Werner Hasler, The Outer String : Out (Everest, 2016)
Néo-classique? Peut-être, il y a de ça. Free un peu, beaucoup de choses ? Aussi, mais tendance smooth. Jazz ? Bien sûr, sans oublier quelques volutes orientalistes au travers de la fumée. Quelques amateurs éclairés ont allumé un bâton de chaise, trois centimètres de diamètre. Ils se laissent emporter par l'esprit frondeur et volubile de Werner Hasler / The Outer String sur Out.
Entre concert et exposition, le trompettiste suisse et sa suite aux violoncelles et percussions promènent l'auditeur au sein du temps ; il défile allègrement au gré des interventions dynamiques de ses multiples protagonistes. Ca swingue pas mal, oui, ça rameute aussi l'inquiétude d'un soir pluvieux de novembre, passé à se rappeler les cordes étendues par Gavin Bryars. Derrière leurs fûts, les trois batteurs (à tour de rôle) réécrivent la créativité en majuscules, leurs apports sont primordiaux à la belle réussite de ce disque à la forte personnalité. Elle est aussi déchirante qu'enivrante, on imaginerait bien un ami cher savourer un whisky en sa compagnie.
Werner Hasler, The Outer String : Out
Everest Records
Edition : 2016
CD : Out
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Listening (Lenka lente, 2016)
L'impossibilité que soit chroniqué ce livre en ces pages n'interdit pas d'en extraire un chapitre, en l'occurence l'avant-propos à ce carnet de route écrit par Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips pour le son du grisli, qui aura été revu, corrigé et même augmenté en vue de sa publication. Le livre est disponible sur le site des éditions Lenka lente.
6 avril 2016, Nantes, France
Maison
En 2013, Jacques Demierre et moi avons échangé une correspondance qui a peu à peu abouti à une « conversation » que John Zorn a ensuite publié, traduite en anglais, dans le septième volume de sa revue Arcana (« Jacques Demierre in conversation with Guillaume Belhomme », Arcana VII, Musicians on Music, Hips Road, 2014). Dans celle-ci, nous abordions entre autres choses l’histoire du LDP trio que le pianiste forme avec Urs Leimgruber et Barre Phillips : « un lieu incroyable de confiance et d’expérimentation », y dit Demierre. Plus loin, il précise : « C’est le mécanisme de la mémoire qui me permet de dire que le trio LDP joue un unique concert qui continue depuis bientôt quinze ans. Le silence entre chaque performance est simplement d’une durée un peu plus longue que celle des silences joués sur scène. Car l’écoute que nous avons du trio ne cesse pas le concert une fois terminé, elle se prolonge, elle tisse sans cesse un lien dynamique avec la mémoire, jusqu’à la prochaine rencontre live des trois musiciens. »
En 2015, les musiciens connurent d’autres rencontres, commandées par les dates de la tournée LISTENING qui célébra, en Europe et aux États-Unis, les quinze ans de leur LDP et les quatre-vingts d’un des trois éléments qui le composent (le « P »). Afin de marquer ce double anniversaire, je proposai à Demierre, Leimgruber et Phillips de tenir pour le site internet le son du grisli un carnet de route qui dirait du trio, autrement qu’en musique, les expérimentations nouvelles aussi bien que les aléas du voyage. Chacun dans sa langue, les musiciens s’y sont tenus, tant et si bien qu’il m’a bientôt semblé nécessaire de publier sous la forme d’un livre ce témoignage exceptionnel d’une des formations les plus intéressantes à œuvrer dans le champ de la musique improvisée. A lire le carnet de route du LDP, on croit d’ailleurs maintenant l’entendre ; à moins que ce ne soit le souvenir de leurs enregistrements qui remonte au gré des étapes et nous presse, à chaque page, d’y retourner…
1↦3⊨2:⇔1 (Jazzwerkstatt, 2015)
MONTREUIL (Jazzwerkstatt, 2012)
WING VANE (Victo, 2001)
Astral Colonels : Good Times in the End Times (Immediata, 2016)
Dans le livret qui accompagne ce beau disque Immediata, Anthony Pateras interroge Valerio Tricoli à propos du futurisme et de l’ « Intonarumori », mais aussi de Palerme, de son désintérêt pour le LP ou de l’effet de la techno sur sa libido… Dans ces vingt pages de conversation, Pateras et Tricoli – qui forment cet Astral Colonels – apprennent l’un de l’autre autrement qu’en musique, c’est-à-dire qu’ils s’autorisent à n’être pas toujours d’accord.
Pour être convaincu qu’ils peuvent s’entendre, il faudra alors écouter le disque qu’ils ont composé à partir d'improvisations enregistrées à Berlin en 2008. Pateras (synthétiseur analogique, clavecin, orgue et piano préparé) et Tricoli (Revox B77 et voix) y baladent des rumeurs en d'étranges paysages, palais de miroirs ou mobile électrique, rivalisant d’inventions inquiétantes (martelages, achoppements…) ou de propositions qui travaillent à l’envergure de leur affaire. Sur la troisième et dernière piste, c’est un autre exercice, arrangement de couches moins surprenant mais qui ne gâte pas la première référence de la discographie d'Astral Colonels.
Astral Colonels : Good Times in the End Times
Immediata / Metamkine
Enregistrement : 2008. Edition : 2016.
CD : 01/ I 02/ II 03/ III
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Adam Gołębiewski : Pool North (Latarnia, 2016)
La batterie étant boite à trésors, Adam Gołębiewski ne se prive pas d’en tirer quelques polyphonies démesurées. A l’aide d’objets, de métaux, d’adhésifs, d’un micro et de dizaines d’autres sources, il lessive, percute, entasse, malaxe, râcle, gratte, part à l’assaut. Parfois, s’éclaire quelque relief de cymbales, parfois se perçoivent les peaux et cercles des tambours.
Mais le plus souvent n’existe qu’une symphonie de grondements, crissements, chocs, carillons, tumultes, roulements et balayages. La batterie n’est alors que frénésie de fantômes hurleurs et malveillants.
Adam Gołębiewski : Pool North
Latarnia Records
Enregistrement : 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ Straight, Mute 02/ Decay 03/ Left Hand Shake 04/ Ellington Tradition 05/ Half Blame 06/ Manner & Timbre 07/ Glass of Seawater
Luc Bouquet © Le son du grisli
Game of Patience : Trial and Error (Herbal, 2016)
Comme le CD sort dans la série Concrete Disc du label Herbal, j’ai bien regardé l’intérieur de ce digipack trois panneaux : c’est qu’on dirait le sommet d’une architecture de verre et de fer, qui pourrait bien dater du XIXe. Or si elle date du XIXe, j’imagine qu’on n’a pas permis à Game of Patience de faire bouger sa structure, question de conservation…
Parce ce que c’est ce qu’on suppose au début de cette impro du trio (Yong Yandsen au saxophone, Darren Moore à la batterie & percussions et Brian O’Reilly à la contrebasse & electronics). Enfin, jusqu’à ce qu’une cymbale se fasse frotter dans le sens de ses rainures : alors voilà l’impro sur le feu, qui fait chauffer à court-bouillon des tintements métalliques, des crincrins récalcitrants, etc. Ensuite, à Fukuoka (c’est le deuxième morceau, un autre enregistrement de concert), ça part en free = à force de patience on en arrive à en goûter (de la force). Il semblerait que les concerts de Game of Patience se suivent et ne se ressemblent pas, et ça c’est tant mieux pour leurs disques !
Game of Patience : Trial and Error
Herbal International
Enregistrement : 22 janvier 2015 & 16 juin 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ CHOPPA 02/ Fukuoka
Pierre Cécile © Le son du grisli
Charles Gayle, John Edwards, Roger Turner : 26.05.15 (OTOroku, 2016)
Londres, mai 2015. Charles Gayle se présente sur la scène du Cafe OTO avec une rythmique anglaise imparable, qu’on ne présente plus : John Edwards à la contrebasse et Roger Turner à la batterie En résultera près de quatre-vingt-dix minutes de musique, déclinée sur disque en cinq morceaux et autant de mois, violemment tendue.
De récente mémoire, le saxophoniste ténor n’avait plus arpenté de tels territoires situés constamment sur la corde raide. Rugissant plus que de raison, soufflant à cor et à cri, sollicitant l’irrégularité rythmique et l’imprévisibilité, Gayle ne feint pas la saturation : au contraire, il en joue. De ce trop plein, amas de sonorités éructives flirtant volontiers avec le suraigu aylérien, coexistence ininterrompue de fluidités et d’accentuations, naît moins un sentiment de chaos indistinct que de temporalité saturée et d’impulsions vitales débordantes, comme si le temps n’était plus qu’une succession de notes déversées hic et nunc. Un chant à en perdre haleine qui finit par se matérialiser littéralement lors d’une incantation aussi viscérale que fulgurante (March).
Plus loin, la cadence tend à ralentir, un thème se dessine et les velléités bebop de Gayle, passé au piano, se font alors davantage jour quand elles ne finissent pas par ployer à nouveau, malgré tout, sous les relances et coups de butoir d'Edwards et Turner. Et lorsque la tension se relâche vraiment (May), nonobstant quelques soubresauts de bon aloi comme des rémanences, perce soudain, à travers l’apaisement sinon l’abandon ressenti, l’harmonie d’un temps enfin retrouvé.
Charles Gayle, John Edwards, Roger Turner : 26.05.15
OTOroku
Enregistrement : 26 mai 2015. Edition : 2016.
Téléchargement : 01/ January 02/Febuary 03/March 04/April 05/May
Fabrice Fuentes © Le son du grisli
Depuis quelques jours, le blog Beyond the Coda propose d'en apprendre davantage sur Roger Turner, par l'image...
Artificial Memory Trace : Hypnotikon (Unfathomless, 2016)
D’où viennent ces grigris (cricri ? fouifoui ?...) qui sifflent à nos oreilles ? Où et quand Slavek Kwi / Artifical Memory Trace les a-t-il captés ? Eh bien je m’en vais vous le dire, car je sais lire et que dans la gangue du CD on a toutes les informations : dans le Nord de l’Australie (c’est le deuxième tome d’australOpus, tiens) en août 2009.
Ses insectes nocturnes, ses crabes-hermites speedés, etc., chantent donc dans des réserves naturelles et protégées. Tel quel (= Intakta), Kwi nous les rend sur la première plage pour les mettre un peu plus tard au diapason de ses humeurs. Dans une soucoupe volante, les bestioles ! La composition peut commencer. Le matériel électronique bogue ou glitche mais la métamorphose opère : les bêtes n’en sont plus, elles ont été synthétisées pour le bien d’une ambient tellurico-abstraite de bonne facture (même si, en ce qui me concerne, je n'ai pas succombé à l’hypnose).
Artificial Memory Trace : Hypnotikon
Unfathomless
Enregistrement : 2009. Composition : 2012. Edition : 2016.
CD : 01/ Intakta 02/ Morf 03/ Tranzone 04/ 4mile Hole Billabong Underwater 05/ Hermitcrabs
Pierre Cécile © Le son du grisli
Stefan Thut : Un/Even and One (Intonema, 2016)
On sait depuis Pierre Nicole que « le silence a aussi son langage ». C’est ce qu’aujourd’hui les éditions Wandelweiser, au catalogue desquelles on trouve cette partition de Stefan Thut, ne cessent de démontrer et même, parfois, saisissent.
Enregistré le 23 juin 2015 à l’Experimental Sound Gallery de Saint-Petersbourg, cette interprétation d’Un/Even and One occupa six musiciens de l’endroit – à seulement l’entendre, on n’aurait peut-être pas dit « six », mais c’est pourtant le chiffre exact : en plus de Thut (violoncelle), trouver ici Yuri Akbalkan (ondes sinus), Ilia Belorukov (saxophone alto et objets), Andrey Popovskiy (violon et objets), Denis Sorokin (guitare acoustique, ebow), enfin, Anna Antipova (boîte, playback et déplacements).
Les images – ci-dessous, celles de l’interprétation donnée au même endroit le lendemain de l'enregistrement – aideront à la compréhension des règles qui régissent ce lent brassage de cordes, d’électronique et de vents. Sur un effleurement, une note peut percer et même se faire entendre quelques secondes durant. Mais ce sont surtout, passées au tamis, les rumeurs d’archets et les ondes discrètes qui marquent cette musique qui confine au soupçon. Si, maintenant, elle manque peut-être d’autorité, ses quarante minutes ne sont pas perdues pour autant.
Stefan Thut : Un/Even And One
Intonema
Enregistrement : 23 juin 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Un/Even And One
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
André Gonçalves : Currents & Riptides (Shhpuma, 2016)
Collaborateur de Kenneth Kirschner (sur Resonant Objects) ou de Richard Gareth & Ben Owen (dans l’international project EA), ingénieur chez les fabricants de synthés analogiques ADDAC Systems, André Gonçalves accouche (presque seul) de deux plages d’électronique à couches pour le label Shhpuma « powered by » Clean Feed.
Avec Pedro Boavida au Fender Rhodes, notre Portugais entame l’enregistrement sur une (et une seule) note de synthé modulaire (à moins que ce ne soit un feedback de guitare) qu’il fait tenir plus de quatre minutes. C’est fragile et haletant à la fois, mais malheureusement ça ne dure que le temps annoncé. Plus rien d’haletant après mais des tas d’aigus de synthé sur des voix préenregistrées sur des guitares qui trifouillent sur des bruits de jacks branchés à l’arrache... Un fatras laborieux.
Mais ce sera mieux sur l’autre piste. Avec Rodrigo Dias à la basse et Gonçalvo Silva à la guitare (attention, leurs présences sont très très discrètes), il fait gonfler une ambient à reverses (pas renversante mais) qui s’écoute bien quand même, entre Lawrence English et Taylor Dupree. Cette fois, on garde. Et d'ailleurs, avec le plus modeste des logiciels d’enregistrement disponibles gratuitement sur internet on peut découper les quatre premières minutes du premier pour les conserver précieusement.
André Gonçalves : Currents & Riptides
Shhpuma / Orkhêstra International
Edition : 2016.
CD : 01/ Long Story Short 02/ Will Be Back In A Few
Pierre Cécile © Le son du grisli
Radu Malfatti, Kevin Drumm, Lucio Capece : The Volume Surrounding the Task (Potlatch, 2016)
A en croire l’interview qu’il accorda en 2013 au son du grisli – « En 2000, j'ai gagné New York. Si j'étais intéressé par la musique de Braxton et d'Hemphill, à New York et Chicago j'ai découvert Kevin Drumm, John Butcher et j'ai mis la main sur le premier disque que Radu Malfatti a enregistré dans l'idée du collectif Wandelweiser » –, Lucio Capece rencontre ici (souvenir de tournée enregistré à Bruxelles, Q-02, le 21 janvier 2011) deux figures d’influence.
Est-ce maintenant lui qui amena Drumm (souvenir de Venexia) à Malfatti, avec lequel il a enregistré quelques références de sa discographie (Wedding Ceremony, Berlinerstrasse 20, Explorational) ? La question restera en suspens, mais pas l’échange en question qui aurait pu battre la breloque si les intérêts divergents avaient été incapables de s’accorder au rythme lent adopté par le trombone, la clarinette basse et l’ordinateur. Le tumulte, amorti, assourdi voire, est accueillant – des oiseaux peuvent y nicher ou un bruit du dehors s’y faire une place.
Pour ce qui est du « dedans », il lévite à la manière d’un mobile sans attaches – les respirations des musiciens, et non plus ce silence fait objet de toutes les conjectures, assurant son équilibre – dont chacun des mouvements a une incidence sur l’entière composition. Ainsi un souffle levé peut déclencher un aigu perçant, un ronflement trouver son écho dans le bruit discret d’une manipulation, un tremblement se trouver apaisé par l’insistance d’une note plus affirmée et, même, une hésitation gagner en assurance sous le coup d’une réaction. C’est un jeu de patience, de stratégie peut-être, qui agit à la manière d’ondes oscillantes, c’est-à-dire : touche à coup sûr.
Radu Malfatti, Kevin Drumm, Lucio Capece : The Volume Surrounding the Task
Potlatch / Orkhêstra International
Enregistrement : 21 janvier 2011. Edition : 2016.
CD : 01/ The Volume Surrounding the Task
Guillaume Belhomme © Le son du grisli