Vinny Golia, Mark Dresser : Live at Lotus (Kadima Collective, 2011)
Voilà plus d’une dizaine d’années, le 20 janvier 2001 précisément, une clarinette s’emportait et une contrebasse n’était pas loin d’en faire autant. Cela se passait au Lotus new-yorkais et Vinny Golia diagnostiquait à sa clarinette une fringale anormale tandis que Mark Dresser tendait à son partenaire d’explosifs filets.
Intrépides et soudés, généreux et abondants, prêts à chevaucher des improvisations sans balises – Can There Be Two excepté –, ils se régalaient à accorder anche et archet sur une même fréquence. L’unisson s’était trouvé mais refusait de s’attarder. Très vite, ils repartaient à l’aventure. A nouveau, ils se réunissaient puis s’éloignaient. Quand clarinette basse et contrebasse trouvaient une même et juste distance, la réussite était totale (Excursion) mais bien plus aléatoire était leur chant quand ils s’entêtaient à parfaire un contrepoint incongru (Can There Be Two). Tout ceci pour le premier set. Le second est attendu avec impatience.
Vinny Golia, Mark Dresser : Live at Lotus (Kadima Collective / Instant Jazz)
Enregistrement : 2001. Edition : 2011.
CD : 01/ Locution 02/ Excursions 03/ Can There Be Two 04/ Directions to El Paso
Luc Bouquet © Le son du grisli
Scott Smallwood, Sawako, Seth Cluett, Ben Owen, Civyiu Kkliu : Phonoraphy Meeting 070823 (Winds Measure, 2011)
Je ne pensais pas pouvoir trouver de sens à une compilation de field recordings – présentés à New York au Phonography Meeting en 2007. Un disque de la sorte, c'est-à-dire d’eau, de vents, d’oiseaux, d’engins, tous attrapés au vol par les micros de Scott Smallwood (ou) Sawako (ou) Seth Cluett (ou) Ben Owen (ou) Civyiu Kkliu.
Et pourtant, je me suis laissé avoir en écoutant ces bruits de tous les jours (de nouveaux bruits de tous les jours, qui ne sont pas les miens, ni ceux de mes voisins ou des passants que je croise). Qui a entamé cette conversation alors ? Où courent ces enfants ? Où vont ces cloches ? Pourquoi le micro crépite-t-il ? Qui a éteint la lumière ? Et la grande question : à qui tous ces bruits appartiennent-ils ? A ceux qui les ont captés ? Ou à moi qui suis peut-être le dernier à les avoir entendus ?
EN ECOUTE >>> Phonography Meeting
Scott Smallwood, Sawako, Seth Cluett, Ben Owen, Civyiu Kkliu : Phonoraphy Meeting 070823 (Winds Measure)
Enregistrement : 23 août 2007. Edition : 2011.
CD : Phonography Meeting 070823
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Chris Abrahams, Lucio Capece : None of Them Would Remember It That Way (Mikroton, 2012)
Le synthétiseur DX7 a permis à Chris Abrahams d’entreprendre, entre 2003 et 2005, d’abstraites Germ Studies en compagnie de Clare Cooper. Plus récemment, il envisageait l’instrument avec Lucio Capece (saxophone soprano, clarinette basse, préparations et sruti box).
D’une autre manière, disent ces trois improvisations datées de 2008. Dans la longueur, d’abord, et ensuite dans l’opposition : de souffles indécis et d’élucubrations chantantes, de motifs courts taillés en rubans et de drones parallèles à ceux-là, de reliefs et de plateaux choisis comme aires de jeux, de graves et d’aigus souvent, enfin, de vindictes créatives et d’apaisements réconciliateurs.
Ce qui rapproche None of Them Would Remember It That Way de Germ Studies, ce sont les trouvailles qu’y font Abrahams et Capece : la pièce Southern Patterns en regorge et s’en nourrit, qui démontre en plus d’une forte cohérence dans son exposition d’expressions fantasques. La tête vous tourne alors ; vous tentez de vous remémorer None of Them Would Remember It That Way. Son souvenir est confus encore, mais curieusement agréable.
Chris Abrahams, Lucio Capece : None of Them Would Remember It That Way (Mikroton)
Enregistrement : 2008-2009. Edition : 2012.
CD : 01/ Ring Road 02/ Southern Patterns 03/ All the Oceans Between
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lucio Capece : Zero Plus Zero (Potlatch, 2012)
Si le premier coup d'œil au dos de la pochette de ce disque laisse craindre la dispersion (et tout particulièrement à la lecture de l'instrumentarium convoqué : « sruti box, soprano saxophone with preparations, ring modulator, double plugged equalizer, bass clarinet, sine waves, cardboard tubes », etc.), l'audition intégrale de l'enregistrement écarte cet écueil supposé ; mieux, elle convainc que, dans la conduite du projet solo de Lucio Capece – on a déjà apprécié le musicien aux côtés de Radu Malfatti, Sergio Merce, Lee Patterson ou dans le quartet SLW – cet attirail ne sert qu'à la continuation, par tous les moyens, d'une recherche originale.
Ainsi passe-t-on d'une pièce à l'autre sans perdre la cohérence du cheminement esthétique, atteignant des plateaux (de matières, de fréquences) successifs qui dessinent, au fil du disque, une progression assez fascinante : subtilement, Capece ménage des accès à ces états modifiés de concentration qui permettent de percevoir le son dans le son – et, pressent-on, peut-être aussi dans une sorte d'au-delà du son. Ondes à empreinte, jeux d'harmoniques longs jusqu'à l'hallucination, puissants drones à halo : un impressionnant travail !
Lucio Capece : Zero Plus Zero (Potlatch / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009-2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Some Move Upward Uncertainly 02/ Zero Plus Zero 03/ Inside the Outside I 04/ Inside the Outside II 05/ Spectrum of One 06/ Inside the Outside III
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Matthias Ziegler : La Rusna (Leo, 2012)
Chez Matthias Ziegler, les flûtes sont très graves et même la flûte alto résonne d’un souffle sombre. Et si parfois elles s’animent de nervosité, elles ne font que prolonger la réverbération caverneuse qui ouvre ce disque (La Rusna I). Entre chant grégorien, vents solaires et glissendis ligetiens, le risque de chuter en excès new-age est grand et ne sera pas toujours évité. Tout comme cet ennui qui s’incruste, à force d’effets et d’inactions tenaces.
Mais quand la machinerie se soulève et que le salivaire reprend ses droits, quand la flûte devient gutturale ou saturante, ce solo passionne, séduit. Et ce sont, précisément, ces moments (ContraBasics, Ave Kingma) que l’on a envie de retenir et d’écouter de nouveau.
Matthias Ziegler : La Rusna. Music for Flutes (Leo Records / Orkhêstra International)
Edition : 2012.
CD : 01/ La Rusna I 02/ Stop n Go 03/ Never Old or Even 04/ ContraBasics 05/ Ave Kingma 06/ One Note 07/ La Rusna II
Luc Bouquet © Le son du grisli
Scott Fields : Moersbow/OZZO (Clean Feed, 2011)
A Cologne, Scott Fields dirige un ensemble de vingt-quatre musiciens (dont font partie Frank Gratkowski, Carl Ludwig Hübsch, Thomas Lehn, Matthias Schubert) et argumente sa conduction d’une fluidité exemplaire.
Ici, continuité et exploration d’une texture contenue (Moersbow en hommage à Merzbow) ; ailleurs, séparation des cuivres et des cordes avant réunion ténébreuse des deux entités ; plus loin, percées solitaires et retrouvailles en forme d’unissons salvateurs. Et dans tous les cas de figures, une justesse de ton et de forme ne s’encombrant d’aucune démonstration de force ou de virtuosité inutile.
Scott Fields & Multiple Joyce Orchestra : Moersbow/Ozzo (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD: 01/ Moersbow 02/ Ozzo 1 03/ Ozzo 2 04/ Ozzo 3 05/ Ozzo 4
Luc Bouquet © Le son du grisli
Joe McPhee : Topology (Hat Hut, 1981)
Ce texte est extrait du livre Free Fight. This Is Our (New) Thing de Guillaume Belhomme & Philippe Robert, publié par Camion Blanc.
Pour avoir voulu connaître à quoi ressemblait son premier souvenir de musique, j’obtins de Joe McPhee ceci : « C’est une expérience assez traumatisante, que j’ai vécue à l’âge de 3 ans. En Floride, pendant un orage, notre maison a été frappée par la foudre et réduite en cendres. Le lendemain, je suis retourné à son emplacement en compagnie de mon grand-père… Je me rappelle alors une chanson qui passait à la radio, dont les paroles étaient: « Daddy I Want a Diamond Ring ». Je me souviens aussi de la mélodie. »
L’électricité dans l’air et l’environnement-nébuleuse : au jazz qu’il découvrit au contact de Clifford Thornton – sur la boîte de carton de Topology, McPhee précise pour expliquer une reprise de « Pithecanthropus Erectus » que l’écoute de Charles Mingus lui révéla de quoi retournait le jazz moderne –, voici ce que Joe McPhee imposa souvent. Le raccourci veut ce qu’un raccourci peut valoir ; il conseille, en tout cas, de revenir à ce disque que le multi-instrumentiste (trompette d’abord, saxophone ténor ensuite, mille autres choses alors) enregistra avec John Snyder au synthétiseur au milieu des années 1970 : Pieces of Light, publié par le peintre Craig Johnson sur CjRecords – réédité sur CD par Atavistic.
Après Johnson, ce sera Werner Uehlinger qui assurera Joe McPhee de son soutien : « Après être tombé sur les premières productions de CjR, Werner Uehlinger a profité d’un voyage d’affaires aux Etats-Unis pour venir nous rencontrer, Craig Johnson et moi, au domicile de Craig. Nous avons dîné ensemble et nous lui avons fait écouter quelques cassettes que nous pensions alors sortir sur CjR. Il a aimé cette musique et a décidé de publier lui-même une de ces cassettes. C’était une idée lancée comme ça, sans même qu’il envisage la création d’un label. Mais finalement, c’est à partir de là qu’est né Hat Hut Records. »
Après avoir publié un concert daté de 1970, Black Magic Man, Uehlinger prescrit à McPhee quelques séjours en Europe pour le bien de son catalogue : l’Américain y donne des concerts à Willisau et Bâle (The Willisau Concert, Rotation), y enregistre en 1976 un solo de taille (Tenor) et puis rencontre André Jaume et Raymond Boni, avec lesquels il enregistrera souvent : en duos, trios, et plus large ensemble, comme c’est le cas ici – « Topology », morceau-titre qui occupe deux des quatre faces du double LP, est d’ailleurs signé du trio. Dans cette version originelle du Joe McPhee Po Music, assemblée les 24 et 25 mars 1981, on trouvera aussi : Daniel Bourquin (saxophones alto et baryton), Pierre Favre (percussions), Radu Malfatti (trombone, micro-electronics, percussions), François Méchali (contrebasse), Michael Overhage (violoncelle), Irène Schweizer (piano) et Tamia (voix).
L’électricité dans l’air et l’environnement-nébuleuse, Boni s’en charge d’abord sur « Age » : à force de courtes phrases, Schweizer réveille, elle, un volcan sur les flancs duquel rouleront des sonorités rares. De plaintes délirantes en hymne déboussolé (celui de « Blues for New Chicago »), le groupe va et investit bientôt le champ de la reprise : ce sera « Pithecanthropus Erectus ». L’absence de contrebasse et la voix de Jackie McLean manquent, à la première écoute, mais ceci n’est qu’une question d’habitudes, que le collectif s’occupe de mettre à mal : le baryton de Bourquin et le ténor de McPhee en verve, le trombone de Malfatti en inquiétudes, l’unisson d’envergure auquel se plient tous les souffleurs enfin, auront fait vriller l’erectus sus-cité. Un hommage à Pia, et voici l’heure de donner à entendre de quoi retourne cette Po Music, concept que le musicien tira de ses lectures d’Edward de Bono. McPhee, vingt-cinq ans plus tard : « Voici l’explication simplifiée de la Po Music : il s’agit de se servir du concept de provocation pour abandonner une série d’idées établies au profit de nouvelles. Voilà le concept que j’ai emprunté au Dr. De Bono. Po est un symbole, un indicateur de langage qui souligne qu’il faut user de provocations et montre que les choses ne sont pas forcément ce qu’elles ont l’air d’être. Par exemple, j’ai enregistré la composition de Sonny Rollins appelée « Oleo » sans être un joueur de bebop ; et le bebop est en lui-même une vie à part entière. Mon interprétation essaye de conduire la musique à un nouvel endroit. J’ai toujours espéré que mon nom (Joe McPhee) serait aussi un symbole de provocation… Une forme de langage. »
Les réactions en chaîne que l’on trouve en « Topology » montrent de quoi la méthode est capable : décharges en cascades modelant toute atmosphère quiète, interaction de principes opposés commandant de grands renversements. McPhee encore : « Les concepts et les théories ne m’intéressent que si elles produisent des résultats. Tout change et tout devient possible. » Les disques à suivre du Joe McPhee Po Music – par lequel passeront Milo Fine, Léon Francioli, Urs Leimbgruber ou Fritz Hauser – le diront à leur tour : « tout change et tout devient possible. »
Joe McPhee : Ibsen’s Ghosts (Not Two, 2011)
Enregistrées le 21 février 2009 au Victoria Theater d’Oslo, cinq improvisations en appellent aux fantômes d’Ibsen : elles sont l’œuvre d’un quartette que forment Joe McPhee, Jeb Bishop, Ingebrigt Haker-Flaten et Michael Zerang.
Au ténor – et rien qu’au ténor –, McPhee invite ses partenaires à suivre son inspiration, qui le mène de mélodies lasses en fuites improvisées : là, les oppositions peuvent aboutir sur la coalition d’une boucle de trombone et d’un solo piqué de saxophone (deuxième improvisation) ; ailleurs, l’archet, brillant, peut recueillir les désillusions expérimentales (débuts de la troisième improvisation, qui gonflera sous les effets d’une exhortation commune) et la batterie renvoyer sèchement telle intervention (troisième improvisation).
Rapprochés par des intérêts communs défendus auprès de Vandermark ou Brötzmann, McPhee et ses partenaires réussissent où d’autres peinent : inventer sur l’instant des formes qui épousent leur vaillance.
Joe McPhee : Ibsen’s Ghosts (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 21 février 2009. Edition : 2011.
CD : 01-05/ Improvisation #1 - Improvisation #5
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ido Bukelman : The Door (Kadima Collective, 2012)
Le message est clair : l’harmonie doit être renversée, brisée, non plus interrogée mais anéantie. Pour Ido Bukelman, guitariste jadis influencé par Hendrix et aujourd’hui par la poésie d’Israël Eliraz, le salut passe et s’incruste dans la dissonance.
L’accord est toujours maltraitant. Les cordes sont frottées à même le nerf, battues et ballotées jusqu’au trépas. Nous sommes séduits par ce solo singulier, par cette envie de faire fondre les vanités. On aime cette Love Song empoisonnée à jamais et on souscrit, sans réserve aucune, à ce fiel déversé, ici, sans peur(s) et sans reproche(s).
Ido Bukelman : The Door (Kadima Collective)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Drop 02/ I Can Hear The Room’s Choir 03/ Man With Just a Handle Blues 04/ Love Song 05/ With Birds 06/ The Door Part I 07/ The Door Part II 08/ The Door Part III 09/ (The R C Singing) Over The Tall Flowers 10/ Red Door 11/ The Room’s Journey (End)
Luc Bouquet © Le son du grisli
Weasel Walter : Apocalyptik Paranoia (Gaffer, 2009)
Apocalyptik Paranoia est un titre de disque qui fait peur. A qui le doit-on ? A Weasel Walter, batteur ! Sur quel label ? Gaffer ! Chouette, des rimes en « eur » ! En « heurts », même.
Parce que Walter est accompagné du guitariste Henry Kaiser (ouais, mon argument tient la route !), de Fred Lonberg-Holm au violoncelle, de Greg Kelley ou Peter Evans ou Forbes Graham à la trompette… Pas rien, tout de même. A deux, trois ou quatre, c’est la même chose : du rugueux grand angle, du persiflage trash, du noise à l’abordage, de l’électronique farfelu et de la grande trompette muette (mes félicitations à Kelley, dont la muetteur m’impressionnera toujours).
En 2002, Weasel Walter et Kevin Drumm et Fred Lonberg-Holm avaient enregistré pour Grob Eruption : des mini hurlements et des morceaux de bruits et des improvisations plus sèches. Ici, c’est du saignant, et de l’excrême… Je ne sais si le disque est encore disponible. On était mercredi et je voulais écrire sur un disque d’enfants… terribles.
Weasel Walter : Apocalyptik Paranoia (Gaffer)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD : Scintillations 02/ Raging War 03/ Still Life 04/ Threnody 05/ Mass Erection 06/ Creaking Bones Break 07/ A Synthesis of Patterns 08/ Slowest Death
Pierre Cécile © Le son du grisli