Jac Berrocal, David Fenech, Ghédalia Tazartès : Superdisque (Sub Rosa, 2012)
Superdisque, voilà un nom tout trouvé pour la (première) collaboration de trois originaux mélangeurs de rythmes et de mélodies : Jac Berrocal à la trompette, David Fenech à la guitare électrique, et Ghédalia Tazartès au chant… Trois enfants de chœur qui s’amusent avec les structures, donnent dans la trompette cinoque, l’accordéon dégonflé, l’esbroufe vocale, le langage improvisé et l’improvisation langagière…
Ian Curtis de division d’honneur (Joy Divisé), hurluberlus qui trouveraient bien dans leurs auditeurs plus remué qu’eux, poètes usés jusqu’à la rime, folkeux qui ont tant de référence qu’à la fin ils n’en ont plus (Cochise, Quando…), urbains cherchant l’herbe sous l’asphalte, équilibristes sur fil dentaire, bois sans soif et chante sans refrain, arpenteurs de vide-greniers… Ces musiciens-serpents qui sifflent sur Superdisque sont tout ça à la fois. Et voilà maintenant que vous sifflez avec !
Jac Berrocal, David Fenech et Ghédalia Tazartès : Superdisque (Sub Rosa)
Edition : 2012.
CD/LP : 01/ Joy Divisé 02 Human Bones 03 Cochise 04 Quando 05 David's Theme 06 Ife L'Ayo 07 Porte de Bagnolet 08 J'attendrai 09 Jac's Theme 10 Powow 11 Sainte 12 Final
Pierre Cécile © Le son du grisli
Henrik Munkeby Nørstebø : Solo (Creative SOurces, 2011)
Henrik Munkeby Nørstebø ne manque pas de souffle. Son solo de trombone également. Mais l’élan qui le propulse, parfois, s’enraye. A vouloir donner une forme précise à chaque pièce et en ne s’en éloignant jamais – donc en ne s’offrant ni peur ni reproche ni surprise –, le risque est grand de ne feuilleter qu’un catalogue de théories, plus ou moins bien observées chez les illustres aînés (Lewis, Malfatti).
Si le potentiel du Norvégien semble sans limites, nous aurions aimé qu’il s’investisse plus intensément dans le cambouis d’une improvisation bien plus exaltée. La prochaine fois, sans doute.
Henrik Munkeby Nørstebø : Solo (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD : 01/ Solo 1 02/ Solo 2 03/ Solo 3 04/ Solo 4 05/ Solo 5 06/ Solo 6 07/ Solo 7 08/ Solo 8 09/ Solo 9 10/ Solo 10 11/ Solo 11
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jazz Favourites par Martin Davidson (Emanem)
L’année dernière, lorsque parut le second volume de l’anthologie Giant Steps / Way Ahead, Martin Davidson (Emanem) me proposa d’établir sa liste de musiciens de jazz favoris. Comme les inédits de Lacy que l’on trouve en Avignon & After, cette liste est riche d’enseignement et ne pouvait se passer de publication. [gb]
This list is a good approximation. I have not included any people primarily involved in free improvisation rather than jazz. You can judge my favourites there (approximately) by seeing who is on Emanem.
Henry Red Allen - Marshall Allen - Louis Armstrong (avant 1929) - Albert Ayler - Count Basie - Sidney Bechet - Karl Berger - Edward Blackwell - Art Blakey - Paul Bley - Bobby Bradford - Clifford Brown - Pete Brown - Teddy Bunn - John Carter - Kent Carter - Sid Catlett - Paul Chambers - Serge Chaloff - Don Cherry - Kenny Clarke - Ornette Coleman - John Coltrane - Eddie Costa - Miles Davis (avant 1969) - Walt Dickerson - Baby Dodds - Johnny Dodds - Eric Dolphy - Roy Eldridge - Duke Ellington (avant 1943) - Bill Evans (avant 1963) - Gil Evans (avant 1966) - Dizzy Gillespie - John Gilmore - Jimmy Giuffre - Dexter Gordon - Milford Graves - Wardell Gray - Sonny Greer - Johnny Griffin - Charlie Haden - Lionel Hampton - Joe Harriott - Bill Harris - Hasaan Ibn Ali - Coleman Hawkins - Fletcher Henderson - Earl Hines - Billie Holiday - Elmo Hope - Milt Jackson - James P Johnson - Elvin Jones - Jo Jones - Philly Joe Jones - Thad Jones - Lee Konitz (avant 1955) - Steve Lacy - Scott LaFaro - Pete LaRoca - John Lewis - Booker Little - Warne Marsh - Bernie McGann - Jackie McLean - Bubber Miley - Charles Mingus - Thelonious Monk - J R Monterose - Jelly Roll Morton - Fats Navarro - Frankie Newton - Herbie Nichols - Charlie Parker - Oscar Pettiford - John Pochee - Bud Powell - Django Reinhardt - Max Roach - Sonny Rollins - Roswell Rudd - George Russell (avant 1965) - Pee Wee Russell - Wayne Shorter (avant 1969) - Horace Silver - Rex Stewart - Sun Ra (avant 1968) - Art Tatum - Cecil Taylor - Clark Terry - Rene Thomas - Lucky Thompson - Stan Tracey - Lennie Tristano - Richard Twardzik - Wilbur Ware- Leo Watson - Ben Webster - Bobby Wellins - Kenny Wheeler - Cootie Williams - Lester Young.
Steve Lacy : Avignon and After (Emanem, 2012) / Steve Lacy : Estilhaços (Clean Feed, 2012)
Dans les notes de présentation de The Gap (disque enregistré le 6 décembre 1972 que publia ensuite America), Steve Lacy explique la manière dont il emmena sa formation sur le titre The Thing : « Les seules indications données sont sorties, entrées, et certaines indications qui concernent surtout des quantités, telles que peu de choses, beaucoup de choses, choses déconnectées, une seule chose, rien, tout. »
Seul sur Avignon & After – enregistrement de concerts donnés au théâtre du Chêne Noir les 7 et 8 août 1972 qu’Emanem publia jadis (Solo Théâtre du Chêne Noir sur LP & Weal & Woe sur CD) et augmente aujourd’hui en le rééditant de pièces inédites enregistrées deux ans plus tard à Berlin (Clangs, plages 13 à 17) –, Lacy suit la même logique, répond aux mêmes attentes, qui sont après tout les siennes. De ces choses attendues, le soprano fit ainsi le prétexte de constructions hétéroclites : cantate enivrante ou réduction de prélude, antienne contorsionniste ou précis de recherche vive et parfois même ardue (la note peut être poussée avant d’être retournée, la mélodie patiemment défaite à coups de bec saillant).
Les « Berlinoises » sont au nombre de cinq, rangées sous appellation Clangs. Ce sont-là des miniatures qui poursuivent les recherches entamées par Lacy sur le matériau et le son, intenses concentrés développés en aires de jeux, dont la découverte obligea à la publication que ce chevillage au solo avignonnais a rendu judicieuse.
Steve Lacy : Avignon & After, Volume 1 (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 7 et 8 août 1972 & 14 avril 1974. Edition : 2012.
CD : 01/ The Breath 02/ Stations 03/ Cloudy 04/ Original New Duck 05/ Joséphine 06/ Weal 07/ Name 08/ The Wool 09/ Bound 10/ The Rush 11/ Holding 12/ The Dumps 13/ Clangs : The Owl 14/ Clang : Torments 15/ Clangs : Tracks 16/ Clangs : Dome 17/ Clangs : The New Moon
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
C’est naturellement à Clean Feed que revient le « droit » de rééditer ce Live in Lisbon donné il y a quarante ans (28 février 1972) par le Steve Lacy Quintet et publié à l’origine par Sassetti. On y retrouve Stations, cette fois interprété par le saxophoniste aux côtés d’Irène Aebi, Steve Potts, Kent Carter et Noel McGhie. S'il arrive aux micros de défaillir, l’enregistrement n’en reste pas moins d’importance : les passes de saxophones livrées sur les chansons portugaises que capte le poste de radio d’Aebi, le motif de No Baby passant de main en main ou le double archet qui maintient The High Way dans une atmosphère étrange, n’y étant pas pour rien.
Steve Lacy : Estilhaços (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 28 février 1972. Réédition : 2012.
CD : 01/ Presentation 02/ Stations 03/ Chips / Moon / Dreams 04/ No Baby 05/ The High Way
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
de la Mancha : The End* of Music (Karaoke Kalk, 2012)
Malgré son nom, de la Mancha nous vient de Suède – point commun, mais c’est bien le seul, avec le folkeux Jose Gonzalez. Deuxième disque, premier depuis 2003(!) de la paire Jerker Lund – Dag Rosenqvist (on connait ce dernier pour son side project Jasper TX), The End* Of Music nous dévoile une pop leftfield du plus bel aloi – tiens, elle nous rappelle les meilleures heures du label Own Records.
Chargé d’une émotion qui ne vire jamais au surjoué ou au faux malade, l’univers des deux Scandinaves s’inscrit dans les marges de Red House Painters, tout en n’ignorant pas les effets bénéfiques de Sigur Ros et d’un post-shoegaze qui aurait connu Radiohead. Evidemment au-delà de toute timidité mal soignée, Lund et Rosenqvist ont toutefois l’excellent aplomb de revendiquer leur fragilité, tel un bateau naviguant aux ordres du capitaine David Gilmour où les seconds répondraient aux doux noms de Thom Yorke et Nick Talbot. Et surtout, oui, ils nous évitent l’infâme écueil Coldplay vs. Muse, singé des milliers de fois par tous les neuneus du monde (snif), alors que le genre fréquenté s’y prêtait à profusion. Rien que pour ça, je leur dis un immense et chaleureux merci.
de la Mancha : The End* Of Music (Karaok Kalk)
Edition : 2012.
CD : 01/ Golden Bells 02/ Ursa Minor 03/ Under A Leaden Sky 04/ Hidden Mountains 05/ Willow Lane 06/ Erase 07/ What If Going Back Meant Coming Home? 08/ For Family 09/ At Lands End 10/ Til Gupu
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Charlemagne Palestine, Janek Schaefer : Day of the Demons (Desire Path, 2012)
On rêve toujours que deux poésies n’en fassent qu’une, et même une plus grande, quand une rencontre telle que celle-ci est annoncée. Or l’alchimie ne coule pas de source. Charlemagne Palestine et Janek Schaefer ont eu beau placer leur collaboration sous l’égide d’une divinité indienne...
Ni rigoureux (école Pandit Pran Nath) ni inventif (école Terry Riley), le râga qu'ils entament se contente d'un drone (shruti box et harmonica) qu’agrémentent des vocalises à la manière de Wim Mertens. C’est tout, aurait-on envie de dire tellement il manque de ressort à l’exercice. Sur l’autre face du LP, le duo adopte un ton plus expérimental mais marie à la va-vite des field recordings (des paroles surtout), un mélodica et des carillons. Pas de colonne vertébrale, simplement des éléments sonores en surimpression. C’est tout, aurait-on encore envie de dire avant de confirmer : l’alchimie ne coule pas de source, il faut continuer à la rêver.
EN ECOUTE >>> Day of the Demons (Mix)
Charlemagne Palestine, Janek Schaefer : Day of the Demons (Desire Path)
Edition : 2012.
LP : A/ Raga de l’aprés midi pour Aude B/ Fables from a far away future
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Marées de hauteurs diverses (Insubordinations, 2012) / D’Incise / Hennig / Kocher / Sciss (Insubordinations, 2012)
Pour ne pas connaître tous les musiciens invités à remixer les Marées de hauteurs diverses de Diatribes et Abdul Moimême, j’ai dû faire confiance aux intéressés (il leur a bien fallu faire confiance, à eux…) en sachant que les risques étaient faibles vus que l'on peut gratuitement télécharger la chose.
Faire confiance, donc... A Francisco López, dont les sons en cascade vont crescendo et disparaissent avant d’avoir atteint le premier plan, ce plan où tout est trop visible. A Herzog aussi, qui compose un puzzle électroacoustique où résonnent des bols et des basse, à Blindhæð dont l’emprise nous coupe le souffle (sur un titre dédié au grand Jacques Sternberg… parenthèse refermée ? parenthèse refermée !) ou encore à Nicolas Bernier dont la batterie martèle jusqu’à notre cerveau. Il y a moins de personnalité, par contre, chez Honoré Ferraille, Mokhuen ou Ludger Hennig, mais pas de quoi bouder cet album de reprises, exercice rarement aussi estimable.
EN ECOUTE >>> Blindhæð : Un fracas d'asthme >>> Nicolas Bernier : Crustacés
Collectif : Marées de hauteurs diverses (Insubordinations)
Edition : 2012.
CD : 01. Blindhæð : Un fracas d'asthme, de gravier et de ferraille suintante pour Jacques Sternberg 02/ Nicolas Bernier : Crustacés 03/ Honoré Ferraille : The Tide Is Gone On Its Own 04/ Ludger Hennig : Retro Forensic Version 05/ Mokuhen : Poisson Silence 06/ Francisco López : Untitled#279 07/ Herzog : Naufrage (remix)
Pierre Cécile © le son du grisli
On retrouve D’Incise et Hennig sur un disque (à télécharger gratuitement lui aussi) enregistré à quatre – les deux autres musiciens sont Jonas Kocher à l’accordéon et Sciss au laptop. Ce qui fait trois laptops contre un accordéon… La bataille n’est pas équilibrée, mais Kocher s’en sort très bien. Face aux bips, aux lignes qui ondulent, à des crissements de rideau de fer, aux décharges de l’électricité noire, l’accordéon opte pour le camouflage et ravit l’ensemble !
EN ECOUTE >>> So zahlreich, daß man sie nicht zählen kann
D'Incise / Hennig / Kocher / Sciss (Insubordinations)
Enregistrement : 7 mai 2011. Edition : 2012.
Téléchargement : 01/ So zahlreich, daß man sie nicht zählen kann 02/ Einen einzigen Schuß abfeuern 03/ Flach auf den Boden, um Maß zu nehmen 04/ Daß die Kruste der Erde sich anschickte, ein Gemenge von disparaten Formen zu werden
Pierre Cécile © Le son du grisli
Willem Breuker : Amsterdamned Jazz (La Huit, 2012)
Le visage fatigué, Willem Breuker ne baisse pas la garde : « Il ne faut jamais gâcher une seconde dans la musique » nous dit-il. Il poursuit : « Je m’endors et me réveille avec la musique ». Le voici dans sa gargantuesque discothèque : l’homme est curieux, confesse tout écouter même ce qu’il n’apprécie guère. Car oui, cet homme était musique. On peut regretter qu’il ne dise que très peu de chose sur ses années free (rien sur Machine Gun ou l’ICP ici) ou sur les révoltes et illusions passées.
Le saxophoniste vit pour le présent : les concerts, les répétitions, le négoce, la composition, l’humour pince-sans-rire aussi bien sûr. Le réalisateur Daniel Jouanisson n’a aucun mal à capter l’implication du musicien, son faux détachement et la plus belle conquête de Breuker : la musique. Rien que la musique. Un acte de foi ni plus ni moins.
Un concert du Kollektief (immense solo de violon de Lore Lyne Tritten) ainsi que les interviews de Johann Van Der Keuken, Konrad Boehmer et Misha Mengelberg (le réalisateur comprend-t-il ce qui se passe ici ?) complètent cet attachant et nécessaire DVD.
Willem Breuker Kollektief : Amsterdamned Jazz (La Huit)
Edition : 2012.
2 DVD : Amsterdamned Jazz
Luc Bouquet © Le son du grisli
James Newton : Paseo del mar (India Navigation, 1978)
Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
Musicien créatif plutôt que de jazz : ainsi se voyait James Newton vers le fin des années soixante-dix, quand il arriva de la Côte Ouest des Etats-Unis jusqu’aux oreilles des amateurs européens. C’est exclusivement à la flûte qu’il choisit de s’exprimer, fort de l’expérience acquise au sein d’une scène riche en fortes personnalités dont firent entre autres partie Arthur Blythe, Bobby Bradford, Charles Tyler, Stanley Crouch ou Walter Lowe.
Mais plus qu’aucun autre, c’est le clarinettiste John Carter, du même coin, qui l’aura marqué à jamais. Tous deux ont en commun de jouer d’un instrument assez peu usité, et pas vraiment puissant en matière de volume sonore, comparé à un saxophone ténor ou à une batterie. Un langage doit donc être développé, qui permette de tenir le choc : ce sera chose faite pour James Newton, une fois ouverte la porte de l’après-Dolphy.
John Carter, pour revenir à lui, aura aussi une influence spirituelle profonde sur le jeune instrumentiste. Et quant aux disques des autres, ils l’aideront également à trouver le chemin à suivre : ce seront en premier lieu ceux d’Ornette Coleman, pendant longtemps écoutés en boucles, telles les premières productions du label Contemporary comme l’ambitieux Skies Of America par trop méconnu. Braxton, sur cette route, finira par incarner une autre figure tutélaire d’importance, ne serait-ce que parce qu’il démontra qu’un autre jazz était possible, et que Berg et Webern pouvaient s’y faufiler. En ce qui concerne Dolphy, James Newton y voit un père sans qui rien pour lui n’aurait vu le jour.
Les historiens avancent Wayman Carver chez Chick Webb comme premier flûtiste de jazz. Sauf que le dit Carver, à l’instar de ses futurs confrères, ne se cantonnait pas à la flûte qu’il assortissait d’un intérêt tout aussi grand pour le saxophone. En feront de même James Moody, Yusef Lateef, Roland Kirk, Joe Farrell, Sam Rivers, Henry Threadgill. Alors que d’autres, plus rares, au contraire, s’y consacreront, tels Herbie Mann, Hubert Laws ou Jeremy Steig. Ceux que rappelle le plus James Newton sont Buddy Colette et Eric Dolphy, un certain feeling que l’on qualifiera de « californien » obligeant.
A la flûte, des techniques particulières peuvent pallier au manque de puissance sonore : James Newton ne s’en privera pas en contexte free avec rythmique puissante, comme ici sur « Lake ». Ces techniques consistent généralement dans le recours à la voix, afin de générer plus d’ampleur : « La voix représente quelque chose comme la main gauche d’un pianiste, confiait James Newton à Laurent Goddet en 1979, ce qu’on peut faire sur la flûte à partir des clefs s’apparentant au contraire à la main droite. » Chanter une mélodie et improviser en même temps ne lui poseront jamais problème, pas plus qu'à Roland Kirk ou Ian Anderson du groupe de rock Jethro Tull ; d’autres, dans le jazz, ayant d’ailleurs déjà exploré cette voie consistant à envisager l’instrument de manière orchestrale – des trombonistes notamment. Sauf que la force nécessaire, insiste James Newton, est à chercher en soi et non dans l’instrument lui-même. Et qu’il ne s’agit pas non plus d’en abuser.
De Paseo del mar se dégagent des climats peu communs, si l’on excepte Other Aspects d’Eric Dolphy (pourtant antérieur d’une bonne quinzaine d’années). L’album enchante par la sorte d’inventaire proposé, où se mêlent écrit et improvisé, dans un digne prolongement de Flute Music, autoproduction également signée Newton et réalisée en solo, abstraction faite de la diffraction générée par endroits par le re-recording. Palliatif d’ailleurs rapidement abandonné au profit du solo absolu, voire, dans le champ de la multiplication des voix, par le recours au quintette flûte / clarinette / tuba / basson / hautbois (ou cor anglais) constitué de Newton, John Carter, Red Callender, John Nunez et Charles Owens (Music For Wind Quintet, même label, 1980).
Chez James Newton la perméabilité aux influences intègre le free jazz, les musiques classique, contemporaine, folklorique, ethnique et pour sakuhachi. Et dans le pianiste Anthony Davis, celui-ci aura rencontré un véritable alter-ego. Chez l’un comme l’autre une même fraîcheur surprend, l’émotion ne cédant jamais à la technique.
Des échos d’Ellington, Mingus, Ornette, Dolphy, Bach se font entendre et constituent ici l’épine dorsale. Tout comme dans Of Song For The World d’Anthony Davis, enregistré la même année pour la même maison de disques, et à écouter en parallèle.
Michael Muennich : Zum Geleit (Fragment Factory, 2012)
La réédition de Zum Geleit était inévitable : l’ouvrage signé Michael Muennich fut tiré l’année passée à douze exemplaires seulement.
Ce sont cinquante copies de plus qui s’apprêtent à répandre une musique de grisailles : dix-sept minutes de rafales qui, peu à peu, composent en rythme un grand-œuvre de minimalisme cinglant. S’y amassent des déchirures, jusqu’à ce qu’une boucle autoritaire siffle et sonne la récréation pour une population de rampants fabuleux : les jeux auxquels ils s’adonnent sont faits de lourds matériaux, qui résonnent sous les coups qu’on leur porte.
Comme sur Rugged, Muennich dompte des sonorités hostiles jusqu’à leur faire accepter de rentrer sagement en cage. Soumises, alors elles chanteront.
EN ECOUTE >>> Zum Geleit
Michael Muennich : Zum Geleit (Fragment Factory)
Enregistrement : 27/28 juin 2011. Edition : 2011. Réédition : 2012.
CD-R (3 pouces) : 01/ Zum Geleit
Guillaume Belhomme © Le son du grisli