Deep Tones for Peace : Sonic Brotherhood (Kadima, 2011)
Deuxième livraison de Deep Tones for Peace, rassemblement de contrebassistes et compositeurs œuvrant pour la paix au Moyen-Orient.
Débutée par Menada, œuvre de la compositrice bulgare Julia Tsenova, interprétée ici par sa compatriote Irina-Kalina Goudeva, et terminée par le si large archet de Barre Phillips, Sonic Brotherhood propulse quelques dignes éclats. Ainsi, en trois reprises, les cinq contrebassistes réunis ressusciteront quelques glissendis à l’essence toute ligetienne ; le duo Mark Dresser – JC Jones sera vif et concis ; Bert Turetzky et Barre Phillips, au plus près du son, animeront quelques hautes plaintes ; Irina-Kalina Goudeva et Bert Turetzky étireront leur archet jusqu’à la rupture ; Barre Phillips et JC Jones, fraternels et unis, seront âpres roulis et doux ressacs. Quant à Mark Dresser, en solitaire, il sera puissance, rondeur et virtuosité. Presque aussi indispensable que le premier Deep Tones for Peace.
Deep Tones for Peace : Sonic Brotherhood (Kadima Collective / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/Menada 02/ Dresser-Jones 03/ DFTP I 04/ Turetzky-Phillips 05/ DTFP II 06/ Goudeva-Turetzky 07/ Phillips-Jones 08/ Dresser 09/ DTFP III 10/ Phillips
Luc Bouquet © Le son du grisli
Daniel Studer : Reibungen (Unit, 2011)
Après avoir poursuivi ses aventures avec Peter K Frey, le contrebassiste Daniel Studer se retrouvait seul. En studio, je précise, pour enregistrer Reibungen, un disque aux onze éclats de contrebasse et de voix (plus une brève incursion d’électronique, mais assez peu originale).
C’est donc surtout par son art du maniement d'archet que Studer épatele plus. Sur un canevas ivoire, il trace des lignes mélodiques qui convergent en mille points sensibles, il frappe les cordes et fait craquer les bois en dessinant des figures géométriques. Certes son jeu de pizzicati est moins transportant, mais Studer parvient quand même à se raconter par ce biais. On entend son apprentissage et ses références, ses convictions et ses envies. Avec sa persévérance, nul doute que le contrebassiste parviendra à toutes les satisfaire.
Daniel Studer : Reibungen (Unit)
Edition : 2011.
CD : 01/ Knotenspiel 02/ Schleifriss 03/ Zupfeinschlag 04/ Knotengeflecht 05/ Teilungsfluss (Teil 1) 06/ Teilungsfluss (Teil 2) 07/ Teilungsfluss (Teil 3) 08/ Tastball 09/ Zeitzug 10/ Borstenflug 11/ Ramificazioni
Héctor Cabrero @ Le son du grisli
Joe Morris, Ivo Perelman, Louie Belogenis, Agustí Fernández, Taylor Ho Bynum, Sara Schoebeck...
Ivo Perelman Quartet : The Hour of the Star (Leo, 2011)
La critique virera peut-être à l’obsession : redire la flamme d'Ivo Perelman, l’indéniable talent de Joe Morris à la contrebasse et conseiller encore à Matthew Shipp d’arrêter de trop en faire. The Hour of the Star est un disque à l’écoute duquel on regrette que le piano ait été un jour inventé. Heureusement, sur deux improvisations, l’instrument est hors-jeu, pas invité, la démonstration n’est plus de mise, et The Hour of the Star y gagne.
Flow Trio : Set Theory, Live at Stone (Ayler, 2011)
Enregistré au printemps 2009, ce Flow Trio expose Morris, à la contrebasse, aux côtés de Louie Belogenis (saxophones ténor et soprano) et Charles Downs (batterie). La ligne rutilante bien qu’écorchée de Belogenis cherche sans cesse son équilibre sur l’accompagnement flottant qu’élaborent Morris et Downs en tourmentés factices. L’ensemble est éclatant.
Joe Morris' Wildlife : Traits (Riti, 2011)
En quartette – dont il tient la contrebasse – Morris enregistrait l’année dernière Traits. Six pièces sur lesquelles il sert en compagnie de Petr Cancura (saxophone ténor), Jim Hobbs (saxophone alto) et Luther Gray (batterie) un jazz qui hésite (encore aujourd’hui) entre hard bop et free. L’exercice est entendu mais de bonne facture, et permet surtout à Cancura de faire état d’une identité sonore en pleine expansion.
Agustí Fernández, Joe Morris : Ambrosia (Riti, 2011)
L’année dernière aussi, mais à la guitare classique, Morris improvisait aux côtés du pianiste Agustí Fernández. Plus souple que d’ordinaire, le jeu de Fernández dessine des paysages capables d’inspirer Morris : les arpèges répondant aux râles d’un piano souvent interrogé de l’intérieur. Et puis, sur le troisième Ambrosia, le duo élabore un fascinant jeu de miroirs lui permettant d’inverser les rôles, de graves en aigus.
Taylor Ho Bynum, Joe Morris, Sara Schoenbeck : Next (Porter, 2011)
En autre trio qu’il compose avec Taylor Ho Bynum (cornet, trompette, bugle) et Sara Schoenbeck (basson), Morris improvisait ce Next daté de novembre 2009. Les vents entament là une danse destinée à attirer à eux la guitare acoustique : arrivés à leur fin, ils la convainquent d’agir en tapissant et avec précaution. L’accord tient jusqu’à ce que le guitariste soit pris de tremblements : l’instrument changé en machines à bruits clôt la rencontre dans la différence.
Thomas Méry : Les couleurs, les ombres (Own, 2011)
Toucher à l’univers de Thomas Méry, évoquer le souvenir d’un showcase au défunt magasin bruxellois Le Bonheur, passer une heure à s’entretenir avec le jeune homme dans le salon de Maxime Lë Hung (du trio belge surréaliste Hoquets et du label Matamore), telles sont les vivaces images qui passent dans la tête à la réception de son nouvel album Les Couleurs, Les Ombres.
Tout en accédant aux mêmes armes que le précédent A Ship, Like A Ghost, Like A Cell, où la guitare acoustique impliquait une aridité parfois compliquée dans son appréhension, le songwriter parisien enrichit sa palette instrumentale – pour un résultat d’une honnêteté absolue qui n’exclut ni la poésie amère ni l’envie déboussolée. Convoquées à l’appel de ce grand disque de folk (principalement) en français, la clarinette et la batterie apportent un supplément d’âme aux textes désabusés de notre homme – qui a toutefois le chic de tomber dans la sinistrose totale, à l’instar du grand Thee, Stranded Horse, compagnon de haute lutte d’un artiste ne souffrant nullement la comparaison avec la légende Gérard Manset. Oui, lui.
Thomas Méry : Les Couleurs, Les Ombres (Own Records)
Edition : 2011.
CD : 01/ Du Sirop 02/ Ou De La Pluie 03/ Aux Fenêtres Immenses 04/ De L’Amour, De La Colère 05/ Ca 06/ En Silence
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Elliott Smith : Either/Or (Kill Rock Stars, 1997)
Rédiger quelques phrases à propos d'un de ses disques préférés semble à première vue être une tâche facile. Le fait est que ce ne l'est vraiment pas, en tout cas pas pour moi, car il s'agit de trouver l'album qui résume parfaitement l'amour qu'on porte à la musique. Ceci-dit il faut bien faire un choix et au bout du compte je suis sûr de mon choix car cet album me fascine encore aujourd'hui.
Je me souviens de cette découverte comme si c'était hier. J'étais allé au cinéma voir le film de Gus Van Sant Good Will Hunting et c'est là que j'ai entendu pour la toute première fois Elliott Smith. Either/Or est sorti en 1997 sur le label Kill Rock Stars. Le titre de ce troisième album vient du livre de Søren Kierkegaard qui exploite les thèmes de l'angoisse, du désespoir, de la mort ou encore de Dieu. Un disque d'une beauté absolue.
Elliott Smith : Either/Or (Kill Rock Stars)
Edition : 1997.
CD : 01/ Speed Trials 02/ Alameda 03/ Ballad of Big Nothing 04/ Between the Bars 05/ Pictures of Me 06/ No Name No5 07/ Rose Parade 08/ Punch and Judy 09/ Angeles 10/ Cupids Trick 11/ 2:45 AM 12/ Say Yes
Valentin Sanchez © Le son du grisliValentin Sanchez est l'un des responsables du label Own Records. A l’occasion de ses 10 ans, le label fait paraître un portfolio : One Decade of Introspection.
Adam Linson : Figures and Grounds (Psi, 2011)
Le dessin de couverture, signé Caroline Forbes et Evan Parker, dit assez bien ce qu’on peut trouver sur Figures and Grounds, disque du Systems Quartet d’Adam Linson (contrebasse, électronique). De celui-ci, on savait l’implication : avec laquelle il instillait hier un peu d’électronique au discours de John Butcher ou tentait avec plus de peine de persuader de l’originalité de son vocabulaire sur Cut and Continuum (que Psi publia en 2006).
Si jamais Adam Linson avait besoin de partenaires d’exception pour pouvoir éblouir, alors on ne peut que saluer l’élaboration de ce Systems Quartet : Axel Dörner (trompette, électronique), Rudi Mahall (clarinette basse) et Paul Lytton (batterie, percussions) y jouent en effet les partenaires sus définis. De leurs voix singulières, Linson s’empare donc, travaillant ses effets et maniant le décalage avec inspiration.
Le parti pris est ardent sur Swamp Delta to the Sky : les ruades nombreuses donnant naissances à des morceaux de grand fracas à l’intérieur desquels l’électronique, à force d’agacements, stimule l’acoustique. Mais c’est en agitateur plus réservé que Linson créé avec le plus d’éclat, ce que City Dissolved in Light et Invisible Mornings prouvent. Là, Dörner, Mahall et Lytton, distribuent impulsions et notes claires, tous éléments mis au service d’une abstraction féconde. Ses trajectoires induites sont multiples et permettent même à l’acoustique de reprendre le dessus : Lytton multiplies les charges sèches, Dörner et Mahall emboîtent souffles et notes-réflexes. En toute discrétion, Linson peut conclure à l’archet, la confrontation électroacoustique ayant porté ses fruits, ses figures.
Adam Linson : Figures and Grounds (Psi / Orkhêstra International)
Enregistrement : 14 janvier 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ Swamp Delta to the Sky 02/ City Dissolved in Light 03/ Invisible Mornings
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Fages, Hayward, Veliotis : Tables and Stairs (Organized Music from Thessaloniki, 2011)
Inviter trois personnalités telles que Ferran Fages (ici aux ondes sinusoïdales), Robin Hayward (tuba) et Nikos Veliotis (violoncelle), d’agir en concours de discrétions, tel était l’enjeu de Tables and Stairs – titre évoquant peut-être l’appartement athénien dans lequel ce concert a été enregistré.
Sur une note longue, le tuba l’emporte d’abord mais oscille bientôt, amoindri par de premières ondes filigranes. L’archet ajouté, le premier moment du discours musical choisit de tout tirer non vers le bas mais vers le grave. Le reflet, ensuite : à la même place mais sur plan inversé, les instruments accrochent haut leurs notes, dans des gestes amples, jusqu’à ce que perce un silence.
A Fages, alors, de siffler l’instant de la reprise. Tables and Stairs jouera de soupçons et de redites pour prouver que les sons n’existent pas qu’à fort volume, qu’ils peuvent même se faire entendre davantage tandis qu'ils s'effacent : une histoire de souvenir et de silence à suivre que Fages, Hayward et Veliotis servent, ainsi donc ensemble aussi bien que séparément, avec un à-propos superbe.
Ferran Fages, Robin Hayward, Nikos Veliotis : Tables and Stairs (Organized Music from Thessaloniki)
Enregistrement : 27 juin 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Tables and Stairs
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Morton Feldman : Triadic Memories (Sub Rosa, 2011)
Jean-Luc Fafchamps avait déjà enregistré Triadic Memories. C’était en 1990 et c’était déjà pour Sub Rosa. Cela l’empêchait-il d’y revenir ? Non bien sûr, surtout qu’il sert ici une partition corrigée, que l’on dit aujourd’hui plus fidèle. Et que cette nouvelle interprétation (2009) de l’œuvre de Feldman est ravissante.
La finesse du pianiste va comme un gant à ces structures érodées par la répétition, le balancement et aménagées en micro-cosmos. La réverbération arrondit encore les angles, tant et si bien que les figures sonores perdent l’équilibre. Elles entament une danse de désespoir. La chorégraphie s’invente dans l’instant et sa lassitude est synonyme de temps qui passe. Voilà pourquoi Fafchamps a bien fait de revenir à Triadic Memories dont Sub Rosa a soigné la mise en page.
Morton Feldman : Triadic Memories (Sub Rosa / Orkhêstra International)
CD : 01. Triadic Memories
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Duncan, Goldsby, Tiemann : The Innkeeper’s Gun (Bass Lion, 2010)
On aura le plus grand mal à raccrocher quelque lien ligettien ici (Ligeti Split). De même, on s’avouera impuissant à commenter une improbable version du Paparazzi de Lady Gaga. Et on s’inquiéterait presque de ce très très grand écart.
On dira donc du trio de Jason Duncan (saxophone alto), John Goldsby (contrebasse) et Jason Tiemann (batterie) qu’il organise un jazz vif à défaut de vibrant. L’incisif vibrato du saxophoniste, le liant indiscutable du contrebassiste, les arythmies sanguines du batteur ne sont pas à sous-estimer et l’auditeur pourra y prendre quelque (réel) plaisir. Mais pour le grand frisson…
Jacob Duncan, John Goldsby, Jason Tiemann : The Innkeeper’s Gun (Bass Lion)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Jim Henson 02/ Ligeti Split 03/ Paparazzi 04/ More Than Something 05/ The Innkeeper’s Gun 06/ Never Come Back To Me 07/ Neda 08/ Juan in the Basement
Luc Bouquet © Le son du grisli
DM&P : Insular Dwarfism (Audio Tong, 2011)
Paweł Dziadur explique dans un texte de quoi retourne ce « wave-attack improvisation software » qu’il a développé et dont il se servait récemment – ainsi que de synthétiseur, laptop, etc. – en friche industrielle en compagnie de deux saxophonistes : Slawomir Maler et Philip Palmer.
Le trio a pour nom DM&P et défend sur Insular Dwarfism une musique improvisée faite d’antagonismes porteurs. Les courts échanges contenus-là font état d’une coalition (celle, bien sûr, de deux ténors et d’un alto, aguerris sûrement par l’écoute de classiques du free jazz) en proie aux assauts électroniques divers et même originaux de Dziadur. La réverbération naturelle de l’ancienne usine dans laquelle ils prennent positions aidant, les trois musiciens parviennent à faire de leur joute forcée un recueil de pièces électroacoustiques affolées, et souvent saisissantes.
DM&P : Insular Dwarfism (Audio Tong)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Sea Serpent Fiesta 02/ Trepanning for Dummies 03/ Glass of Water 04/ The Worm and A Dip Pen 05/ Medicine Man 06/ Power of Fool Bitch System 07/ Reason In Question 08/ Uv Mother DP 09/ Wok Wet to Sing
Guillaume Belhomme © Le son du grisli