Roro Perrot & Vomir Expéditives
Roro Perrot : Exécution des hautes œuvres (Premier Sang, 2011)
Je souhaite bien du courage aux copistes de la Sacem (dont le logo est apposé sur le CD) au cas où Roro Perrot aurait un jour l’idée de les mettre au défi de « partitionner » ces mini-chansons enregistrées en 2011. C’est que dans un geste désinvolte, il gratte sa guitare classique d’une main et de l’autre tape sur le manche en brayant ou aboyant des balivernes touchantes, en tout cas osées… Derrière lui, des enfants crient « maman » ?...
Roro Perrot : Blotto Folk (Décimation sociale, 2012)
… papa a l’air de se plaindre de l’estomac (dont il ne manque pas) ! Réécoutons la cassette marquée au gros feutre rouge Blotto Folk. C’est qu’il aurait encore trop bu hier et qu’on se passe déjà le dernier document de sa soulographie sous l’imper d’exhibitionniste : amateurs de folk étranglé, de mélodies hirsute & de star system pileux, savourent goutte-à-goutte (en remuant bien fort la bouteille) ces mélopées jouées au moignon…
Yves Botz, Roro Perrot : Saboteur (Décimation sociale, 2012)
... les borborygmes qui s’en suivent accompagneront sur une autre cassette le face-à-face de deux derviches buveurs que sont Yves Botz (Dust Breeders, Mesa of the Lost Women) & Roro Perrot. Saboteur, c’est une face électrique contre une face acoustique, et deux folkeux industrieux qui inventent des débuts de chef-d’œuvre à la mode du Facteur Cheval, frappent sur une enclume ou frotte de la guitare en relativisant l’intérêt d’utiliser des accords… Damned : cheval-facteur et sabot-âge…
Roro Perrot et son héroroïne : Ta bouche de fraise me rend si sauvage (Décimation sociale, 2013)
… mais pour décimer encore plus efficacement, voilà que le Perrot touche à l’héroroïne – ce qui ne lui interdit pas de recourir en même temps à l’alcool. Forcément, le mélange fait effet, et voilà qu’il tâte de la guitare électrique en plus alors que son amie Pauline tripote une drum machine comme une enfant sauvage jouerait Mozart à la flûte traversière. Et tout à coup, c’est Prince qui joue Jealous Rock… Va comprendre…
Roro Perrot : Musique vaurienne (Décimation sociale, 2013)
… One for the money… Ayant pris goût à la guitare (ou au luth) électrique et au rythme de synthèse, notre homme s’y donne en entier sur Musique vaurienne avec une mollesse qui trahit son état : cataleptique narcoleptique, mais qui fait un pas vers la mélodie et les paroles (ce « oyaah, ahooyah, et alors ? oyaah, eh ouais », je le tiens maintenant, et cet « à chier » n’est-il pas à danser ?) et même rétropédale en No Wave Mars ou DNA…
Vomir : Les escaliers de la cave (Décimation sociale, 2013)
… Alors, vite, retour à l’essentiel : pour Romain Perrot, c’est Vomir dans Les escaliers de la cave : il y en a deux (un petit et un qui n’en finit pas), où déferle un harsh noise qui noie le « folk de merde » sous des tombereaux de bruits blanc, gris ou noir… On n’y entend plus une interjection, plus de guitare, plus rien du bruit du moignon, mais le mur de saturation et son néo-dada de bâillon : moi aussi, la tête dans un pochon !
Pierre Cécile sort ces jours-ci son premier livre : Sonic Youth (Souvenir de Kurt Cobain), dont le son du grisli vous offre un extrait : Combien d’heures ai-je passé dans les médiathèques à la recherche d’enregistrements de Sonic Youth ? Combien de CD – c’était le temps du CD, le vinyle n’était pas encore arrivé sur le marché – ai-je fait défiler sous mes doigts ? J’empruntais tout, j’écoutais tout, je lisais tout. Le groupe m’avait déconnecté de mes contemporains. J’en étais le cinquième membre, le sixième quand Jim O’Rourke était là. Qu’ils ignorent mon existence ne me posait pas de problème. J’étais bel et bien là, toujours avec eux, je les tutoyais et les appelais par leurs prénoms. « Thurston, là t’exagères… t’en fais des caisses à la voix ! » Direct j’avisais Lee, qui pouvait me faire un clin d’oeil, et alors là ça partait en fou rire !
Polwechsel : Traces of Wood (HatOLOGY, 2013)
Sans plus de souffle – même si le violoncelle singe parfois l’orgue –, Polwechsel enregistrait en mars 2010 et janvier 2011 ce Traces of Wood ayant valeur de tournant : « Faire moins de bruit, c’était se taire », explique Michael Moser. Alors, Polwechsel passe commande à ses quatre éléments de partitions qu’il fleurira d’improvisations.
Sur Adapt/Oppose, Burkhard Beins fait des archets l’instrument principal (sur contrebasse, violoncelle et cymbales), qui lentement vont ensemble avant de se répondre, comme d’une vallée à l’autre et sur peaux frottées : les combinaisons sonores, minuscules, forment un corps fragile qui basculera pour démontrer son adhérence. Les archets seront distants, sur l’ouverture de Grain Beinding #1, de Moser. La composition est plus nette, dramatique au fond, qui peu à peu focalise les quatre voix avec un art plus fabriqué.
Nia Rain Circuit, respecte, lui, les courants usages de son auteur, Martin Brandlmayr. La pièce échapperait pourtant au répertoire de Trapist ou de Radian pour jouer de nombreuses pauses et de redirections tranchées avant de convoquer des archets unanimes sur les résonances d’un vibraphone. Les coordonnées de l’endroit du monde où Werner Dafeldecker enregistra le blizzard qu’il injecte à sa composition donnent à celle-ci son titre : S 64°14’’ W 56°37’’. Plus effacé, mais perturbé d'autant, le groupe lutte contre les éléments à coups d’éclats et de drones qui laissent en effet des traces. Trois, au moins. Et tenaces.
Polwechsel : Traces of Wood (HatOLOGY)
Enregistrement : 2010-2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Adapt/Oppose 02/ Grain Bending #1 03/ Nia Rain Circuit 04/ S 64°14’’ W 56°37’’
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
MoE : Oslo Janus (Conrad Sound, 2013)
On m’a dit tout le bien du monde de MoE (trio guitare / basse / batterie norvégien qui rassemble dans un élan métal-brusqué la Sult bassite-vocaliste Guro Skumsnes Moe, Håvard Skaset et Joakim Heibø Johansen) et j’en ai même lu, du bien de MoE (interview de Moe en personne par Lasse Marhaug dans Personal Best #3), c’est donc avec entrain que je disposais, tout bien couvert de cuir, Oslo Janus sur le lecteur CD qui devait me les révéler enfin.
Or, si mon écoute n’a pas été pénible et si l’ardeur ne manquait point, voici que la déception pointa et que je me retrouvai glapissant sur deux notes de basse plus fort et plus terrible que la (pourtant hargneuse) demoiselle. En vérité, l’envie de tout casser m’a effleuré un temps. C’est qu’on trouve sur ce CD – certes, je n’ai entendu qu’un seul CD de MoE – un gras mélange de Therapy?, Superchunk et (oui, disons-le) L7, quand je m’attendais à ce « Noise Rock from The North » qu’on m’avait promis. Ceci étant, sur un instrumental, on en vient au doom metal, mais à un doom metal sans véritable ampleur.
Voilà pourquoi vous pourrez apercevoir, si vous traînez tard le soir dans le vieux Lille, un homme hurlant à son tour à la lune « Where’s the DJ? » Cet homme-là, c’est moi : « T’as pas un autre truc de MoE à me faire écouter ?... Non ?... Alors, retour à Sult ! »
MoE : Oslo Janus (Conrad Sound)
Edition : 2013.
CD : 01/ Ride Another Dove 02/ Fighting Light 03/ David Yow 04/ Where’s the DJ? 05/ I.I.I.
Pierre Cécile © Le son du grisli
Kate Soper, Wet Ink Ensemble : Voices from the Killing Jar (Carrier)
Possible petite sœur de Shelly Hirsch, Kate Soper tient à mettre en scène des personnages aussi antithétiques que Murakami, Henry James, Camille Desmoulin ou Emma Bovary. Et on ne sait, à vrai dire, comment cela tient debout.
Ce que l’on sait par contre c’est que son chant – encensé par ses admirateurs pour ses ruptures de ton et autres sorties de route – résulte ici d’une clarté absolue. Ce sont plutôt les meurtrissures et le côté inéluctable des compositions de la jeune femme qui garantissent à cet enregistrement une aura de mystère insondable. Brouillages et unissons poreux, débrayages acides, chant mortuaire et répétitif, opéra classique, accents carnatiques, parodies de musique médiévale : autant de détails sagement entretenus ayant pour but de maintenir éveillée notre bienveillante écoute.
Ket Soper, Wet Ink
Voices from te Killar Jar (extraits)
Kate Soper, Wet Ink Ensemble : Voices from the Killing Jar (Carrier)
Edition : 2013.
CD : 01/ Prelude: May Kasahara 02/ My Last Duchess: Isabel Archer 03/ Palilalia: Iphigenia 04/ Midnights Tolling: Lucile Duplessis 05/ Mad Scene: Emma Bovary 06/ Interlude: Asta Solija 07/ The Owl and the Wren: Lady Macduff 08/ Her Voice Is Full of Money: Daisy Buchanan
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jean-Luc Guionnet, Eric La Casa, Philip Samartzis : Stray Shafts of Sunlight (Swarming, 2013)
Des extraits de concerts datant du printemps 2007 (Munich, Berlin, Hambourg, Venise, Grenoble et Montreuil) permettent à Jean-Luc Guionnet, Eric LaCasa et Philip Samartzis, de prolonger les effets d’un Soleil d’artifice enregistré à la même époque.
La lumière a quelque chose à voir – un aigu qui perce et résiste, une voix inquiète de détails, des notes d’alto refoulées qu’une sonde cherche, dans le corps de l’instrument, à récupérer, quelques moteurs branlants, des enregistrements de phénomènes naturels qui déposent plus qu’ils n’érodent, d’autres notes de saxophones, longues cette fois, parasitant une électronique de mitraille – et même à réfracter : les sous-bassement tanguent si, à la surface, les musiciens ne trahissent aucun remous.
Voilà pourquoi leur promenade en sons donnés et paysages réinventés ajoute à l’irréalité des choses, voire, puisque l’association est ingénieuse, à la poignante vérité des choses abstraites.
Jean-Luc Guionnet, Eric La Casa, Philip Samartzis : Stray Shafts of Sunlight (Swarming / Metamkine)
CD : 01/ - 02/ - 03/ -
Enregistrement : mai-juin 2007. Edition : 2013.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lars Åkerlund, Kasper T. Toeplitz : INERT/E (ROSA, 2013)
A force d’avoir partagé les collaborateurs (Dror Feiler, le regretté Zbigniew Karkowski, CM von Hausswolff, pour tout bien citer mon dossier de presse), Lars Åkerlund (electronics) et Kasper T. Toeplitz (electronics, basse électrique) devaient bien un jour travailler ensemble. C’est maintenant chose faite : le second éditant sur son Recordings of Sleaze Art leur projet INERT/E (qui est peut-être aussi le nom de leur duo ?).
Disons-le sans attendre : cette collaboration fait grands bruits (oui, au pluriel), même si l’on n’est pas à l’abri de chutes de volumes qui impressionnent presque autant. Enregistré dans les studios du GRM, les deux compositions ont une forme qui rappelle les « collages » concrets et un fond proche de l’ambient noise. Alpagué par leurs champs électromagnétiques, l’auditeur n’est plus qu’un parasite parmi les milliers de parasites de l’ « écosystème électronique » qu’Åkerlund et Toeplitz (vérification faite, INERT/E est bien le nom de leur duo) revendiquent. Mais par n'importe quel parasite : un parasite plutôt flatté.
INERT/E : INERT/E (Recordings Of Sleaze Art / Metamkine)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Les masses sont l’inertie, la puissance du neutre
Pierre Cécile © Le son du grisli
Matthias Schubert : 9 Compositions for the Multiple Joy[ce] Ensemble (Red Toucan, 2013)
Profitant d’être à la tête du Multiple Joy[ce] Ensemble, Matthias Schubert célèbre quelques-uns de ses inspirateurs à travers neuf compositions aux senteurs pluri-contemporaines.
Ainsi Conlon Nancarrow (récits itératifs, scansion soutenue), Helmut Lachenmann-Axel Dörner (dérèglements salivaires, rauques harmoniques), Anthony Braxton (jaillissement de cuivres, alto torrentueux), Duke Ellington-Billy Strayhorn (trombone au blues profond), Fred Frith (succession de silences et de contusions), Pierre Boulez-Igor Stravinsky (clarinette loyale sur tapis de dissonances et fusées rythmiques), Olivier Messiaen (violon en péril) et John Cage-Hans Martin Müller (flûte enragée) voient quelques-uns de leurs traits exaltés par le saxophoniste allemand.
Et offre aux solistes convoqués (Philip Zoubek, Udo Moll, Frank Gratkowski, Matthias Muche, Holger Werner, Axel Lindner, Angelika Sheridan) l’occasion de s’éloigner de leurs registres habituels. Disque étonnant et à réécouter souvent.
Matthias Schubert : 9 Compositions for the Multiple Joy[ce] Ensemble (Red Toucan / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Colon Zoubeck 02/ Moose 03/ Anthonykowski 04/ Duke Muche 05/ Frith Fields 06/ Boulevinsky 07/ Ende der zeit 08/ Akkorstudie 09/ John Müller
Luc Bouquet © Le son du grisli
Tom Varner : Tom Varner Quartet (Soul Note, 1980)
Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
La pochette de Tom Varner Quartet aurait pu être moins explicite : le meneur, qui signe ici son premier enregistrement, jouerait ainsi du cor d’harmonie. Au dos de la pochette, Varner rend hommage à Steve Lacy, musicien opiniâtre qui imposa sa sonorité propre à un autre instrument difficile que le cor. Au début des années 1990, Varner prendra d’ailleurs place dans l’octette du sopraniste – enregistrant avec lui à New York le disque Vespers.
Au cor d’harmonie (trompe de chasse améliorée afin qu’on l’entende en orchestre), les débuts de Tom Varner furent forcément classiques et, avouera l’intéressé, ennuyeux : c’est qu’au répertoire qu’il sert il préfère le jazz qu’il découvrit au son de Thelonious Monk, de Miles Davis et des références du catalogue Blue Note (Hank Mobley, Freddie Hubbard…). En parallèle, Varner entame donc des recherches pour plier son cuivre aux « lois » du genre avant d’en apprendre auprès de Julius Watkins, musicien qui fit entendre le son du cor dans les formations de Kenny Clarke, John Coltrane, Charles Mingus… ou encore sur le disque Thelonious Monk & Sonny Rollins. Varner fera ensuite ses classes au New England Conservatory de Boston, où il apprendra de Jaki Byard et George Russell, ce dernier l’intégrant à un sextette d’étudiants dans lequel le corniste jouera, comme ce sera souvent le cas, la partition du trombone.
De Boston, Varner gagne New York où il exercera la profession de boulanger et enregistrera ce Tom Varner Quartet sur lequel l’accompagnent le saxophoniste Ed Jackson (altiste avec lequel il reprenait déjà à Boston des thèmes d’Ornette Coleman, Eric Dolphy ou Thelonious Monk, et qui intervient à la même époque sur le Film Noir de Ran Blake), le contrebassiste Fred Hopkins et le batteur Billy Hart. Là, le musicien défend ses vues de compositeur et, plus encore, celles de corniste appliqué au jazz, avec application et vélocité. Si, à cette époque, Varner écoute beaucoup Don Cherry, c’est encore Lacy (« The Otter », composition-puzzle aux modules répétitifs qui se chassent ou se répondent) et Monk (thème de « Radiator » et unisson des vents, qui rappelle l’association Watkins / Rouse) qu’il évoque ici. Plus loin, le quartette va voir au-delà du jazz : pour adresser sur « TV TV » un double clin d’œil au minimalisme de Steve Reich et de Philip Glass ; pour investir ensuite avec lenteur « Heaps », pièce singulière élaborée sur construction flottante que battront, après la déposition du thème, des vents en perdition.
Disque remarquable, Tom Varner Quartet sera remarqué ; et même bientôt suivi, sur Soul Note encore, de Motion/Stillness (même formation, si ce n’est qu’Ed Schuller y remplace Fred Hopkins). Pour ce qui est de Don Cherry, Varner lui consacrera un « tribute » en 2000 : Second Communion. Avant cela, il aura enregistré une poignée de disques sous son nom, sera intervenu dans Dead City Radio de William Burroughs ou dans des formations emmenées par George Gruntz, Franz Koglmann ou John Zorn, et aura soigné ses collaborations avec Burkhard Stangl et Werner Dafeldecker (en Ton-Art puis en compagnie de Ned Rothenberg et Max Nagl). Depuis 2005, Tom Varner vit à Seattle où il enseigne l’instrument au… Cornish College of the Arts.
Ensemble Cerbère, Lê Quan Ninh : 21 février 2014 à Nantes
Il est de ces fades traditions aujourd’hui encore respectées : le baptême de l’Ensemble Cerbère – à trois têtes, donc : Alexis Degrenier, Toma Gouband et Will Guthrie – nécessitait la présence d’un parrain. Lê Quan Ninh endossa la responsabilité ce 21 février 2014, 14 heures, au restaurant social Pierre Landais de Nantes.
Dans un endroit qui change – et fait même « respirer » – et les musiciens et le public venu les entendre, la cérémonie ouvrait la septième édition du festival CABLE. Pour en finir avec le baptême : passé le premier malaise – le préposé à l’ablution ne présentait-il pas, finalement, quatre têtes au lieu des trois annoncées ? –, l’ensemble de percussionnistes augmenté d’un quatrième apaisa les esprits. Au son de compositions – voilà pourquoi du cerbère on revendique l’ « ensemble » – signées (pour respecter l’ordre établi ce jour-là) Degrenier, Gouband, Lê Quan et Guthrie. S’il va sans dire que, dans ces quatre compositions, l’improvisation a son son à dire, on n’en sentira pas moins l’envie de les confondre : cohérentes ensemble, ce sont pourtant là quatre pièces qui se mesurent en binômes.
Atmosphériques, délicates, celles de Degrenier (grand amateur des silences suspendus de Feldman) et de Gouband (naturaliste capable d’écoute compréhensive) ont une puissance d’évocation qui laissera libre de ses propos tout spectateur les ayant entendues – on sait depuis Rorschach ce qu’on peut mettre de soi dans l’interprétation de la chose qui nous est soumise –, des effets des quatre éléments aux ronflements des machines humaines (trains, grues, bennes... qu’importe) qui les exploitent et les font sonner. Sur éléments de batterie, les quatre percussionnistes jouent de savoir, d’astuces et d’artifices : matériaux divers jusqu’à l’inoffensif (en d’autres termes : jusqu’au végétal) frottant peaux, métal cutterisant, cymbales sifflant…
En miroir, les compositions de Lê Quan et de Guthrie obligent à davantage de volume : portable, moteurs, coups plus appuyés de mailloches et même de baguettes, font autrement résonner caisses et cymbales. L’art de l’ensemble augmenté est nettement plus grondant, mais son propos n’est pas seulement celui de maintenir en suspension ce grondement qui pèse, plutôt de l’apprivoiser. La chose est délicate ; la rumeur grave plie néanmoins, et sa soumission fait œuvre. Ainsi, quatre fois sur quatre temps, le Cerbère a su convaincre du bon droit de son éclosion – et dans son art, et dans ses attitudes. Dans sa musique, ce genre de musique qui vous environne qu’importe l’endroit – belle architecture, café-concert ou restaurant social – on décela la pulsation : rien d'héroïque, la pulsation y était.
Ensemble Cerbère + Lê Quan Ninh, Nantes, Restaurant Social Pierre Landais, 21 février 2014
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Plochingen : 266 minuscules récepteurs paraboliques (Tanuki, 2013)
Plochingen est de Bruxelles mais fait de l’ambient à la plus au Nord que ça… disons à la Beequeen (quand il n’y a pas de voix dans Beequeen)… Un peu court, jeune homme ? Mais c’est que j’allais poursuivre… et parler de ces deux faces de cassette (téléchargeable) à quatre Baal…
Baal 1 et Baal 3, en face A où il y a des guitares, des guitares surtout, mais une sorte de petit synthé à la programmation rythmique minimaliste aussi sur une courte séquence qu’en chasse une autre, et puis une autre une autre, etc. 266 fois ? Il faudrait compter... En tout cas, le tout reste insaisissable sauf dans ses couleurs : blanc de la sonnerie d’un téléphone (qui sonne chez Lynch dirait-on), rouge des juxtapositions rétro-futuristes, or des drones…
Au dos, les Baal 2 et Baal 5, dans un genre plus spatial, mais toujours ambient. On y sent d’ailleurs moins les guitares. A la place un canon à drone qui envoie la note de plus en plus fort. Plochingen a au moins l’art de créer des atmosphères et ce n’est, je crois, pas rien.
Plochingen
266 minuscules récepteurs paraboliques (téléchargement)
Plochingen : 266 minuscules récepteurs paraboliques (Tanuki)
Edition : 2013.
K7 / DL : A1/ Baal 1 A2/ Baal 3 B1/ Baal 2 B2/ Baal 5
Pierre Cécile © Le son du grisli