Alan Sondheim, Azure Carter, Luke Damrosch : Threnody (Public Eyesore, 2015)
Du bagout et de l’autorité. Des bibelots, une panoplie : une panoplie de bibelots. Un au-delà des habitudes, un au-delà des folklores. Des musiciens adeptes du crissant et des multi-usages. Un guzheng rouillé. Une voix par delà les monts et les vaisseaux. Une guitare presque classique, désaccordée jusqu’à l’excès. Des souffles volcaniques. Un blues martien. Du Chadbourne détroussé. Du flamenco contrarié…et contrariant. Une flûte embrouillée. Une cacophonie grinçante.
A vrai dire, je ne sais pas ce qui passe par la tête d’Alan Sondheim (celui-ci souvent en solitaire ici), Azure Carter et Luke Damrosch et leurs étonnants instruments (guzheng, madal, revrev, alpine zither, cura saz, qin, madal, ergu…) mais je sais que leur musique broute hors des territoires et des clichés. Sans doute pas une révolution mais un désir certain de secouer le cocotier. Attention aux chutes !
Alan Sondheim, Azure Carter, Luke Samrosch : Threnody: Shorter Discourses of the Buddha
Public Eyesore
Edition : 2015.
CD : 01/ Comeforme 02/ Violaguzheng 03/ Altoclar 04/ Qin 05/ Screentest 06/ Guitar 1 07/ Shakuhachimadal 08/ Banjo 09/ Threnrevrev 10/ Guqin 11/ Death 12/ Altorecorder 13/ Guitar 2 14/ Oudmadal 15/ Harmonrevrev 16/ Qinguzheng 17/ Sarahbernhardt 18/ Eguitclar 19/ Pipa 20/ Longsaz 21/ Bone 22/ Oud 23/ Lastpiece 24/ Alltracks
Luc Bouquet © Le son du grisli
The Monsters : The Jungle Noise Recordings (Voodoo Rhythm, 2016)
Jamais entendu parler de The Monsters (groupe formé à Berne en 1986) avant. Les années 1994-1995, j’écoutais quoi déjà ? Plus Zumpano, ça c’est sûr, bizarrement sortis chez Sub Pop. Pas les Stooges non plus, ni les Leningrad Cowboys, ni Henry Rollins c’était trop tard pour lui. Surtout, je crois ne jamais avoir écouté d’autres groupes suisses en ces temps-là que ce groupe suisse dont j’ai oublié le nom…
Stooges, Leningrad Cowboys, Rollins… voilà à quoi m’a d’abord fait penser ce psyché-rockab-punk-garage. On imagine les amplis vintage, les costumes bidon, le troisième degré dans la ballade et le volume de tout always très fort. Pour qui voudrait comme moi se rattraper, il y a un pdf de cinq pages que je vous offre en guise de bio. Pour les plus motivés, il y a The Jungle Noise Recordings, une réédition (augmentée, d'où le "recordings") d'une galette enregistrée en 1994. Il en dit long sur The Monsters, je crois... Si tant est qu’on soit in the mood…
The Monsters : The Jungle Noise
Voodoo Rhythm
Enregistrement : 1994. Edition : 1995. Réédition : 2016.
CD : 01/ Psych-Out With Me 02/ Primitive Man 03/ Searching 04/ It’s Not My way 05/ Lonesome Town 06/ the Pot 07/ Rock Around the Tombstone 08/ Barbara 09/ Play with Fire 10/ She’s My Witch 11/ out of My Life 12/ Mummie Fucker Blues 13/ Nightlife 14/ Nightclub 15/ Jungle Noise 16/ last Sick Surf Flick 17/ In Hell 18/ Plan 9 19/ Skeleton Stomp
Pierre Cécile © Le son du grisli
Oier Iruretagoiena : Kulakantu (Nueni, 2015)
Partons maintenant, chers amis, pour le Pays basque où Oier Iruretagoiena (artiste de Bilbao né en 1988) aurait (car on parle aussi d'un travail de computer) enregistré ce Kulakantu sur l’orgue de San Martin de Tours à Ataun, sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle…
Bien bien. Mais rien de liturgique dans ces quatre petites pièces improvisées, la messe est loin (elle est même dite) à en croire les gargouillis, l’egoi en tuyau, les bruits mécaniques ou ceux des bruits de soin dentaire réservé aux faces peintes sur l’orgue (reproduites sur la pochette)…
Mais le travail d’Iruretagoiena n’est pas que bruitiste, loin de là. Il peut en effet filer comme de longues couches de son ou arranger des rythmes à la… Money Mark. C’est dire que ce Kulakantu est (fort, oui) intéressant et qu’il donne envie d’aller explorer la (longue, oui) discographie de l’artiste.
Oier Iruretagoiena
Kulakantu (extrait)
Oier Iruretagoiena : Kulakantu
Nueni
Edition : 2015.
CD : 01-04/ Kulakantu
Pierre Cécile © Le son du grisli
Open Field, Burton Greene : Flower Stalk (Cipsela, 2015)
Minimalistes (Angels of the Roof) ou emportés (Rising Intensity), Open Field (José Miguel Pereira, João Camões, Marcelo dos Reis) & Burton Greene offrent à leurs cordes (contrebasse, viola, guitare, piano) quelques pistes abruptes.
S’enfonçant ou s’échappant, se faufilant au gré des intervalles, ils construisent note à note, accord après accord (Greene Hands à la seule charge du pianiste) et tiennent le cap des discours ténus. Ailleurs et véloces, ils grimpent des cimes caractérielles, soudaines. Toujours construisent sans encombrement et toujours au cœur d’une impulsion naturelle, spontanée. Et quand se dérèglent les angles choisis jusqu’alors et que s’invitent mey moqueur et voix d’outre-souffle, Open Fields élargit plus encore le cercle de ses riches possibles.
Open Field, Burton Greene : Flower Stalk
Cipsela
Enregistrement : 7 mai 2012. Edition : 2015.
CD : 01/ Rising Intensity 02/ Angels of the Roof 03/ On the Edge 04/ Greene Hands 05/ Ancient Shit
Luc Bouquet © Le son du grisli
Peter Brötzmann, Heather Leigh : Ears Are Filled With Wonder (Not Two, 2016)
C’est un concert d’une demi-heure enregistré le 8 novembre 2015 à Cracovie : Peter Brötzmann y improvise en compagnie d’Heather Leigh – sous son nom, trouver des références Volcanic Tongue (qu’elle anime), Kendra Steiner ou cet I Abused Animal publié l’année dernière par Ideologic Organ et sur lequel elle défend un art particulier de la chanson ; sous celui de Jailbreak, elle a aussi pu improviser auprès de Chris Corsano.
Avec Brötzmann, Leigh ne donnera pas de la voix : à la seule pedal steel guitar, elle répond à l’émouvant appel qu’il lance et la rencontre délivre déjà ses premières surprises. Est-ce l’instrument de Leigh ou sinon son approche qui obligent Brötzmann à la mesure ? En tout cas celle-ci lui va et l’inspire même : c’est ainsi là une rare sobriété qu’il consomme sur un arpège répété, un affaissement ou un glissement d’accord.
Si cette opposition qui lui est soustraite n’interdit pas à Brötzmann la friction ni le grippage – alors, le voici tourmentant un air de theremin –, c’est encore la mesure qui commande, aussi bien le ténor que les clarinettes et le tarogato. Elle façonne même ces harmonies étranges nées de ce moment particulier : une demi-heure qui valait bien de passer sur disque – CD Not Two ou, bientôt, vinyle Tröst.
Peter Brötzmann, Heather Leigh : Ears Are Filled With Wonder
Not Two
Enregistrement : 8 novembre 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Ears Are Filled With Wonder
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Charles Gayle, William Parker, Hamid Drake : Live at Jazzwerkstatt Peitz (Jazzwerkstatt, 2016)
Enregistré en Allemagne, dans l’église Stüler, en mai 2014, Live at Jazzwerkstatt Peitz documente la rencontre sur scène de Charles Gayle et de l’incontournable section rythmique composée de William Parker et Hamid Drake. Ces trois-là ont souvent joué ensemble, dans différents contextes et formations, mais ont rarement gravé sur disque leurs improvisations en trio.
Démarrées sur les chapeaux de roue, les premières minutes de l’épique Fearless attestent d’emblée l’incandescence d’une formation autant éprise de quête formelle que de spiritualité. Le phrasé de Gayle, tout en contorsions sinueuses et brisures harmoniques, instaure une tension ascensionnelle, faite de surgissements et suspensions. Puis de s’effacer ensuite, justement, pour laisser libre cours à la contrebasse bondissante de Parker, véritable plaque tournante de cette session, point nodal à partir duquel se noue et se dénoue une architecture sonore conçue comme une succession ininterrompue de reliefs à gravir et dévaler. Avant de réapparaître au premier plan, formulant l’éclat d’une plainte.
Les trois morceaux suivants, Gospel, Texturen et Angels, voient le saxophoniste investir l’instrument sur lequel il fit ses premières armes, le piano, souvent convoqué sur ses récents enregistrements. L’approche se veut percussive, presque instinctive. Les motifs développés laissent suffisamment d’espace, sinon de vide, jusqu’à créer des effets d’attente, pour que Parker et Drake, parfois manifestement désarçonnés, greffent leur propres aspirations. Tel ce solo du contrebassiste, sur le bien nommé Angels, moment de grâce où l’altération rythmique se dissipe dans la formulation d’un temps délité. Encore renoue avec l’aridité et l’explosivité inaugurales, un péril commun à la fois intériorisé et expiatoire. Et sonne moins comme une éventuelle interrogation qu’une probante injonction à y revenir.
Charles Gayle Trio : Live at Jazzwerkstatt Peitz
Jazzwerkstatt
Enregistrement : mai 2014. Edition : 2016.
01/ Fearless 02/ Gospel 03/ Texturen 04/ Angels 05/ Encore
Fabrice Fuentes © Le son du grisli
Sophie Delizée, Gérard Fabbiani, Elisabeth Bartin, Michel Doneda : Je partant voix sans réponse... (Editions crbl, 2016)
Les mots ce sont ceux de Danielle Collobert, libre, intransigeante, partisane, proscrite, suicidée. Les souffles ce sont ceux de Sophie Delizée (voix), Gérard Fabbiani (clarinette basse, saxophone soprano), Elisabeth Bartin (voix) et Michel Doneda (saxophone soprano, flûte). Les encres sont celles de Jacques Hemery.
Comme des claquements (d’anche, de souffles), les mots sont soleils et blessures. Il n’y a pas d’écho, pas de soubresaut, juste le poignard et la plaie (à travailler ses veines pour mot). Il y a les fers et les chaînes. Il y a ce cri sorti du silence, ce néant d’où l’on ne revient pas puisque choisi. Il y a ce qui reste (je dis ardent énergie le cri ou comme brûle jamais dit) et ceux qui ne veulent pas taire la vague. Alors, ils insistent, soupirent, chuchotent, crient, peignent, disent, enregistrent, pensent, complètent, unissent. Et à l’arrivée offrent. Surtout, offrent.
Sophie Delizée, Gérard Fabbiani, Elisabeth Bartin, Michel Doneda : Je partant voix sans réponse articuler parfois les mots
Editions crbl
Enregistrement : 2008 & 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Séquence 1 02/ Séquence 2 03/ Séquence 3 04/ Soprano seul 05/ Fragment 1 06/ Fragment 02 07/ Fragment 03
Luc Bouquet © Le son du grisli
George Russell : At Beethoven Hall (Saba, 1965)
Ce texte est extrait du deuxième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par les éditions Camion Blanc.
Pour en apprendre sur la chanteuse Shirley Jordan, George Russell fit avec elle le voyage jusqu’en Pennsylvanie. Là, il rencontra sa famille et découvrit dans la région la peine des hommes employés dans les mines de charbon. Le revers, en quelque sorte, de l’American Way of Life chantée souvent sur l’air de « You Are My Sunshine ». Les arrangements du thème ne méritaient-ils pas d’être corrigés ?
You are my sunshine, my only sunshine
You make me happy when skies are grey
You'll never know dear, how much I love you
Please don't take my sunshine away
Please don't take my sunshine away
Chose faite par Russell, la chanson fut interprétée en août 1962 au Museum of Modern Art de New York puis enregistrée pour être consignée une première fois sur The Outer View. La voix claire de Shirley Jordan, encore inconnue, déposée au beau milieu d’une relecture aussi savante – Lydian Concept faisant son œuvre – qu’audacieuse.
Trois ans plus tard, Russell donnait à entendre sa version du standard en Europe. Son sextette est composé de Bertil Lövgren (trompette), Brian Trentham (trombone), Ray Pitts (saxophone ténor), Cameron Brown (contrebasse), Albert Heath (batterie) et augmenté de Don Cherry (cornet). Second volume du concert enregistré au Beethoven Hall de Stuttgart : « You Are My Sunshine » se passe de voix pour provoquer d’autres manières.
Le lendemain, la relecture fera naître à Coblence les sarcasmes du public – Morceau d’archéologie personnelle (2) : « George Russell et Don Cherry interprétant « You Are My Sunshine » à Coblence avec pertes et fracas, parce qu’il n’est pas possible de mentir plus longtemps en chanson. L’heure, d’être à la vérité, aussi noire soit-elle ? » George Russell s’adresse à l’assistance : « If you know it better, why don’t you finish the concert ? » Le concert est terminé.
Des explications suivront : « la façon dont nous jouons ce morceau est la seule possible aujourd’hui. Le faire d’une autre manière serait mentir. (…) Les gens vivent dans un monde d’ordinateurs et de bombe H, de guerre du Vietnam et d’astronautes, tout en chantant « You Are My Sunshine ». Il est impossible de croire que tout cela finira bien. »
You are my sunshine,my only sunshine
You make me happy when skies are grey
You'll never know dear, how much I love you
Please don't take my sunshine away
Frank Benkho : A Trip To the Space [Between] (Clang, 2016)
Une orgie de synthétiseurs, signée Frank Benkho. On est presque habitués, deux après son The Revelation According To... où le Chilien se présentait au monde avec des armes du même acabit. On en avait gardé un bon (et lointain) souvenir. Bad news for him, la prolongation dans nos mémoires n'est plus garantie sur A Trip To The Space [Between].
Quelques effets kosmische typés seventies essaient de nous faire tripper. C'est loupé, ça sonne plus ringard que vintage. Dans le genre, autant rester sur le mystère Ursula Bogner. Ou bien ça se lance en marche de Raster-Noton, ça fait sourire, c'est déjà ça. Puis, ô audace, un compteur Geiger répond à la convocation, il n'a pas lu la date de péremption, c'est ballot. Merde, on est passé à deux doigts d'un grand disque. S'il était sorti en 1976. Pas de bol, on est quarante balais plus tard.
Frank Benkho : A Trip To the Space [Between]
Clang
Edition : 2015.
DL : 01/ Escapte to Planet Mars 02/ Deep Love Beneath Earth 03/ Jogging on Venus 04/ The Space Between Us 05/ No Money, No Planet 06/ The Brightest Object On the Night Sky
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Dead Neanderthals : Worship The Sun (Relative Pitch, 2015)
Suivre un groupe dans le temps (OK, un duo pour ce qui est de Dead Neanderthals), c’est vieillir entre deux opus, et attendre du dernier opus qu’il prenne en compte tout ce que vous avez fait (et entendu) avant sa sortie. Et ça permet aussi au chroniqueur de réutiliser un petit bout de la chronique d’avant. Je le fais : « Aussi vigoureux, aussi fort, aussi remonté (si ce n’est plus) qu’hier… » Ce qui nous fait maintenant combien de fois plus vigoureux et plus fort qu’hier pour Rene Aquarius & Otto Kokke ?
Un sax et une batterie, seulement ? C’est tout ce qu’on entend sur ces deux prises studio ? Eh ben oui, mais leur jazz rock est free, et leur free est punk (si j’ose m’exprimer en des termes qui sont presque des stylo-genres). La batterie gros-bouillonne et quand elle faiblit c'est volontaire / le saxophone siffle des notes, il les endure, il les hurle dans un filet de voix et c’en est impressionnant. Un free de fausset et un rock de fort des halles, et vice-versa. Worship the Sun demande à tout le monde de l’endurance = aux musiciens + aux spectateurs + aux auditeurs. Et nous aussi, tiens, peut-être pas plus vigoureux, mais plus forcenés : on a tenu jusqu’au bout… et nous voilà revigorés !
Dead Neanderthals : Worship The Sun
Relative Pitch
Edition : 2015.
CD : 01/ Worship 02/ The Sun
Pierre Cécile © Le son du grisli