Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Naoto Yamagishi : Toyomu (Maruhachi Yabuki, 2020)

naoto yamagichi toyomu le son du grisli

On a récemment entendu le batteur Naoto Yamagishi dans cet Ochibonoame qui l’associe au saxophoniste Makoto Kawashima et au bassiste Luis Inage. Nourrissant son art musical de ce même quotidien qui l’oblige, Yamagishi s’est exprimé en compagnie de musiciens (sur disques : Ernesto & Guilhermo Rodrigues, Anton Mobin, Rhys Butler…) et aussi des danseurs, poètes, calligraphes…

Mais Naoto Yamagishi est ici seul (pour la deuxième fois sur disque) : quatre pièces, enregistrées toutes le 7 janvier 2018, à entendre le temps d’une heure à peine. Le disque ne donne pas le nom des instruments de Yamagishi ; alors, outre ces éléments de batterie qu’on est en droit d’attendre, il nous faudra imaginer.

C’est qu’à la grosse caisse qu’on pense caressée puis déplacée comme un meuble lourd, à la caisse claire que l’on soupçonne amplifiée, aux toms qui tonnent, aux cymbales qui sinussent… on pourrait préférer ce bout de métal qui grince, les voix d’un au-delà qui chante et enfin ce monstre hirsute qui paresse en faisant grand bruit. L’art de Naoto Yamagishi est une construction de papier dont les faces délivrent plus de sons que l’oreille n’en demande. Le problème étant qu’ensuite l’oreille en demande davantage.

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Naoto Yamagishi : Toyomu
Edition : 2020
Maruhachi Yabuki
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 

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Morita Doji, Inryo-fuen et Kaoru Abe par Yuki Fuji, Shizuo Ushida et Makoto Kawashima

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A la demande de Michel Henritzi, plusieurs musiciens japonais ont accepté de nous parler brièvement d'un disque qui les a profondément marqués… Après Reizen, Tomo et Yonju Miyaoka, de nouveaux conseils nous arrivent de Yuki Fuji, Shizuo Uchida et Makoto Kawashima... 

 

morita doji

J'ai choisi l’album A Boy de Morita Doji. Cet album est réapparu en 1993, en pleine récession économique au Japon. On l'entendait beaucoup à cette époque. Ses chansons étaient bien sûr très étranges pour les gens qui ne la connaissaient pas. C’est profondément sombre, triste, beau et divin. Cela parle de solitude mais je le ressens comme un rayon de lumière dans l'obscurité, jusqu'en enfer. Cette chanson, « A Boy », est comme un requiem pour moi, et cela m'a beaucoup influencé dans ma façon d'aborder le chant comme un requiem.
Yuki Fuji fait partie du duo Sarry, qui s'inspire autant des musiques psychédéliques que des folklores anciens. Sa musique est essentiellement axée sur la voix, développant différentes formes de vocalises qui pourraient évoquer autant le Mystère des Voix Bulgares que Diamanda Galás.

Inryo-fuen « Inryo Fuen »

Il y a de nombreux disques qui me sont importants. Inryo Fuen est revenu à moi, soudainement. Je l'ai découvert il y a 37 ans, j'étais encore au lycée. Il y a eu une sorte de festival à l'université durant toute la nuit. La performance du groupe éponyme était très étrange, ils ont joué à l'aube un set très visqueux mais qui m'a marqué. Cet album a des sons qui m'ont littéralement emporté dans un univers de trous de rats. Il n'a jamais cessé de résonner au fond de moi, parfois me faisant glisser dans un vide obscur.
Shizuo Uchida, bassiste très actif dans la scène undeground de Tokyo, a joué avec Keiji Haino, Hirotomo Hasegawa, Takayuki Hashimoto… Son jeu assez unique est fait de fragments mélodiques, de silences et de concrétions de matières abstraites.

Kaoru Abe Shinjuku 1970

Nashikuzu Shinoshi de Kaoru Abe : pour la première fois de ma vie j'ai été effrayé en écoutant un disque. J'entendais dans ce disque le vrai son de la vie. Ce silence résonne toujours en moi de façon très bruyante. Parfois je reste debout immobile dans ce silence qui m'enveloppe. 
Makoto Kawashima, jeune saxophoniste inspiré par Kaoru Abe, a repris le sax là où Abe l'avait laissé, entre bruit et fureur. Son premier disque est sorti sur le label culte PSF, et vient d'être réédité par le label américain Black Edition.

 

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Seijaku : You Should Prepare To Survive... (Doubt, 2010)

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Dans Micro Japon, Michel Henritzi interroge forcément Keiji Hano. Occasion pour Frédéric Vieilleville de revenir sur l'une des références de la discographie du maître... 

Principalement dédié au blues, la modernité du trio Keiji Haino / Mitsuru Nasuno / Yoshimitsu Ichiraku s'oblige ici à traiter le thème avec arrogance et impertinence pour en piller l'essence et l'appliquer à un tournoiement fistulaire avant-gardiste.

Musicalement impressionnant, la divine rythmique saura onduler entre les travers habités du maitre de cérémonie KH, et alimenter ce nouvel arsenic capable de catapulter avec aisance un univers tortueux au sein des dieux, ivres de nouveautés. La forme, comme souvent, va déstabiliser les profanes mais l'esprit, lui, saura accueillir les autres, aventureux d'une recherche atypique musicale et spirituelle.

C'est cinglant, occulte, puissant, désabusé et maîtrisé ; ça grouille vers un autre chose, une fresque énigmatique criant de rage céleste pour en faire oublier celle de la réalité. Une présence quasi surnaturelle pour obliger à concevoir subtilement le fabuleux.

Réalité étant, suivre ce trio dans ses péripéties nécessite une implication certaine mais pas rédhibitoire… Accepter l'autre n'étant pas facile, en faire une référence serait osée mais tout aussi salutaire. Ouvrir les yeux sur le monde c'est aussi ouvrir les yeux sur la vie.

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Seijaku :You Should Prepare To Survive Through Even Anything Happens
Edition : 2010.
Doubtmusic
Frédéric Vieilleville © Le son du grisli

 


Ochibonoame : Ochibonoame (Homo Sacer, 2021)

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Ici chroniqué il y a quelques jours, Ochibonoame a sa place dans la sélection de 10 disques japonais récents à écouter d'urgence qu'a établie Michel Henritzi à l'occasion de la parution de son livre, Micro Japon... 

Nouveau projet de Makoto Kawashima qui regarde vers la free music, qui ne se veut pas une répétition scolaire, mais son prolongement, peut-être son dépassement. Louis Inage (Majutsu No Niwa) y tient la basse, Naoto Yamagishi les drums. On ne peut s'empêcher de penser à Kaoru Abe, sa façon de creuser dans le son des squelettes de mélodies fissurées, là où Yamagishi et Inage installent des ambiances polyrythmiques désarticulées.

Il ne faudrait pourtant pas réduire leur musique à celle de leurs aînés, à celle des Masahiko Togashi, Motoharu Yoshizawa… même si on peut y entendre une mélancolie de cette free music, il joue bien aujourd'hui en 2021, à Tokyo, dans ce réel angoissant, dans l'urgence et le cri. Les mains plongées dans la matière sonore, à tordre, assembler, désassembler, fracturer, lisser, caresser, aimer. Un geste d'amour.

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Ochibonoame : Ochibonoame
Edition : 2021.
Homo Sacer / An'archives
Michel Henritzi © Le son du grisli


Ryuichi Sakamoto : Hidari Ude No Yume (We Want Sounds, 2020)

sakamoto Hidari Ude No Yume

La toute première réédition d’Hidari Ude No Yume nous replonge en 1981 : Ryuichi Sakamoto fait encore le naughty boy dans Yellow Magic Orchestra, mais ça ne l’empêche pas de s’adonner aux plaisirs solitaires – je ne dis pas ça parce que le disque est sorti aux Pays-Bas sous le nom de Left Handed Dream.

Dix morceaux, qui ont l’âge qu’ils ont, et qui sentent donc bon les câbles rouge, bleu et noir, et le plastique des touches de synthé. Comme toujours avec le Sakamoto de ces années-là, on oscille entre la pop kawai et l’expérimentation électro… Pas loin de Bowie non plus (Living In The Dark), Sakamoto fait son cosmopolite et nous parle l’esperanto sur fond de refrains entêtants (The Garden Of Poppies) ou d’étranges vibes (Tell’Em To Me). Pas si kitsch, donc !

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Ryuichi Sakamoto : Hidari Ude No Tume
Réédition : 2020.
We Want Sounds / Souffle Continu
Pierre Cécile © Le son du grisli

 

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Tetuzi Akiyama : Thaumaturgy (Besom Press, 2020)

tetuzi akiyama bosom

C'est au son du guitariste Tetuzi Akiyama qu'ouvre la seconde partie de la sélection de 10 disques japonais récents à écouter d'urgence qu'a établie Michel Henritzi à l'occasion de la parution de son livre, Micro Japon, dans lequel est évidemment interviewé... Tetuzi Akiyama.

Akiyama est sans doute le plus américain des guitaristes japonais, celui qui s'est le plus immergé dans leur folklore, celui des John Fahey, Jack Rose, Skip James

Ce disque ne se réduit pas à une succession de jolies notes mais ouvre sur une attention profonde au réel, à sa respiration, au silence. Chaque corde griffée par l'ongle est comme une légère césure ouvrant sur une mélancolie du présent, rappelant l'impermanence de nos vies. Arpègiades cycliques et lentes dessinant de courts instrumentaux : on pourrait évoquer le zen si ce n'était un lieu commun à l'usage des musiciens japonais.

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Tetuzi Akiyama : Thaumaturgy
Edition : 2020.
Besom Press
Michel Henritzi © Le son du grisli

 

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Satoko Fujii : Kisaragi, + Entity (Libra, 2017-2020)

satoko fujii 2020

« Kisaragi est notre tout premier essai de jouer, d’un bout à l’autre, sans utiliser le moindre son normal. », explique Natsuki Tamura dans les notes du disque qu’il a enregistré, à l’hiver 2015 à New York, avec sa compagne Satoko Fujii. Voici donc piano et trompette soumis à détournements : de l’association des graves que le premier instrument fait claquer et des notes étouffées du second naîtront des paysages que l’improvisation – lente floraison, maillage accidentel, glissement soudain… – se chargera de sculpter.

Le piano grince quand une de ses notes n’est pas, par quel usage électronique, suspendue ; la trompette (que Tamura peut, fantasque, délaisser pour un jouet qui couine) débite des bruits qui en imposent quand elle ne met en place un fabuleux bestiaire (miaulement, bêlement…) que le piano augmente bientôt d’une brassée d’oiseaux. Derrière l’expérience (recherche de nouvelles textures sonores), le duo perd en lyrisme ce qu’il gagne en expression.

A la tête de l’orchestre new yorkais (et changeant) qu’elle emmène depuis plus de vingt ans, Fujii renoue avec le lyrisme qu’on lui connaît. Avec les saxophonistes Ellery Eskelin, Tony Malaby, Briggan Krauss, Oscar Noriega et Andy Laster, les trompettistes Herb Robertson et Dave Ballou (en plus de Natsuki Tamura), les trombonistes Joe Fiedler et Curtis Hasselbring, le guitariste Nels Cline, le bassiste Stomu Takeishi et le batteur Ches Smith, elle fait donc œuvre de franchise.

L’écriture est ciselée, qui frappe de grands coups avant de laisser le champ libre à tel soliste puis à tel autre, arrange des plages où l’unisson est interrogé sans cesse par les dissonances, et d’autres où les dissonances reviennent sagement à l’unisson. Sur matériau composé, Entity renoue avec un free orchestral que tire vers le haut l’inventivité des intervenants.

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Kazuo Imai : Far And Wee (Black Editions, 2020)

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Le guitariste Kazuo Imai est de la quarantaine d'interviewés de Micro Japon, livre de Michel Henritzi qui vient tout juste (!) de paraître aux éditions Lenka lente...  

Kazuo Imai est le seul élève à être sorti diplômé de l’école de Masayuki Takayanagi, dans l’Unit duquel il a aussi joué. Dans  Micro Japon, il explique : « Durant les performances auxquelles j’ai participé à leurs côtés, j’ai pu penser et expérimenter directement leur musique et à travers elle leurs idées, approcher intimement leurs sons. Mais tout ce que j’ai appris d’eux est aussi lié à ma façon de penser ma propre musique. » Sans doute est-ce cet esprit d’indépendance qu’Hideo Ikeezumi a voulu encourager quand, en 2004, il a offert au guitariste la possibilité d’enregistrer pour PSF Records ce Far And Wee que réédite aujourd’hui Black Editions.

Ikeezumi envisageait un enregistrement en studio mais Kazuo Imai lui préféra une captation de concert – donné au plan-B à Nakano, Tokyo, le 24 avril 2004 –, l’un de ces « soloworks » qu’il travaillait depuis 2001. A la guitare classique, il avance d’abord à notes comptées, nourries de silences et de réflexion ; et puis, comme le ferait quel autre élément naturel que son jeu ressenti, la musique pleut : les notes à distance font place à des chapelets nerveux de sons qui tiennent autant de la note sûrement posée d’entre deux frettes que de cordes claquées qui nous rappellent que tout instrument peut revendiquer appartenir à la grande famille des percussions.

La guitare classique fait grand bruit, évoque ici Otomo Yoshihide ou Derek Bailey malgré une expression ancrée davantage dans la mélodie, l’air qu’il faut saisir. C’est un Ornette tirant sur six cordes qu’évoque ainsi davantage Kazuo Imai et, en fin de course, à l’archet, renverse tout à fait : une autre déferlante, un autre engouement : le jeu et l’improvisation à venir, qui n’ont déjà plus rien à voir, rien à faire, des méthodes d’entendement, ni même de celles de l'impérieux Far And Wee.

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Kazuo Imai : Far And Wee
Edition : 2004. Réédition : 2020.
Black Editions
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 

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Bunsuirei : Dreamy 2018-2020 (Tall Grass, 2021)

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Certes, Pierre Cécile a écrit ici tout le bien qu'il a pensé de Dreamy 2018-2020. Mais allait-on pour autant empêcher Michel Henritzi de faire une place à ce même groupe dans sa sélection de 10 disques japonais récents à écouter d'urgence ? 

Un album sensible et beau, il n'y aurait rien d'autre à écrire, juste écouter Yonju Miyaoki, Haruki Sakurai et Morio Tagami jouer, se laisser immerger dans cette petite musique de nuit, aux ballades vénéneuses. De toute évidence, un disque qui aurait trouvé place dans le catalogue PSF, aux côtés de ceux de Go Hirano, Reiko Kudo, Keiji Haino, Chie Mukai, avec qui Yonju Miyaoki joue régulièrement. Disque très japonais dans cette façon désinvolte, presque dilettante, de travailler une chanson, de préférer son corps ébréché, la trace d'un désordre existentiel, à une perfection académique.

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Bunsuirei : Dreamy 2018-2020
Tall Grass
Edition : 2021.
Michel Henritzi © Le son du grisli

 

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Lauroshilau : Live at Padova (El Negocito, 2021)

live at padova

Avec Audrey Lauro (saxophone alto et préparations) et Pak Yan Lau (piano-jouets, synthétiseurs et électronique), Yuko Oshima forme Lauroshilau, formation-valise, de ces valises qui auraient ému Petiot : imaginez, trois corps à l’intérieur. C’est ainsi un trio qui fut enregistré le 30 novembre 2018 au Centre d’Arte de Padoue.

C’est ici la seconde référence de la discographie du trio. Les toiles que tendent l’électronique et les éléments de batterie invitent à prendre dès le début de l’improvisation un peu de distance avec l’écoute même. Les sons prendront place autour d’elle : fonte, approche, fuite, toutes en équilibre, et qui tournent. Ici et là, les trois musiciennes se permettent une incartade : c’est d’abord le saxophone qui invective, puis un tambour qui gronde, enfin l’électronique qui avale l’entière composition. Si les cartes n’en sont pas brouillées, elles s’envolent. Nous les regardons retomber, disparaître.

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Lauroshilau : Live at Padova
Edition : 2021.
El Negocito
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 

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