Simon Nabatov : Spinning Songs of Herbie Nichols (Leo, 2012)
Sans les terminaisons abruptes d’Herbie Nichols et avec le souci de ne jamais emmarbrer la musique du new-yorkais, le pianiste Simon Nabatov traque quelques idées reçues. Par exemple : jeter aux orties les traités harmoniques que Monk et Nichols, en leur temps, avaient déjà bousculés. Mais aussi : ne pas se soustraire au modèle original mais lui octroyer quelques coulées frondeuses ici (Blue Chopsticks), quelques sèches ruades ailleurs (Lady Sings the Blues).
Et toujours, approfondir les mystérieuses consonances de Nichols, poursuivre l’introspection du compositeur, rendre fielleux le romantisme s’approchant et se souvenir que beaucoup de choses reposaient sur un blues, ici, admirablement rectifié. Un bel hommage donc.
EN ECOUTE >>> Spinning Songs of Herbie Nichols (extrait)
Simon Nabatov : Spinning Songs of Herbie Nichols (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2007. Edition : 2012.
CD : 01/ 2300 Skiddoo 02/ The Spinning Song 03/ Blue Chopsticks 04/ Lady Sing the Blues 05/ Sunday Stroll 06/ The Third World 07/ Terpischore 08/ Twelve Bars introspection
Luc Bouquet © Le son du grisli
Marion Brown : Marion Brown Quartet (ESP, 1965)
Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.
LeRoi Jones (Amiri Baraka) vit en Marion Brown l’un des premiers disciples d’Ornette Coleman. L’un des premiers dignes d’intérêt, s’entend… Par Coleman, qui lui prêta plusieurs fois son alto de plastique et de légende, Brown fut en quelque sorte adoubé. Après quoi, d’autres figures de taille reconnurent le talent du saxophoniste au point de l’employer : Bill Dixon, Archie Shepp (Fire Music, février 1965) et puis John Coltrane (Ascension, juin 1965). De la séance, Brown se souviendra : « On a fait deux prises, et elles avaient toutes les deux en elles le genre de truc qui fait hurler les gens. Les gens qui étaient dans le studio hurlaient. Je ne sais pas comment les ingénieurs ont préservé le disque des cris. »
En novembre de la même année, Brown aura l’opportunité d’enregistrer pour la première fois sous son nom. Son premier disque, estampillé ESP, prendra celui de la formation qu’il emmène : Marion Brown Quartet – un quartette un brin changeant : sur « Capricorn Moon », on trouve ainsi le saxophoniste en compagnie d’Alan Shorter (trompette), Ronnie Boykins et Reggie Johnson (contrebasses), et puis de Rashied Ali (batterie). Boykins, membre de l’Arkestra de Sun Ra, est ici celui qui augmente le quartette, enfonçant le gimmick qui impulse « Capricorn Moon », composition d’obédience latine sur laquelle l’alto et la trompette pourront tour à tour vriller avec nonchalance – les usages de Boykins vont au gimmick, comme le redira « The Will Come, Is Now », morceau-titre de son premier disque, enregistré une dizaine d’années plus tard.
Sans Boykins et en présence du saxophoniste Bennie Maupin en lieu et place d’Alan Shorter, Brown enregistre « Exhibition », titre qui joue lui aussi d’un gimmick et d’unissons. Ainsi donc, ce n’est que sur un des trois titres de Marion Brown Quartet qu’il est donné d’entendre le Marion Brown Quartet : « 27 Cooper Square ». Noter que la pièce est courte : moins de quatre minutes d’un bop virant free dont Brown occupe tout l’espace – les dernières secondes, Shorter s’y fait entendre avant de revenir au thème afin que le groupe en finisse. Pour compenser peut-être (sans doute pas, en vérité), la formation défendra une composition de Shorter : « Mephistopheles », qui sera écartée du pressage original – une autre version de ce titre, enregistrée le mois précédent par Alan Shorter sous la conduite de son frère Wayne, paraîtra sur un disque Blue Note, The All Seing Eye. Le saxophoniste dira de « Mephistopheles » qu’il est un cri que le diable en personne pourrait vous arracher.
Si on ôta ce cri de la version originale de Marion Brown Quartet, il n’en résonne pas moins dans l’ouvrage puisqu’il est le souffle de vie que se partagent Marion Brown et Alan Shorter, l’entente sur laquelle fleurit « le genre de truc qui fait hurler les gens ». Avec Shorter et Maupin sur Juba-Lee, disque Fontana dont l’audace est intimidante, Brown plaidera avec autant de verve que sur Marion Brown Quartet en faveur de cette affirmation de Luigi Russolo : « La caractéristique du bruit (est) de nous rappeler brutalement à la vie ». Aucun des disciples d’Ornette Coleman n’aurait pu contredire la formule ; peu l’auront illustrée avec autant de panache que Marion Brown.
Volcano the Bear : Golden Rhythm/Ink Music (Rune Grammofon, 2012)
Le retour de Daniel Padden, Aaron Moore et Clarence Manuelo est donc annoncé sur Rune Grammofon. L’album a pour nom Rhythm/Ink Music et rassemble des titres enregistrés en 2006 et 2008. Ce qui n’empêche : c’est un nouveau Volcano the Bear qui sort aujourd’hui.
On y retrouve les ingrédients dont le gorupe a fait un grand mix : pop expérimentale, rondes psychédéliques, folk répétitif, ambient déstructurée, post-rock minimaliste ou krautrock revisité. Avec une cuillère de bois de taille énorme, les trois musiciens tournent le tout sans faiblir, ajoutant ici un doigt de Joy Division, un autre de Current 93, un autre de Divine Comedy sous acide (je m’en rends compte : ces deux derniers parallèles peuvent paraître surannés). Et qu’est-ce qui fait que le tout passe le cap, ne vire pas à la soupe et même mieux tient la route ? La magie… de Volcano the Bear.
Volcano the Bear : Rhythm/Ink Music (Rune Grammofon / Amazon)
Enregistrement : 2006/2008. Edition : 2012.
CD / LP : 01/ Buffalo Shoulder 02/ Baby Photos 03/ The Great Reimbursing 04/ Bravo 05/ Quiet Salad 06/ Spurius RUga 07/ Golden Ink 09/ Firean Show
Pierre Cécile © Le son du grisli
Jan Klare : (shoe) (Red Toucan, 2012)
Les fantômes du passé ne hantent plus le quartet de Jan Klare. Et si s’invitent quelque accent masadien ici et quelque alto aylérien ailleurs, il ne s’agit que de courts – et néanmoins complices – clins d’œil aux inspirateurs de jadis.
L’autonomie a donc gagné du terrain chez Jan Klare, Bart Maris, Wilbert de Joode et Michael Vatcher. Le bouillonnement free est là mais la suavité aussi. La ballade se gorge d’angoisse ; l’alto et la contrebasse visitent un entresol périlleux, soudainement déjoué par une lumineuse mélodie ; la flûte accorde quelque fraîcheur à la banalité d’un thème sautillant. Les scénarios sont donc multiples mais jamais animés d’une diversité calculée. D’où ce disque particulièrement attachant et réjouissant.
Jan Klare : (shoe) (Red Toucan / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Sole 02/ Vamp 03/ Outsole 04/ Welt 05/ Insole 06/ Heel 07/ Midsole 08/ Lining 09/ Tongue 10/ Backstay 11/ Quarter 12/ Laces
Luc Bouquet © Le son du grisli
Slugfield : Slime Zone (PNL, 2012)
Sous le nom de Slugfield et le signe de l’escargot, Maja Ratkje, Paal Nilssen-Love et Lasse Marhaug, se sont unis. Leur expressionnisme est ample, et cette Slime Zone qu’ils investissent est là pour prendre des couleurs.
Des bleus, notamment, tant la frappe de Nilssen-Love est appuyée et ses coups portés partout, quand ce ne sont pas plutôt les cymbales qui servent d’outils à inciser : des plaies ouvertes sourdent la voix de Ratkje et des morceaux de disques passés par les platines de Marhaug, tous éléments de provocation érigeant le défouloir en façon de faire qui soulage autant qu’elle sonne.
Lorsqu’il n’est pas abstrait, le trio peut prendre son envol : porté par un retour d’ampli ou expédié haut par un fût qui claque. Dans les hauteurs, la conversation gagne en férocité et l’électroacoustique en feintes. La démonstration eut lieu à l’Oslo Jazz Festival le 18 août 2010. Son souvenir est saisissant.
Slugfield : Slime Zone (PNL / Metamkine)
Enregistrement : 18 août 2010. Edition : 2012.
CD : 01-05/ Slime Zone
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Black Music Disaster (Thirsty Ear, 2012)
Ceux qui n’ont pas assisté à ce concert au Café Oto ne pouvaient s’attendre à entendre ce Matthew Shipp là… Premièrement, il a troqué son piano contre un farfisa du plus bel effet, qu’il dompte quelques minutes avant que ne le rejoigne Steve Noble qui donne de grands coups à sa batterie pour annoncer le thème du jour : Black Music Disaster !
S’il est publié dans la Blues Series du label Thirsty Ear, ce CD ne retient rien du jazz pour aller voir du côté de la récréation noisy à laquelle participent à leur tour deux guitaristes électrisés : J Spaceman (oui, de Spiritualized et Spacemen 3) et John Coxon (oui, de Spring Heel Jack). Shipp en Winslow Leach, les trois autres en Grand Masters Crash, la rencontre peut tourner sous l’égide de Sun Ra, Nurse With Wound et Oneida. En trente-huit petites minutes, le tour est joué : le divertissement vous a étourdi si ce n’est pas complètement affolé !
Black Music Disaster (Thirsty Ear / Orckhêstra International)
Enregistrement : 13 février 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Black Music Disaster
Pierre Cécile © Le son du grisli
7090, Jan Hage : Xenakis in het Orgelpark (Orgelpark, 2012)
Quel est celui qui joue l’ange, quel est celui qui joue Jacob, dans cette incroyable bataille de cuivres dont Linaïa-Agon a capturé les échos ? Cette composition de Xenakis, écrite en 1972, ouvre ce CD enregistré par l’organiste Jan Hage, le trio 7090 (Nora Mulder au piano, Koen Kaptijn au trombone et Bas Wieger au violon) et une section de cuivres (tuba, cor, trompettes et un dernier trombone) invitée à célébrer le compositeur français.
Ces instruments à vent tissent des relations intimes sur Linaïa-Agon : leur trajet mène tout droit au large, par un soir de grand vent. Gmeeoorh, pièce écrite deux ans plus tard, se sert des bourdons surprenants d'Hage dont les interférences avec les cuivres donnent naissance, dans de larges tubes, à des monstres de bruits variés. Entre ces deux pièces, une plus ancienne du nom d’Eonta met en valeur le jeu de Mulder : dans une autre optique, les cuivres se mettent en branle et entourent le piano, l’étouffent petit à petit avec un savoir-faire brouillon mais très efficace. C’est donc une autre histoire d’opposition qui nous est racontée ici : l’architecte Xenakis nous montrant comment, avec des morceaux de chaos, construire trois univers fantastiques.
Iannis Xenakis, 7090, Jon Hage : Xenakis in het Orgelpark (Orgelpark)
Edition : 2012.
CD : 01/ Linaia-Agon (1972) 02/ Eonta (1963) 03/ Gmeeoorh (1974)
Héctor Cabrero © Le son du grisli
MMM Quartet : Live at the Metz' Arsenal (Leo, 2012)
La mise en relation fut de courte durée, les questions de timidité ayant été résolues depuis longtemps. Néanmoins, s’espère, s’attend et se guette l’élément déclencheur ; celui qui, fugace et vite oublié par toute (Joëlle Léandre) et tous (Fred Frith, Alvin Curran, Urs Leimgruber) ouvrira le chemin. Le piano jouera ce rôle. Mais ceci est sans importance.
Maintenant, l’improvisation avance, trouve son territoire. Des electronics généreux brouillent le cercle, empêchent que s’ouvrent les espaces. Mais de lutte, il n’y aura point : lentement, une harmonie se trouve, se déploie. Il y aura une lenteur entretenue, des cordes raclées, des souffles volés et plus jamais les lignes ne seront encombrées. Au fil des minutes, chacun va gagner en autonomie et, ainsi, enrichir le collectif. Et faire de cette improvisation un moment rare et précieux.
EN ECOUTE >>> Live at the Metz' Arsenal (extrait)
MMM Quartet : Live at the Metz' Arsenal (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2012.
CD: 01/ Part One 02/ Part Two
Luc Bouquet © Le son du grisli
Charles, Gross, Hautzinger, Marchetti : Tsstt! (Monotype, 2012) / Zea : Bourgeois Blues (OOCCII, 2012)
Tsstt ! Bzzz ! Wooshhhh ! Clkt ! En cinq pièces courtes et moins d'une demi-heure, à coups de zips, de zaps et de sulfateuses portatives, l'association de Xavier Charles (clarinette), Franz Hautzinger (trompette quart de ton), Jean-Philippe Gross (dispositif électroacoustique) et Lionel Marchetti (magnétophone Revox B77, radio), relève le défi de maintenir l'attention de l'auditeur sans lasser. Si cela tient, à n'en pas douter, à l'heureuse brièveté de ce disque enregistré en janvier 2010 à Metz, il faut également l'imputer à la variété des climats créés.
Busy & buzzy, le groupe (qu'un Thomas Lehn ne déparerait pas – on ne peut non plus s'empêcher de penser à Jérôme Noetinger ou eRikm pour la section des « machines ») évite l'asphyxie de la seule course aux effets, aux scratches ou aux pétarades de flipper ; des nappes d'attente, crénelées de stridences, savent se bâtir et quand la bâche de la pochette se soulève, une bribe dixie, oui, s'échappe, un mécanisme s'emboucle, un jet de vapeur fuse... Sans renverser les codes de ce genre d'électrimpro mixte, le quartet déploie un bel art de l'espace et une intelligente effervescence.
Xavier Charles, Jean-Philippe Gross, Franz Hautzinger, Lionel Marchetti : Tsstt ! (Monotype)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.
CD : 01-05/ 01-05
Guillaume Tarche @ Le son du grisli
On retrouve Xavier Charles sur un 45 tours que publie Zea (Arnold de Boer) : Bourgeois Blues. Sous le blues promis par ce titre de Lead Belly dont Mark E. Smith retoucha les paroles, trouver des chansons en anglais qui oscillent entre pop et folk : Charles y intervient en effronté qui ornemente et assure de son soutien une guitare (folk ou électrique) obnubilée par les rythmes d’Afrique. Pour la seconde face, surtout.
EN ECOUTE >>> Bourgeois Blues
Zea, Xavier Charles : Bourgeois Blues (OCCII)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
45 tours : A/ Bourgeois Blues B1/ It’s Quiet B2/ Insecurity Expert
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Interview : Nate Wooley
Lorsqu’il tourne le dos au jazz qu’il peut servir – et même interroger – aux côtés de Daniel Levin, Harris Eisenstadt ou Matt Bauder, Nate Wooley s’adonne à une pratique expérimentale en faveur de laquelle plaident aujourd’hui deux références de taille (The Almond et Trumpet/Amplifier). Sinon, c’est l’improvisation qui l'anime encore, comme l’atteste le non moins indispensable Six Feet Under enregistré avec Paul Lytton et Christian Weber. Ce qui fait trois raisons valables de passer aujourd’hui le trompettiste à la question. [LIRE LA SUITE]