Wooley, Yeh, Chen, Carter : NCAT (Monotype, 2013) / Wooley, Morris, Fernández : From the Discrete... (Relative Pitch, 2012)
Au croisement de l’improvisation (Nate Wooley, C. Spencer Yeh et Audrey Chen) et du (re)modelage (Todd Carter), NCAT prend positions : bruitistes, dérangées, voire anxieuses.
Du matériau improvisé par le trio – qui nous renvoie au souvenir de Silo et à celui, plus récent, de Seven Storey Mountain III & IV –, Carter fait un ouvrage de belle angoisse : allumant les mèches de feux d’artifice installés en tunnels, il commande une série de causes et d’effets qui auront quelque répercussion sur les « airs » de trompette, de violon et de violoncelle, à trouver sur le disque. Bruissements, crissements, vrombissements ; accords égarés, passes perdues, sirènes et cris d’effroi… se disputent, sûrs tous de leur suprématie musicale, ces cinq pièces d’un noir que rehausse les préoccupations et obsessions personnelles de Todd Carter.
Nate Wooley, C. Spencer Yeh, Audrey Chen, Todd Carter : NCAT (Monotype)
Enregistrement : 2008. Edition : 2013.
LP (12’’) : A1/ - A2/ - A3/ - A4/ - B1/ -
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
L’exercice est plus conventionnel – concert donné le 14 juillet 2011 au Firehouse 12 – mais n’en impressionne pas moins : From the Discrete To the Particular donne à entendre Nate Wooley en compagnie de Joe Morris (à la guitare) et d’Agustí Fernández sur sept pièces d’une improvisation accidentée. Alerte encore davantage, elle profite, en plus des trois expériences avérées, d’un art de l’à-propos partagé.
Joe Morris, Agustí Fernández, Nate Wooley : From the Discrete To the Particular (Relative Pitch)
Enregistrement : 14 juillet 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Automatos 02/ As Expected 03/ Bilocation 04/ Hieratic 05/ Membrane 06/ That Mountain 07/ Chums of Chance
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Puin + Hoop : Er Zit Een Gatin In De Soep (Narrominded, 2014)
Déjà, Puin + Hoop n’est pas la collaboration de deux groupes, mais un trio formé d’Erik Uittenbogaard, Remco Verhoef et Roald Van Dillewijn. Actifs depuis le milieu des années 2000, je ne connaissais pourtant rien à leur langage et, en conséquence, je choisis de traduire leur « Er Zit Een Gat In De Soep » par « Il ne faut pas cracher dans la soupe ».
Ma traduction vaut ce qu’elle vaut. En tout cas, elle révèle assez bien mon attitude au sortir de cette ambient-kraut, de leurs loops dronant fort, de leurs larsens de guitare et de leurs râles humains. Quand leur musique crache (comme moi dans la soupe, vous aurez compris l’astuce), j’adhère malgré toutes précautions sanitaires. Maintenant, ils peuvent aussi tourner en rond sur des guitares sur chorus ou delay. Là, un bémol. Mais bon : Er Zit Een Gat In De Soep !
Puin + Hoop
Er Zit Een Gat In De Soep (extraits)
Puin + Hoop : Er Zit Een Gat In De Soep (Narrominded)
Edition : 2014
CD / DL : 01/ Er Zit 02/ Een Gat 03/ In De Soep
Pierre Cécile © Le son du grisli
Rich Halley : Crossing the Passes (Pine Eagle, 2013)
Ce jazz-là, nous l’avons maintes fois entendu. Maintes fois, il a traversé nos oreilles sans jamais s’y arrêter. Quelle pourrait être, aujourd’hui, la raison pour que l’on s’y attarde ?
Le post bop mâtiné d’improvisation du quartet de Rich Halley possède vertus (la ténacité du saxophoniste-leader, les ricochets du batteur Carson Halley, la justesse du contrebassiste Clyde Reed, l’agitation du tromboniste Michael Vlatkovich) et sensibilités (art de la ballade, unissons poreux) mais peine à surprendre. Et l’idée d’improviser librement en quatre occasions scelle l’échec : une improvisation qui a besoin de la narration et du rythme pour exister ne peut tromper personne. Ennui, quand tu nous tiens…
Rich Halley 4 : Crossing the Passes (Pine Eagle)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ The Only Constant 02/ Traversing the Maze 03/ Looking West from West 04/ Smooth Curve of the Bow 05/ The Spring Rains 06/ Duopoly 07/ Crossing the Passes 08/ Basin and Range 09/ Acute Angles 10/ Rain, Wind and Hail 11/ Journey across the Land
Luc Bouquet © Le son du grisli
Raymond Boni : Les mains bleues (Hors Oeil, 2013) / Violeta Ferrer, Raymond Boni : Federico García Lorca (Fou, 2013)
L’œil de Christine Baudillon a le don de nous rapprocher des musiciens qu’elle aime et que nous aimons aussi. Après Léandre (Basse continue) & Lazro, (Horizon vertical), c’est au tour de Raymond Boni de se laisser capturer. Ça tombe bien… la réalisatrice l’a repéré à flanc de mer, sur un rocher.
Gros plan sur l’œil du guitariste – la vista de l’improvisateur –, puis destination cuisine où il s’empare d’une guitare classique. C’est là que commence ce portrait fait de quotidien, c’est-à-dire de musique, de souvenirs personnels et de rencontres : Christine Wodrascka, Violeta Ferrer, Bastien Boni, Jean-Marc Foussat, Laurent Charles, Lucien Bertolina, ou encore Daunik Lazro, Joe McPhee et Claude Tchamitchian (Next to You). Chaque spectateur aura ses préférences côté musique, mais tous devraient succomber à la « parole Boni », donnée en intérieur, en pleine nature ou chez son luthier…
Comme avec Léandre et (encore plus) Lazro, l’approche naturaliste de Baudillon respecte le temps qu’il fait et le temps qu’il faut pour faire sonner le matériau, pour construire un langage sous l’influence de Django et le transformer au gré du vent, loin des chapelles et des cabotinages (lorsqu’il se moque des musiciens qui disent prendre des risques lorsqu’ils jouent, Boni dévoile toute la sagesse qui l’inspire). Un grand bol d'air, pour les cinq sens...
Christine Baudillon : Raymond Boni : Les mains bleues (Hors-Œil)
Edition : 2013.
DVD : Raymond Boni : Les mains bleues
Pierre Cécile © Le son du grisli
A la guitare et à l’harmonica, Raymond Boni. A la récitation, au jeu, Violeta Ferrer. Le duo vit la poésie de Lorca le long d’un beau CD édité sur le label de Jean-Marc Foussat. Si je n’ai pas saisi toutes les nuances de la langue du poète, j’ai cru aux histoires de mort et de danse que Ferrer dit avoir vues de ses propres yeux et que la guitare métallique de Boni a intelligemment accompagnées. Un beau livre à écouter.
Violeta Ferrer, Raymond Boni : Federico García Lorca (Fou)
Edition : 2013.
CD : Federico García Lorca. Poemas de Federico García Lorca y Poemas Populares Españoles
Pierre Cécile © Le son du grisli
Fri-Son 1983-2013 (JRP Ӏ Ringier, 2013)
Par ordre alphabétique, d’abord, les noms (plus de quatre mille) des musiciens ou groupes passés entre 1983 et 2013 par Fri-Son, club autogéré de Fribourg. Le champ d’écoute est large, qui put recevoir aussi bien Sonic Youth, Alan Vega, And Also the Trees, Beastie Boys, Barn Owl, Eugene Chadbourne, The Ex, David Grubbs, Curlew, Einstürzende Neubaten, que Phill Niblock ou Irène Schweizer. Si convaincants soient-ils, ces gages donnés n’ont pas interdit l’endroit à des musiciens moins (bien moins, parfois) inspirés qu’eux – c’est, justement, que le champ d’écoute est large…
De celui-ci, un livre se fait aujourd’hui l’écho, qui raconte au gré de photos et de témoignages comment Fri-Son a été fabriqué : sur l’instant et parfois dans l’impromptu, en toute liberté capable de faire avec tel soutien institutionnel, surtout, en brassant toutes énergies plutôt qu’en les canalisant. A l’archive (noms et affiches), les auteurs ajoutent l’anecdote : et voici la rétrospective – habilement mise en forme par les éditions JRP Ӏ Ringier – d’une lecture agréable.
Matthieu Chavaz, Julia Crottet, Diego Latelin, Daniel Prélaz, Catherine Rouvenaz : Fri-Son 1983-2013 (JRP Ӏ Ringier / Les Presses du Réel)
Edition : 2013.
Livre : Fri-Son 1983-2013
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Carate Urio Orchestra : Sparrow Mountain /Joachim Badenhorst, John Butcher, Paul Lytton : Nachtigall Suite (Klein, 2013)
Quel que soit le format, quel que soit le timing, la résolution adviendra. Tel semble être le moteur des compositions de Joachim Badenhorst.
Premier exemple, premier thème (Lorvae) : nous voici dans la galaxie des sombres nébuleuses. Les instruments s’étirent, cherchent refuge, se réveillent difficilement. Le processus exaspère : déjà vu, déjà entendu. Puis s’impose l’enchaînement harmonique. Facilité de la forme : tout le monde comprend (approuve ?). On mise sur le crescendo : on gagne. On pressent la décomposition, le chaos : on gagne encore.
Deuxième exemple, deuxième pièce (Germana) : une chanson, tout simplement. Rien de nouveau. La mélodie est belle, suave. Et au mitan, un désordre apparent. Puis, de nouveau, la consonance. L’éden après orage.
Et ainsi de suite… Mais entre temps, l’improvisation s’est perdue. Apparaissent maintenant de nouveaux contours : pop contrariée – mais pas contrariante –, post-rock assumé.
Ainsi vogue sans frémir le Carate Urio Orchestra (Joachim Badenhorst, Nico Roig, Erikur Orri Ólafsson, Frantz Loriot, Brice Soriano, Pascal Niggenkemper, Jean Carpio), orchestre empli de quiétudes et d’évidences.
Carate Urio Orchestra
Sparrow Mountain
Carate Urio Orchestra : Sparrow Mountain (Klein)
Enregistrement : 2013. Edition: 2013.
CD : 01/ Lorvae 02/ Germana 03/ Sparrow Mountain 04/ Cemacina Dreaming 05/ Een schen hemd 06/ Sidereal 07/ Laglio 08/ Genoes Geodronken
Luc Bouquet © Le son du grisli
Enregistrée les 23 et 24 mars 2013, cette Nachtigall Suite donne à entendre Joachim Badenhorst improviser entre John Butcher et Paul Lytton. Au ténor, le jeune homme tient au moins le coup si l’échange, remonté, n’est pas d’une originalité saisissante. Pour se montrer plus persuasif, le trio attendra les septième et huitième plages : la vaillance de Badenhorst (Nief Gerief), voire son invention (Nachtingall), atteignant maintenant les sommets que, jusque-là, arpentait seul John Butcher.
Joachim Badenhorst, John Butcher, Paul Lytton : Nachtigall Suite (Klein)
Enregistrement : 23 et 24 mars 2013. Edition : 2013.
CD : 01-03/ Nachtigall Suite : Nikko Blue / Mariesii / Otaska 04/ Upward Down Smile 05/ Spik Plinter 06/ Lightwaves 07/ Nief Gerief 08/ Nachtingall
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ce mardi 18 mars, Joachim Badenhorst est attendu – tout comme le duo Didier Petit / Davu Seru – au Souffle Continu. Le samedi 22, c'est en appartement parisien qu'on pourra l'entendre auprès de Frantz Loriot et Pascal Niggenkemper, domestiqué en Jazz@home.
Robert Wyatt : '68 (Cuneiform, 2013)
Quoi de quoi ? Jimi Hendrix (oui, le guitariste !) sur un disque de Robert Wyatt (oui, la Soft Machine !) ? L’enregistrement récemment exhumé daterait de 1968 (octobre-novembre pour les puristes), ce qui donnerait son nom à ce CD, présentement intitulé ‘68 ? C’est fou, la vie, y’a jamais de coïncidence…
La rencontre est toute courte (elle ne tiendrait pas dans la queue d’une fin de solo de Foxy Lady) mais a le mérite d’exister, d’autant qu’Hendrix (le guitariste, oui) y joue de la basse. Voilà pour l’anecdote de trois minutes et encore, du nom de Slow Walkin’ Talk. C’est la troisième piste du CD.
Ma première est un morceau signé Wyatt / Ayers pas loin du Procol Harum (Quoi de quoi ? Demis Roussos sur un disque de Robert Wyatt ?). Ma seconde est un alphabet polyglotte au baroque musicalement pauvre. Ma quatrième est musicalement pauvre mais encore plus longue. Mon tout est chiant comme les barricades racontées par tonton beurré, un gros cigare éteint qui pend aux lèvres. Pardon Robert, pardon Jimi.
Robert Wyatt : ’68 (Cuneiform / Orkhêstra International)
Edition : 2013.
CD : 01/ Chelsea 02/ Rivmic Melodies 03/ Slow Walkin’ Talk 04/ Moon in June
Pierre Cécile © Le son du grisli
Yannis Kyriakides : Resorts & Ruins (Unsounds, 2013)
Parmi les âmes damnées que charrie la musique de Penderecki, quelques rumeurs d’enregistrements de terrain, les ritournelles d’anciens airs populaires, les mirages d’un modernisme antidaté… Yannis Kyriakides est un jour passé pour composer, en souvenir de tous, Resorts & Ruins.
C’est ici une ode hybride à la voix qu’inquiète des sirènes, là une machine qui réanime des antagonismes et illustre leurs enjeux – des foules remontées abruties par un larsen ou un pouls de synthèse – ou un zapping radio qui finit sur grandes orgues. D’une poésie moins distante que celle dont Kyriakides s’est fait une habitude, les collages séquencés de Resorts & Ruins touchent autant que ceux de ce Buffer Zone que l’on salua jadis.
Yannis Kyriakides : Resorts & Ruins (Unsounds)
Edition : 2013.
CD : 01-03-05/ Covertures 02/ Varosha (Disco Debris) 04/ The One Hundred Words
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jeremiah Cymerman : Scars (MNÓAD, 2014)
Avant que d’être au centre de l’histoire, la clarinette de Jeremiah Cymerman traverse quelques rudes épreuves. Fin du monde ou début des mondes, les passages souterrains sont bondés, les drones sont maléfiques. Stoïque, la clarinette rebondit, échappe aux bombardements et autres saturations électroniques.
Une harmonie suffit pour déceler la noirceur des souffles. Passée à la moulinette du salivaire, la clarinette module la frayeur, se fait spectre de sombres demeures. Mais peu à peu émerge, perfore la douceur, éclate en grande nuit. Et aime à se retrouver solitaire, errante. Il aura fallu vingt-neuf petites minutes pour que la clarinette de Jeremiah Cymerman manifeste et grandisse son territoire. Pas de doute(s) : le combat en valait la peine.
Jeremiah Cymerman : Real Scars (MNOAD)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Ode Wounds 02/ Deep Cuts 03/ Family of Origin
Luc Bouquet © Le son du grisli
Kim Myhr : All Your Limbs Singing (Sofa, 2014)
Les premiers instants de ce solo de Kim Myhr – dont on aime tant le travail dans le trio Mural (avec Ingar Zach et Jim Denley) – emportent : la densité chorale que le musicien tire de sa guitare acoustique à douze cordes enveloppe et insiste, aspire et hypnotise. Les roulements harmoniques & vrombissements de ce (presque) drone initial ne noient pourtant pas et bientôt s'y discernent nettement des structures, des réitérations qui révèlent un sens de la composition décliné dans les cinq pièces suivantes sous d'autres angles.
Perlées, parfois précieuses, jouant de la répétition d'accords, de l'insertion de détails et de glissements progressifs, ces « chansons » orchestrales et romantiques pâtissent paradoxalement, au bout du compte, de leur rigueur de conception et de leur esthétique éthérée. Il semble que le guitariste finisse, dans ces rhapsodies, par s'écouter un peu... et le beau son qui avait attiré paraît virer à l'emphatique.
Kim Myhr : All Your Limbs Singing (Sofa)
Enregistrement : 28 et 29 août 2013. Edition : 2014.
LP / CD : 01/ Weaving into Choir 02/ Descent 03/ Blinky 04/ Leaping into Periphery 05/ Sleep Nothing, Eat Nothing 06/ Harbor Me
Guillaume Tarche © Le son du grisli