommage qu’il vienne grossir les stocks déjà débordant de trésors cachés.
Valerio Tricoli, Thomas Ankersmit : Forma II (PAN-ACT / Metamkine)
Enregistrement : 2008-2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Zwerm voor Tithonus 02/ Brent Mini 03/ Hunt 04/ Plague #7 05/ Takht-e Tâvus
Pierre Cécile © Le son du grisli
Didier Lasserre, Laurent Pascal : Dans le cercle du soir (Entre deux points, 2011)
Après un solo (Sur quelques surfaces vacantes) et un duo avec Jean-Luc Guionnet (Out Suite), Didier Lasserre publie sur son Entre deux points un disque inattendu pour confronter une de ses cymbales et un harmonica.
Si, en règle générale, l’harmonica fait peur, celui de Laurent Pascal se montre rassurant : sereinement, il suit la direction qu’indique la cymbale caressée d’abord, estourbie ensuite par quelques coups de mailloches : s’en tenir à une note, l’allonger au possible, en inventer une autre au cas où la première n’y suffirait plus.
La structure rythmique suit ainsi la ligne d’un pont imaginaire à la suspension duquel Lasserre œuvre en endurant et sur lequel l’harmonica se promène en cherchant l’endroit où l’écho irait le mieux aux soupçons qui composent ses interventions. Et puis, la pluie s’en mêle, tombe sur le duo : kigo transformant par là-même l’improvisation délicate en inattendu haïku du soir.
Didier Lasserre, Laurent Pascal : Dans le cercle du soir (Entre deux points)
Enregistrement : 22 septembre 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Dans le cercle du soir
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Les mêmes Didier Lasserre et Laurent Pascal clôtureront ce vendredi 17 juin la saison de concerts organisés en appartement par Jazz@Home. Dans le cercle du soir, à Montmartre donc.
William Hooker, Thomas Chapin : Crossing Points (NoBusiness, 2011)
Crossing Points est l’enregistrement d’un concert donné en 1992 par William Hooker et Thomas Chapin à la 9th Street Gallery de New York (gérance : Jerome Cooper). De quoi remplir quatre faces de 33 tours (NoBusiness publiant néanmoins le même enregistrement sur CD) : The Subway sur les deux premières, Addiction to Sound et The Underground Dead sur les deux autres.
On sait la véhémence qui anime Hooker : efficiente en lofts d’abord mais consignée sur disques bien plus tard. On sait aussi le manque de Chapin, saxophoniste abrasif instruit par Jackie McLean. Ainsi les musiciens étaient faits pour s’entendre. Dans l’urgence, ils lancent The Subway : la frappe est détonante et pique Chapin au vif, qui, en réaction, déclame et développe hors d’haleine un expressionnisme cursif d’une rare teneur.
En tremblant encore, Hooker et Chapin sonnent l’heure d’une confrontation nette, quelques tambours martiaux ayant bien vite chassé la valse défaite qui ouvre Addiction to Sound. L’attachement du duo au free jazz des origines est patent, mais l’originalité qu’il parvient à glisser au creux de ses références étonne. Comme un retard qu’il faudrait rattraper : le retour-arrière effectué à vitesse effrénée : les trente ans de retard d’Addiction to Sound et The Underground Dead changés alors en décalage de peu, voire de rien. A tel point que Crossing Points, enregistré il a y près d’une dizaine d’années, en deviendrait une référence d’un free jazz qu’on réactualise sans cesse – plus souvent « mal » que « bien », redisons-le.
William Hooker, Thomas Chapin : Crossing Points (NoBusiness)
Enregistrement : 30 mai 1992. Edition : 2011.
LP : A01/ The Wubway (Part 1) A02/ The Subway (Part 2) B01/ Addiction to Sound B02/ The Underground Dead
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sun Stabbed : Des lumières, des ombres, des figures (Doubtful Sounds, 2011)
Les guitaristes Pierre Faure et Thierry Monnier, de Grenoble, avaient déjà signé un 45 tours sous le nom de Sun Stabbed. Le même label (Doubtful Sounds) sort aujourd’hui un autre vinyle du duo, plus grand et donc plus long : Des lumières, des ombres, des figures.
Le 45 tours était prometteur. Le 33 (et ses 34 minutes) fait bien plus que tenir les promesses. Fruits de la première séance d’enregistrement du groupe, datée de 2009, quatre morceaux donnent dans une noise à drones ambiantique (le correcteur me propose ici « amibiasique » : adjectif relatif à l’amibiase, maladie parasitaire causée par certaines amibes). Diantre, le correcteur m’amène sur une piste qui en promet elle aussi : la musique de Sun Stabbed tiendrait-elle de l’infection et du parasitaire ? Comme la taupe, la quiétude des guitares à effets fouillent au trou, mais rien d’inquiétant : les musiciens domptent le drone. Ensuite, ils s’en donnent à cœur joie et déforment leurs instruments en musiciens insoumis. Ensuite, ils les changent tout bonnement, une guitare-trompette sonne l’alarme et de nouveaux drones prennent corps : le vôtre.
La noise amibiasique de Sun Stabbed est donc diagnostiquée. Elle est à prendre avec des pincettes, c'est-à-dire à écouter au casque, pour se rendre compte qu’on n’a jamais été aussi bien que malade, infesté de parasites !
EN ECOUTE >>> La Terre avec ses bruits > La fin, on l'a devinée
Sun Stabbed : Des lumières, des ombres, des figures (Doubtful Sounds)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
LP : A01/ La Terre avec ses bruits A02/ Ce petit monde en dérive B01/ La fin, on l’a devinée B02/ Les sociétés secrètes et leurs agissements
Pierre Cécile © Le son du grisli
John Butcher, Gino Robair : Apophenia (Rastascan, 2011)
La rencontre n’atteint pas la demi-heure mais Apophenia la remplit en affamée : Saturne glouton dévorant au son de surfaces énergisées (Gino Robair les fait chanter) et de saxophones (que John Butcher peut changer en orgue de barbarie – soit : en instrument à vent rangé parmi les orgues – si lui prend l’envie d’y faire tourner quelques moteurs).
La transformation en question est à entendre deux fois, sur Knabble et Camorra : rotatives en action vomissant des notes singulières sur les surfaces glissantes de Robair et puis dérapages de figures échappées d’un bestiaire. Agiles mais impatientes, celles-ci se laissent emporter par cet implacable esprit de surface : Animus sans fond dont Robair est l'impassible gardien.
Se passant de moteurs, Butcher peine à se faire plus conventionnel sur Fainéant et Jirble : bataillant expérimental sur percussions ici, osant quelques projections avant de calquer ses interventions sur celles de son partenaire ; allant là de graves en sifflements sur des routes sinueuses que polissent les frottements du percussionniste. Tous amalgames qui séduisent sans affect et documentent sans doute davantage l’usage récent (pour avoir débuté sur Carliol) que fait John Butcher de moteurs qui le stimulent.
John Butcher, Gino Robair : Apophenia (Rastascan / Orkhêstra International)
Enregistrement : 15 octobre 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Knabble 02/ Fainéant 03/ Jirble 04/ Camorra
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Butcher et Gino Robair sont programmés ce mercredi soir aux Instants chavirés. A leurs côtés, John Edwards.
Muhal Richard Abrams : SoundDance (Pi, 2011)
Un double CD pour ne pas oublier Muhal Richard Abrams, membre fondateur de l’AACM et pianiste trop discret.
Avec le saxophoniste ténor Fred Anderson, décédé quelques mois plus tard et dont voici sans doute le dernier enregistrement, les idées fusent, le répit n’existe pas. On pourrait parler d’une course-poursuite entre ténor et piano mais ce serait bien trop réducteur. Car les deux musiciens s’écoutent et réagissent spontanément aux propositions de l’autre. Et surtout, développent sans zapping ni cassure. Et ce que l’on a souvent reproché à Fred Anderson, à savoir sa solitude de coureur de fond, s’en trouve balayé d’un revers d’anche ici. Contre-points déliés, lyrisme assumé, maîtrise des langages ; autant de moments forts contenus dans ces trente-huit minutes de troublante beauté.
Avec George Lewis, ce sont d’hirsutes petits lutins qui s’échappent de la boite à electronics. Face à ces diablotins de peu d’évidence, le pianiste – en quelque sorte, laissé seul maître à bord – convoque échos, espaces, résonnances et fantaisies. En solo, il milite pour un enfer pavé des meilleures intentions, claironnant une inquiétude impie. Et quand le trombone de Lewis retrouve de sa superbe, le voici ravi de l’aubaine : le dialogue reprend ses droits et toutes les géographies-géométries sont, à nouveau, possibles. Et on s’y engouffre avec délectation.
Muhal Richard Abrams : SoundDance (PI Recordings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009 & 2010. Edition : 2011.
CD1 : 01/ Focus, ThruTime… Time Part 1 02/ Part 2 03/ Part 3 04/ Part 4 – CD2 : 01/ SoundDance Part 1 02/ Part 2 03/ Part 3 04/ Part 4
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jean-Luc Cappozzo, Edward Perraud : Suspension (Creative Sources, 2011)
C’est très simple : il y a deux fortes présences qui disent et qui discourent. L’un craint le silence, l’autre est maître des espaces, mais l’un et l’autre ont l’intelligence des écoutes.
Ils sécurisent d’abord le terrain, débusquent les sons, ripostent et s’amusent. L’objet n’est encore que gadget, le souffle creuse et varie l’effet. C’était la première improvisation avec ses presque hauts et ses presque bas. Et ils ne rejetteront pas la prise pour le CD puisque ce sont d’honnêtes hommes.
Et maintenant, tous deux libérés, puisent le naturel et s’en font un ami intime et fidèle. Plus rien n’est anecdotique, tout n’est que suave vibration : les tambours font ripaille, la trompette caquette et babille, les percées sont claires. Ils prennent le temps de développer, d’intercepter l’autre sans jamais le rendre orphelin. Et aussi de s’amuser puisque, visiblement, c’est dans leur nature.
C’était Jean-Luc Cappozzo (trompette, bugle) et Edward Perraud (batterie, percussions, objets) enregistrés sans fard un soir d’avril 2009 dans la coquette chapelle Sainte-Anne de Tours. Et c’est admirable, me semble-t-il.
Jean-Luc Cappozzo, Edward Perraud : Suspension (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Suspension
Luc Bouquet © Le son du grisli