VocColours, Alexey Lapin : ZvuKlang (Leo Records, 2013)
Entre cocasseries philmintoniennes et noces stravinskiennes déboule VoColours, quartet vocal allemand (Norbert Zajac, Brigitte Küpper, Gala Hummel, Louri Grankin). Toutes les forces et farces vocales, de nous connues, se retrouvent ici en un pot-pourri – souvent inspiré – de l’alphabet du vocaliste allumé. Ainsi, égosillements, caquetages, cris et plaintes, jappements, chant des steppes, écartèlements, babillages, balbutiements, gazouillis se succèdent avec plus (Now & Equilibre : pièces entièrement improvisées) ou moins (Angst vor gespenstern : motif répété inlassablement) de bonheur.
Déboule également le pianiste Alexey Lapin. Confiné ici au rôle du chasseur, il scrute, attend, colorise la lente respiration de VoColours. Puis se souvenant de ses qualités de relayeur, impose ses graves profonds, élabore en solitaire une introduction qui ne sera pas pour rien dans la réussite de l’improvisation à venir. Soit, une rencontre, qui, si partiellement aboutie, n’en offre pas moins quelques mordantes pépites.
VocColours, Alexey Lapin
ZvuKlang (extrait)
VocColours, Alexey Lapin : ZvuKlang (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Now 02/ Hey Ho 03/ ZvuKlang 04/ Angst vor Gespenstern 05/ Equilibre
Luc Bouquet © Le son du grisli
Criticon Duo : How to Get A Cold (NOPLYN, 2013)
Comme son nom l’indique, Criticon Duo est une rencontre tchéco-espagnole. Le premier est trompettiste (doué à l’objet) : Petr Vrba. Le second est saxophoniste (doué à l’objet aussi, et qui touche à l’électronique malgré la mise en garde de ses parents) : Tomas Gris. A Prague (Praha), ils ont été enregistrés l’an passé.
Quand on pense aux efforts d’Adolf Sax pour anéantir les effets de l’asthme, on regrette que Gris ait accepté d’intituler l’enregistrement How To Get A Cold (c’est en effet un état aggravant). Forcément, il y a sur le CD beaucoup de courants d’air et, en plus, nous voilà dès le début coincés dans l’un ou l’autre des deux conduits. Comment faire alors ?
Au début, on craint l’échange réductionniste de trop (autrement dit : de rien), post-Dörner vs. post-Butcher, mais le duo est assez malin (ou inconscient) pour contrer nos attentes. Et fiiouuu... c’est du vent dans du papier à cigarette et des grattements comme on en rêvait. Enrhumé maintenant, comme contents nous sommes !
Criticon Duo : How To Get A Cold (NOPLYN)
Enregistrement : 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ School 02/ The Phantom of John Ford 03/ Back Potatoe
Pierre Cécile © Le son du grisli
John Zorn : Shir Hashirim (Tzadik, 2013)
Dans la jungle zornienne, le chroniqueur a parfois du mal à s’y retrouver. Alors (presque) au hasard, il choisit un CD à chroniquer en espérant que celui-ci ne sera pas une horrible muzak de supermarché. Et parfois le chroniqueur tombe sur la pépite (ou mini-pépite). C’est le cas ici.
Shir Hashirim (le Cantique des Cantiques) a été crée à Paris par Clotilde Hesme et Mathieu Amalric. A New York, c’était Lou Reed et Laurie Anderson qui officiaient en qualité de récitants. Ici, John Zorn se passe de récitatif et ne convoque que le seul chœur féminin des Sapphites (Martha Cluver, Lisa Bielawa, Kathryn Mulvehill, Abigail Fischer, Kirsten Sollek). En une trentaine de minutes, Zorn offre à ses muses un champ de douceurs et de tendresses mêlées. Ses motets ne manquent pas de charme : clarté, pureté et fluidité du chant, combinaisons harmoniques évidentes, arpèges vocaux sans surprise ; on se croirait parfois chez Meredith Monk. Depuis longtemps, la consonance a pris le pouvoir chez Zorn (des blogs sont là pour s’y retrouver). Certains s’en désespèrent, d’autres s’en félicitent. A vous de voir.
John Zorn : Shir Hashirim (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2013.
CD : 01/ Kiss Me 02/ Rose of Sharon 03/ A Night in My Bed 04/ How Beautiful You Are 05/ I Have Come into the Garden 06/ Where Has Your Love Gone 07/ Dance Again 08/ O, If You Were Only My Brother
Luc Bouquet © Le son du grisli
N.E.W. : Motion (Dancing Wayang, 2014)
A force de se mouvoir – depuis 2008, ce sont, du trio, les troisièmes traces repérées sur disques –, N.E.W. a creusé le sillon d’une improvisation farouche, bientôt transformé en galerie qui débouchât, ce 6 avril 2013, aux Eastcote Studios de Londres.
Au plafond, des bisons peints qui rappellent ceux d’Altamira, prêts à fondre et à emporter ces trois poupées nord-africaines de couverture que sont Alex Ward, à la guitare électrique, John Edwards et Steve Noble. Pour aller contre, la contrebasse et la batterie s’entendront sur quelques coups de boutoir quand la guitare multipliera les assauts latéraux. De l’opposition des forces et des tensions, Motion dégage des cris primaux et des derniers souffles qui ponctueront ces morceaux de noise, de no wave, de swing, de blues défait, et même de calypso, subtilement assemblés. Et puis, glissée parmi les déferlantes, une accalmie vous permet d’envisager la lecture des notes que Thurston Moore a rédigées pour ce disque, qu’il recommande – certes un peu tard, n’avez-vous pas déjà Motion en main ?
N.E.W.
Betting On Now
N.E.W. : Motion (Dancing Wayang)
Enregistrement : 6 avril 2013. Edition : 2014/
LP : 01/ Betting On Now 02/ How It Is 03/ Tall & True 04/ 4th & Three 05/ Motion
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Tysmfyh : That Weather for Meeting You Again (Bruise on Silence, 2014)
Sandrine Verstraete et Jean De Lacoste, de Charleroi, Belgique, forment Tysmfyh. Si chacun prononcera le nom du groupe à sa façon, nous entendrons tous la même chose sur That Weather for Meeting You Again… En l’occurrence, quatre petits morceaux (c’est un E.P.) d’ambient-noise triturée où la basse grésille, un moteur ronronne, des field recordings ou des bouts de CD sont collés les uns aux autres, etc.
Sur cette musique expérimentale anxiogène, la dame et le monsieur peuvent parler (en anglais de Charleroi, Belgique), d’une voix d’alien, de Roswell, ou qui crache un peu. L’effet cherche peut-être à ajouter au mystère, mais le ci-devant mystère manque de consistance et s’en tient à un canevas plutôt old school et brouillon. Mais ce n’est là qu’un premier essai et, comme le duo ne démérite pas non plus, je ne voudrais pas étouffer leur ambient-noise dans l’œuf. Soit : attendons l'oeuf, avant de faire l'omelette !
Tysmfyh : That Weather for Meeting You Again (Bruise on Silence)
Edition : 2014.
CD : 01 : Cradle 02/ Home 03/ Reversed Room 04/ Escape I Am
Pierre Cécile © Le son du grisli
Le 1er avril, Tysmfyh assurera la première partie d'un Lee Ranaldo attendu au Vecteur de Charleroi, Belgique.
Burkhard Stangl : Unfinished. For William Turner, Painter (Touch, 2013)
Les épreuves sonores que Burkhard Stangl dédicace à William Turner – échos, voire répliques, de ses travaux non-finis : extraits de concerts et enregistrement studio confié à Fennesz – ne cachent pas longtemps leur attirance pour l’eau qui inspira souvent le peintre.
Les mouvements de la guitare électrique – médiator égrenant lentement les accords, volumes et rythmes changeants, sustains et trémolos, applications de notes sur de discrets field recordings ou enregistrements préparés – font bel effet sur les marines de Stangl. Non pas étale mais plutôt d’une huile patiemment remuée, son art rappelle (et, sur Unfinished – Mellow, s’inspire de) celui de Morton Feldman, lorsqu’il n’est pas attiré par la rumeur d’un navire qui croise au loin – à la barre, ce pourrait être Alan Licht ou Taku Sugimoto – et qui l’emmène dans des zones à sonder par la ritournelle.
Révélant là l’influence qu’exercèrent sur sa façon d’envisager sa musique la touche, la couleur et la lumière de William Turner, Burkhard Stangl démontre avec son modèle que la profondeur peut s’illustrer en surfaces, et même avec elles parfois ne plus faire qu’une.
Burkhard Stangl : Unfinished. For William Turner, Painter (Touch / Souffle Continu)
Enregistrement : 2010-2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Unifinished – Mellow / Unfinished – Waiting / Unfinished – Longing 02/ Unfinished – Sailing 03/ Unfinished – Ending
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Trophies : You Wait to Publish (Monotype, 2013)
On s’est habitué à l’OVNI. Il nous est presque devenu familier. D’autant plus que quelque chose du trésor de la langue de René Lussier traîne ici et là. Quant à certaines des intonations de voix d’Alessandro Bosetti, elles viennent en courbes lignes d’un certain James Chance.
Ici, le format est rock, les lyrics se répètent avec obsession et obstination. La guitare de Kenta Nagai double les psalmodies de Bosetti (ou bien est-ce le contraire). Ici, le trombone d’Hilary Jeffery coince quelques virulents contre-chants. Le chaos est là et minutieusement organisé. Et toujours la batterie de Tony Buck, de zébrer la mesure de ses traits tranchants.
Cet OVNI aime aussi la transe : quatre notes suffisent à hypnotiser nos sens et, plus d’une fois, la crise d’épilepsie guette. Et puis, quelqu’un qui, aujourd’hui, nous rappelle au souvenir du grand Marco Ferreri ne peut, décidément pas, être un mauvais gars.
Trophies : You Wait To Publish (Monotype)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ You Wait to Publish 02/ I Have Been Looking 03/ Matta Clark 04/ Ruota di Maggio 05/ What Happens to Break this Cup 06/ Imperial Bath
Luc Bouquet © Le son du grisli
Mike Shiflet : Hawkmoth (Noisendo)
Dans un bruit de lourd papier que l’on chiffonne s’envole le Moro sphinx (Hawkmoth) de couverture – de cette édition de cent CDR, six pochettes différentes existent. C’est une autre fois un organisme vivant dont s’est emparé Mike Shiflet : il en tirera quelques répliques qui chanteront à sa place, et longtemps, pour lui qui est habitué aux formats courts.
Cheminant d’abord en maigres conduits, ils laissent à leur traîne des aigus et des frémissements qui ne demandent qu’à vrombir et, bientôt, y parviennent : un des lépidoptères, en vol stationnaire, déposant son ronflement sur un fil musical lâche, accords lointains mais joués au poing d'une possible guitare électrique. Après quoi, nous revient l’Hawkmoth original qui, dans un battement d’ailes, conclura l’exposé fascinant des sons de la nature que Mike Shiflet s’invente.
Mike Shiflet
Lime
Mike Shiflet : Hawkmoth (Noisendo)
Edition : 2013.
CDR : 01/ Hawkmoth 02/ Death’s Head 03/ Lime 04/ Oleander 05/ Hummingbird 06/ Elephant 07/ Hawkmoth Coda
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Cage : The Works for Organ (Mode, 2013) / Cartridge Music (Another Timbre, 2013)
Malgré tout l’amour que je porte à John Cage, je me méfais encore de l’orgue – il faut dire que l’église m’a fait m’en méfier. Et ces deux disques sont arrivés par un jour de neige : The Works for Organ. Tout John Cage pour orgue y est (1978, 1983, 1985, 1987).
Ce jour de neige n’a pas été un jour de neige comme les autres. Plus d’un mètre de blanc dehors. Alors, quand retentit l’orgue de Gary Verkade, celui du village-église de Gammelstad... Parfois seul, parfois avec des assistants, Verkade entreprend un marathon blanc. Un marathon de jour de neige, un marathon de grand matin. Some of ‘’The Harmony of Maine’’ où les tirants de l’orgue aspirent des lamelles sonores de bois blanc : treize temps, treize stations, treize strates-states.
Il y a aussi la mélodie en sourdine d’un Souvenir, les couples de notes, allongées, d’Organ2/ASLSP et, surtout, le chef d’œuvre pour orgue qu’est ASLSP. Il bourdonne dans le soupçon, chuchote avec gravité, sa partition est une ligne que l’on trouve tout en bas et qui commande tout l’espace blanc qui est au-dessus d'elle, toute la montagne qui la pèse. C’est ici que ce grand pays de neige est le plus blanc, mais d’un blanc mêlé. Impossible à définir. Tout simplement fantastique.
John Cage : The Works for Organ (Mode)
Edition : 2013.
CD1 : 01/ Souvenir 02-14/ Some of ‘’The Harmony of Maine’’ (Supply Belcher) – CD2 : 01/ ASLSP 02/ Organ2/ASLSP
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Les intervenants sont nombreux, qui ont pour noms Stephen Cornford (direction), Rob Curgenven, Ferran Fages, Alfredo Costa Monteiro, Patrick Farmer, Daniel Jones et Lee Patterson. Les uns derrière les autres, ils font effet au son d’aigus, de souffles, de crépitements, de graves râles ou de percements. La frise d’effets sonores à naître de l’épreuve ravit, pour respecter l’intention de 1960 : pièce de musique électronique jouée en direct où la transparence a sa note à dire.
John Cage : Cartridge Music (Another Timbre)
Enregistrement : 29 février 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Cartridge Music
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
The Deac C : Armed Courage (Ba Da Bing!, 2013)
A cause de The Dead C, j’ai longtemps cru que le Triangle des Bermudes faisait son petit effet au large des côtes de la Nouvelle-Zélande. Un ami m’a depuis renseigné : « mais non, absolument pas ». C’était l’année dernière (déjà). A peu près à la même époque sortait Armed Courage.
Si j’ai encore quelques amis, c’est que je fais pas mal de concessions : d’accord, les Bermudes, c’est pas là. Mais alors comment expliquer, encore sur Armed (le premier morceau, un instrumental développé sur toute une face), le rideau de baguettes qui s’abat sur la carlingue, les effets de guitares qui font balancer le reste du fuselage et, tout à coup, ce paysage sauvage et âpre dans lequel il va falloir penser à atterrir… ?
De l’autre côté, on retrouve la voix de Michael Morley sur une musique que lui et ses comparses Bruce Russell et Robbie Yeats ont l’air de jouer chacun dans son coin. Mollasse, salasse, tout en surimpression, en un mot : à l’ancienne… jusqu’à ce que la batterie propulse Courage sur un collage de séquences sonores fabuleuses. Ba Da Bing!, c’est moi qui avais raison : les Bermudes, c’est dans l’hémisphère sud.
The Dead C : Armed Courage (Ba Da Bing! / Souffle Continu)
Edition : 2013.
CD : 01/ Armed 02/ Courage
Pierre Cécile © Le son du grisli